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ENTRETIEN avec André JOYAL

Un des plus grands mathématiciens du QUEBEC

             Les sous-titres et les caractères en gras sont de ma responsabilité.

             Ils signalent ce que j'entends des aspects affectifs pouvant, de mon point de vue, entrer dans la catégorie des interactions "cognitivo-émotionnelles"

J= André JOYAL et N= Jacques NIMIER

 Comment devient-on mathématicien?

 

- N: Est-ce que vous pourriez me dire comment vous êtes devenu mathématicien ?

- J: Oui. Dès l'adolescence je me suis intéressé aux sciences en général, mais particulièrement à la physique et à l'astronomie, pas dans les livres scolaires, j'allais à la bibliothèque où je lisais des livres de vulgarisation scientifique, et je n'avais pas l'intention de faire des mathématiques à ce moment-là: j'avais plutôt l'intention de faire de la physique, pas de chimie, de la physique.

J'ai lu aussi un certain nombre de biographies et ça, je crois que ça a dû avoir une influence psychologique importante par identification... j'aurais peut-être du mal à vous dire exactement quels livres, mais c'étaient des livres qui décrivaient l'histoire de certains grands physiciens ou de certains grands mathématiciens. Cela donnait un contenu un peu réel à l'activité, parce que la science, en tant que contenu théorique, c'est intéressant pour un jeune, mais c'est aussi intéressant de comprendre la vie en général, de comprendre l'histoire aussi...

Il y a peut-être eu aussi une certaine identification qui s'est faite à ce moment-là, parce que dans ma famille il n'y a pas de scientifique. Mon père était cultivateur quand j'étais jeune, mais plus tard il est devenu marchand de matériaux de construction. C'est un individu très rationnel, il aime les choses ... cherche à comprendre ... il n'a pas beaucoup d'éducation, mais tout de même, il a, je crois, cinq ou six ans d'école primaire. Il a toujours eu une attitude scientifique devant les choses, ou rationnelle.

J'ai peut-être aussi été influencé par certains cousins. Je me souviens que tous les étés, certains cousins des Etats-Unis venaient nous visiter et il y en avait un en particulier qui aimait beaucoup les jeux de devinette: il posait des questions, il fallait réfléchir et ça m'amusait beaucoup; j'avais de bons rapports avec lui, ça m'a peut-être influencé.

 

Seul et avec d'autres, présent et absent

Ensuite j'ai fait des études techniques dans un collège; j'ai un diplôme de technicien d'électronique. Puis, j'ai voulu étudier la physique à l'université, mais en faisant des études d'électronique,

J'ai commencé à lire systématiquement certains livres d'algèbre et de calcul infinitésimal. Ces cours d'électronique étaient relativement rudimentaires, il n'y avait pas de calcul différentiel et intégral sauf un petit peu à la fin du cours et j'étais assez satisfait. Alors j'ai étudié par moi-même et je suis devenu une sorte d'autodidacte même si j'ai eu des cours à l'université ... en fait, j'étais plutôt absent à ces cours ...

- N: Vous étiez absent ?

- J: Oui, je n'aillais pas au cours en général, sauf pour passer les examens ... Cependant, j'étais présent à l'université, c'est-à-dire que je travaillais avec certains étudiants qui étaient comme moi très enthousiastes pour la mathématique et on travaillait ensemble, on se posait différentes questions, comme ça j'ai beaucoup appris aussi. Mais les cours c'était pour les examens, c'était plutôt quelque chose de formel, il fallait bien avoir des diplômes, il fallait bien ... parce que les cours sont donnés sans perspective historique. C'est soit trop lent, soit trop rapide. On impose un rythme qui ne correspond pas du tout au rythme de l'étudiant; or l'étudiant intéressé peut, en une semaine, apprendre ce que l'on peut faire en une année dans un cours si l'on n'est pas intéressé ...

J'ai toujours suivi mon propre rythme mais en faisant quand même un peu attention pour passer les examens, donc avant les examens, je faisais un effort ... mais sans ça, je me considère plutôt comme un autodidacte. J'avais certains rapports avec d'autres mathématiciens, à l'université il y a quand même quelques professeurs ... mais j'ai toujours eu beaucoup d'indépendance par rapport aux exigences. Par exemple, j'ai voulu faire une maîtrise. J'ai fait un peu d'analyse pendant un certain temps et puis ensuite, je me suis intéressé à d'autres questions, et comme je m'intéressais à d'autres questions, je ne faisais plus d'analyse, alors j'ai changé de directeur.

Répondre à ses propres interrogations

J'ai toujours été très exigeant pour répondre à ce qui me semblait être mes interrogations, plutôt que les interrogations du prof ...

