Au
travers de ce thème, les adultes que nous
sommes sont interpellés en tant
qu'éducateurs, il en va de nos attitudes et
de nos actes à l'égard de la jeune
génération et des problèmes
qu'elle rencontre diversement à
l'époque bouleversée qui est la
nôtre ..Aussi aurons-nous à nous
interroger sur les besoins psychiques, les attentes
des adolescents, mais aussi sur la
réalité psychosociale
forcément plurielle et complexe à
laquelle ils sont confrontés. Il nous faudra
imaginer comment l'école et la famille
peuvent coopérer pour fournir aux jeunes de
meilleures conditions pour apprendre d'une part et
pour grandir, d'autre part.
Les aider à grandir et à passer
lé cap de l'adolescence pour devenir des
citoyens éclairés, autonomes,
responsables et solidaires. C'est bien cela que
nous envisageons quand nous disons vouloir faire
évoluer et dynamiser les relations
école-parents dans l'établissement.
Nous souhaitons tous ensemble qu'il y ait moins de
dysfonctionnements, moins d'absentéisme,
moins d'échecs scolaires, moins de stress et
de violence dans les rapports interpersonnels et
interprofessionnels, pour que les enseignants
puissent mieux remplir leur mission d'enseignement
et d'éducation, au service des jeunes, et
avec l'appui des parents. Car il s'agit bien de
refonder l'école, de la transformer en une
véritable communauté éducative
où chaque élève aurait une
place parce qu'il serait reconnu comme un sujet en
devenir et encouragé à trouver du
sens à apprendre et à vivre avec les
autres. Affirmer cela, c'est nous situer dans une
visée
éthique,
autrement dit dans un questionnement sur le sens de
ce que nous faisons en tant que professionnels au
sein d'une institution.
Pour mieux avancer sur cette voie, je vous propose
un cheminement de pensée tel que nous nous y
entraînons dans les
groupes de Soutien au
Soutien - ce sont des
groupes interdisciplinaires d'analyse de pratiques
relationnelles fondés par le psychanalyste
Jacques Lévine il y a dix ans - . Le premier
temps est celui du dire des insatisfactions dans
une situation précise, je montrerai donc en
quoi les rapports école- famille laissent
trop souvent à désirer. Avant de
chercher comment les améliorer, nous
essaierons lors du deuxième temps, de
comprendre ensemble d'où viennent les
difficultés, comment les uns et les autres,
enseignants, administrateurs et parents sont
impliqués subjectivement, la plupart du
temps sans le savoir, dans des situations
nouées Pour ce faire, et en arriver à
une perspective de compréhension
élargie, nous tenterons d'imaginer ce que
ressentent et vivent les différents
partenaires. Après ce travail de recherche
d'intelligibilité, de changement de regard -
un temps essentiel - , nous chercherons des leviers
de changement, des remediations possibles en
n'oubliant pas d'aller voir du côté de
ce qui se pratique déjà dans un
certain nombre de collèges et de
lycées innovants, du côté d'une
collaboration école- familles.
Les
insatisfactions dans les rapports actuels
école-familles dans collèges et
lycées
Il est difficile de parler en général
de ces rapports car ils varient beaucoup d'un
établissement à l'autre, selon les
lieux d'implantation et la population scolaire, et
surtout selon le volontarisme et la politique
éducative du chef d'établissement et
l'investissement de l'équipe
éducative. Qu'en est-il cependant des
plaintes des uns et des autres dans des
collèges ordinaires, tels par exemple que
les décrit Mara Goyet dans son livre
('collèges de France (Fayard, 2003) et tels
que j'en ai recueilli quelques témoignages
qui corroborent ceux qu'on trouve dans la
presse?
