Esprit du site
Moteur de recherche
Recherche d'article par auteur
Pedagopsy.eu
Recherche de livres par motsclefs
Plan du site
L'auteur

PLAN DU SITE

 

Les références théoriques et éthiques

dans un établissement

Jeanne Moll

            La mission essentielle de l'école est d'instruire - d'équiper intellectuellement, de donner forme à l'esprit - en même temps que d'éduquer les jeunes. Eduquer vient de educere et educare et signifie conduire hors de, nourrir. De la même famille vient le mot ductor : le chef en ancien français ( & le duc ), mais aussi séduire : tromper .

             Les responsables de l'école se fondent sur le postulat d'éducabilité, que P. Meirieu a mis en exergue ; elle est l'affirmation selon laquelle l'homme n'est pas enfermé dans sa nature pulsionnelle mais capable de la dépasser , de la transformer pour s'humaniser; elle serait reconnaissance de l'homme comme potentialité, comme sujet du " ne pas encore " ( J.B. Paturet in Questions pédagogiques, Hachette éducation, 1999, p. 164). Ce postulat d'éducabilité s'accompagne nécessairement d'une responsabilité éthique pour l'éducateur.

 

             Or l'éthique, c'est pour Ricoeur " l'interrogation sur le sens de ses actes " ; elle nous engage en tant que porteurs de questions essentielles sur le sens de ce que nous faisons là où nous avons choisi d'être, et singulièrement quand nous travaillons avec des jeunes . " On entre en éthique quand, à l'affirmation pour soi de la liberté, s'ajoute la volonté que la liberté de l'autre soit. Je veux que ta liberté soit " écrit Ricoeur ( Avant la loi morale : l'éthique in Encycl. Univ., 1985, p.42) . Il en va donc d'une éthique de conviction où l'autre, et en particulier l'enfant et l'adolescent, sont vus comme sujets porteurs de potentialités qu'on se doit d'aider à dévoiler. Sans cette espérance, sans ce pari sur l'avenir - qui ne nie pas les obstacles - il n'est point d'éducabilité. Or, et J. B. Paturet le montre bien,

les éducateurs que nous sommes se trouvent dans une position paradoxale puisque nous avons à la fois à tenir compte de la singularité de l'enfant, de sa parole et de son désir, et à l'introduire dans la société avec ses normes et ses valeurs. A l'articulation de la morale prescriptive et de l'éthique qui " délie, dénoue les habitudes, brise moule et modèle " ( Paturet, op. cit., p.166) , l'éducation est un champ d'une complexité et d'une difficulté telles que nous ne pouvons plus nous dispenser d'une réflexion collective pour la penser , c'est-à-dire en prendre la mesure.

             Dans un établissement scolaire, nous ne pouvons négliger, au sein de l'équipe éducative - administrateurs et enseignants - de nous interroger sur nos présupposés, c'est-à-dire sur les références théoriques et éthiques qui sont au fondement de nos actes. Nous ne le faisons guère, sans doute parce que nous savons que ces références diffèrent selon les personnes, leur éducation et leur histoire personnelle et qu'elles sont source d'affrontement et de conflit. Les uns sont pour l'ordre et la soumission à l'autorité, les autres veulent privilégier le déploiement de la liberté des élèves, d'autres ne savent pas trop et s'en remettent aux modes . De ce non-dit, il résulte des divisions, une formation de clans et une suspicion généralisée qui nuit aux échanges vrais.

             Pour que la confiance sous-tende la communication, une parole vraie doit circuler entre les adultes - à l'intérieur et à l'extérieur de l'établissement - et par voie de conséquence, entre les adultes et les jeunes. C'est pourquoi il est indispensable - et c'est là que le rôle du directeur est essentiel - de nommer ce que nous souhaitons partager en tant qu'éducateurs rassemblés pour une tâche commune. Qu'est-ce que nous visons ensemble ? Quel est notre horizon commun, dans quelles finalités s'inscrivent nos actes et quels principes orientent ces finalités ? Les principes - mot ringard et galvaudé - c'est ce qui est premier ( princeps) , c'est ce qui nous fait courir, ce qui nous anime en tant qu'adultes responsables et ce qui nous a par exemple déterminés partiellement à choisir le métier d'instruire et d'éduquer les jeunes. Je me réfère là à Charlotte Herfray et à son livre La psychanalyse hors les murs (Desclée de Brouwer, 1994) où elle regroupe sous les principes les valeurs et les théories de référence . Qu'est-ce qui vaut pour moi ? Qu'est-ce qui a le plus de prix à mes yeux et que je ne veux pas sacrifier? Est-ce l'humain et son développement, d'où le respect inconditionnel à l'égard des jeunes , la responsabilité de leur devenir et le devoir d'accompagnement, de solidarité, y compris avec les plus petits, les plus démunis, les plus en échec ? Ou est-ce mon seul plaisir, ma réussite individuelle, mon prestige, mon pouvoir?

