Le territoire de
l'éducation a changé de visage
Mais
alors que nous nous escrimons à
élaborer de nouvelles cartes, nous
persistons à les lire avec dans nos
têtes des modèles anciens.
L'école est en effet une communauté
humaine, et comme telle, traversée par la
violence interne à chaque individu, aux
groupes sociaux qui la composent et à sa
propre violence institutionnelle. Organisme vivant
et poreux, elle est aussi contaminée par la
violence endémique externe, celle qui
cristallise la difficulté du " vivre
ensemble " des institutions, des groupes sociaux ou
des nations.
Est ce la violence à l'Ecole qui augmente,
ou notre inquiétude devant ses
manifestations nouvelles et de plus en plus
précoces sur un terreau familial et social
fragilisé ? Comment, sinon éradiquer,
du moins contenir cette la violence ?
La psychanalyse nous a
permis de comprendre les mécanismes de cette
violence fondamentale qui est au cur du petit
enfant englué dans l'amour et la haine,
l'illusion de la toute puissance infantile et le
principe de plaisir. Si la violence a ses raisons
internes, elle s'inscrit cependant pour chacun,
dans une relation complexe avec son
environnement.
La violence est contagieuse et s'auto-alimente de
blessures en blessures, elle s'avance
masquée avant de faire irruption brutalement
dans les lieux de vie de l'enfant, et notamment
l'école.
Elle se déploie dans une spirale de
blessures reçues et données et
l'élève qui vit dans une
société au repères
défaillants, trop souvent sans personne en
face de lui, va exprimer en réponse son
agressivité incontrôlée dans
l'explosion externe qui devient un mode d'action (
taxages, coups, injures , désir d'imposer sa
loi à ses pairs) .Ou dans l'implosion avec
son cortège de symptômes de
dévalorisation de soi, de stratégies
d'échecs ou de somatisations qui à
l'adolescence peuvent aller vers les pathologies
addictives ou le suicide, et qui chez les plus
jeunes s'exprime dans des jeux dangereux
.
L'anthropologie et l'histoire quant à elles,
nous ont appris comment la violence depuis la
genèse de l'humanité s'est
canalisée dans la construction du langage,
civilisée dans l'édification de
règles et de lois communes, choisies ou
imposées qui s'imposent en tiers contre le
chaos de l'indifférenciation, conquête
jamais achevée.
La complexité des causes, du contexte, de
l'évolution de la société
suppose d'aborder ce phénomène sur
tous les fronts. Nous ne poserons ici que des
pistes sur ce que la formation aux relations
humaines des enseignants peut apporter comme
étayage et comme contribution
Comment
en tant qu'enseignant contribuer à
utiliser ce formidable réservoir de
vie que constitue la violence ? Comment
explorer d'autres manières de
faire, d'être, et modifier sa
représentation du monde en
libérant de l'énergie pour
l'action et le changement ?
Il
n'y a pas d'amour sans loi et pas de loi sans amour
Les
enfants sont en difficulté dans les
différents champs de leur vie,
difficultés qui sont un terreau fertile pour
la violence .Parmi ces défaillances, nous
pouvons repérer :
- Une relation
à l'espace réel et symbolique
: comment trouver sa place dans des lieux de
vie, école, famille, la rue, la
société, qui sont porteurs de
valeurs contradictoires ?
- Une expression
cadenassée qui ne permet pas, de
revoir les faits, de dire l'offense et le
ressenti, la souffrance non reconnue d'une
blessure narcissique, le mal être ou
l'insécurité.
- Une image de soi trop
souvent négative et qui ne fournit
pas la sécurité intérieure
pour entrer en relation vivante avec les autres,
s'affirmer en s'acceptant pour accepter
l'autre.
- Un manque de
reconnaissance et d'appartenance ne
favorisant pas l'élaboration d'une
identité solide, notamment dans le choc
des cultures différentes.
- Une difficulté
à vivre les frustrations et à
distinguer les besoins et les
désirs
- Une incapacité
à se projeter dans un avenir que les
adultes présentent comme un horizon
obscurci, à passer du rêve au
projet, à donner du sens à sa
vie.
- Une tentation,
favorisée par le climat ambiant
d'installer l'individu et notamment l'enfant
dans un statut de victime (de la
société de consommation, de
parents démissionnaires, du chômage
du père
) ce qui lui laisse le choix
entre l'implosion ou l'explosion.
- Une carence des
relations verticales qui en déficit
d'une autorité qui " fait grandir "
l'enfant, s'appuie sur le pouvoir
personnel.
