|           
                   
                  Les
                  responsables de l'école se fondent sur le
                  postulat d'éducabilité, que P.
                  Meirieu a mis en exergue ; elle est l'affirmation
                  selon laquelle l'homme n'est pas enfermé
                  dans sa nature pulsionnelle mais capable de
                  la dépasser , de la transformer pour
                  s'humaniser; elle serait reconnaissance de
                  l'homme comme potentialité, comme sujet du "
                  ne pas encore " ( J.B. Paturet in Questions
                  pédagogiques, Hachette éducation,
                  1999, p. 164). Ce postulat
                  d'éducabilité s'accompagne
                  nécessairement d'une
                  responsabilité éthique pour
                  l'éducateur.             
                    Or l'éthique, c'est pour Ricoeur "
                  l'interrogation sur le sens de ses actes " ;
                  elle nous engage en tant que porteurs de questions
                  essentielles sur le sens de ce que nous faisons
                  là où nous avons choisi d'être,
                  et singulièrement quand nous travaillons
                  avec des jeunes . " On entre en éthique
                  quand, à l'affirmation pour soi de la
                  liberté, s'ajoute la volonté que la
                  liberté de l'autre soit. Je veux que ta
                  liberté soit " écrit Ricoeur ( Avant
                  la loi morale : l'éthique in Encycl. Univ.,
                  1985, p.42) . Il en va donc d'une éthique de
                  conviction où l'autre, et en particulier
                  l'enfant et l'adolescent, sont vus comme sujets
                  porteurs de potentialités qu'on se doit
                  d'aider à dévoiler. Sans cette
                  espérance, sans ce pari sur l'avenir - qui
                  ne nie pas les obstacles - il n'est point
                  d'éducabilité. Or, et J. B. Paturet
                  le montre bien, 
                     
                        | les
                           éducateurs que nous sommes se
                           trouvent dans une position paradoxale
                           puisque nous avons à la fois
                           à tenir compte de la
                           singularité de l'enfant, de sa
                           parole et de son désir, et à
                           l'introduire dans la société
                           avec ses normes et ses valeurs. A
                           l'articulation de la morale prescriptive
                           et de l'éthique qui " délie,
                           dénoue les habitudes, brise moule
                           et modèle " ( Paturet, op. cit.,
                           p.166) , l'éducation est un champ
                           d'une complexité et d'une
                           difficulté telles que nous ne
                           pouvons plus nous dispenser d'une
                           réflexion collective pour la penser
                           , c'est-à-dire en prendre la
                           mesure. |  
                     
                        |           
                             Dans un établissement
                           scolaire, nous ne pouvons négliger,
                           au sein de l'équipe
                           éducative - administrateurs et
                           enseignants - de nous interroger sur nos
                           présupposés,
                           c'est-à-dire sur les
                           références théoriques
                           et éthiques qui sont au
                           fondement de nos actes. Nous ne le faisons
                           guère, sans doute parce que nous
                           savons que ces références
                           diffèrent selon les personnes, leur
                           éducation et leur histoire
                           personnelle et qu'elles sont source
                           d'affrontement et de conflit. Les uns
                           sont pour l'ordre et la soumission
                           à l'autorité, les autres
                           veulent privilégier le
                           déploiement de la liberté
                           des élèves, d'autres ne
                           savent pas trop et s'en remettent aux
                           modes . De ce non-dit, il
                           résulte des divisions, une
                           formation de clans et une suspicion
                           généralisée qui nuit
                           aux échanges vrais. | 
 | 
           