 

             Et puisque j'ai choisi le métier d'éduquer, sur quelles théories de l'enfant, de l'apprentissage et de l'enseignement est-ce que je me fonde pour proposer telle méthode ou telle technique ? Quelle part est-ce que j'accorde à l'affectivité dans le développement de l'intelligence ? Suis-je du côté des rationalistes, des cognitivistes qui ne se soucient que d'intelligences ou est-ce que je tiens compte de la globalité de l'élève qui est aussi un enfant, un adolescent inscrits dans une histoire psycho-sociale complexe ?

 

             Il me semble que les chefs d'établissement doivent être au clair de cela et proposer à leurs collaborateurs un tel questionnement inaugural. Ce sont les questions qui rassemblent, alors que les réponses divisent. Une équipe commence à naître lorsque ses membres sont sollicités à réfléchir autour d'une interrogation porteuse de sens, à la fois pour chacun et pour le groupe.

             Le sens, c'est la signification, mais aussi la direction dans laquelle on va s'engager, la vision que l'on a de la marche de l'établissement . C'est pourquoi il revient ensuite au responsable de l'équipe, lequel a pouvoir de décision, d'indiquer la direction qu'il entend suivre, au nom de l'éthique qu'il souhaite partager et faire vivre. " La visée éthique ", pour reprendre les termes de Ricoeur, c'est " la visée de la vie bonne avec et pour autrui, dans des institutions justes ".

             Une " bonne " école, ou du moins " suffisamment bonne " pour rester dans l'humilité de Winnicott, je dirais que c'est celle qui n'est " ni jungle, ni caserne ", comme disait F. Oury, mais " chantier de construction " ; construction de projets d'apprentissage individuel et collectif , construction d'identité personnelle mais aussi de socialité et de solidarité intergénérationnelle, en un mot chantier d'humanité dont la responsabilité de le lancer revient à l'équipe de direction.

 

Trouver un chemin praticable en direction d'autrui

             Si on se situe dans une éthique du respect d'autrui, et dans la visée " de la vie bonne avec et pour autrui dans des institutions justes " , on ne peut qu'humaniser le pouvoir, c'est-à-dire le partager avec les membres de l'équipe éducative. Le partager, en recourant à des médiations pour rompre le face à face trop souvent source de violence.

             La première des médiations est celle de la parole que l'on propose de partager dès le début de l'année, à l'intérieur d'un cadre explicite, un cadre constitué de règles comme celles de la confiance mutuelle et du respect inconditionnel d'autrui, celle du non-jugement des personnes et celle de la solidarité dans la recherche. Ces règles fortes dérivent des valeurs auxquelles on croit, elles demandent à être énoncées et pourquoi pas écrites solennellement sur un mur de l'établissement , - comme le Codex du Vème siècle avant Jésus-Christ que l'on peut encore admirer aujourd'hui sur un mur du Palais de Gortyn en Crète - . Les valeurs que l'on partage et les règles que l'on s'engage à respecter dans l'établissement , mais aussi dans les rapports avec les parents, constituent une référence commune, elles sont entre nous comme un signe de ralliement qui contribue à l'émergence d'une communauté . Il convient pour cela que les responsables ne cèdent pas sur l'éthique, sur la loi exprimant les interdits fondamentaux, qu'ils veillent à la sécurité affective de ses membres les plus jeunes et les aident à se sentir contenus et à se civiliser.