- N: Vos interrogations ?

- J: Oui ... quelles sortes de questions on se pose ou que je me pose.

- N: Et qui vous motivaient pour avancer...

- J: Oui, il y a un aspect local et global, c'est-à-dire qu'il y a d'abord des espèces de questions très, très générales auxquelles on aimerait répondre et qui ne sont presque pas formulées, c'est presque inconscient, c'est une motivation très générale.

- N: Exemple ?

- J: Je me suis toujours émerveillé (rires) par ce qu'est l'univers physique par exemple. L'astronomie m'a beaucoup influencé. J'ai découvert que le monde est extrêmement vaste par rapport à la perspective qu'on peut avoir dans une petite ville (c'est une façon d'en sortir peut-être) et il y a des choses extrêmement mystérieuses auxquelles on veut répondre ... souvent aussi par opposition à la religion peut-être. Dans la famille, nous étions catholiques, les réponses venaient de la religion effectivement, et je me suis opposé à ça assez tôt, j'étais un peu mouton noir dans ce sens-là; je ne suis pas un agnostique au sens général du mot, à savoir qu'il y a des questions auxquelles on ne peut pas répondre, mais j'ai une espèce de confiance selon laquelle, en principe, on peut répondre à toutes les questions (rires).

N: C'est-à-dire que vous voulez que toutes les questions et les réponses viennent de vous ?

- J: Non, non, non. Parce que, oui, je suis autodidacte, mais ça c'est une question de circonstances; j'aime bien collaborer avec les gens, j'ai collaboré avec beaucoup de gens dans ma carrière. Collaborations qui ont été fructueuses. Non, c'est plutôt par réaction à un certain système d'enseignement, c'est plutôt par rapport à une certaine culture, une façon de considérer la recherche ou l'étude de la science en général. C'est ça plutôt, dans ce sens-là. Ce n'est pas parce que je crois que les réponses doivent venir de moi, mais j'ai confiance que je peux y apporter quelque chose, je ne me sens pas différent, en ce sens, des autres non plus.

 

Les mathématiques

Je crois que les mathématiques c'est une activité humaine comme les autres, c'est pas une question de talent par exemple. Ce n'est pas une question de neurones ou de bon fonctionnement du cerveau. Bon, c'est évident qu'il faut être en santé, mais c'est plutôt une question de motivation, c'est une question émotionnelle.

Donc, si pour certaines motivations de nature, non pas irrationnelle, mais émotionnelle, on est intéressé à comprendre un certain nombre de choses en utilisant l'aspect mathématique, alors on développe les capacités de réfléchir mathématiquement et on a ce qu'on appelle un talent. Cette motivation peut apparaître très tôt et c'est difficile de comprendre pourquoi exactement ...

- N: Est-ce que vous pouvez préciser un peu justement cet aspect émotionnel qui pour vous a motivé votre intérêt ?

- J: C'est pas facile ... mais quand j'avais cinq ans, mon père m'avait acheté une sorte de ce qu'on appelle en Amérique un mécano; mais c'était en bois ... on fabriquait et j'avais beaucoup aimé ça. Je ne sais pas si c'est suffisant pour former une motivation: le fait de découvrir qu'on peut faire quelque chose ...

- N: Des éléments séparés ...

- J: Oui, des éléments séparés. C'était quelque chose de relativement simple: il y avait la figure et il fallait la répéter, évidemment on pouvait faire ensuite autre chose, mais je ne me souviens pas que j'ai fait beaucoup d'autres choses, je faisais simplement ce qu'il y avait, j'étais très jeune ...

- N: Construire une figure ...

- J: Oui, construire une figure. Je me souviens que j'avais fait un petit avion, par exemple, avec une hélice qui tournait vraiment et j'étais très content peut-être que ça m'a donné une motivation ... il y a peut-être aussi cette identification à la suite de lecture ... une sorte d'ouverture sur le monde. Quand on vit dans une petite ville, c'est fermé et comme je le disais, nous étions très catholiques et j'avais des doutes sur la vérité de cette doctrine. Mais ça a été très difficile pour moi, quand j'avais treize, quatorze ans de m'en éloigner. Je crois que je m'en suis détaché par ma façon positive ...

- N: C'était une sortie ?

