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L'intervention en établissement scolaire

Alain BOUVIER

Ancien Recteur

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Les références sont obtenues en cliquant sur "ici"à coté du numéro.

Les années 1980

          A l'Education nationale, en France, le début des années 1980 fut marqué par la première vague de décentralisation, la création des EPLE (1) et le développement de la formation continue des personnels du second degré (la formation continue du premier degré existait, elle, depuis dix ans). Les MAFPEN (2) , crées alors, s'employèrent, avec l'aide de nombreux partenaires (corps d'inspection, universités, écoles normales, ENNA, etc.), à mettre en place des " plans académiques de formation ", les PAF, selon une modalité assez classique et presque exclusive : le stage. Dominaient les thèmes disciplinaires et les actions accompagnant la rénovation de l'enseignement technique et professionnel, dont les nouvelles et considérables opérations de reconversions d'enseignants, sauf à Reims, académie exceptionnelle sur le registre des stages interdisciplinaires (je me demande pourquoi ?).

           La " rénovation des collèges ", décidée alors, se fit par étapes (quatre ans), autour de projets pédagogiques préfigurant en partie les projets d'établissement (3) étendus successivement aux lycées professionnels, à tous les EPLE, puis, à travers la Loi d'orientation de 1989, aux écoles élémentaires et aux établissements d'enseignement supérieur(4)

           Une centration tout à fait nouvelle sur l'établissement, avec, entre autres, la mise en évidence, par la recherche, de " l'effet établissement ", une conception de l'action (pédagogique notamment) de plus en plus systémique (il s'agit peut-être d'une véritable rupture par rapport aux approches passées ; les historiens de l'éducation nous le dirons un jour), une évolution notable du rôle du chef d'établissement devenant, par nécessité, un véritable Directeur des Ressources Humaines (DRH) de l'EPLE, firent apparaître de nouveaux besoins, en particulier pour la conduite des changements induisant ainsi de nouvelles perspectives pour la formation des personnels de chaque établissement, dans son originalité et sa spécificité.

Le collège de Taiohae sur l'île de Nuku-Hiva (BIPS)

           Les stages tels qu'ils existaient depuis à peine quelques années ne suffisaient plus pour accompagner ces évolutions. Un travail " en dimension réelle " et mené " sur le terrain ", c'est-à-dire directement au sein de l'établissement scolaire, s'avérait nécessaire, autour de problèmes professionnels identifiés, formulés plus ou moins par la direction de l'établissement, s'appuyant peu ou prou sur les acteurs concernés, à travers des démarches tendant, néanmoins, le plus souvent sans le dire (5) , à être participatives.

           Sous la double influence du " mouvement qualité " et de la psychosociologie (en particulier du courant institutionnaliste encore prégnant, en France, à cette époque), le concept " d'intervention " pénétrait alors, timidement, le second degré et le secteur de la formation des personnels dans des formes quelque peu nouvelles, propres au système éducatif français.

           On peut citer, par exemple, celle des " intervenants-conseils " que nous avions choisie de promouvoir dans l'académie de Lyon (6) où je dirigeais la MAFPEN. Des tentatives voisines virent alors le jour dans la majorité des académies. Des universités d'été et des stages nationaux vinrent en appui de ces démarches éparses mais convergentes, notamment pour se livrer à des analyses de pratiques, à des comparaisons et pour tenter de capitaliser certains acquis.

           Vingt ans après, on peut légitimement commencer à se retourner sur cette riche période (7) , essayer de cerner où le système en est aujourd'hui et quelles sont les pistes d'évolution discernables pour les années qui viennent.

 

Vingt ans après

           En vingt ans, le paysage global de l'Education nationale en France a connu une série d'évolutions remarquables, lourdes de conséquences pour les établissements scolaires et la formation initiale et continue de leurs personnels. Citons les plus notables : la création des IUFM par la Loi de 1989 avec une mise en oeuvre pour la rentrée 1991 (8), la disparition des MAFPEN en 1998, le vote de la LOLF (Loi Organique des Lois de Finance) en 2001 pour application à partir de 2006, les nouvelles lois de décentralisation en 2004, la réforme de l'Etat lancée en 2002, largement inspirée d'un principe de subsidiarité et d'autonomie (9), les perspectives européennes (le LMD pour les universités et le processus de Bologne pour la réforme de l'enseignement supérieur (2001), pour aboutissement en 2010), qui auront, notamment, une influence sur le niveau scolaire.

           Sur un autre registre, directement lié à la recherche en sciences humaines et à ses liens avec le système social, on observe les progrès spectaculaires des sciences de gestion, des systèmes experts, des nouvelles technologies, des sciences cognitives, de la neurologie, (tous systèmes de pensée qui risquent parfois de faire l'impasse sur l'humain et de provoquer ainsi des effets pervers non prévus!) Ces progrès contribuent poutant à faire évoluer le management des systèmes, Cela s'accompagne d'une volonté des " décideurs(10) ",de piloter(11) les systèmes complexes dont ils ont la responsabilité:

une classe, une discipline scolaire, un département, une académie, le système global, mais aussi, bien sûr, un EPLE. Cette orientation conduit à une sensibilisation nouvelle et majeure aux résultats obtenus, donc à tout un travail sur les indicateurs. On commence même à parler de "pilotage par les résultats" (12)

           En utilisant une métaphore désormais classique, faut-il pour autant chercher à entrer dans les boites noires(13) , dans les EPLE en particulier ? Et que veut dire " pénétrer " un établissement ?

Piloter c'est:

           Piloter un système complexe, comme un EPLE, c'est, dans le cadre de son projet, se fixer un cap, élaborer un plan d'actions et, en fonction des résultats partiels obtenus, procéder aux réajustements nécessaires pour maintenir le cap. 

