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Représentation de l'illétrisme

et du phénomène illettrisme

Extrait d'un mémoire de Marie Liesse Nimier

 

            L'apparition du terme " illettrisme " est le fait du mouvement ATD Quart Monde créé en 1960 par l'abbé Joseph Wresinski . Ce dernier accentue la dimension culturelle de la pauvreté en faisant du manque de savoir et de culture l'origine ou la cause de la pauvreté. C'est une vision quelque peu misérabiliste qui associe illettrisme à " misère " et " exclusion sociale ". On était illettré parce qu'on était pauvre et on était pauvre parce qu'on était illettré. Ainsi, le terme " miséreux " sera d'abord utilisé pour qualifier ces personnes puis, progressivement, ceux d'" ignorant ", d'" inculte " puis "d'illettré ".

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             Cette population était donc définie essentiellement par son ignorance et son manque de savoir et de culture.

             C'était l'homme qui ne pouvait rien maîtriser dans son corps, dans sa pensée ni dans sa vie parce qu'il n'avait pas reçu l'instruction qui lui aurait permis d'apprendre un métier, d'avoir des relations et de comprendre le monde qui l'entourait.

 

             Un peu plus tard, les illettrés ont été qualifiés par ce qu'ils n'étaient pas ou par ce qu'ils n'avaient pas au regard d'une normalité jamais clairement énoncée et toujours clivante. La situation d'illettrisme était alors perçue comme un handicap, un manque individuel proche de la maladie, de la carence cognitive ou fonctionnelle, de la débilité légère. Les illettrés pouvaient même apparaître comme violents et apparentés à des délinquants .

 

             D'autres représentations surgiront par la suite, sur des groupes réfractaires à l'écrit pour des raisons culturelles. Ils seront considérés comme des contestataires. En effet, des résistances collectives pourront se manifester en opposition à un code issu d'un groupe dominant et imposé de l'extérieur. On trouve ces attitudes notamment chez les gens du voyage . Ces communautés peuvent considérer qu'il y a danger à accepter des pratiques langagières ou scripturales " étrangères " car elles pourraient venir bousculer des modes d'organisation sur les fonctionnements sociétaux et les rapports interindividuels de leurs groupes.

 

             A ces formes collectives de rejet s'ajoutent des formes individuelles de résistance, de refus face à l'école ou au savoir institué. C'est, par exemple, l'individu qui marque une opposition à des apprentissages, à ses yeux souvent survalorisés ou surinvestis par l'environnement contre lequel il se défend ; il sera alors considéré comme paresseux ou fainéant.

 

             A partir des années 1980, les formes d'exclusion du travail et le chômage de longue durée furent les grands révélateurs de l'illettrisme adulte. Les exigences accrues en termes de productivité et de mobilisation de l'intelligence déclenchèrent des difficultés d'accès ou de maintien dans l'emploi. Les bras ne suffisaient plus, il fallait " penser " le travail pour se situer dans la chaîne du travail et évoluer sur des machines plus complexes. Les ouvriers, considérés jusque là comme spécialisés, ont été déqualifiés puis disqualifiés puisqu'ils n'avaient plus ou insuffisamment les savoirs requis par les nouvelles procédures. Etre illettré, c'était en quelque sorte être condamné à être chômeur.

 

             Les représentations sociales du phénomène illettrisme

Après avoir évoqué les représentations portant sur les individus en situation d'illettrisme, étudions à présent les différentes approches du phénomène illettrisme. On peut les distinguer au fur et à mesure que cet " objet " s'identifie et que le discours social se construit.

 L'illettrisme : une affaire d'état

             D'abord, le travail des militants d'ATD Quart Monde a conduit à médiatiser un phénomène d'exclusion sociale et, c'est dans les années 1980, que des résultats ont commencé à se faire sentir. En effet, parce qu'on n'imaginait pas qu'une partie de la population puisse éprouver à l'issue d'une scolarisation d'au moins dix ans des difficultés, parfois importantes, dans le maniement de la langue de ce pays qu'une commission est chargée par le Premier Ministre de l'époque, Pierre Mauroy, de cerner ce problème de l'illettrisme et de réfléchir sur le moyen d'y remédier.

             Cela aboutira à la publication d'un rapport officiel puis à la création du " GPLI " (Groupe Permanent de Lutte contre l'Illettrisme). C'est un tournant important car, d'un problème social relevant du militantisme, l'illettrisme devient une affaire d'état et l'on disposera progressivement de moyens financiers pour le financement d'actions, d'informations ou de recherches. Par exemple, des " CRI " (Centres de Ressources Illettrisme) ont été créés dans les différentes régions, des dispositifs de formation ou de remédiation aux savoirs de base se sont développés sur tout le territoire. On a vu naître les Ateliers de Formation de base (AFB) en Champagne-Ardenne, les Ateliers des Savoirs Fondamentaux (ASF) en Normandie, etc.

 

             Puis, déclarée priorité nationale par la loi du 29 juillet 1998 d'orientation relative à la lutte contre les exclusions , la lutte contre l'illettrisme s'inscrit dès lors dans le cadre de l'éducation permanente au même titre que l'animation socioculturelle.