- J: Oui, c'était une sortie, oui, chercher la vérité d'une façon différente. Je ne vois pas la mathématique et la science comme une nouvelle religion, je vois plutôt la religion comme une pseudo science, un effort de comprendre des choses qui ne sont pas comprises. Et puis, on l'a érigée en doctrine et ça a donné une science qui n'en est pas une, mais une sorte d'effort de connaissance. C'est un effort qui n'est pas rationnel, parce qu'on n'en est pas à un degré de développement suffisant pour utiliser des méthodes rationnelles afin de répondre à ces questions. Et justement ça c'est la position: il n'y a pas de questions a priori, auxquelles on ne peut pas répondre, même si on ne peut pas répondre maintenant. Et, je crois que l'humanité c'est quelque chose de complètement ouvert et ...

 

Individuel/collectif

- N: Vous utilisez beaucoup les mots "ouvert" et "fermé" ...

- J: Je ne sais pas ... ah ! oui, je parlais d'une petite ville fermée ... oui, oui, je ne crois pas que ce soit une influence de la topologie (rires) ... Mais les mathématiques, c'est plus qu'une simple technique ... Je sais que certains mathématiciens, surtout en statistique, voient les mathématiques comme un outil qui permet de calculer certains paramètres. Non en général, j'ai confiance dans la capacité de comprendre. Il y a évidemment énormément de problèmes sociaux que la méthode des scientifiques au sens des sciences exactes, ne peut résoudre. Ca je suis d'accord avec ça; mais je crois que la science est une science véritable, je ne dis pas un empirisme. Je ne crois pas qu'on fabrique des lois simplement pour les accorder aux phénomènes et pour trouver une explication parce que tout est convention et des choses comme ça; je crois qu'on a la possibilité de comprendre le monde en général, que c'est une capacité collective: cette recherche scientifique ça se fait toujours à plusieurs. Je n'ai jamais travaillé d'une façon isolée même si je suis un autodidacte, c'est toujours en rapport avec d'autres personnes. Il y a un questionnement qui se développe, on répond aussi à certaines questions individuelles; c'est une construction individuelle au groupe de recherche. Mais souvent ce ne sont pas des groupes de recherche formalisés, institutionnalisés avec subventions et tout ça, c'est plutôt un individu dans un pays, un autre là, un autre ailleurs, on se rencontre quelquefois, on se téléphone, on s'écrit ...

 

Découvrir/inventer

Alors si je reviens à cette question d'ouverture, de fermeture ... j'avoue que j'ignore profondément ce que c'est que finalement les mathématiques, c'est-à-dire que je peux prendre des positions philosophiques par rapport à ça; mais je ne suis pas d'accord avec les positions platoniciennes et je ne suis pas d'accord non plus avec des positions constructivistes dans lesquelles tout ça c'est des constructions de l'esprit humain; je crois qu'il y a découverte, il n'y a pas seulement invention, il y a les deux à la fois: invention et découverte, et c'est ça aussi qui est fascinant en mathématiques: des découvertes parce que si on ne faisait qu'inventer ... découvrir aussi c'est intéressant, c'est-à-dire qu'il y a une sorte d'inconnu et puis tout d'un coup il y a un petit coin de voile qui est soulevé et puis on voit, on comprend tout d'un coup ce qui se passe. A mon avis, c'est déjà là; comment est-ce que c'est déjà là ? Je crois que c'est là exactement comme les lois physiques, on peut faire des variations sur une formulation, on peut inventer certaines formulations des lois physiques, on n'invente pas les lois physiques, on les découvre, il y a découverte de quelque chose qui est là et je crois que les structures mathématiques sont déjà là aussi.

Qu'est-ce que ça signifie du point de vue philosophique ? Je ne suis pas un théologien, (?,!) d'accord. Je ne suis pas capable de répondre à ces questions, mais pour moi c'est quand même important, parce qu'a priori il y a une sorte de confiance, à savoir je suis devant un problème très compliqué, je me dis: je dois trouver les rapports simples qui sont derrière ça et j'ai toujours l'idée qu'il y a derrière quelque chose de très simple qui permet de rendre compte de quelque chose qui semble incompréhensible ou presque, que c'est déjà là, que c'est pas quelque chose que je vais inventer là; mais que je dois réfléchir suffisamment pour trouver les éléments simples; alors j'ai confiance que ces éléments simples existent ... donc il y a une espèce de vue platonicienne qui fournit une sorte de motivation; il y a des éléments simples et je dois les trouver ... et ça marche !

 

"On peut s'ouvrir pour s'enfermer dans autre chose"

Cependant, devant certains problèmes, j'ai l'impression quelquefois que ce ne sont pas des problèmes naturels mais des problèmes de langage; que c'est plutôt parce que notre approche est tellement peu claire que c'est l'approche qui crée le problème.