- Une carence à
vivre des relations horizontales saines avec
les pairs, dans le respect de la
différence et de l'affirmation de soi, et
une relation à l'autre qui oscille entre
une volonté de puissance sur lui ou une
attitude de soumission.
- Un abus des punitions
arbitraires à la place des sanctions
étayées par la
règle.
"
Soyez-vous même le changement que vous
voudriez voir dans le monde"
Gandhi
La
tâche est immense pour affronter ces
situations qui font obstacle à la mission
que les enseignants ont reçu, de transmettre
du savoir. Le temps n'est plus aux combats
d'arrière garde sur les tenants du savoir et
ceux de la pédagogie. C'est que pour
transmettre ce savoir, sauf situations rares et
privilégiées, les enseignants ne
peuvent qu'être aussi des éducateurs
et pour cela se former aux relations humaines afin
de restaurer une culture du lien pour une
école apaisée.
Je préciserai volontiers que ceux qui ont
à se former, ce sont tous les acteurs de
l'école, enseignants, personnels
éducatifs ou de santé, chefs
d'établissement ou personnels d'accueil, et
bien sûr, les élèves,
même si nous mettons l'accent ici sur les
enseignants.
Quand nous voyons la liste sans doute
incomplète des difficultés
rencontrées par les élèves,
nous constatons qu'elles sont aussi celles des
enseignants eux-mêmes (travailler en
coopération, vivre la hiérarchie,
déficit de reconnaissance et d'image de soi
etc.) tandis que d'autres, les moins nombreuses
sont plus spécifiques (exercer son
autorité, sanctionner
)
Se former
à quoi ? On parle actuellement de
développement personnel
professionnel
Si
la posture de l'enseignant est bien
asymétrique, il s'agit pourtant d'un travail
d'alliance pour que chacun remplisse sa mission,
éducative pour l'un, d'apprenant pour
l'autre. " L'élève n'est pas un vase
qu'on remplit, mais un feu qu'on allume "
écrivait Bachelard. Mais comment entretenir
" ce feu " là quand on est mobilisé
par l'anxiété quotidienne d'une
classe " à tenir " et non à faire
vivre ?
Pour aller dans ce sens, l'enseignant peut
renforcer ses compétences dans
différentes directions.
- Se
responsabiliser pour mieux permettre
à l'élève de le faire en
quittant lui aussi " le boulevard de la plainte
pour le boulevard de la vie ".
- S'autoriser
à laisser circuler les forces de vie
qui sont en lui et à manifester ses
désaccords, ses ressentis en distinguant
les personnes (élèves ou
collègues) et les actes, les sentiments
et la relation.
- Se former à
l'écoute et apprendre à
communiquer autrement en distinguant les besoins
et les désirs, en se respectant à
travers des démarches qui les
amènent à oser demander, refuser,
donner recevoir, en repérant les
différents registres de la communication
(les faits, le ressenti, le retentissement et en
entendant les comportements des
élèves comme des
langages.
- S'appuyer sur les
ressources de l'élève ou les
siennes propres souvent méconnues,
ainsi que sur celles du groupe-classe, s'offrant
comme autant de " tuteurs de résilience "
pour reprendre le terme de Boris
Cyrulnik.
- Entendre en lui, sa
propre violence pour la transformer en une
agressivité créatrice et lui
permettre d'expérimenter des relations
plus pacifiées et plus justes.
- Accepter ses propres
erreurs et accueillir celles de
l'élève, non pas comme une
faute, ni un échec, mais comme un
tremplin.
- S'entrainer pour
lui-même à ne pas s'autoriser
à la violence mais à remettre
en valeur le verbe contre la " barbarie " du
geste ou du cri, pour mieux l'exiger des
élèves et désamorcer la
brutalité physique ou celle du langage
brut.
- Se former à
créer un climat de
sécurité en étant
garant du cadre, de la fluidité de la
rivalité fraternelle et en assurant ainsi
une sécurité de cheminement, en
distinguant autorité et pouvoir et en
s'appuyant sur la dimension groupale de la
classe.
Il pourra dans cette
perspective enrichir la vie de sa classe
:
- En favorisant
ainsi un climat de confiance, propice
à la créativité grâce
à la soumission à des
règles et non à la personne, en
s'autorisant à la sanction et à la
responsabilisation dans une soumission à
des règles communes et non à la
personne.