             L'ANLCI (Agence Nationale de Lutte Contre l'Illettrisme), groupement d'intérêt public, a succédé en 2000 au Groupe Permanent de Lutte contre l'Illettrisme. Les moyens ont donc considérablement augmenté et témoignent de l'importance qu'on y accorde aujourd'hui : l'illettrisme est devenu un fléau de société.

 

 L'Illettrisme : une vision scolaire

             Les discours sur l'illettrisme ont donné lieu à de nombreuses définitions modulables à l'infini selon les besoins et les intérêts de ceux qui les produisaient.

             La lecture s'est d'abord trouvée au cœur de la définition. En effet, Le mot " lettre " dans illettrisme suggère que l'illettrisme se limite à un problème de lecture. Puis, les définitions se sont élargies avec le duo lecture-écriture ou le trio lecture-écriture-calcul. La maîtrise du lire-écrire-compter représentait l'ensemble des savoirs considérés comme stratégiques pour permettre aux individus d'être autonomes.

             Par ailleurs, la crise de l'emploi a favorisé l'entrée massive d'adultes dans des stages d'insertion. Cette scolarisation des adultes pour réduire le risque de désocialisation ou d'exclusion de l'emploi accompagnée, de surcroît, par le mouvement d'enthousiasme de la France pour la dictée de Bernard Pivot a contribué à donner une valeur importante aux savoirs scolaires. De plus, des enquêtes statistiques de grande ampleur pour évaluer le niveau d'enseignement et les acquis de la population française seront réalisées principalement à partir de critères scolaires propres à l'Ecole Primaire (savoir lire, écrire ou compter) ou au Secondaire (savoir comprendre ce qu'on lit, savoir rédiger et interpréter un texte). Citons, par exemple , l'enquête IVQ (Information Vie Quotidienne) de l'INSEE qui a été conduite à partir de 2002 auprès d'un échantillon représentatif (10 000 personnes) de la population, âgé de 18 à 65 ans, vivant en France métropolitaine. Cette enquête proposait un certain nombre d'épreuves passées au domicile des enquêtés et permettait de mesurer les compétences en lecture, écriture, calcul. Citons encore la JAPD (Journée d'Appel de Préparation à la Défense) organisée par le Ministère de la Défense et le Ministère de l'Education Nationale qui soumet tous les jeunes garçons et filles âgés de 17 ans à des test permettant de mesurer leurs compétences en lecture et écriture. Enfin, mentionnons l'enquête PISA, projet international pour le suivi des élèves de 15 ans, conduite par l'OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economique) qui sélectionne tous les 3 ans, dans chaque pays, un échantillon de jeunes qui doivent passer des tests écrits avec des questions ouvertes ou à choix multiples portant sur la lecture, la culture mathématique et la culture scientifique.

 

             Il est à souligner également, que le problème de l'illettrisme s'est développé parallèlement à celui de l'échec scolaire. Auparavant on distinguait deux phénomènes : l'illettrisme qui ne concernait que les adultes et l'échec scolaire de jeunes durant leur scolarité ; aujourd'hui, la notion d'illettrisme est rentrée au sein de l'Education Nationale, car on qualifie aussi d'illettrés des enfants encore scolarisés.

 

L'illettrisme : une utilité sociale

             La force sociale attachée à la notion d'illettrisme réside dans sa capacité à être un lieu de rassemblement de différents problèmes ou questions qui existaient conjointement jusque là, permettant à des acteurs et à des actions différentes de revendiquer le label " lutte contre l'illettrisme ".

             Le flou sémantique du terme " illettrisme ", entretenu par le discours social, a réussi à regrouper sous une même enseigne des métiers et des professionnels très variés sans qu'il y ait eu de concertation collective entre eux.

Se trouvent ainsi réunis

- des enseignants luttant contre l'échec scolaire,

- différents acteurs du soutien scolaire (et plus récemment de l'accompagnement à la scolarité),

- des orthophonistes qui s'interrogent sur les problèmes de dyslexie et de dysorthographie

- mais aussi des formateurs qui assurent l'alphabétisation des populations immigrées,

- des travailleurs sociaux ou des conseillers de missions locales en charge des publics en difficulté d'insertion,

- des spécialistes de la réinsertion des détenus

- et encore des bénévoles d'associations caritatives,

- des bibliothécaires, des enseignants en institut spécialisé, etc.

 

L'illettrisme est devenu un enjeu social collectivement entretenu assurant du même coup sa rentabilité et son utilité.

             On peut donc dire que l'illettrisme est un phénomène de société qui existe depuis longtemps mais sous des formes variées et des vocables variables ; que l'illettrisme d'hier n'est pas celui d'aujourd'hui ni celui de demain (ne parle-t-on pas déjà de fracture numérique ? et même d'illectronisme ?) et que, si l'illettrisme interroge la société toute entière, elle interroge encore plus particulièrement l'organisation du travail.

 

Voir également:

Dossier illettrisme

http://www.illettrisme-ressources.com/index.html

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