Beaucoup d'enseignants fustigent ce qu'ils
appellent la perte d'autorité des
parents, leur démission
éducative, le fait qu'ils ne se positionnent
pas en tant qu'adultes face à des enfants,
ce qui conduit à une forme d'acculturation
des jeunes; d'autres s'en prennent à leur
attitude de « consommateurs agressifs
» travers de leurs revendications
pédagogiques qu'ils jugent
déplacées. « Nous traitant
souvent comme ils n'oseraient traiter leur
baby-sitter ou leur bonne s'ils en avaient une,
bien conscients que ce sont leurs impôts qui
nous financent ( les élèves aiment
à nous le rappeler) écrit Mara Goyet
(p. 196), ils nous considèrent tout
naturellement comme leurs employés et
commencent toutes leurs phrases par « Vous
êtes payé pour... ». Selon
certains professeurs, beaucoup de parents
nourriraient une sorte de pensée magique,
croyant qu'il suffit d'être au collège
pour réussir. Des enseignants regrettent
souvent que l'administration soit trop
complaisante à l'égard des
parents, ils se sentent comme trahis, voire
abandonnés par leur autorité de
tutelle qui ne leur ferait pas
confiance.
Quant aux parents qui s'expriment, ils sont un
certain nombre à ne pas apprécier
la condescendance des enseignants tellement
prompts à juger leurs enfants et leurs
familles. Ils critiquent le manque
fréquent de transparence et de dialogue,
la mauvaise répartition des enfants dans les
classes.
On a vraiment l'impression, à entendre les
récriminations des uns et des autres, de
fronts qui se font face, de camps ennemis
constamment sur le qui-vive et toujours enclins
à s'accuser mutuellement, à se faire
la guerre par élèves
interposés. Certes, les élèves
qui sont ici au centre des débats sont
essentiellement les élèves en
échec, ceux dont l'avenir scolaire est plus
ou moins compromis et qui ont pris l'école
en horreur.
Pourquoi cette
hostilité des partis en présence, et
cette haine parfois dont les élèves
font les frais ?
C'est qu'ils constituent, eux, un enjeu
considérable.
Nous le savons tous, les enfants sont pour tous les
parents ce qu'ils ont de plus précieux,
surtout quand la vie ne les a pas
gâtés par ailleurs. Nous investissons
beaucoup sur notre descendance qui nous
complète narcissiquement dans l'imaginaire,
sur qui nous projetons notre propre désir de
réussite , Quand celle-ci est au
rendez-vous, quand tout se passe bien à
l'école, la fierté des enfants
augmente la nôtre et les rapports
parents/enseignants sont généralement
sans histoire. Mais lorsque des difficultés
commencent â être pointées par
des enseignants qui souvent « convoquent
» les parents pour leur en parier, ces
derniers en éprouvent de la honte car
l'échec de leurs enfants les renvoie
à leur propre échec scolaire ou, pis,
à l'échec d'une vie que la venue de
leur enfant devait racheter. C'est une blessure
narcissique profonde dont on ne mesure sans doute
pas assez la gravité et qu'on ne sait
guère prendre en compte.
L'angoisse des parents face à
l'école est réelle, surtout au
moment de l'acquisition de la lecture et de
l'écriture, puis lors du passage en
sixième dans un collège dont parfois
la réputation fait peur, et puis surtout
quand il est question d'orientation. Pour se
défendre d'une inquiétude qui
concerne l'avenir incertain de leur enfant dans la
societe, certains parents ne cessent de
dénigrer l'institution scolaire et d'accuser
les professeurs d'incompétence. Quant aux
parents démunis socialement et
culturellement, leur sentiment d'impuissance est
tel, face aux parcours scolaires dont ils ne
comprennent pas les arcanes, face à
l'échec scolaire qui renforce leur sentiment
d'exclusion sociale, qu'ils se replient sur
eux-mêmes et ne se manifestent plus ils font
les morts et abandonnent plus ou moins leurs
enfants à leur sort.
Du côté des professeurs, dont nous
savons que beaucoup s'investissent admirablement au
service de leurs élèves, y compris
les plus démunis, on ne peut négliger
le fait que trop d'entre eux ne sont pas
préparés à rencontrer des
élèves qui résistent à
leur vouloir, qui les déstabilisent par
leur refus d'apprendre et leurs attitudes
inconvenantes, et qui, par là, les
interpellent au plus profond d'eux-mêmes.