- En développant
son autorité - qui autorise-, une
fermeté qui ne ferme pas, et non un
pouvoir arbitraire sur l'élève
tout en confrontant l'enfant à la
réalité qui l'entoure
- En
rétablissant du tiers dans la
relation par un rappel de la Loi, des
règlements intérieurs, des codes
de vie, qui assurent une
extériorité relative dans un
conflit violent et en faisant ainsi de
l'école un lieu pour apprendre à
vivre en groupe, un lieu de coopération
et de formation à la citoyenneté
reliés par des valeurs partagées.
Au besoin en s'exerçant à penser
des temps et espaces de médiation lorsque
les protagonistes, -dont lui-même ou
d'autres- se heurtent dans un affrontement de
leurs réalités infiltrées
par leur imaginaire respectifs.
- En favorisant ce qui
dans son existence donne du sens , ouvre sur
un horizon et un avenir stimulant en
réveillant le désir
réciproque d'apprendre et de vivre et
contribue à " agrandir la vie , selon la
belle expression de Jacques Salomé.
Se former
comment ?
"La porte
du changement ne s'ouvre que de l'intérieur
"
Carl Rogers
La
formation est comme le travail de la terre, elle se
fait dans la durée avec des temps forts et
des temps de maturation. Se former :
- C'est
s'engager dans un travail sur soi, à
titre personnel ou un travail de groupe entre
collègues de différents
établissements.
- C'est mettre en place
des formations aux relations humaines dans
l'établissement.
- C'est aussi faire de la
co-formation dans des groupes d'analyse de la
pratique ou dans des groupes de parole qui
créent du lien, de l'identité, de
l'appartenance, de la reconnaissance
réciproque.
Sur le " Comment monter des formations " ? on se
référera notamment au livre de
Jacques Nimier et à son site
référencé.
Nous avons dans diverses publications, fait des
retours sur des pratiques de formation. Dans un
article intitulé " Une utopie à
réalisation vérifiable au Luxembourg
" où nous avons fait une relecture d'une
expérience de plusieurs années- et
elle dure encore - de formation à la
communication relationnelle inspirée de
l'approche de Jacques Salomé associée
à d'autres courants.
L'utilisation des principes de la méthode
E.S.P.E.R.E du psychosociologue Jacques
Salomé, consacrés à la
communication relationnelle y a apporté des
outils efficaces pour permettre de travailler les
représentations, les différenciations
entre les comportements et les personnes, le
repérage des systèmes destructeurs,
en les remplaçant par des relations plus
créatrices entre adultes et entre les
enfants. Cet ensemble a le mérite de fournir
tout un ensemble constitué de règles
d'hygiène relationnelle, d' outils
favorisant la mise en place d'une communication
efficace et des concepts structurants la relation
que nous offrons à l'autre pour le quotidien
de la vie et pour l'école.
"Quand
on a mission d'éveiller les enfants
au désir d'apprendre, il importe
que les enseignants puissent faire de
l'école un laboratoire
d'expérience pour une culture de la
non-violence, pour apprendre à
vivre ensemble" non pas pour avoir la
paix, mais pour permettre de vivre en paix
" (Philippe Meirieu).
Pour
compléter : des sites à
consulter:
http://www.institut-espere.com/
la méthode ESPERE initiée
par Jacques Salomé y est
exposée ainsi que des adresses de
formateurs en France, Europe,
Canada
http://www.j-salome.com/
Site de Jacques Salomé. Heureux qui
communique, Pour oser vivre avec
soi-même et avec autrui des
communications sans violence. On y
trouvera des textes, tous les livres de
l'auteur ou sur l'auteur et des
informations sur de nombreuses
vidéos ainsi que l'annonce de
conférences.
http://www.pedagopsy.eu/,
le site de Jacques Nimier : une mine de
renseignements, d'articles, de
références bibliographiques
par un ancien professeur de maths et
professeur honoraire en psychologie
clinique de l'Université de
Reims
http://asso.etincelle.free.fr/
, le site de l'association Etincelles de
Véronique Guérin et son
équipe, avec notamment le
théâtre-forum : une
méthode vivante et efficace pour
faire évoluer les
représentations et les attitudes en
développement relationnel,
notamment en formation
d'enseignants.
http://www.interactions-tpts.net/
le site consacré aux
activités centrées sur
l'articulation entre transformation
personnelle et transformation
sociale
http://psychomotivation.free.fr/
le site qui regroupe la revue de la
Psychologie de la Motivation et les
activités de formation
associées.
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