Travailler
à ce que l'école soit un lieu
habité, traversé par un esprit de
respect mutuel:
L'institution scolaire a, dans un premier temps,
à définir clairement les
finalités qu'elle poursuit et, dans un
deuxième temps, à le faire savoir,
j'allais dire solennellement, aux parents et aux
élèves. N'est-ce pas souvent un
déficit de communication qui est à
I'origine des malentendus ? Rappelons donc
très fort, oralement et par écrit,
que l'école est un lieu pour apprendre et
pour grandir avec les autres , dans le sentiment de
sa propre valeur et du respect pour autrui, que
c'est un lieu de développement intellectuel,
affectif et social, à la fois individuel et
collectif; dans ce lieu de construction humaine et
de transmission intergénérationnelle,
les jeunes sont appelés à
conquérir autonomie et
responsabilité, avec l'aide d'adultes
s'engageant à faire oeuvre
d'éducation autant que d'enseignement parce
qu'ils se savent des relais dans la chaîne
des générations.
Faire connaître cette visée
éthique, se positionner clairement en tant
qu'équipe éducative et en appeler
à la collaboration des familles pour que
tous aillent dans la même direction, c'est le
rôle dés responsables de
l'école qui a'a élaborer le projet
d'établissement. Ce projet ne doit pas
seulement être cohérent mais
volontariste , sous-tendu par une pédagogie
fondée sur le respect, notamment des plus
démunis et le désir de les aider
à dépasser le sentiment qu'ils ont de
leur non-valeur . La confiance en le
développement possible de chacun,
malgré les handicaps de toutes sortes dont
il peut souffrir, la conscience de la valeur de la
parole donnée me paraissent être le
vecteur essentiel d'une pédagogie qui pose
que tout être humain a besoin de la
considération d'autrui, a besoin
d'être regardé comme valable pour
développer sa propre estime de soi et
pouvoir grandir.
Tout établissement ne devrait-il pas
être ressenti, vécu par les
élèves comme un lieu de
sécurité , un lieu de protection
laïque, où chacun serait
assuré - parce que le règlement
intérieur élaboré
collectivement, le dit sans ambiguïté -
de ne pas être méprisé,
raillé, voire laissé de
côté par les adultes qui se seraient
engagés à respecter les personnes des
élèves et bien évidemment les
personnes des parents ? Je pense ici à un
incident grave rapporté par Patrice Huerre
dans L'Fcole des parents de mars 2002 et que
reprend J.-L. Auduc dans les Cahiers
pédagogiques ( No 411) de février
2003 : Des garçons prépubères
de 6 ème ayant été
agressés par des filles de 4eme s'en
étaient plaints auprès du CPE qui
s'est moqué d'eux et a eu des propos
plutôt grivois à leur égard.
Comme les provocations des filles continuaient, les
garçons ont décidé de les
agresser à leur tour, elles sont
allées se plaindre au Principal, qui a
prévenu le Procureur de la République
, les garçons ont été
arrêtés et remis à la Brigade
des mineurs. Quel gâchis ! Quelle absence
regrettable de concertation et surtout d'une parole
d'adulte mature dans une situation de violence
subie par des enfants ! Cet incident met aussi en
lumière la judiciarisation excessive de
certains faits, le recours systématique
à la justice qui amènent à
discréditer l'acte éducatif et de
médiation .
On le voit, la notion de respect mutuel n'est pas
évidente pour tous au sein de
l'établissement , au niveau des adultes
d'abord, il est nécessaire d'y revenir sans
cesse , au sein de l'équipe éducative
et dans des groupes de réflexion . Seuls des
adultes habités par la conviction de la
dignité de tout être humain peuvent
amener les jeunes et leurs familles à
prendre conscience de la nécessité de
faire vivre ce postulat et les inviter à y
réfléchir, dans les heures de vie de
classe ou sous la forme d'ateliers de philosophie
ou de psychologie. C'est là que jouent
grandement l'importance de la parole et de sa
circulation dans l'établissement, et hors de
l'établissement, l'importance aussi du
temps que l'on décide de consacrer
à des espaces de dialogue avec chacune
des classes et avec l'ensemble des
élèves, avec les parents, en
début d'année
et périodiquement, pour faire le point, sur
ce que j'appellerais « l'esprit de la
maison ».