Certains problèmes ne sont pas naturels et à ce moment-là j'ai tendance à ne pas chercher de solution, je sais qu'il n'y a pas de solution, qu'il y a seulement certaines méthodes qu'on peut développer ... Mais si un problème me paraît naturel ... (et il y a ce concept de naturel qui est un peu mystérieux et très intuitif, je ne sais pas le décrire complètement) à ce moment-là, j'ai davantage de motivations pour y travailler, je peux travailler durant des mois sur une question si j'ai des motivations.

Les motivations ne sont pas en général des motivations techniques, à savoir, je ne suis pas un mathématicien qui fait des mathématiques parce que je dois résoudre un problème d'ordre technique posé par une corporation, un gouvernement ou quelque chose comme ça; ça c'est justement des problèmes qui ne sont pas naturels à mon avis; surtout qu'il y a des usages ... enfin politiquement, j'ai des positions qui sont plutôt radicales. Alors, je préfère faire une recherche théorique parce que je crois que c'est plus utile à l'humanité même si actuellement, ce n'est pas utile au gouvernement ou aux corporations, c'est peut-être pas maintenant que ça sera utilisé, ça sera plus tard. Je contribue peut-être, beaucoup de mathématiciens aussi, au développement d'une science dont l'usage en tout cas n'est pas orienté vers une forme d'exploitation directe; je préfère faire des mathématiques théoriques dans ce sens-là, ce qui ne m'empêche pas de prendre position politiquement et je ne veux pas m'isoler dans une tour d'ivoire en me consacrant uniquement à des problèmes théoriques ...

- N: Une tour d'ivoire ...

- J: Ah ! oui, oui, d'accord c'est ça, dans une tour d'ivoire de mathématiques, on peut s'ouvrir pour s'enfermer dans autre chose, mais il y a au moins deux choses que je voudrais rajouter.

 

Rigueur et plaisirs

Concernant la question de créativité: je crois que s'il y a du plaisir dans l'activité, il y a créativité, que la créativité ce n'est pas une question d'intelligence: on peut être très intelligent et ne pas être créateur. Il faut exercer son activité là où on a du plaisir, là où on trouve des résonances suffisamment profondes ... c'est plus ou moins conscient, les rapports sont plus ou moins directs, mais c'est quelque chose qu'on sent; on ressent une certaine satisfaction ... Je crois que si je faisais certains types de mathématiques, je serais beaucoup moins créateur. Si je devais résoudre des problèmes de minimisation, de maximisation, de profit pour des corporations, des choses comme ça, alors probablement je me contenterais d'appliquer bêtement la formule. A moins d'avoir des motivations d'argent, mais je n'ai pas tellement ces motivations-là ...

- N: Finalement, comment se fait-il qu'avec des goûts pour l'astronomie, la physique, etc. vous avez fait plutôt des mathématiques ?

- J: C'est un peu accidentel, je crois. J'ai fait des maths parce que j'étais autodidacte et aussi par réaction contre certains systèmes d'enseignement. Il est plus facile de faire des mathématiques en autodidacte que de la physique; en physique, on a besoin d'un laboratoire ... J'adore la physique, je m'intéresse toujours à la physique, il m'arrive de prendre un bouquin de physique et j'ai peut être dans la tête de faire un jour assez sérieusement de la physique théorique. Donc, la physique, c'est quelque chose qui est là, qui est très près, qui est présent. Si je fais des mathématiques, c'est un peu parce que j'ai dévié de la physique, je crois.

- N: Dévié ?

- J: Oui, c'est une sorte de déviation, parce qu'il est plus facile ... J'ai beaucoup d'intérêt pour les mathématiques, mais je ne suis pas un logicien, même si j'ai fait beaucoup de logique ... C'est-à-dire que la pensée humaine m'intéresse en tant que telle, mais je crois que le monde est plus intéressant que la pensée: la pensée quand elle se tourne vers elle-même, peut facilement tourner à vide, à long terme tout au moins, à court terme non. Et les mathématiques, c'est davantage une science de la pensée que la physique et particulièrement la logique mathématique.

Mais si j'ai fait de la logique mathématique, c'était pour éclaircir, pour mieux saisir les méthodes de pensée en mathématiques, déjà la pensée qui réfléchit sur le processus de pensée. Parce qu'on peut faire la métamathématique, la métamétamathématique, on finit par tomber dans quelque chose de relativement arbitraire où les choses sont vraies par convention: c'est trop fluide là, il n'y a plus de matière, il n'y a plus de contenu, c'est beaucoup moins intéressant, les choses sont vraies par définition. Or, les mathématiques c'est pas une question de définition. Malheureusement, dans les cours maintenant, on insiste beaucoup trop sur la rigueur, sur la déduction; il y a les axiomes, les théorèmes, il y a tout ça.