                    Pour que la confiance sous-tende la
                  communication, une parole vraie doit circuler entre
                  les adultes - à l'intérieur et
                  à l'extérieur de
                  l'établissement - et par voie de
                  conséquence, entre les adultes et les
                  jeunes. C'est pourquoi il est indispensable - et
                  c'est là que le rôle du directeur est
                  essentiel - de nommer ce que nous souhaitons
                  partager en tant qu'éducateurs
                  rassemblés pour une tâche commune.
                  Qu'est-ce que nous visons ensemble ? Quel
                  est notre horizon commun, dans quelles
                  finalités s'inscrivent nos actes et quels
                  principes orientent ces finalités ? Les
                  principes - mot ringard et galvaudé - c'est
                  ce qui est premier ( princeps) , c'est ce qui nous
                  fait courir, ce qui nous anime en tant qu'adultes
                  responsables et ce qui nous a par exemple
                  déterminés partiellement à
                  choisir le métier d'instruire et
                  d'éduquer les jeunes. Je me
                  réfère là à Charlotte
                  Herfray et à son livre La psychanalyse hors
                  les murs (Desclée de Brouwer, 1994)
                  où elle regroupe sous les principes les
                  valeurs et les théories de
                  référence . Qu'est-ce qui vaut
                  pour moi ? Qu'est-ce qui a le plus de prix
                  à mes yeux et que je ne veux pas sacrifier?
                  Est-ce l'humain et son développement,
                  d'où le respect inconditionnel à
                  l'égard des jeunes , la
                  responsabilité de leur devenir et le devoir
                  d'accompagnement, de solidarité, y compris
                  avec les plus petits, les plus démunis, les
                  plus en échec ? Ou est-ce mon seul plaisir,
                  ma réussite individuelle, mon prestige, mon
                  pouvoir?             
                    Et puisque j'ai choisi le métier
                  d'éduquer, sur quelles théories de
                  l'enfant, de l'apprentissage et de l'enseignement
                  est-ce que je me fonde pour proposer telle
                  méthode ou telle technique ? Quelle part
                  est-ce que j'accorde à l'affectivité
                  dans le développement de l'intelligence ?
                  Suis-je du côté des rationalistes,
                  des cognitivistes qui ne se soucient que
                  d'intelligences ou est-ce que je tiens compte de la
                  globalité de l'élève
                  qui est aussi un enfant, un adolescent inscrits
                  dans une histoire psycho-sociale complexe
                  ?             
                    Il me semble que les chefs
                  d'établissement doivent être au clair
                  de cela et proposer à leurs collaborateurs
                  un tel questionnement inaugural. Ce sont les
                  questions qui rassemblent, alors que les
                  réponses divisent. Une équipe
                  commence à naître lorsque ses membres
                  sont sollicités à
                  réfléchir autour d'une interrogation
                  porteuse de sens, à la fois pour chacun et
                  pour le groupe.           
                    Le sens, c'est la signification, mais aussi
                  la direction dans laquelle on va s'engager, la
                  vision que l'on a de la marche de
                  l'établissement . C'est pourquoi il revient
                  ensuite au responsable de l'équipe, lequel a
                  pouvoir de décision, d'indiquer la direction
                  qu'il entend suivre, au nom de
                  l'éthique qu'il souhaite partager et
                  faire vivre. " La visée éthique ",
                  pour reprendre les termes de Ricoeur, c'est " la
                  visée de la vie bonne avec et pour autrui,
                  dans des institutions justes ". 
                     
                        |           
                             Une " bonne " école, ou du
                           moins " suffisamment bonne " pour rester
                           dans l'humilité de Winnicott, je
                           dirais que c'est celle qui n'est
                           " ni
                           jungle, ni caserne
                           ",
                           comme disait F. Oury, mais "
                           chantier
                           de
                           construction
                           " ; construction de projets
                           d'apprentissage individuel et collectif ,
                           construction d'identité personnelle
                           mais aussi de socialité et de
                           solidarité
                           intergénérationnelle, en un
                           mot chantier d'humanité dont la
                           responsabilité de le lancer revient
                           à l'équipe de
                           direction. |    
                     Ainsi la loi, qui triangule la relation
                  et incite au parler clair, au parler vrai, à
                  condition d'être explicite, favorise la
                  circulation de la parole à tous les niveaux.
                  Dès lors, on peut mettre en place
                  d'autres dispositifs de parole pour les
                  élèves, les enseignants et les
                  administratifs, comme par exemple les
                  groupes de Soutien au Soutien
                  élaborés par J. Lévine : on y
                  pense ensemble et avec l'aide d'un psychanalyste,
                  les difficultés rencontrées dans
                  l'exercice du métier pour essayer de
                  comprendre leur origine et pour les dépasser
                  . Quand au nom d'une éthique du sujet
                  singulier, on se réclame de ce qu'on peut
                  appeler un leadership de type démocratique
                  ou coopératif, on peut inventer aussi
                  d'autres structures pour créer un lien
                  social d'établissement, un sentiment
                  d'identité collective positif ainsi que le
                  proposent J. Lévine et M.-D.
                  Pierrelée dans "Je est un autre". Pour un
                  dialogue pédagogie-psychanalyse ( J.
                  Lévine, J. Moll, ESF, 2001). Une charte
                  d'établissement, l'exercice de
                  responsabilités, des instances de
                  régulation, d'aide au travail personnel et
                  de ce que M.-D. Pierrelée a nommé "
                  l'atelier de réparation des liens
                  cassés" dans son collège
                  expérimental du Mans médiatisent les
                  relations et permettent à tous de se sentir
                  en sécurité pour mieux travailler et
                  contribuer à instaurer plus
                  d'humanité .
                        | Trouver un
                           chemin praticable en direction
                           d'autrui            
                            Si on se situe dans une
                           éthique du respect d'autrui, et
                           dans la visée " de la vie bonne
                           avec et pour autrui dans des institutions
                           justes " , on ne peut qu'humaniser le
                           pouvoir, c'est-à-dire le partager
                           avec les membres de l'équipe
                           éducative. Le partager, en
                           recourant à des
                           médiations pour rompre le face
                           à face trop souvent source de
                           violence.           
                             La première des
                           médiations est celle de la
                           parole que l'on propose de partager
                           dès le début de
                           l'année, à
                           l'intérieur d'un cadre explicite,
                           un cadre constitué de
                           règles comme celles de la
                           confiance mutuelle et du respect
                           inconditionnel d'autrui, celle du
                           non-jugement des personnes et celle de la
                           solidarité dans la recherche.
                           Ces règles fortes
                           dérivent des valeurs auxquelles on
                           croit, elles demandent à
                           être énoncées et
                           pourquoi pas écrites solennellement
                           sur un mur de l'établissement , -
                           comme le Codex du Vème
                           siècle avant Jésus-Christ
                           que l'on peut encore admirer aujourd'hui
                           sur un mur du Palais de Gortyn en
                           Crète - . Les valeurs que l'on
                           partage et les règles que l'on
                           s'engage à respecter dans
                           l'établissement , mais aussi
                           dans les rapports avec les parents,
                           constituent une référence
                           commune, elles sont entre nous comme un
                           signe de ralliement qui contribue à
                           l'émergence d'une communauté
                           . Il convient pour cela que les
                           responsables ne cèdent pas sur
                           l'éthique, sur la loi
                           exprimant les interdits fondamentaux,
                           qu'ils veillent à la
                           sécurité affective de ses
                           membres les plus jeunes et les aident
                           à se sentir contenus et à se
                           civiliser. | 
 | 
          
