Étude de
la réunion ATL
Les circonstances de
ma rencontre avec l'équipe
ATL.
Cette
équipe est la deuxième que j'ai
rencontrée. Je la découvre sur le
site Internet Innovation pédagogique de son
académie. Elle y présente son projet
d'atelier de lecture par le résumé
suivant :
"
Après deux années de
réflexion et d'actions
ponctuelles pour tenter de
résoudre les insuffisances en
lecture, l'atelier est mis en place
pour tous sur le niveau sixième
: une heure de français est
alignée pour réunir les
élèves en quatre groupes
de niveau, évolutifs, ceci dans
le cadre du projet et de l'autonomie de
l'établissement. Du
déchiffrage à la
compréhension, de l'envie de
lire au plaisir de lire, les
enseignants sont attentifs à
chacun et varient les approches pour
motiver, s'adapter et ne pas lasser.
Tandis que les plus faibles se voient
lire des textes simples sur lesquels
ils s'expriment ensuite, les bons
lecteurs développent leur sens
de l'analyse et découvrent des
textes littéraires. Tous
commencent par la lecture des
consignes, notamment sur le
repérage et les sens des verbes
; des documents de méthode sont
élaborés en classe. "
|
Je contacte
la Principale du collège par
téléphone. Je me présente
à elle en qualité de chercheure
travaillant sur l'évolution du rapport au
savoir des enseignants impliqués dans des
projets en équipe pédagogique de
Lettres. Elle m'accueille favorablement et m'invite
à assister à une réunion
prévue le 15 avril 2005 à 14h30 en
présence de l'accompagnatrice du pôle
Innovation pédagogique de l'académie.
La Principale me propose de venir à 14h pour
rencontrer les enseignants avant la réunion.
Je viens à l'heure indiquée. La
principale me conduit dans la salle des
professeurs, me présente à une
enseignante d'histoire, Viviane, puis retourne
aussitôt dans son bureau. Je ressens cette
présentation comme étant un peu
abrupte, d'autant que l'enseignante, Viviane, part,
également, aussitôt, pour assurer un
cours en me disant d'attendre Corinne, la
coordinatrice de l'enseignement du français.
À son arrivée Corinne m'expose la
situation en ces termes : il est très
difficile, dit-elle, d'obtenir la participation des
professeurs de Lettres pour ce projet. L'un d'eux y
était opposé mais la Principale l'a
obligé à y participer, posant cette
condition pour qu'il puisse prendre en charge des
classes de sixième. Elle reprend les
explications dont j'avais pris connaissance sur le
site Internet d'Innovation Pédagogique, pour
situer son travail, en m'apportant quelques
précisions quant aux groupes de niveaux :
elle insiste sur le fait que les enseignants ne
voulaient pas donner aux élèves le
sentiment d'être regroupés selon leurs
niveaux en lecture. Pour cette raison, les groupes
ont été nommés sur le
thème de l'intrigue policière (par
exemple un groupe est nommé énigme,
l'autre code). Il y a cinq groupes au total.
Après ces explications, Corinne me laisse
seule dans la salle des professeurs car elle doit
assurer son cours. Quelques minutes plus tard
arrive Josiane, une deuxième enseignante en
histoire, plus âgée, qui se
présente à moi comme faisant partie
du groupe d'enseignants impliqués dans les
ateliers de lecture. Elle me dit qu'il n'y aura
probablement que trois enseignants présents
à la réunion car deux enseignants de
Lettres sont en sortie scolaire. Puis, elle me
laisse à son tour pendant quelques minutes.
Je m'étonne intérieurement de cette
modalité de prise de contact.
La
difficulté qu'ont les
enseignants à se regrouper
semble être mise en scène
à travers le déroulement
de ces rencontres.
À
l'arrivée de l'accompagnatrice de
l'académie, les enseignantes décident
de s'installer dans une petite salle attenante
à la salle des professeurs,
déjà occupée par une
enseignante affairée devant un écran
d'ordinateur, à laquelle Josiane s'adresse
pour lui dire de rester dans cette salle. Des
copies et cartables sont étalés sur
la table. Josiane fait de la place en prenant soin
de ne pas mélanger les copies et elle les
dépose près des ordinateurs. Ces
éléments d'observations retiennent
mon attention :
les
enseignantes semblent soucieuses de
ménager les places de chacun, ce qui
fait écho, pour moi, dans
l'après-coup, à ce qui est
exprimé, au sujet des
élèves, dans le
résumé de l'activité de
l'atelier de lecture diffusé sur leur
site Internet " les enseignants sont
attentifs à chacun ".
La
première réunion ATL1
Je me
présente à l'accompagnatrice et je
lui demande si elle accepte que j'observe la
réunion, elle me répond que "
ça n'a aucune importance ", ce que je
ressens, sur le moment, comme une attitude un peu
désinvolte à mon égard.
Josiane informe l'accompagnatrice que deux
collègues sont en sortie scolaire avec leurs
élèves. Elle me précise qu'une
première réunion a eu lieu en
décembre avec une autre accompagnatrice car
celle-ci était en congé de
maternité. Je prends quelques notes au cours
de cette réunion, ce qui me permet d'en
restituer maintenant le contenu.
L'accompagnatrice
commence par exposer les impératifs
institutionnels : il faut produire un écrit
relatant la conduite des ateliers de lecture pour
la fin du mois de mai. Cet écrit sera
diffusé sur le site Internet à
destination des enseignants de l'académie
qui seraient désireux de s'inspirer de
l'expérience.
Les
enseignantes répondent que le délai
est trop court, qu'elles ne seront que trois pour
réaliser ce travail. Le ton est ferme du
côté de l'accompagnatrice qui argue
que les enseignants seront
rémunérés pour cette
rédaction. La coordinatrice demande ensuite
aux enseignantes de faire le point sur leurs
activités. Les enseignantes disent alors
qu'elles ont mis en place une évaluation
portant sur la lecture de consignes, elles jugent
qu'elles n'ont pas été assez
ambitieuses, que cette évaluation
était trop simple. Elles passent en revue
les différents problèmes auxquels
elles ont été confrontées au
cours de la pratique des ateliers de lecture
évoquant ainsi la question de
l'harmonisation de la constitution des groupes,
celle du choix des livres, celle de la concertation
entre les enseignants. Ces problèmes seront
soulevés à nouveau au cours de la
réunion que j'ai
enregistrée.
Au terme de
cette première prise de contact, je retiens
plusieurs éléments qui
influenceront mon approche du corpus :
- il
s'agit de l'accueil un peu rapide que m'a
réservé la Principale,
- des allers et
venues des enseignantes dans la salle des
professeurs à mon arrivée,
- de
l'indifférence de l'accompagnatrice
à ma présence,
- de
l'évocation répétée
du conflit qui sépare les enseignants des
classes de sixième.
Je
m'interroge sur les relations nouées entre
la Principale, l'accompagnatrice et les
enseignantes.
Il
m'apparaît, en effet, que la Principale m'a,
en quelque sorte, imposée à son
équipe tout comme elle a imposé le
travail en atelier au collègue qui s'y
opposait, puis elle s'est retirée de la
scène. Il me semble que l'accompagnatrice
impose des modalités de travail aux
enseignantes sur un ton que je ressens comme
autoritaire en mettant en avant le fait qu'elle
représente la position institutionnelle. Son
absence en début d'année pour
maternité est peut-être un facteur qui
l'incite à s'affirmer ainsi face à
cette équipe.
Pour le moment,
je constate que les deux figures parentales,
au
plan imaginaire,
incarnées par la Principale du
collège et l'accompagnatrice, donnent
à voir deux traits communs, à savoir
une forte exigence à l'égard
des enseignantes et une présence
irrégulière à leur
côtés.