Les mathématiques, ça ne se fait pas comme ça.

Malheureusement, si c'est comme ça dans les cours, c'est parce que c'est comme ça dans les publications: on insiste beaucoup trop sur la rigueur.

La rigueur, c'est quelque chose d'essentiel, c'est important mais c'est le seul aspect de l'activité mathématique et on devrait pouvoir rendre compte de ce qui se passe aussi sur un mode non rigoureux et qui est très important pour guider la démonstration. Il n'y a pas beaucoup de textes la-dessus, ça n'appartient pas à la culture. Il faudrait des gens pour écrire des textes où on chercherait à donner le contenu intuitif et géométrique; il faudrait qu'il y ait des équipes, des gens payés qui travaillent là-dessus ... Mais on ne subventionne pas ce genre de choses, on subventionne la recherche uniquement, alors que ça permettrait de comprendre, ça faciliterait l'accès aux mathématiques.

 

L'accès aux mathématiques, au sens perdu

La difficulté des mathématiques est en grande partie une difficulté d'accès. C'est pas une difficulté intrinsèque parce que c'est relativement simple, on s'en rend compte quand on a compris (rires). Mais justement ça, on pourrait comprendre même si ça demeurait complexe. Comprendre c'est pas nécessairement réduire à des éléments simples.

Très souvent, la difficulté se trouve dans une sorte de déchiffrage: il s'agit de comprendre ce qu'il y a au-delà d'une certaine écriture qui est purement algébrique alors qu'en fait le contenu est géométrique. Et le contenu géométrique est totalement absent lors du développement algébrique alors que dans la tête de l'auteur il était présent, ou encore il y a des développements heuristiques qui ne sont pas donnés, les méthodes heuristiques sont très très importantes ...

Il y a des choses bizarres comme ça, il y a des résultats mathématiques qui ont un sens extrêmement simple et le sens est comme perdu.

- N: Ce qui vous intéresse c'est de retrouver cet aspect perdu, ce qui est caché derrière.

- J: Oui, c'est-à-dire que c'est un aspect qui est perdu un peu à cause de la culture actuelle ... C'est quand même une culture qui dure depuis assez longtemps ... je ne sais pas comment, mais ça pourrait changer, ça pourrait être autrement ... Les connaissances sont accessibles surtout aux spécialistes, il n'y a pas d'effort de synthèse, il n'y a pas d'effort de véritable vulgarisation. Il y a quelques efforts mais ils ne sont pas suffisants ...

 

La motivation par la compétition

Il y a beaucoup de compétition chez les mathématiciens, pas chez tous et ils n'ont pas tous les mêmes motivations ... Je pense à quelqu'un qui disait que sa façon de travailler c'était d'être en colère, d'être fâché (je vous donne un exemple extrême, ils ne sont pas tous comme ça heureusement) mais pour certains ce qui compte, c'est de vouloir détruire quelqu'un, un autre mathématicien, montrer à quel point ce type-là n'y connaît rien. Et ça va lui donner assez de motivations pour démontrer des théorèmes qui systématiquement seront meilleurs que les théorèmes de l'autre. Ce qui fait que l'autre, au bout d'un certain nombre d'années se retrouve à zéro. Or pour moi, c'est la culture qui produit ça, dans les écoles on cherche quelquefois des motivations dans la compétition, dans la notation.

En Amérique, on a beaucoup poussé ça et ça donne des résultats catastrophiques car je crois que certains jeunes vont puiser leurs motivations là-dedans. Ils veulent ainsi démontrer leur supériorité, leur intelligence.

Tiré du livre: "Entretiens avec des mathématiciens"

Je retiens surtout de cet entretien

* "Vocation" et "motivation" se font par des processus non maîtrisables tels que:

- Processus d'"l'identification" ; processus d' associations d'idées et de glissement de signifiés ("ouvert", "fermé"...), processus d'"opposition" (à la religion, à un type d'enseignement, compétition...)

* Il existe un clivage entre deux types de mathématiciens: ceux qui ont une représentation des maths qui se "découvrent" et ceux qui ont une représentation des maths qui "s'inventent". (André Joyal acceptant les deux): maths extérieures ou intérieures à soi. (voir schéma)

* Il est intéressant, me semble t-il de voir également ce que pense un grand mathématicien de l'enseignement des mathématiques trop "rigoureux", trop "déductif" et pas assez "approximatif", "représentatif" , "émotionnel".

La motivation pour une discipline n'est pas affaire de "gadgets".

Elle s'inscrit dans la personnalité du sujet par l'intermédiaire de la représentation qu'il a de cette discipline.

voir le livre: "Comprendre et aider les élèves en échec"

 
 

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