Blessés dans leur narcissisme, ces
enseignants réagissent le plus souvent de
façon inadaptée, en blessant à
leur tour et en rejetant ceux qu'ils
considèrent comme de « mauvais
objets », indignes de la sollicitude des
éducateurs Effectivement, certains
professeurs n'ont pas appris à
considérer les élèves comme
des sujets en devenir ni à imaginer que
leurs difficultés ne sont pas
irrémédiables ; ils rejettent la
faute sur les parents, sur l'administration, sur la
société en général
mais ne mettent aucunement en cause leur propre
façon de faire C'est aussi pour eux une
manière de se défendre d'une
réalité insupportable car ne
répondant pas du tout au besoin de
considération qui habite tout humain ;
surtout, leur déconvenue les fait tomber de
haut, ils voient détruits les rêves
d'omnipotence infantile et d'emprise sur l'autre
qui, s'ils n'ont pas été
interrogés durant la formation, sommeillent
en tout adulte qui dit avoir « choisi» de
travailler avec des enfants et des
jeunes.
Ainsi la fierté blessée et
l'amertume amènent beaucoup de parents et
d'enseignants à camper dans des positions
rigidifiées les uns à l'égard
des autres , et ce, dés l'école
élémentaire. Les jeunes font les
frais de cette violence qui régit trop
fréquemment les rapports actuels des adultes
et qui entrave les conditions d'une croissance
identitaire et cognitive suffisamment bonne des
adolescents. Nous avons, nous enseignants, les
premiers, à nous interroger sur l'origine de
notre acrimonie à l'égard des parents
puis à imaginer ce qu'ils ressentent, pour
pouvoir aller au-devant d'eux, pour les rencontrer,
sans les juger, nous avons à faire preuve d
`empathie cognitive, à quitter une position
de supériorité et d'affrontement
stérile, pour que nous puissions
répondre ensemble aux besoins psychiques des
jeunes dont nous sommes conjointement
responsables,
Que savons-nous
de ce qui tourmente collégiens et
lycéens, et indirectement leurs parents et
leurs professeurs ?
Nous avons trop tendance à oublier que les
années du collège sont par excellence
celles de l'adolescence. A la fois processus
psychique et phénomène social,
l'adolescence est un phénomène
relativement récent , qui n'a fait son
entrée au collège que depuis
vingt-cinq ou trente ans. Auparavant, elle
était mise entre parenthèses selon
les termes du sociologue F. Dubet ; maintenant ,
elle s'affiche dans les établissements
scolaires et les professeurs ne savent qu'en faire,
désarçonnés qu'ils sont par
beaucoup de jeunes pour qui l'école n'est
pas un espace sacralisé - celui des savoirs
- et qui ne font pas la différence entre la
sphère publique et la sphère
privée . Dans notre société
ultralibérale, les professeurs comme les
parents, ont de moins en moins de « prise
» sur des jeunes qui leur «
échappent » d'autant plus qu'ils vivent
un temps de passage et de remaniements psychiques
en même temps que de transformations
physiques qui les déstabilisent . Etre
adolescent, c'est se trouver dans un entre-deux de
précarité, être en train de se
séparer symboliquement des parents pour
aller à la rencontre des autres, c'est
quitter le monde de l'enfance pour rejoindre
progressivement celui des grandes personnes qu'on
envie et qu'on redoute à la fois . cela
implique un travail psychique de deuil et de
différenciation qui met en cause le
narcissisme du jeune en train de s'individuer et
dont les angoisses, réactivées par
les pulsions archaïques, sont
multiformes
De la vulnérabilité, de la
conffictualité des jeunes
écartelés entre la nostalgie du
passé des rêves d'avenir, entre la
dépendance et l'indépendance, entre
l'imaginaire et le réel, les enseignants
sont peu informés, d'où leur
désarroi à l'égard des
élèves qui « disjonctent »,
qui sont toujours « ailleurs » et que
leur corps semble dominer. Le désarroi
des parents, dont les attentes par rapport à
l'école sont énormes, n'est pas moins
profond, ni leurs peurs, car ils se trouvent
inconsciemment renvoyés à leur propre
adolescence qu'ils ont plus ou moins
refoulée. Leurs peurs concernent
l'échec scolaire, les « mauvaises
fréquentations », le recours à
la drogue et l'exercice de la sexualité.