Par ailleurs, les
allers et venues des enseignantes retiennent mon
attention. Je remarque, en effet, que Corinne m'a
fait part, entre deux cours, des conflits qui
agitent les enseignants de Lettres. Il me semble
ainsi que les mouvements de va-et-vient que
j'observe pourraient être l'expression
d'une forte tension qui s'exerce au sein de
cette équipe d'enseignants de Lettres.
L'étude de la seconde réunion aura
pour objectif de préciser quelle
configuration du lien a pris forme entre les
différents membres de cette équipe
à l'occasion du travail conduit lors des
ateliers de lecture.
La seconde
réunion ATL2
Les
circonstances de l'enregistrement
Le corpus ATL
est constitué d'un enregistrement qui dure
cent trente huit minutes et d'une retranscription
qui compte cinquante deux pages.
La seconde
réunion s'est tenue une semaine après
ma première rencontre avec les enseignantes.
Le rendez-vous a été fixé un
mercredi après-midi à 13h30. Seules
les trois enseignantes rencontrées
précédemment participent à
cette réunion. Il s'agit de Corinne,
enseignante en Lettres classiques et coordinatrice
dans l'équipe de Lettres pour l'enseignement
du français ; Viviane et Josiane,
enseignantes en histoire et géographie.
Josiane est une femme plus âgée
que ses deux collègues. Elle
m'apparaît assez effacée. Elle
interviendra assez peu au cours des
échanges. Je remarque qu'elle cherche
souvent mon regard au cours de la réunion,
ce que je perçois comme une demande
d'approbation à ce qui se dit. Aussi
j'évite de répondre à ces
sollicitations en focalisant mon attention sur mes
notes.
La
perception du temps
Viviane
est une jeune femme qui est sur le point de partir
en congé de maternité dans les jours
qui suivront cette rencontre . Elle s'exprime
à plusieurs reprises sur son état. Je
m'étonne d'une de ses remarques concernant
son rapport au temps. Elle dit qu'elle le
perçoit différemment depuis sa
grossesse, comme l'indiquent les échanges
autour de la minute 47 : Viviane
:
l'année passe vite [
] encore
plus quand on est
enceinte.
Au moment de
l'analyse du corpus, j'établirai un
rapprochement entre ce qu'elle dit et ce qu'elle
manifeste, avec ses collègues, au cours de
la réunion. En effet, les enseignantes sont
disponibles tout l'après-midi, elles
travaillent tranquillement en prenant tout leur
temps, si bien que le travail ne sera achevé
qu'après deux heures et demi de
réunion. Viviane semble être
celle qui est la moins pressée. Elle se
lèvera deux fois au cours de la
réunion : à la minute 97 pour lire le
panneau d'affichage et à la minute 103, pour
se faire un thé. Elle semble vouloir retenir
ce temps qui passe vite pour elle.
De
mon côté, je suis dans un
état d'esprit opposé. Je
surveille l'heure et je m'impatiente
intérieurement du prolongement de la
tâche. Ces observations me
rendront attentive à ce qui est
manifesté par les enseignantes quant
à leur rapport au temps lorsqu'elles
évoquent les ateliers de
lecture.
Ainsi, à
la minute 81, je m'intéresse à une
remarque de Viviane qui dit : "
voilà
l'atelier de lecture c'est pas une course contre la
montre ",
remarque qui fera écho, pour moi, au fait
que cette même enseignante porte une
attention particulière aux
élèves lents, notamment
à Corentin, élève qu'elle
décrit comme étant
handicapé par sa lenteur, et au sujet
duquel l'enseignante dit "
là
en atelier il
existe "
(minute 52).
L'importance
du lieu
Les
enseignantes ont choisi de s'installer
dans la salle des
professeurs. Ce fait me
contrarie car j'avais
précisé que je souhaitais
que l'enregistrement se déroule
dans un endroit calme. Au cours de la
première demi-heure, de nombreuses
personnes circulent dans la salle des
professeurs. Au cours de la
dernière demi-heure, une
employée du service d'entretien
vient passer l'aspirateur. Ces
différents mouvements perturberont
la qualité de l'enregistrement. Je
ressens l'attitude des enseignantes
à mon égard comme assez
désinvolte .
J'ai
le sentiment que les enseignantes me
signifient ainsi qu'elles ne sont pas
tout à fait favorables à
ma présence mais qu'elles la
subissent puisqu'elle leur a
été imposée par
leur Principale.
Au
cours de la réunion, je
relève plusieurs remarques, de leur
part, au sujet de cette Principale,
remarques qui me laissent penser que les
enseignantes sont redevables à leur
Principale. Cette dernière les a
soutenues au cours de leur
expérimentation et avait
défendu leur projet auprès
de l'inspection .
|
En
témoignent les premiers
mots échangés par
les enseignantes à propos
du magnétophone
:
L
?: on l'installe
où
Josiane
: par terre (rires)
Et
leurs rires sur les derniers mots
de Corinne, minute 137
:
Corinne
: bon ben voilà - vous
avez trouvé
pertinent
Viviane
: on va dire
Corinne
: eh ben je vous souhaite bon
courage (rires)
|
|
Le résumé du
contenu manifeste de la
réunion.
Au cours des
premières minutes de la réunion,
les enseignantes s'interrogent sur le plan qu'elles
doivent suivre pour rédiger le compte rendu
de leur activité, elles vont chercher des
informations sur le site Internet de la cellule
d'Innovations pédagogiques. Elles ne
commencent la rédaction de ce compte rendu
qu'à partir de la minute 8, en reconstituant
l'historique des ateliers de lecture. Cette
tâche les occupe jusqu'à la minute 26,
moment où elles abordent la rédaction
des objectifs de leur projet.
À la
minute 29, elles s'aperçoivent que
l'accompagnatrice leur a fourni un guide pour
écrire. Elles décident alors de
s'y référer. La trame de travail
proposée par l'accompagnatrice comprend huit
parties : la présentation de
l'établissement, l'historique du projet, ses
objectifs, la description du dispositif, sa mise en
uvre, les problèmes rencontrés,
les perspectives et la conclusion. Au cours des
minutes 29 à 34, les enseignantes
répondent au premier point de ce plan en
présentant leur établissement et
l'équipe impliquée dans le projet.
L'écriture des objectifs des ateliers de
lecture se déroule de la minute 34 à
43. La formulation finale est la suivante :
"Il
s'agit d'essayer de faire progresser tous les
élèves dans la compréhension
de l'écrit et d'amener le plus grand nombre
à "l'envie de lire".
"
La conduite de
cette tâche est suspendue à plusieurs
occasions : lorsque Josiane relate un exercice
d'écriture, puis lorsque les enseignantes
discutent de la position d'un collègue,
Rodolphe, qui s'était opposé à
un travail spécifique sur la lecture des
consignes, ou encore lorsque Viviane expose la
situation d'un élève en
difficulté dont elle a la charge.
Des minutes
43 à 58, les enseignantes
décrivent le dispositif qu'elles ont mis en
place. J'observe une nouvelle suspension de la
tâche, qui dure sept minutes, au cours de
laquelle les enseignantes évoquent la
situation de plusieurs élèves en
difficulté. Elles s'attardent plus
longuement sur le cas d'un élève, que
je nomme Corentin, qu'elles décrivent comme
" un grand bébé " handicapé
par sa lenteur mais volontaire.
À la
minute 59, les enseignantes annoncent qu'elles
vont développer le quatrième point de
leur plan consacré au déroulement des
activités en ateliers de lecture, mais au
bout d'une minute, elles s'attardent à
nouveau sur des portraits d'élèves
qu'elles développent pendant cinq minutes.