                   Il reste qu'en dépit de notre
                  bonne volonté, et en raison de l'immense
                  complexité des relations humaines, les
                  malentendus et les conflits sont
                  inévitables, en conséquence de
                  quoi il nous faut apprendre à les accepter
                  comme l'expression de la vie , apprendre à
                  les désigner alors que la peur pousse le
                  plus souvent à les nier ou à les
                  éviter, apprendre à les traiter ,
                  à en analyser l'objet pour tenter de les
                  dépasser et les résoudre ; cela
                  revient à déposer les armes pour
                  s'asseoir à une même table et oser
                  affronter ensemble la
                  complexité.[...]   Une éthique de
                  l'altérité            
                   Il ne vous aura pas échappé
                  que mes références se situent du
                  côté de la psychanalyse et de
                  l'éthique de l'altérité
                  qui la sous-tend, mais aussi du côté
                  de la sociologie du sujet et de l'anthropologie
                  qui s'interrogent sur la place de l'homme dans le
                  monde, sur les obstacles qu'il rencontre et
                  doit franchir pour la conquête de sa
                  dignité . En regard du
                  déchaînement de violence auquel nous
                  assistons de plus en plus dans nos cités, et
                  malheureusement aussi à l'école qui
                  est une chambre d'écho de la
                  société , et chez des enfants de plus
                  en plus jeunes, nous ne pouvons plus fermer les
                  yeux sur les conditions qui la favorisent ni sur la
                  souffrance intrapsychique de ceux qui y recourent.
                  Se référer à une
                  éthique de l'altérité, c'est
                  essayer de faire tout ce qui est en notre pouvoir
                  pour rencontrer les jeunes là où ils
                  sont , en se gardant de les étiqueter, de
                  les stigmatiser, de les juger, eux et leurs
                  familles - ce qui ne nous dispense pas de juger ni
                  de condamner leurs actes
                  répréhensibles - c'est chercher avec
                  eux et non pour eux, des occasions de retrouver de
                  la valeur, de l'estime de soi, de rebondir dans la
                  vie et de se reconstruire, de se réparer.
                  C'est savoir intimement l'importance du regard
                  d'autrui pour la construction psychique du petit
                  d'homme, savoir la complexité du
                  développement des relations intersubjectives
                  , et surtout l'importance de la parole et de la
                  dynamique inconsciente du désir.   Des difficultés
                  d'incarner l'éthique au
                  quotidien            
                   Se référer à une
                  éthique du rapport à l'autre, c'est
                  se situer dans une visée de " vie bonne
                  ",avec d'autres, mais c'est aussi
                  reconnaître l'existence de notre moi
                  divisé, conflictuel, qui veut le bien
                  mais fait le mal, parce que le moi, tiraillé
                  par un ça pulsionnel, " n'est pas
                  maître dans sa maison " . C'est
                  reconnaître humblement que, tout adultes que
                  nous croyons être, nous ne cessons
                  d'être travaillés souterrainement par
                  un inconscient qui nous gouverne à notre
                  insu, d'où la nécessité,
                  surtout quand nous sommes responsables d'une
                  équipe ainsi que d'enfants et d'adolescents,
                  de connaître un peu mieux les
                  pièges qui nous menacent.  Le
                     poids du passé
                     