N'est-ce pas pour cela qu'ils «
mettent
la pression
» sur leurs enfants et ont pour eux une
exigence impérieuse de réussite,
espérant les mettre ainsi a l'abri des
dangers qui les menacent ? En effet, l'esprit du
temps et une société de plus en plus
libérale sur le plan des moeurs. exercent
une influence considérable sur les jeunes et
surtout sans doute sur ceux qui ne trouvent pas
leur place au collège, qui n'y viennent pas
pour apprendre mais pour trouver un
succédané de famille et se prouver
qu'ils existent au milieu de leurs pairs. Ne
l'oublions pas, le besoin d'être reconnu,
d'être écouté traverse tout
être humain, de la naissance à la
mort, et en particulier à l'adolescence,
cette période d'extrême
fragilité identitaire et de quête de
sens que les adultes éducateurs prennent si
peu en compte et dont je pense que c'est la vraie
raison qui vaut au collège d'être
défini comme « le maillon faible
» du système
éducatif
C'est autour de cette problématique
centrale que l'école et les familles doivent
se rencontrer pour soutenir les adolescents
dans une période difficile de leur vie, qui
plus est, à une époque hors de ses
gonds , il s'agit de les aider à se
construire intellectuellement, affectivement,
socialement, et ce, malgré voire
contre - le chant des sirènes qui
détermine grandement notre environnement
socio-économique et culturel où
prévalent la marchandisation des savoirs et
l'instrumentalisation des humains. Enseigner, c'est
résister, titrait un livre paru il y a une
trentaine d'années !
Quelques mots encore sur la sexualité
pendant les années-collège, titre du
hors-série de la revue L 'école des
parents de mars 2002. Selon les termes du
sociologue Gérard Nayraud,"
les médias offrent
aux ados une sexualité adulte,
dégagée de l'affectif, qui ne
répond pas à leurs interrogations sur
le sujet ". La société du
spectacle qui s'affiche, la sexualisation
grandissante du discours publicitaire, le fait que
le sexuel devienne un référentiel
explicite proposé à la consommation
médiatique manifestent que « nous ne
sommes pas dans le registre de la rencontre, mais
dans celui de la performance» (P. Baudry)
.
A une époque de leur vie où les
jeunes cherchent à comprendre ce qui leur
arrive, physiquement et psychiquement, ils ne
trouvent pas de réponses à leurs
questions angoissantes quant à leur propre
valeur et au sens de leur vie. Ils ne trouvent
guère d'adultes non plus ayant du temps
à leur consacrer. De plus, dans les
quartiers pauvres où les jeunes sont
livrés eux-mêmes, dans une sorte de no
man's land culturel, prévaut ce que
l'ethnologue Jacques Barrou appelle la «
culture virile » ; l'expression de la
sexualité y est souvent régressive (
pensons à l'odieuse pratique des «
tournantes ») , garçons et filles
étant souvent élevés
différemment, la mixité ne va pas de
soi, le manque d'habitude de relations proches avec
des gens de l'autre sexe induit le machisme et des
attitudes agressives ainsi qu'une incapacité
à. l'approche séductrice, d'où
l'ambiance de violence dans les
quartiers.
Le collège est le seul lieu de
mixité, mais pour les jeunes en
échec des cités qui ne peuvent se
projeter dans l'avenir, c'est une marque de
virilité que de le mépriser et de le
rejeter en tant que lieu des filles, d'où
les tensions entre les sexes. Il n'est guère
étonnant dans ces conditions que beaucoup de
jeunes ainsi déstabilisés,
désorientés mais aussi en quête
d'interdits, se détournent de tout
apprentissage et jouent avec les limites, avec le
risque, autrement dit avec la mort et
inquiètent sérieusement leurs parents
et leurs enseignants qui se sentent
débordés, impuissants. Au lieu de
jeter la pierre aux jeunes et à leurs
parents, dans un contexte socioéconomique
inquiétant, ne convient-il pas
plutôt d'essayer de
comprendre ce qui les anime intérieurement,
de changer de regard sur eux, d'imaginer ce qu'ils
ressentent , comme je le disais déjà
, pour aller à leur rencontre et travailler
de concert avec eux?
Voir:
Comment
aider les jeunes à apprendre et à
grandir par Jeanne Moll
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