Elles citent des noms d'élèves "
qui
fonctionnent bien
" puis elles nomment un certain nombre
d'élèves en difficulté. Elles
suspendent à nouveau leur tâche, pour
parler du problème du choix des livres de
lecture pendant quatre minutes, puis elles
reprennent la rédaction du paragraphe
consacré au déroulement des ateliers
à la minute 70.
Viviane a
écrit, avant la réunion, un texte
pour présenter le déroulement de
l'atelier qu'elle a animé. Elle lit ce texte
à ses collègues qui en ont une copie
et elle le commente en insistant sur le fait
qu'elle centre son travail sur des activités
de vocabulaire destinées aux
élèves en difficulté. Son
intervention dure cinq minutes. Corinne
décrit, à son tour, sur un ton
passionné, comment elle utilise la lecture
à voix haute avec ses élèves
pour améliorer leur compréhension du
vocabulaire. Son exposé donne lieu à
des échanges d'expériences entre les
enseignantes durant huit minutes.
À la
minute 85, les enseignantes abordent la
rédaction du cinquième paragraphe de
leur compte rendu qui porte sur les
problèmes qu'elles ont rencontrés au
cours de la mise en uvre des ateliers. Elles
évoquent tout d'abord l'opposition de
certains collègues à leur projet,
dans un second temps elles s'interrogent sur
l'organisation des emplois du temps pour la
prochaine année scolaire, elles
réitèrent leurs critiques à
l'égard de Rodolphe, puis à
l'égard d'une enseignante que je nomme
Jeanne. Elles dressent un bilan négatif de
leur action (minutes 85 à 98), elles
écrivent que "
le contrôle sur les consignes qui venait
clore la première partie de l'année
était trop
facile " ou
que "l'harmonisation
n'a pas pu être réalisée, les
groupes n'ont pas été
cohérents ".
Au terme de
ce constat (minute 98), Viviane se lève
et va regarder le tableau d'affichage en demandant
à Corinne " tu
passes sur les heures de français pour le
latin ".
Cette question donne lieu à des
échanges durant deux minutes, au cours
desquels Viviane explique à Corinne qu'elle
souhaiterait que ses élèves aient
arrêté leur choix sur l'option latin
avant qu'elle ne parte en congé de
maternité. Les enseignantes reprennent la
rédaction du compte rendu à la minute
100 pour faire le bilan du travail sur les
consignes. Viviane évoque à nouveau
l'opposition de son collègue Rodolphe pour
reconnaître qu'il avait raison. Josiane
conteste ce point de vue mais ses collègues
coupent court à la discussion et Viviane se
lève à nouveau pour aller se
préparer un thé (minute 103). Elles
poursuivent la rédaction du document en
abordant les problèmes posés par
l'achat des livres. Viviane illustre son propos en
relatant le cas d'un élève qui a
tardé à se procurer le livre.
À la
minute108, Josiane intervient pour orienter le
compte-rendu de manière plus positive "
faut
passer à un bilan un peu positif quand
même aussi ".
Elles parlent alors d'évaluer si les
élèves ont manifesté une plus
grande envie de lire. Elles dressent le portrait de
quelques élèves qui sont en
très grande difficulté
socio-économique mais qui réussissent
à se procurer leur livre de lecture avec le
soutien des enseignantes. À partir de la
minute 114, elles développent l'idée
selon laquelle les élèves se sentent
en confiance en ateliers et découvrent le
plaisir de la lecture. Elles illustrent leurs
propos en nommant un grand nombre
d'élèves et en racontant des
anecdotes de séances jusqu'à la
minute 127.
Au cours des
dix dernières minutes de la
réunion, les enseignantes rédigent le
paragraphe consacré aux perspectives
envisagées pour la reconduite des ateliers
au cours de la prochaine année scolaire :
elles reviennent sur les questions des horaires, du
choix des livres et sur celles de la participation
des collègues.
Analyse du
corpus
La situation de
communication
La
réunion a lieu dans la salle des
professeurs, un mercredi
après-midi. Il n'y a pas
d'élèves dans
l'établissement, quelques
enseignants circulent dans la salle en
début de réunion.
Après la première demi-heure
de réunion, il ne reste, du
personnel de l'établissement, que
le trio formé par Viviane, Josiane,
Corinne et le personnel d'entretien. Du
fait de la situation d'écriture du
compte rendu, la communication
s'établit à un double
niveau.
Le
premier niveau est celui des
échanges concernant la conduite
de la tâche entre les enseignantes
présentes. L'emplacement des
enseignantes l'influence dans la mesure
où c'est Corinne qui écrit
le texte alors qu'elle se trouve
éloignée de Viviane. Viviane
n'a pas la possibilité de lire ce
que Corinne écrit, alors que
Josiane bénéficie de cette
possibilité. C'est peut-être
pour cette raison que Josiane intervient
moins souvent que Viviane dans les
échanges. Le placement : Viviane ne
voit pas ce que Corinne écrit mais
Josiane le voit.
|
La
table est placée au centre de la
salle des professeurs.
Corinne Josiane
Magnétophone
Chercheuse Viviane
|
|
Le second
niveau est celui de l'écrit que
rédige Corinne. Il s'adresse à un
certain nombre de destinataires. Au cours de sa
réalisation, les enseignantes ont à
l'esprit qu'elles l'accomplissent pour des
collègues susceptibles de
s'intéresser à leur
expérimentation. Elles sont en lien avec
ceux-ci au plan imaginaire, comme l'exprime Viviane
à la minute 27 ou Corinne à la minute
56 :
Minute
27
Viviane :
d'accord
parce que j'crois qu'ça c'est important de
le dire - de le dire aux collègues qui
liront ça
Corinne :
oui
Viviane
: leur dire
que ça n'a pu exister tout ça que
parce que euh-derrière on était
soutenu
Minute
56
Corinne :
si
il y a des gens qui veulent reprendre autant qu'ils
prennent des sources et justement ça le
niveau était trop faible donc il faudrait
voir si y a pas
Ces
différents destinataires
infléchissent, au plan imaginaire, la
situation de communication tout comme
l'absence de certains collègues de
Lettres ayant participé aux ateliers.
Je remarque que
Rodolphe, l'enseignant qui a été
contraint par la Principale de participer aux
ateliers, est très présent dans le
discours des enseignantes. Au détour des
faits relatés au cours de la réunion,
j'apprends que c'est ce même enseignant qui a
mis en cause la pertinence du travail
proposé par l'équipe dans le cadre
des ateliers sur le thème " des consignes ".
Les conflits qui l'ont opposé à ses
collègues sont évoqués
à trois reprises au cours de la
réunion . Par ailleurs, les participantes
à la réunion précisent que le
compte rendu est réalisé par
"
les trois professeurs en charge des groupes les
plus faibles
" ce qui laisse entendre que les professeurs
absents avaient en charge les meilleurs
élèves. Ces éléments
d'observations me laissent entrevoir que
l'acte
d'écriture est le moment où les
enseignantes donnent à voir leur
rapport aux collègues, aux
élèves et à
l'institution.
C'est pourquoi,
je m'intéresse, dans le premier temps de mon
étude, à cette situation
d'écriture.