Introduire et faire
connaître des rites d'accueil
Peut-être faudrait-il réfléchir
à nouveau ensemble à l'image de la
maison d'école, lieu d'apprentissage et de
vie qui prend le relais de la maison familiale et
où des règles de vie commune sont
nécessaires pour sauvegarder le
bien-être de chacun. Dans ce domaine , il ne
peut être que bénéfique , pour
développer un sentiment d'appartenance au
collège ou au lycée, un sentiment de
fierté aussi, - et donc pour lutter contre
la dissolution des liens sociaux et , à
l'opposé, la constitution de bandes -
d'introduire des rites qui ponctuent l'année
scolaire Des rites d'entrée et de sortie,
des rites d'accueil contribuent à donner
à chaque élève le sentiment
qu'il a sa place au collège, une place
à occuper dignement, ils contribuent aussi
à redonner à l'espace scolaire le
caractère sacralisé qu'il a perdu. La
célébration chaque année du
personnage qui a donné son nom à
l'établissement , la présentation de
pièces de théâtre et
d'expositions autour d'un thème commun, des
concours de lectures à haute voix, des
randonnées en début d'année
pour aider à la constitution du
groupe-classe, une fête de clôture avec
les parents, sans parler de parrainages 6eme 3
ème par exemple , sont autant d'occasions de
se sentir membre actif et reconnu d'une
communauté. Car la communauté joue un
rôle de contenant et de transition entre le
groupe familial qui ne cultive souvent plus aucun
rite, et la société où chacun
aura à s'inscrire et qu'il nous faut essayer
de reconstruire avec un peu plus
d'humanité.
Travailler sur les transitions, les seuils,
par le biais de rites qui en facilitent le
franchissement, parler de relais, c'est
évoquer des passages dont nous savons tous
qu'ils ne sont pas faciles à vivre,
même s'ils ont été
minutieusement préparés. Sur le fond
du passage progressif et périlleux de
l'enfance à l'adolescence et dont j'ai
évoqué les difficultés au
cours des années du collège, il y a
les passages ponctuels d'un groupe social à
l'autre, d'une classe à l'autre, d'une
année à l'autre, sans compter les
obstacles personnels ou familiaux que bien des
jeunes ont à franchir dans une relative
solitude ; d'où l'importance de l'accueil
lors de chacun de ces passages, - pourquoi le
limiter à l'entrée en sixième
?- , l'importance du groupe où chacun peut
jouer au jeu des identifications qui soutiennent la
construction de la personnalité,
l'importance d'un « parler clair » en
direction des parents pour les inviter à
s'associer au projet éducatif de
l'établissement , pour restaurer leur
responsabilité, les inviter à
soutenir leurs enfants, à se positionner en
tant qu'adultes, leur dire combien on sait qu'ils
font ce qu'ils peuvent dans ce domaine où
l'on n'est jamais sûr de réussir. Les
encourager aussi à transmettre la
mémoire familiale tandis que l'école
doit continuer de transmettre les oeuvres du
passé Quoi qu'il en soit, les responsables
de l'école , tout comme les parents, ont
besoin de considération et de confiance
réciproques pour pouvoir travailler en
partenariat et en référence au projet
d'établissement dont l'école a
l'initiative.
Se rencontrer pour mieux
se comprendre , faire alliance en vue d'actions
collectives de prévention :
Au-delà du projet éducatif
général qui se doit d'être
rassembleur, et dont l'initiative revient aux
personnels de l'établissement, il est des
domaines où les enseignants, l'équipe
éducative et les parents peuvent collaborer
de manière concrète, où ils
peuvent faire alliance en vue d'actions collectives
visant une prévention, ou plutôt une
sensibilisation des classes aux conduites à
risques, en particulier les risques tournante
autour de la sexualité et de la toxicomanie
( drogue, alcool, tabac). Bien que ces actions
aient leurs limites à cause des
écarts énormes sur le plan du
développement et des
références culturelles des
élèves, elles valent la peine
d'être mises en place, elles le sont
d'ailleurs dans différents
établissements dont parlent le numéro
hors série de l''Ecole
des parents de mars
2003 (« Quand l'adolescent appelle ») et
le No 411 des Cahiers pédagogiques de
février 2003 (« Quand les
élèves se mettent en danger
»),
La première des actions communes est sans
doute de faire connaître aux jeunes et aux
familles l'existence de lieux
d'écoute,
le besoin d'être écouté
étant très fort chez les ados dont on
sait combien il est
symbolisé par le 'doudou' qu'est devenu le
téléphone portable. La Direction
Générale de la Santé a
différents
services
téléphoniques
relevant de sa compétence: Fil
Santé Jeunes,
depuis 1995, service anonyme et gratuit avec deux
missions : l'écoute, le soutien, le conseil
et l'information sur des questions de santé
et d'autre part, être l'observatoire des
difficultés des jeunes dans le domaine de la
santé ; Sida
Info Service et ses
différentes lignes ; Drogues Alcool, Tabac,
Info
Service de la Mission Interministérielle de
lutte contre la drogue et les
toxicomanies) .