             Ainsi la loi, qui triangule la relation et incite au parler clair, au parler vrai, à condition d'être explicite, favorise la circulation de la parole à tous les niveaux. Dès lors, on peut mettre en place d'autres dispositifs de parole pour les élèves, les enseignants et les administratifs, comme par exemple les groupes de Soutien au Soutien élaborés par J. Lévine : on y pense ensemble et avec l'aide d'un psychanalyste, les difficultés rencontrées dans l'exercice du métier pour essayer de comprendre leur origine et pour les dépasser . Quand au nom d'une éthique du sujet singulier, on se réclame de ce qu'on peut appeler un leadership de type démocratique ou coopératif, on peut inventer aussi d'autres structures pour créer un lien social d'établissement, un sentiment d'identité collective positif ainsi que le proposent J. Lévine et M.-D. Pierrelée dans "Je est un autre". Pour un dialogue pédagogie-psychanalyse ( J. Lévine, J. Moll, ESF, 2001). Une charte d'établissement, l'exercice de responsabilités, des instances de régulation, d'aide au travail personnel et de ce que M.-D. Pierrelée a nommé " l'atelier de réparation des liens cassés" dans son collège expérimental du Mans médiatisent les relations et permettent à tous de se sentir en sécurité pour mieux travailler et contribuer à instaurer plus d'humanité .

           Il reste qu'en dépit de notre bonne volonté, et en raison de l'immense complexité des relations humaines, les malentendus et les conflits sont inévitables, en conséquence de quoi il nous faut apprendre à les accepter comme l'expression de la vie , apprendre à les désigner alors que la peur pousse le plus souvent à les nier ou à les éviter, apprendre à les traiter , à en analyser l'objet pour tenter de les dépasser et les résoudre ; cela revient à déposer les armes pour s'asseoir à une même table et oser affronter ensemble la complexité.[...]

 

Une éthique de l'altérité

             Il ne vous aura pas échappé que mes références se situent du côté de la psychanalyse et de l'éthique de l'altérité qui la sous-tend, mais aussi du côté de la sociologie du sujet et de l'anthropologie qui s'interrogent sur la place de l'homme dans le monde, sur les obstacles qu'il rencontre et doit franchir pour la conquête de sa dignité . En regard du déchaînement de violence auquel nous assistons de plus en plus dans nos cités, et malheureusement aussi à l'école qui est une chambre d'écho de la société , et chez des enfants de plus en plus jeunes, nous ne pouvons plus fermer les yeux sur les conditions qui la favorisent ni sur la souffrance intrapsychique de ceux qui y recourent. Se référer à une éthique de l'altérité, c'est essayer de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour rencontrer les jeunes là où ils sont , en se gardant de les étiqueter, de les stigmatiser, de les juger, eux et leurs familles - ce qui ne nous dispense pas de juger ni de condamner leurs actes répréhensibles - c'est chercher avec eux et non pour eux, des occasions de retrouver de la valeur, de l'estime de soi, de rebondir dans la vie et de se reconstruire, de se réparer. C'est savoir intimement l'importance du regard d'autrui pour la construction psychique du petit d'homme, savoir la complexité du développement des relations intersubjectives , et surtout l'importance de la parole et de la dynamique inconsciente du désir.

 

Des difficultés d'incarner l'éthique au quotidien

             Se référer à une éthique du rapport à l'autre, c'est se situer dans une visée de " vie bonne ",avec d'autres, mais c'est aussi reconnaître l'existence de notre moi divisé, conflictuel, qui veut le bien mais fait le mal, parce que le moi, tiraillé par un ça pulsionnel, " n'est pas maître dans sa maison " . C'est reconnaître humblement que, tout adultes que nous croyons être, nous ne cessons d'être travaillés souterrainement par un inconscient qui nous gouverne à notre insu, d'où la nécessité, surtout quand nous sommes responsables d'une équipe ainsi que d'enfants et d'adolescents, de connaître un peu mieux les pièges qui nous menacent.

 Le poids du passé

             Nous sommes inscrits, depuis les débuts de notre vie, dans une histoire intersubjective de liens à autrui qui nous ont marqués de leur empreinte. Le rêve parental, la façon dont notre venue au monde a été accueillie émotionnellement, la façon dont nous avons été parlés, regardés, portés par autrui, - la mère et le père essentiellement - , mais aussi notre sexe, notre place dans la fratrie, nos expériences de frustrations, les identifications et désidentifications à des proches que nous avons pris comme modèles ont déterminé partiellement nos attitudes relationnelles . Même si nous nous en défendons, nous sommes pris à notre insu dans une histoire familiale qui a souvent ses ombres et ses secrets et qui nous a parfois aliénés. Face au père et à la mère, au milieu des frères et sœurs, il a fallu se profiler ou au contraire plutôt se faire tout petit et même invisible. Certes des rencontres ultérieures et des expériences multiples permettent de remodeler sans cesse des traits de la personnalité, mais l'enfance , le temps par excellence des expériences primordiales et fondatrices, continue d'être prégnante au fond de chacun et de resurgir si nous n'y prenons pas garde. [...]