La situation
d'écriture
Au moment de sa
rencontre avec les enseignantes, l'accompagnatrice
du projet les avait informées qu'elles
disposaient d'un court délai pour
rédiger le compte rendu de leurs
activités. L'objectif de cette
réunion est donc de rédiger ce
document. Pour organiser leur propos, les
enseignantes se réfèrent
précisément à la demande
institutionnelle en suivant une trame
rédactionnelle qui a été
conçue par l'accompagnatrice. Cette trame
détermine partiellement le
déroulement de la tâche ; les
enseignantes accomplissent ce travail en se
soumettant à l'autorité de
l'institution. Cependant, je m'étonne
à plusieurs reprises, au cours de
l'écoute de l'enregistrement, de la
manière dont les enseignantes
évoquent cette injonction
institutionnelle. Ainsi à la minute 18,
par exemple, les enseignantes s'en remettent
à l'accompagnatrice (désignée
par le pronom elle) et aux acteurs de la cellule
d'innovation pédagogique
(désignés par le pronom ils) pour
recadrer leur écrit :
Viviane:
d'toutes
façons elle a bien dit qu'elle
retravaillerait ça avant de le mettre sur
ordinateur
Josiane
:
avant d' le remettre
Viviane :
si
c'est très long ils recadreront là
où il faut recadrer
Les
enseignantes manifestent une certaine ambivalence
par rapport à cette demande
institutionnelle puisque, comme le montre
l'extrait de retranscription suivant, elles
semblent à la fois s'y plier (Viviane : oui-
alors après petit trois) et à la fois
la considérer avec une certaine
désinvolture (Corinne:
non
mais on s'en fout
euh) .
Minute 100
:
Viviane:
oui
c'est ça - bon allez excuse- moi je
t'ai perturbée dans
ton
Corinne:
non
mais on s'en fout euh
(rires)
...
perturbe-moi
- c'est pas grave
Viviane:
alors
Corinne:
donc là c'est constitution des
groupes - c'est bon
Viviane:
oui
- alors après petit
trois
Corinne:
le
problème des
consignes
Viviane:
ouais
euh
|
Josiane:
le
travail sur les consignes
Viviane:
ben
oui mais tu - c'est pas toi qui veux faire
un truc sur ça
Corinne:
non
moi je vais juste expliquer comment on a
travaillé
Viviane:
ah
non c'est Toutenkamon que tu
fais
Corinne:
ouais
Viviane:
d'accord
Corinne:
non
-je vais juste expliquer vite fait comment
on a travaillé sur les
consignes
Viviane:
d'accord
|
L'expression
"je vais juste expliquer vite fait comment on a
travaillé sur les consignes " me semble
contenir plusieurs traits caractéristiques
de la démarche des enseignantes : les
expressions " je
vais juste
" et " vite
fait "
laissent entendre que les enseignantes
s'investissent a minima dans ce compte rendu. Pour
elles, il s'agit d'expliquer ce qu'elles font de
façon formelle. Je ne perçois pas
de marque d'expression de leur désir
à travers leur propos. Je relève,
dans ces échanges, le mot " truc " dont je
trouve de nombreuses occurrences sur l'ensemble de
la réunion. Ce mot y désigne toujours
le travail demandé par l'institution et
marque que les enseignantes le considèrent
comme un objet étrange et
distant.
Par ailleurs,
je remarque que Viviane relance souvent le travail
d'écriture en utilisant l'interjection Zou .
Ce mot, qui s'apparente au langage enfantin,
contribue à entretenir une distance ludique
avec ce travail de rédaction. Ce rapport
distancié, que les enseignantes
entretiennent avec l'acte d'écriture, me
surprend. Il me conduit à
considérer attentivement ce qu'elles
laissent voir de leur rapport à
l'écriture. Ce qu'elles disent au sujet
de l'écriture des élèves me
paraît en cela révélateur de
leur rapport à l'écrit. Je
relève que leur propos revêt une
connotation de disqualification à
l'égard des élèves. Ainsi, en
est-il à la minute 35 :
Corinne:
il
s'agit d'essayer de faire progresser tous
les élèves
Josiane:
dans
la compréhension
Corinne:
dans
la compréhension - des textes parce
que écrits c'était pas la
peine je crois que le texte c'est un
écrit à la
base
Josiane:
dans
la compréhension de
l'écrit
Viviane:
ouais
- boh des textes
Josiane:
parce
que même c'qu'ils écrivent y
a des fois ils sont
|
Viviane:
(rire)
Corinne:
oui
mais bon on ne travaille pas trop sur ce
qu'ils écrivent parce que
déjà qu'ils comprennent pas
les textes bien écrits alors les
leurs
Josiane:
et
j'vais te montrer ce qu'ils m'ont
écrit hier
Corinne:
non
j'préfère pas
Josiane:
(rire)
Viviane:
moi
j'ai renoncé à les faire
écrire
|
Corinne pose
une équivalence entre texte et écrit
qui laisse entendre que, pour elle, tout
écrit devrait être à la hauteur
d'un texte bien écrit. Les commentaires
de ses deux collègues montrent qu'elles
partagent la même exigence de qualité
à l'égard des productions des
élèves, idéal
inatteignable si bien que Viviane renonce
à faire écrire ses
élèves.
Ainsi,
par l'attitude distanciée que les
enseignantes entretiennent avec
l'écriture du compte rendu, il me
semble qu'elles pourraient rejouer quelque
chose de la position d'élève
qu'elles ont tenue dans leur passé,
position où l'acte d'écriture
aurait pu réaliser la part
contraignante et intransigeante de
l'activité scolaire alors que le jeu
aurait pu réaliser une
échappatoire à cette
contrainte.
Je fais le lien
entre cette observation et le fait que les
enseignantes mettent en avant la dimension ludique
des ateliers de lecture au cours de leurs
échanges, comme l'indiquent les propos tenus
dans l'extrait suivant :
minutes 78 à
79
Viviane:
euh
je crois que - je crois que euh - ce qu'il
faut mettre en avant aussi c'est que
l'atelier lecture - sur nos groupes
à nous hein - pas pour les plus
forts à mon avis mais sur nos
groupes à nous ne fonctionne aussi
que parce qu'on parl' qu'on passe par le
ludique
Corinne:
ouais
ah oui faut passer par le
ludique
Josiane:
ah
oui faut qu'il y ait - faut pas qu'ils
aient l'impression de travailler
|
Viviane:
ouais
Corinne:
ouais jamais
Josiane:
ça
c'est sûr
Corinne:
j'l'ai
bien vu hein
Josiane:
non
faut pas
|
Ce
rapprochement m'oriente vers
l'hypothèse d'une résonance
entre la fantasmatique qui sous-tend le
déroulement de la tâche au
moment de la réunion et celle qui
sous-tend l'animation des ateliers de
lecture.
L'alternance
qui s'installe au cours de la réunion entre
les moments où les enseignantes
décrivent ces ateliers dans le compte rendu
et ceux où elles relatent ce qu'elles y
vivent, à l'occasion de digressions, me
conduit à m'interroger plus
précisément sur l'aspect dynamique du
déroulement de cette
réunion.
La dynamique de la
réunion
[...]
Je remarque une nette différence d'attitude
chez les enseignantes lorsqu'elles sont
occupées à rédiger le
compte-rendu comparativement à celle
qu'elles adoptent lorsqu'elles s'intéressent
à un autre sujet. Ainsi, au cours de la
rédaction du compte rendu, elles sont
tantôt appliquées, tantôt
désinvoltes. En revanche, lorsqu'elles se
détournent de cette tâche, leur forme
d'expression change, particulièrement
lorsqu'elles dressent le portrait de leurs
élèves. Les enseignantes relatent
alors des anecdotes vécues en classe en
riant fréquemment, leur ton est
enjoué, parfois théâtral.
Elles semblent prendre plaisir à
mettre en scène ce qu'elles vivent
auprès des élèves. Elles
relatent des moments de satisfaction ou de
colère , comme si elles
privilégiaient la dimension
émotionnelle de leurs échanges avec
leurs élèves.