Le réseau de L Ecole des parents et des
éducateurs propose dans 17
départements ou régions des
Espaces
Ecoute Jeunes pour
les 12-25 ans, avec une entrée toujours
généraliste et une orientation vers
des lieux plus spécialisés. En
février 2000, un No vert 0800 20 22 23 a
été créé, c'est
Jeunes
Violences Sante qui
est un pôle important de prévention.
Un article de L 'Ecole des parents de mars 2003
témoigne de l'amélioration
très nette du climat d'un collège
après que le règlement
intérieur ait été clairement
énoncé et qu'ait été
présenté, en présence de tout
le personnel, le dispositif de prévention.
Je le rappelais précédemment, les
adultes ont à se montrer, et à se
déclarer, ensemble, porteurs d'un projet
ambitieux qui ne peut qu'honorer les jeunes et
leurs familles et les inscrire comme membres de la
communauté éducative.
Pour aborder la question de la
sexualité avec les collégiens et
les lycéens, mieux vaut sans doute avoir
bénéficié d'une formation.
Cette formation peut amener un partenariat
fructueux résultant de la rencontre de gens
n'ayant pas l'habitude de travailler ensemble : des
professionnels de l'Education Nationale, de la
Santé et de lycées agricoles et des
éducateurs des structures d'écoute
des quartiers ont fait preuve, parfois, d'une
alliance professionnelle et pédagogique
porteuse d'avenir. Cette action de formation
s'inscrit dans un changement profond des
mentalités et des pratiques car il ne s'agit
plus de faire de la prévention des MST, de
la toxicomanie, du suicide , mais de s'inscrire
dans un processus, à long terme,
d'éducation à la sexualité
dans une éducation à la santé,
puis dans une éducation à la vie et
à la citoyenneté qui prend
elle-même sens dans une éducation
globale d'humains , comme le prévoient les
circulaires ministérielles de l'EN de 1998
».
Ainsi s'imposent de plus en plus la
nécessité de réfléchir
ensemble et d'instaurer des espaces
d'échanges et de rencontres avec les jeunes
dans les établissements - pour lutter contre
l'absentéisme, prévenir les conduites
à risques -mais aussi, hors des
établissements, pour créer du lien
dans les quartiers : Les actions de
prévention, comme les comités
d'éducation à la santé et
à la citoyenneté, sont nombreuses
dans les collèges et les lycées,
Jean-Louis Auduc en fait un relevé dans les
CP de février 2003, et Nelly Nesselbaum, de
l'INRP, souligne dans ce même numéro,
la nécessité « d'inventer un
nouveau partage de la responsabilité
éducative, en acceptant qu'interviennent
dans l'éducation des jeunes, plusieurs
espaces qui ne se recoupent pas totalement, mais au
sein desquels l'école garde ses missions
essentielles et prioritaires dans sa tâche
médiatrice »
Une association culturelle de Rumilly, en
Haute-Savoie, a créé un outil,
l'Arche
de la Défonce,
qui, lors de 32 étapes d'octobre 2001
à juin 2002, a touché 12000 jeunes et
adultes C'est un espace de sensibilisation, de
rencontre et de discussion, pour aider les jeunes,
leurs enseignants et leurs parents et dont la vraie
richesse réside dans la volonté de
transversalité qui a permis à la
variété des acteurs de
réfléchir et d'agir ensemble. «
Pas de prêchi-prêcha, de
l'écoute, de l'info et l'affirmation au
final que chacune et chacun doit être
maître de ses choix de vie »
écrit Théo Lekler. On ne soulignera
jamais assez les bénéfices pour les
établissements scolaires, du travail en
interdisciplinarité et en partenariat avec
l'extérieur, pour soutenir les adolescents
dans la construction de leur personnalité,
surtout ceux qui sont en deshérence, sans
affiliation à une histoire familiale, sans
liens à un terroir.