                               
                       Nous sommes inscrits, depuis les
                     débuts de notre vie, dans une histoire
                     intersubjective de liens à autrui qui
                     nous ont marqués de leur empreinte. Le
                     rêve parental, la façon dont notre
                     venue au monde a été accueillie
                     émotionnellement, la façon dont
                     nous avons été parlés,
                     regardés, portés par autrui, - la
                     mère et le père essentiellement -
                     , mais aussi notre sexe, notre place dans la
                     fratrie, nos expériences de frustrations,
                     les identifications et désidentifications
                     à des proches que nous avons pris comme
                     modèles ont déterminé
                     partiellement nos attitudes relationnelles .
                     Même si nous nous en défendons,
                     nous sommes pris à notre insu dans une
                     histoire familiale qui a souvent ses ombres
                     et ses secrets et qui nous a parfois
                     aliénés. Face au père et
                     à la mère, au milieu des
                     frères et surs, il a fallu se
                     profiler ou au contraire plutôt se faire
                     tout petit et même invisible. Certes des
                     rencontres ultérieures et des
                     expériences multiples permettent de
                     remodeler sans cesse des traits de la
                     personnalité, mais l'enfance , le temps
                     par excellence des expériences
                     primordiales et fondatrices, continue
                     d'être prégnante au fond de chacun
                     et de resurgir si nous n'y prenons pas garde.
                     [...]  Les
                     pièges du pouvoir.           
                       Pour qui occupe un poste de
                     direction, (mais aussi pour tous enseignants) la
                     question du pouvoir se pose immanquablement :
                     le pouvoir n'est jamais un objet neutre.
                     Nous pouvons le voir à propos de la
                     naissance du projet d'enseigner ou
                     d'éduquer et à plus forte raison,
                     de diriger un établissement. Le
                     pouvoir est lié au statut ,
                     c'est-à-dire à la place
                     réelle que l'on occupe dans une
                     institution , et il est en même temps
                     chargé d'imaginaire. C. Herfray
                     écrit que " certains sont habités
                     par le fantasme qu'on naît chef. Comme si
                     les chefs étaient d'une pâte
                     différente de la nôtre . Notre foi
                     en l'autorité nous aveugle " ( op. cit. ,
                     p. 212). Il importe en tout cas d'être au
                     clair du pouvoir que l'on a et du rôle que
                     l'on veut jouer, le rôle faisant
                     apparaître l'impact de la
                     subjectivité dans le fonctionnement du
                     système . Le pouvoir qui est une
                     réalité institutionnelle implique
                     une responsabilité à
                     l'égard d'autrui et donc un
                     questionnement sur la façon de l'exercer.
                     Est--t-on plutôt du côté du
                     modèle paternaliste, très
                     directif et donneur de leçons, ou bien du
                     modèle maternant qui
                     surprotège et parle volontiers à
                     la place de l'autre, créant ainsi une
                     dépendance qui flatte notre fantasme de
                     toute-puissance? Qu'est-ce qui nous a
                     déterminé à briguer le
                     pouvoir ? Pour en faire quoi ? Il nous faut
                     savoir que si on le garde pour soi seul, on est
                     vite amené à le rigidifier et
                     à en faire un usage abusif, voire
                     arbitraire aux dépens de la
                     liberté d'autrui qui ne peut que se
                     rebeller. A l'opposé, si on craint
                     l'usage du pouvoir, si on le nie ou si on est
                     dans l'ambivalence, on s'arrange pour ne pas
                     prendre position, on recourt à des
                     stratégies d'évitement , on recule
                     devant toute décision, et l'anarchie
                     s'installe. La question est bien de savoir
                     comment occuper sa juste place , comment jouer
                     son rôle sans s'y identifier , sans abuser
                     du pouvoir que l'on détient, d'une part,
                     et sans démissionner, d'autre part.
                     [...] |