Ces mouvements
thymiques qui font passer les enseignantes aussi
bien de l'application à la
désinvolture, lorsqu'il s'agit de
rédiger leur écrit, que de
l'euphorie à la colère, lorsqu'il
s'agit de revivre les activités en atelier,
retiennent mon attention. Le mouvement
d'alternance, entre des moments d'écriture
du compte rendu avec des moments d'échanges
sur d'autres sujets, qui est associé
à ces mouvements thymiques m'oriente vers
l'idée que:
la
dynamique psychique groupale est marquée par
une forme de bipolarité.
Ces
différents constats me conduisent à
proposer une analyse du discours groupal en
m'intéressant à la mise en tension de
ces deux formes d'activités que sont la
rédaction du compte rendu et les
digressions. Etant donné le grand nombre de
séquences, je choisis de focaliser mon
attention sur les échanges qui traitent des
ateliers de lecture.
Qu'écrivent les
enseignantes au sujet des ateliers ?
L'élaboration
du compte rendu donne lieu à diverses
activités. Parfois, il s'agit de se
remémorer les situations de mise en
uvre des ateliers, parfois il s'agit de se
centrer sur la formulation du propos dans le
document, parfois il s'agit de mesurer l'impact des
ateliers sur l'activité future des
enseignantes. Le déroulement de ces
différentes phases est, en partie,
conditionné par la demande de
l'accompagnatrice. Cette dernière a
défini les points qui sont
développés par les enseignantes. Le
premier point concerne l'histoire des ateliers de
lecture. Je retiens que les enseignantes insistent
sur les diverses circonstances qui les ont
conduites à la mise en place des ateliers.
Cette initiative a débuté à
la suite d'un constat d'échec quant aux
performances globales de l'établissement et
à la suite d'une critique d'un
représentant hiérarchique d'une
institution :
minute 13
Corinne:
et
en même temps tu vois c'est la CCSD qui
m'avait fait penser à demander quelque chose
parce que j'avais été
interpellée par la directrice de la CCSD qui
me disait mais attendez vous avez des
élèves qui ont 14% de réussite
euh vous faites rien
Je
relève, dans ce propos,
l'ambiguïté du pronom vous qui peut
désigner la communauté
pédagogique de l'établissement mais
que Corinne semble reprendre à son compte
comme une interpellation personnelle. Par ailleurs,
Corinne relate que la mise en place des ateliers a
connu plusieurs phases dont la première fut
un échec, malgré un premier
accompagnement sous forme de stage que les
enseignantes avaient considéré, dans
un premier temps, comme inefficace :
minute 23 :
Corinne:
là
je fais un petit paragraphe et j'vais mettre ainsi
- pour que ce soit plus clair - j'vais mettre ainsi
en - 200 euh 3/2004 - ainsi en 2003/2004 - le peu
d'élèves concernés et
l'horaire ont nui à cet atelier les
élèves le considérant comme
une punition - de plus c'était vraiment
difficile de construire une dynamique avec des
élèves - si divers
Josiane:
issus
de toute euh -
Corinne:
tu
vois elle veut dire qu'il y ait pas de
euh
Viviane:
ouais
ouais ben y a pas d'esprit de groupe
quoi
Corinne:
oui
- - sans cohésion
Viviane:
hum
_ _ _ _
Ainsi,
il m'apparaît que l'expérience des
ateliers débute par une série
d'échecs : échec des
élèves, échec des enseignantes
et de l'accompagnement. Je remarque que, dans leur
discours, les enseignantes attribuent ces
échecs, en partie à un " manque de
cohésion groupale ". Cependant, un second
stage d'accompagnement a eu lieu et a permis au
groupe d'enseignants de repenser l'atelier de
lecture :
Corinne:
si
moi je je sais que je trouvais ça
très difficile de réfléchir
sur ce - comment ça marchait pourquoi -
qu'est ce qu'on voulait vraiment- en fait elle nous
a vraiment posé- obligé à nous
demander ce qu'on attendait réellement
de
Viviane:
l'atelier
Corinne:
de
l'atelier - je crois que c'est vraiment là
qu'on a été obligé de mettre
des mots
Viviane:
mais
de toutes façons c'est toujours la
même chose dans les stages hein - c'est qu'au
moment où on te met euh où on te
demande de repenser ta pratique que
euh
Je
relève, dans le propos de Corinne, le mot
réellement qui s'oppose au mot
rêve que cette même enseignante
utilise pour expliciter l'objectif des ateliers
:
minute 28 :
Corinne:
tu
vois c'est un réflexe - - deux - objectifs-
il s'agissait dans notre rêve (rire)-
Josiane:
(rire)
Corinne :
profond
Viviane:
ouais
- -d'amener tous les enfants à comprendre ce
qu'ils lisent
Corinne :
et
adorer lire (rire)
Josiane:
dans
un deuxième temps à adorer
lire
(rire)
Le
rêve est décrit comme une
construction groupale impliquant aussi bien les
enseignantes que la principale dont l'attitude de
soutien est soulignée par les enseignantes
:
minute 26
Viviane:
tu sais moi je crois qu'il faut
insister
Corinne:
d'impliquer
tous les élèves
Viviane:
ouais
d'une part mais euh j'crois qu'il faut aussi
insister sur le rôle de Mme S. parce que
c'est pas tellement en fait sur le - les stages
d'établissement qu'il faut insister- c'est
sur le fait que on a été soutenus du
début jusqu'à la fin
Josiane:
du
début oui
Viviane:
on
a senti qu'il y avait quand même de la part
de l'administration une volonté
réelle - de créer quelque chose -
voilà - de créer une dynamique et de
créer...
Josiane:
de
s'occuper de ces élèves-là et
de créer quelque chose
Viviane:
voilà
- un - un projet pédagogique autour de tout
ça parce que
L'existence
des ateliers de lecture se fonde ainsi sur
un rêve, une volonté de
création, illusions
partagées par les enseignantes,
leur principale et l'institution.
La principale
est décrite à plusieurs reprises, au
cours de la réunion, comme une personne dont
le soutien est indéfectible
(on
a été soutenus du début
jusqu'à la
fin).
Ainsi, en
retraçant l'historique des ateliers de
lecture, les enseignantes mettent à jour que
ceux-ci sont le fruit d'un processus qui se
déroule en plusieurs étapes.
*La
première est marquée par un
constat de l'échec des élèves.
Cette prise de conscience donne lieu à une
première initiative des enseignants et
à un premier accompagnement. Ces
expériences échouent. Au cours de la
réunion, les enseignantes relatent
qu'elles étaient en proie à
l'illusion groupale
d'"
amener tous les enfants à comprendre ce
qu'ils lisent et adorer
lire ".
*Après
cette première désillusion, les
enseignantes ont bénéficié
d'un second accompagnement leur ayant permis une
meilleure prise en compte du réel. Ce
processus a abouti, selon les enseignantes,
à une évolution positive des
ateliers. Elles s'accordent sur l'idée
que les élèves se sentent en
confiance au sein de leur groupe et
s'intéressent aux histoires qu'elles leur
racontent :
minute 120
Corinne:
alors
autres points positifs - et donc ils sont contents
d'être là - c'est déjà
bien - ben eh - ils aiment bien écouter des
histoires
Josiane:
oui
ça - et ça leur fait du
bien
Par ailleurs, elles
insistent sur la dimension ludique des
activités menées au sein des ateliers
de lecture.