Dans un lycée de la banlieue de Pans,
l'équipe dont l'infirmière, a fait
intervenir une troupe de théâtre
spécialisée « Entrées
de jeux » ( 35
villa d'Alésia, 75014 Paris) sur le
thème Abus d'excès . Elle a fait
intervenir le Planning familial pour parler des
relations amoureuses, des MST et de la
contraception. La cassette « Un vrai combat
»de la
Ligue contre le cancer
sensibilise aux dangers de l'usage du tabac, «
Les
coeurs parlent »(
39 rue des Tournelles, 77500 Chelles) aux dangers
de l'alcool
Toutes ces actions ponctuelles s'inscrivent dans un
souci de protection des jeunes, elles
requièrent la présence d'adultes
déterminés et pouvant compter les uns
sur les autres , pouvant disposer de temps aussi et
osant franchir les barrières que sont les
représentations figées qui
séparent encore trop souvent les personnels
enseignants et les parents. Les infirmières,
les CPE sont à l'interface mais ils se
plaignent du manque de temps pour suivre les
classes sur toute l'année, pour travailler
davantage avec les familles , pour coopérer
avec les collèges du secteur.
Peut-être est-ce dans ce domaine qu'il faut
faire preuve d'inventivité en pariant sur la
durée, en faisant davantage appel aux
parents et aux responsables d'associations de
quartiers pour aller au-devant des jeunes et
réfléchir avec eux sur les
problèmes qui les taraudent . Dans certains
établissements, des professeurs s'impliquent
dans l'organisation de cycles de discussions et
d'échanges â l'intention des parents
pour réfléchir aux problèmes
des adolescents ( à Ferrette, dans le Haut-
Rhin) A Asnières, de triste
réputation il y a peu de temps encore,
l'administration a décidé de soutenir
le corps enseignant et d'encadrer les
élèves pour les structurer , les
nombreux jeunes enseignants ne craignent pas de
s'impliquer, en participant par exemple à
des dîners avec des parents
d'élèves, à des rencontres
avec des associations du quartier, en organisant
des réunions avec d'anciens
élèves ayant une situation honorable
et donc capables, par leur discours, d'enrayer la
victimisation systématique dans laquelle
versent les élèves, comme
l'écrit A. Penaud dans
Télérarna du 11 juin 2003.
L'atmosphère du collège en a
profondément changé . «
L'incroyable, avec les établissements
scolaires, c'est leur capacité à
renverser les réputations. à
contredire les statistiques, à combattre le
destin, grâce à quelques individus,
simples profs, de passage au gré des
mutations ou ancrés sur le terrain",
écrit le journaliste.
Il ne s'agit pas seulement de quelques professeurs,
ce qui compte, c'est ce que j'appelais ` l'esprit
de la maison `, la volonté collective d'agir
en faveur des jeunes, c'est la foi en
l'éducation qui se traduit en actes, dans
les établissements et dans les quartiers.
Ainsi, à Strasbourg, dans une ZEP,un
collège très délabré a
pu retrouver calme et sérénité
grâce à une véritable mise en
cohérence et à un travail
d'équipe qui s'est prolongé par un
travail en réseau au niveau du quartier et
par l'élaboration d'une charte d'engagement
de tous les adultes du quartier vis-à-vis
des enfants et des adolescents.
A Longjumeau,
dans l'Essonne, a été
créée en 1997 la Maison Robinson
avec des animations
éducatives pour aider la population locale
à lutter contre la solitude des enfants,
contre la marginalisation, contre les
phénomènes d'acculturation et contre
le désengagement
généralisé des parents ; il a
fallu attendre deux ans cependant pour que des
parents s'y intéressent et s'investissent
.
C'est dire combien il ne nous faut pas
désespérer mais compter avec le
temps, comme toujours dans les domaines de
l'éducation et de la formation. D'où
la nécessité d'être soutenu, en
équipe, par des
groupes de paroles
où l'on puise l'énergie
néessaire pour lutter contre la
résignation qui guette si l'on est seuls
l'école et les familles ont à
restaurer une confiance réciproque au
travers de rencontres, d'échanges , de
dialogués ouverts, d'actions communes qui
permettent aux jeunes de se sentir appartenir
à une communauté éducative et
citoyenne où ils auront à prendre
à leur tour une part active;il nous faut en
même temps savoir les limites de notre action
, savoir qu'il est illusoire de vouloir
résoudre tous les problèmes des
adolescents. Nous avons essentiellement à
les accompagner sur le chemin de la vie et les
aider à lutter contre l'exclusion sociale,
les aider à se tenir debout, ce qui est
originairement le rôle de l'institution,
même si, comme au temps de Shakespeare
déjà, « le temps est hors de
ses gonds ».
Voir:
L'école
et les familles face aux problèmes des
jeunes
par
Jeanne
Moll
|