           La problématique globale de l'intervention en établissement reste donc entière. Mais elle a évolué, s'est diversifiée, puise ses références dans des champs variés, prend des formes diverses, avec des méthodologies qui s'inspirent de la psychologie clinique ou des sciences de gestion, de la psychosociologie ou des nouvelles technologies, de la sociologie ou de l'ethnologie, de la psychologie sociale ou des comparaisons internationales, etc.

           Les pratiques actuelles d'intervention en établissement, malgré leur grande diversité, peuvent se distinguer en grandes catégories. Ci-dessous, nous en citons six, sans avoir la prétention d'en avoir établi une liste exhaustive. Restera à se demander en quel sens elles peuvent encore évoluer.

 

Six tendances actuelles

1. La démarche de projet d'établissement connaît un renouveau notable, qui insiste sur le " pilotage " de l'établissement plus que sur sa " direction ", sur la vigilance sur les résultats, la " plus-value " apportée par l'établissement par rapport aux élèves qu'il accueille, sur le choix des indicateurs de résultats, sur l'évaluation, etc. Face à ces préoccupations, les EPLE sollicitent des intervenants méthodologues d'origine scientifique assez diverse et familiers avec le recueil et le traitement des données.
Différences entre Direction et pilotage

           Le terme direction renvoie à l'action descendante du sommet de la pyramide, dans une vue classique des organisations, selon une conception voisine du Taylorisme et de Fayol. Le terme de pilotage s'applique à des systèmes complexes où l'on accorde autant d'importance à la régulation (assurée par le ou les pilotes) qu'à la simple prise de décision du sommet de la hiérarchie.

2. Afin de relancer la démarche d'élaboration de projet, des établissements secondaires souhaitent partir d'un état de lieux. Ils sollicitent pour cela la conduite d'un audit, soit de nature psychosociologique, sur la conduite du changement, les résistances, la gestion des tensions, des conflits, l'animation des groupes, etc., soit sur les résultats de l'établissement, sur " l'état des disciplines ", la recherche des points forts et des points faibles, des marges de progrès. Pour le premier type d'audit, il est fréquemment fait appel à des psychosociologues, à des formateurs spécialisés, à des consultants en organisation. Pour les seconds, sont plutôt sollicités des inspecteurs ou des intervenants formés, par exemple, à la pratique des " audits qualité ".

3. La volonté d'assurer un pilotage global de l'établissement conduit les équipes de direction à enrichir leur culture managériale, à accroître leur expertise en la matière, à impliquer un maximum de responsables de proximité (CPE, chefs de travaux, professeurs principaux, infirmière, documentaliste, etc.). Dans ce but, elles sollicitent l'organisation de séminaires internes, de formations à la communication, à l'animation, à l'évaluation de systèmes et font appel à des spécialistes universitaires en sciences du management.

4. L'évaluation des personnels est en pleine évolution (réforme de l'Etat), notamment pour les personnels ATOS. Afin de préparer cela, en particulier les entretiens d'évaluation, des chefs d'établissement font appel à des experts externes à l'établissement, souvent au sein des services rectoraux ou d'autres fonctions publiques.

5. Sous l'influence de pratiques venues d'autres organisations, des chefs d'établissement souhaitent bénéficier de possibilités de " coaching ". Ils désirent du face-à-face, la possibilité de recevoir des feedback individuels de la part d'une personne compétente et formée à cette pratique, dans le strict respect d'une déontologie préalablement explicitée. On voit aujourd'hui des formateurs se faire délivrer par des officines spécialisées - voire des universités - des certifications relatives à cette nouvelle pratique professionnelle. Les questions financières constituent un obstacle à l'extension de cette approche qui se heurte aussi à des résistances d'un tout autre type, que nous ne développerons pas ici.

6. L'aide à la conception et à l'accompagnement de système de travail coopératif combinant les possibilités du présentiel et du travail à distance, le nomadisme notamment. Des formateurs spécialisés sont alors sollicités auprès des universités, des IUFM, des CRDP ou d'entreprises.

           L'éventail des possibles s'élargit. Des choix se font donc. Par qui ? Quelle en est la pertinence ? Qui s'en assure ? Quelle évaluation de ces pratiques ? Autant de questions qui inspireront des travaux futurs, mais qui se posent déjà.

Et maintenant ?

           Il est aisé de pronostiquer que les pratiques d'intervention en établissement se multiplieront, se diversifieront et, dans chaque cas, correspondront de plus en plus à une demande spécifique de l'EPLE par rapport à son histoire, ses problèmes, son contexte, ses ressources, ses contraintes et ses projets de développement. De grandes tendances sont-elles d'ors et déjà repérables ? Seulement en partie.

           Nous pensons que les progrès des sciences cognitives (uniquement?) (14) pousseront beaucoup d'établissements à se tourner plus résolument vers le concept d'établissement apprenant(15) . Cela induira un tout nouveau rôle du chef d'établissement, de l'équipe de direction, de tous les responsables intermédiaires au sein de l'EPLE. En termes de besoin, cela conduira les établissements à dépasser la simple volonté de s'engager vers un pilotage par les résultats au profit d'une approche encore plus exigeante, plus systémique, visant la conception du système de régulation de l'établissement et surtout, ce qui n'est qu'exceptionnellement le cas actuellement, la régulation du système de régulation

Un type nouveau d'intervenants fera alors son apparition.
Un établissement apprenant

c'est un établissement capable de progresser, d'apprendre de ses erreurs et à partir de ses résultats (bons et mauvais), capable de procéder aux régulations nécessaires, de les penser et de les organiser en système.

.

 

Voir d'autres articles d'Alain Bouvier:

http://www.forres.ch/textes.htm#bouvier

ainsi que : Régulations intermédiaires et pilotage des systèmes éducatifs

 

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