minutes 78 à
79
Viviane:
je
crois que - je crois que euh - ce qu'il faut mettre
en avant aussi c'est que l'atelier lecture - sur
nos groupes à nous hein - pas pour les plus
forts à mon avis mais sur nos groupes
à nous ne fonctionne aussi que parce qu'on
parl' qu'on passe par le ludique
Corinne:
ouais
ah oui faut passer par le ludique
Josiane:
ah
oui faut qu'il y ait - faut pas qu'ils aient
l'impression de travailler
Viviane:
ouais
Corinne:
ouais
jamais
Josiane:
ça
c'est sûr
Corinne:
j'l'ai bien vu hein
Josiane:
non
faut pas
Enfin, ces
différentes activités ludiques sont
décrites avec précision. Ainsi, des
minutes 72 à
73,
Viviane
décrit deux exercices. Elle nomme le premier
exercice baccalauréat oral :
"
un exercice apprécié - depuis deux
séances je garde quelques minutes en fin
d'heure pour faire un baccalauréat oral - je
choisis un thème les animaux les
végétaux les meubles etc. et les
élèves doivent à tour de
rôle donner un mot correspondant au
thème et commençant par la lettre que
je leur annonce - celui qui échoue doit se
lever et ne pourra se rasseoir que si un autre
élève échoue et que
lui-même peut proposer un mot - dès
qu'un mot est inconnu d'eux ils doivent le noter -
évaluation - donc le noter dans leur cahier
hein - donc ça fait
"
Le
second exercice est réalisé à
partir d'un dessin animé :
"
j'ai
cherché à relancer l'atelier avec un
exercice plus ludique face aux difficultés
de mes élèves j'ai
décidé de passer par l'image pour les
faire travailler à la fois sur la
précision de la lecture et la
mémorisation - déroulement - petit un
j'ai commencé par expliquer aux enfants
l'intégralité de l'exercice en
faisant comme toujours ré expliquer à
l'un des plus faibles les consignes petit deux - je
leur ai passé environ sept minutes du dessin
animé - petit trois je leur ai
distribué un texte reprenant ce qu'il venait
de voir mais je l'avais écrit en y glissant
une vingtaine d'erreurs allant du détail
couleur d'un chapeau par exemple à la
transformation complète de l'histoire -
quatrièmement ils devaient noter sur leurs
cahiers les lignes dans lesquelles se trouvaient
les erreurs et les corriger - bilan - le passage
par l'image du dessin animé permettait
d'éliminer la difficulté majeure de
certains qui est de donner un sens à la
succession des phrases dans un texte - en effet le
visionnage préalable du dessin animé
assurait une compréhension de l'ensemble des
élèves et m'autorisait un travail
plus subtil de vocabulaire - cet exercice a
très bien fonctionné les
élèves ont été
extrêmement motivés ils n'ont pas - en
effet eu le sentiment de travailler dans l'ensemble
les erreurs ont été
repérées et très bien
corrigées même des détails tels
que l'utilisation d'un adverbe plutôt qu'un
autre -"
En comparant
ces deux exercices, il m'apparaît qu'il
s'agit, dans les deux situations, d'exploiter, en
groupe, un échec ou une erreur "
celui
qui échoue doit se lever et ne pourra se
rasseoir que si un autre élève
échoue et que lui-même peut proposer
un mot ".
Cette approche fait écho, pour moi, au fait
que les ateliers eux-mêmes sont le fruit
d'une succession d'échecs qui ont
été vécus par la
communauté éducative. Ainsi à
travers la description qui en est faite au cours de
la rédaction du compte rendu, les ateliers
de lecture m'apparaissent être un lieu de
transformation d'expériences
négatives en expériences positives
" les
erreurs ont été
repérées et très bien
corrigées
".
Les
observations réunies
précédemment me suggèrent que
cette transformation s'opère dans le
cadre groupal par un va-et-vient entre un espace de
rêve et une confrontation au réel.
Par ailleurs, j'avais noté que la dynamique
psychique groupale semblait être
marquée par une bipolarité qui me
paraissait faire écho aux mouvements
émotionnels à l'uvre au cours
de la conduite des ateliers. [...] Les
mouvements émotionnels, liés à
l'évocation des ateliers de lecture, que
j'ai remarqués précédemment,
et la transformation positive des
expériences des élèves et des
enseignants au cours de ces ateliers, me portent
vers l'hypothèse selon laquelle les ateliers
de lecture pourraient être, pour le groupe
constitué par les enseignants et les
élèves, le lieu où s'exerce
une fonction alpha (Voir
Bion) de
transformation. Il reste à mettre à
jour ce qui permet d'opérer ces
transformations dans le cadre des ateliers. Pour ce
faire, je me laisse porter par le mouvement de va
et vient opéré par les enseignants
entre les deux espaces d'évocation des
ateliers, celui du compte rendu et celui des
digressions. C'est dans cette oscillation que je
construirai moi-même un espace pour penser.
Je m'intéresse maintenant à ce qui
est dit des ateliers à l'occasion des
nombreuses digressions.
L'évocation des
ateliers en dehors de l'écriture du compte
rendu
Je remarque que
les enseignantes évoquent ce travail
à de fréquentes occasions. Ainsi, il
s'agit d'envisager la conduite des ateliers dans le
futur..., de rendre compte d'expériences
pédagogiques passées ...de critiquer
l'attitude de certains collègues à
l'égard de ces ateliers ...d'évoquer
le comportement des élèves au cours
des séances.... Les portraits
d'élèves occupent 24 minutes du temps
total de la réunion. La dimension positive
du travail qui a été conduit par le
biais des ateliers apparaît dès le
premier quart d'heure de la réunion lorsque
les enseignantes évaluent l'impact des
ateliers sur les élèves de Segpa.
À cette occasion, les élèves
sont nommés par des expressions
familières ou par leurs prénoms, ce
qui me laisse penser que les enseignantes
entretiennent une certaine proximité avec
eux. Cette manière de désigner les
élèves contraste avec la
manière de désigner leurs
activités. Je m'étonne, en effet du
fait que l'activité des élèves
est décrite avec les mots marche fonctionne
ou dysfonctionne ce qui semble la réduire
à une mécanique.
La
désignation des élèves
semblent donc osciller entre deux pôles
: tantôt les élèves sont
considérés sur le registre
affectif comme des êtres proches dont
les enseignantes se soucient, tantôt
ils semblent relégués au rang
d'objets qui exécutent des actes
dictés par les enseignantes.
Ces deux
aspects s'expriment simultanément, comme le
montre l'intervention de Viviane autour de la
minute 61 (j'ai des filles qui fonctionnent bien -
elles sont super mignonnes d'ailleurs). Dans
l'extrait suivant, Josiane et Corinne reprennent le
verbe marche ce qui me laisse penser qu'elles
partagent la même vision des
élèves que Viviane:
Viviane
:
j'ai des filles qui fonctionnent bien - elles sont
super mignonnes d'ailleurs ----
Corinne :
est-ce
que dans le déroulement euh des consignes je
mets le problème des réunions ou on
le met juste dans le bilan euh
évaluation
Viviane
:
j'pense qu'il faut le mettre dans ça
là - dans les contraintes machin truc muche
là - bilan là
Corinne :
bilan
critique et évaluation
Viviane
:
alors il s'agit de Célia B. Cécilia
pardon
Josiane :
Cécilia
B. ça ne m'étonne pas que ça
marche bien
Corinne
:
elle marche très- elle marche
bien
Viviane
: elle
est mimi comme tout et Esther
Les
enseignantes semblent privilégier la
relation avec les élèves en
difficulté. Je remarque qu'elles
s'intéressent plus particulièrement
à ceux qui sont lents. Ainsi, entre
les minutes 47 et 50, elles citent Lucie, Nelly,
Sandra, et Corentin, quatre élèves
qui ont en commun un problème de lenteur
excessive . A contrario, je relève que les
enseignantes présentent deux cas
d'élèves dont la rapidité
semble leur poser problème : il s'agit du
cas d'un élève (dont Viviane ne sait
plus le nom) qui est en avance sur les autres. Je
m'étonne de la façon dont Viviane en
parle. Ses propos me semblent le disqualifier
:
Minute 39
Viviane :
j'en
ai un autre - terrible - Fabien je sais plus
comment - - je sais plus faudrait que je retrouve
le nom - euh - je - je lui dis voilà bon tu
lis la consigne en plus il était en avance
sur les autres et il me regarde et fait euh
j'comprends pas - ben voilà - relis à
haute voix la consigne -
Dans
cette intervention, Viviane établit un lien
entre le rapport au temps que manifeste
l'élève et l'aptitude de celui-ci
à la lecture. J'ai relevé,
précédemment , que l'atelier est
décrit, par les enseignantes, comme un lieu
où elles peuvent "
avoir
du temps ".