 Les pièges du pouvoir.

             Pour qui occupe un poste de direction, (mais aussi pour tous enseignants) la question du pouvoir se pose immanquablement : le pouvoir n'est jamais un objet neutre. Nous pouvons le voir à propos de la naissance du projet d'enseigner ou d'éduquer et à plus forte raison, de diriger un établissement. Le pouvoir est lié au statut , c'est-à-dire à la place réelle que l'on occupe dans une institution , et il est en même temps chargé d'imaginaire. C. Herfray écrit que " certains sont habités par le fantasme qu'on naît chef. Comme si les chefs étaient d'une pâte différente de la nôtre . Notre foi en l'autorité nous aveugle " ( op. cit. , p. 212). Il importe en tout cas d'être au clair du pouvoir que l'on a et du rôle que l'on veut jouer, le rôle faisant apparaître l'impact de la subjectivité dans le fonctionnement du système . Le pouvoir qui est une réalité institutionnelle implique une responsabilité à l'égard d'autrui et donc un questionnement sur la façon de l'exercer. Est--t-on plutôt du côté du modèle paternaliste, très directif et donneur de leçons, ou bien du modèle maternant qui surprotège et parle volontiers à la place de l'autre, créant ainsi une dépendance qui flatte notre fantasme de toute-puissance? Qu'est-ce qui nous a déterminé à briguer le pouvoir ? Pour en faire quoi ? Il nous faut savoir que si on le garde pour soi seul, on est vite amené à le rigidifier et à en faire un usage abusif, voire arbitraire aux dépens de la liberté d'autrui qui ne peut que se rebeller. A l'opposé, si on craint l'usage du pouvoir, si on le nie ou si on est dans l'ambivalence, on s'arrange pour ne pas prendre position, on recourt à des stratégies d'évitement , on recule devant toute décision, et l'anarchie s'installe. La question est bien de savoir comment occuper sa juste place , comment jouer son rôle sans s'y identifier , sans abuser du pouvoir que l'on détient, d'une part, et sans démissionner, d'autre part. [...]

             Pour clore provisoirement cette réflexion, où j'ai voulu inciter les éducateurs que vous ne cessez d'être à articuler travail collectif et travail personnel, et à les référer sans cesse à des valeurs , je rappelle que l'autorité est différente du pouvoir ; l'étymologie renvoie à la " force intérieure " de la personne , elle a donné en grec puis en latin la racine " aug ", d'où l 'auctor ( l' auteur qui s'autorise de lui-même) et l'auxilium ( auxiliaire = renfort, secours) . Avoir de l'autorité signifie dons faire croître, faire grandir , mais jusqu'où ? Jusqu'à ce que le sujet s'autorise de lui-même ( & J.-B. Paturet, op.cit. , p. 167) .Pour ce faire, il vaut mieux être à plusieurs. A plusieurs aussi pour accepter les limites de notre action éducative , renoncer à notre vouloir tout-puissant, savoir nous mettre en retrait pour qu'advienne le désir de l'autre.

 

 Le site de l'AGSAS Groupe de soutien au soutien

Vos  Réactions

Adresse mail facultative

Commentaire

Réactions

<<Cet article m’a donné à réfléchir j’ai trouvé de très bonnes choses et je partage ce point de vue>>

<< Merci, grande aide pour mon mémoire et le côté éthique d’un d’un groupe de travail pluri-professionnel ...>>

<<Hallo trés bon dossier merci José>>

<<Je suis brésilienne et professeur de français...J´ai déjà commandé ce livre car je suis persuadée qu´il m´aidera beaucoup à composer mon mémoire. Je crois que cette lecture sera extrêmement enrichissante pour moi!!!!. Je vous félicite pour cette belle oeuvre. Bien cordialement. >>

<< Réflexion extrêmement enrichissante. Merci.>>

<<Dommmage que dans cette réflexion qui renvoie beaucoup aussi bien à "l'équipe" qu'au "pouvoir", l'impasse soit faite sur l'existence du parent. L'école, l'enseignement, commencent à prendre en compte qu'il y a "un enfant", mais ignorent toujours qu'il y a aussi "un parent", qui plus est, aussi citoyen.>>

Esprit du site
Moteur de recherche
Recherche d'article par auteur
Pedagopsy.eu
Recherche de livres par motsclefs
Plan du site
L'auteur