En cela, les ateliers s'opposent par leur
fonctionnement à celui de la classe
comme l'expliquent les enseignantes à
l'occasion du dialogue suivant, à
la
minute 52 :
Corinne:
mais
en classe c'est - c'est - faut - de toutes
façons tu es obligée de - de le
contraindre comme ça
Viviane:
de
toutes façons la fin d'un contrôle
c'est la fin d'un contrôle - point là
ça sonne donc...
Josiane:
c'est
sûr
Ainsi, à
travers l'écoute du discours des
enseignantes au sujet des ateliers de lecture, il
m'apparaît que les enseignants attribuent
à ces ateliers deux caractéristiques
:
-
ce sont des lieux de transformations
d'expériences négatives en
expériences positives.
- Ces
transformations prennent place par
l'instauration d'une temporalité qui
diffère de celle de la classe.
La lecture
m'apparaît être, pour les enseignantes,
l'activité par laquelle le processus de
transformation s'opère.
Pour montrer
comment j'accède à cette
hypothèse interprétative, je
m'intéresse à un moment précis
de la réunion au cours duquel Corinne expose
comment elle travaille la lecture au cours des
séances d'atelier de lecture.
Comment les enseignantes
décrivent-elles l'activité de lecture
?
J'étudie
les échanges qui se déroulent autour
des minutes 81 à 83. Ce moment de la
réunion a retenu mon attention du fait des
mouvements qui s'opèrent entre des
évocations d'activités de lecture et
des évocations de faits d'actualité
(E6).Il m'est apparu que ce que les enseignantes
rejouent de leur rapport à la lecture
s'exprime dans un écart entre l'histoire
fictive (E4) et le présent réel (E6).
Pour mettre en évidence ces mouvements, j'ai
séquencé cet extrait de
retranscription de la réunion en une
série de sept échanges que je nomme
E1, E2,
jusqu'à E7.
E1 Corinne:
et
c'est vrai que la lecture je leur lance en
autonomie - et euh même s'ils n'ont pas
compris en fait c'est pas grave - on essaye - parce
qu'au début ils avaient du mal à me
dessiner Olivia hein - mais madame qu'est-ce qu'on
sait d'elle etc. - je comprends pas bien - regarde
là - plutôt grande ou plutôt
petite - ben regarde -
Viviane:
ouais
ouais
Corinne:
et
après
Viviane:
c'est
dur quand on connaît pas
l'oeuvre
Corinne:
et
après faut que tu recherches en fait - tu
recherches avec eux dans le texte - donc c'est
vraiment se promener dans le texte
pour...
Viviane:
ouais ouais
E2 Corinne:
mais
c'est - c'est drôlement int' mais en
même temps c'est très très long
ça demande énormément de
temps
Viviane:
bien
sûr mais bon en même temps on
a
Corinne:
on
est là pour ça en même
temps
Viviane:
voilà
l'atelier lecture c'est pas une course contre la
montre hein
E3 Corinne:
et
là la semaine prochaine je fais quelque
chose de plus difficile où là il va
falloir que je re balise vraiment le texte pour moi
- je leur ai demandé de reprendre tous les
rebondissements - donc je leur ai donné du
chapitre tant à tant- tous les
rebondissements et - ils devaient faire la liste
comme si ils avaient - juste - à faire la
liste - des péripéties - mais sans
raconter
Viviane:
ouais
ouais ouais
Corinne:
et
là c'est quelque chose de très
difficile
Viviane:
en
donnant des titres
Josiane:
et
ça ils ont du mal à ne pas raconter
hein
Corinne:
parce
qu'il faut un esprit de synthèse
c'est
Viviane:
ben
voilà faut donner un titre à un
événement voilà comme une
légende à un- à une image
quoi
Josiane:
mum
E4 Corinne :
donc
là ça va faire travailler à la
fois sur la lecture la compréhension et puis
sur l'esprit de synthèse donc là
ça va être un exercice un peu
ambitieux et on va faire la fin ensemble comment se
résout le problème et en fait on va
se rendre compte que le problème
c'était pas du tout celui soulevé par
le - par les - au moment de l'élément
perturbateur où on pense que c'est parce que
- quelqu'un qui veut assassiner Toutenkamon (ton
théâtral) et les héros i vont
vouloir empêcher l'assassinat de Toutenkamon
- pas du tout ils ont pas empêché
l'assassinat de Toutenkamon - ils ont à euh
se débarrasser d'un autre type (dans un
léger rire) et en fait la mission qui
était donnée au départ - n'est
pas la même qu'à la fin
Viviane:
ouais
Josiane:
mum
E5 Corinne:
parce
qu'il faut pas changer l'histoire - Toutenkamon il
a été tué quand il
était jeune
Viviane:
ben
oui là ça ...
Corinne:
et
euh - c'est très rigolo justement de
voir
E6 Viviane:
t'as
vu qu'on a refait le visage - de
Toutenkamon
Josiane:
oui j'ai vu ça oui
Corinne:
ah
non j'avais pas vu (ton
déçu)
Viviane:
t'as
pas vu aux infos -
Corinne:
non
Viviane:
on
a reconstitué le visage à partir de
la momie -
Corinne:
ah
ouais
Viviane:
de
Toutenkamon- il avait un gros pif - pas
beau
Josiane:
il
était pas très
Corinne:
et en fait
Josiane:
hein
apparemment c'était pas
Viviane:....ils
l'ont peut-être vu les gamins enfin ils t'en
auraient parlé s'ils l'avaient
E7 Corinne:
en
fait le schéma narratif pour les - pour les
aider à s'en souvenir en cours de
français je leur fais comme ça
(dessine) je leur fais une petite histoire avec les
vagues
Viviane:
le
bateau ouais
Corinne:
le
bateau y a un orage
Viviane:
et
l'orage
Corinne:
pour l'élément
perturbateur
Viviane:
j'connais
Corinne:
après
y a des obstacles - après ça se
résout donc l'éclair va petit
à petit disparaître et puis
après la situation est stable tout va bien
la mer est calme - - et normalement tu vois y a un
- y a un parallélisme
Viviane:
mum
Josiane:
oui
Corinne:...
y
a une symétrie et là le
problème c'est que je vais leur montrer
qu'il y a pu cette symétrie
Viviane:
ah
oui [...
Corinne:
c'est
ça qui fait le suspens c'est la
surprise
Viviane:
d'accord
J'identifie
sept groupes d'échanges au cours
desquels Corinne donne à voir comment elle
pratique l'activité de lecture en ateliers.
En E1,
je relève que l'enseignante dit que ses
élèves abordent le texte de
façon libre " en autonomie " (ligne 1). La
pratique du dessin (ligne 2) donne à
l'élève la possibilité de se
forger sa propre représentation de ce qui
est mis en scène dans l'histoire " ben
regarde " (ligne 3). La lecture est
présentée comme une
découverte, une investigation que
l'enseignante accompagne " tu recherches avec eux
dans le texte " (ligne 7).
En E2,
Corinne et Viviane soulignent que cette approche
demande du temps. Je remarque que le ton de voix de
Corinne est légèrement insistant sur
les deux adverbes drôlement et
énormément (ligne 10). Le mot
drôlement me renvoie à l'univers de
l'enfant, tandis que énormément fait
écho, pour moi, à l'état de
grossesse de Viviane, et par là à
l'imago maternelle. Ces évocations me
conduisent à entendre l'intervention de
Viviane " on
est là pour ça en même temps
" (ligne
13) comme une affirmation du lien maternant au
cours de cette période de travail en atelier
de lecture. J'associe cette observation à un
témoignage de Corinne que j'avais
relevé au cours de la minute 48,
témoignage par lequel l'enseignante
décrivait comment elle soutenait une
élève en difficulté : "
eh
bien au début elle a eu du mal et puis
maintenant ça va - parce qu'en fait c'que
j'ai fait c'est que voyant qu'elle était
toujours dans son coin etc. je suis allée
m'asseoir à côté d'elle
".
Au cours des
échanges en E3, Corinne décrit
comment elle "
re balise vraiment le
texte ", ce
qui laisse entendre que l'activité qu'elle
décrivait, de prime abord, comme une
promenade, est en fait plus contrainte,
l'élève devant suivre le chemin
tracé par l'enseignante . Par ailleurs, je
m'étonne de la consigne (ligne 18) qui est
donnée aux élèves "
sans
raconter ".
Il me semble que, par cette consigne, les
élèves sont invités à
ne considérer que les éléments
factuels du texte, sans appropriation de l'histoire
sous forme d'une mise en récit personnelle.
Ainsi, ce qui semble intéresser Corinne au
cours de l'activité de lecture n'est pas la
mise en lien d'éléments narratifs,
mais au contraire la mise en évidence d'un
écart entre ces éléments.
C'est ainsi que
j'entends ce qu'elle décrit en E4 :
l'enseignante souligne que la démarche de
lecture aboutit au constat d'un écart "
en
fait la mission qui était donnée au
départ- n'est pas la même qu'à
la fin ".
Cet
écart est réaffirmé en E7
:
Corinne
: [
]
et
normalement tu vois y a un - y a un
parallélisme
Viviane:
mum
Josiane:
oui
Corinne:
...y
a une symétrie et là le
problème c'est que je vais leur montrer
qu'il y a pu cette symétrie
Ainsi
l'enseignante se vit comme celle qui montre cet
écart entre l'attendu et le réel.
Le ton
théâtral et le rire de Corinne
marquent que l'enseignante vit intensément
ce moment où il s'agit de
"
faire la fin ensemble
" (ligne
27). Viviane réagit à cette
description de l'accompagnement en lecture,
pratiqué par Corinne, en donnant le
détail de sa propre démarche. Je
constate qu'elle procède auprès des
élèves selon la même logique
que sa collègue en leur faisant retrouver
des expressions dans le chapitre et en les
comparant. Ainsi, autour de la minute 84, les
enseignantes relatent des activités de
lecture où il s'agissait de faire
réfléchir les élèves
sur la notion de comparaison :
Viviane:
on
a essayé moustache tu vois on a fait
l'étude de moustache je leur ai
demandé de me décrire le -
caractère de moustache et de
retrouver dans
Corinne:
et
tu l'as pas fait dessiner moustache
Viviane:
eh
ben non parce que Corinne: ç'aurait pu
être drôle oh
Viviane:
il
y est il est d'jà dessiné sur
leur
Corinne:
ah
Viviane:
bouquin
- donc euh bon
Corinne:
ah
Viviane:
non
non non c'était pas possible - mais euh par
contre euh j'leur ai fait retrouver avec une - on a
étudié - parce qu'à un moment
on compare - enfin on dit qu'il était euh -
euh bavard comme un -comme une pioche - donc on a
réfléchi sur euh comment
c'était une pioche - à quoi ça
servait euh - est ce qu'on peut être bavard
comme une pioche - euh pourquoi la pioche par
rapport à un jardinier - tu vois bon on a
essayé de faire un petit travail un peu plus
euh poussé sur le caractère de
moustache comme ça en reprenant ils devaient
retrouver dans le chapitre
Corinne:
et
t'as pas travaillé sur des expressions
bavard comme une pie et têtu comme une
pioche
Viviane:
no
non non pas les - non - j'suis pas allée
aussi loin
Josiane:
t'es pas allée aussi loin
Corinne:
tête de pioche - t'as pas...tête de
pioche
Viviane:
j'ai hésité sur tête de pioche
et puis euh j'ai pas osé -
mum
En observant
ces échanges, je relève plusieurs
éléments qui suscitent mon
interrogation. Il s'agit des derniers mots de
Viviane : "
j'ai pas
osé
" ; de la manière dont Viviane relate son
hésitation à travailler sur la
métaphore " tête de pioche " ; et de
la nature du questionnement de cette enseignante
à travers les interventions suivantes :
comment c'était une pioche - à quoi
ça servait euh - est ce qu'on peut
être bavard comme une pioche - euh pourquoi
la pioche par rapport à un jardinier. Ce
questionnement porte sur l'écart entre le
réel et le textuel.
Dans ce
contexte, je m'interroge sur le sens des
réponses de Viviane aux questions de
Corinne. En effet, aux questions de Corinne " et
t'as pas travaillé sur des expressions
bavard comme une pie et têtu comme une pioche
", Viviane répond
"
j'suis pas allée aussi
loin " et "
j'ai
hésité sur tête de pioche et
puis euh j'ai pas osé
-".
J'entends ici que l'enseignante se positionne comme
celle qui se cantonne au domaine de la comparaison
sans se risquer sur le terrain de la
métaphore, laquelle impliquerait une absence
de lien. En effet, en réfléchissant
à la différence qui existe entre la
métaphore et la comparaison, il
m'apparaît que la métaphore implique
la disparition de l'élément
comparant.
Selon moi,
cette difficulté à oser la
métaphore pourrait être l'expression
de la manière dont les enseignantes se
positionnent plus généralement, comme
celles qui font lien, par rapport aux
élèves, par l'activité de
lecture.
En associant
les différents éléments
d'observations recueillis au détour de mon
analyse du discours groupal, je propose maintenant
une hypothèse interprétative visant
à préciser le type de lien
intersubjectif noué par les enseignantes par
le biais des ateliers de lecture à
l'égard des élèves et entre
elles.
L'attention
Pour ce faire, je
récapitule mes observations :
j'ai mis
à jour que les enseignantes
s'intéressent particulièrement aux
élèves lents, qu'elles se
positionnent, par rapport à eux, par un lien
d'accompagnement et qu'elles privilégient
une démarche comparative entre les
éléments de la réalité
extérieure et les éléments
fictifs contenus dans les textes qu'elles
soumettent aux élèves.
J'ai
relevé également que ce travail
s'effectue dans un climat émotionnel
marqué par une forte bipolarité
et que des transformations d'expériences
négatives en expériences positives
s'y opèrent.
Le texte
intitulé La symbolisation " au
présent " du bébé ,
proposé par Denis Mellier dans l'ouvrage
collectif Le bébé et le temps m'a
permis d'articuler ces différentes
observations pour proposer une modélisation
du type de lien qui pourrait se former entre les
enseignantes et les élèves à
l'occasion des ateliers de lecture. La notion
d'attention décrite dans ce texte au
sujet de la relation mère bébé
me paraît transposable à l'espace
pédagogique. Ainsi, l'auteur pose
l'hypothèse que " l'attention permettrait de
construire et maintenir la " double-limite" de la
psyché, au sens de Green (1982). Par son
va-et-vient l'attention partagée entre
mère et bébé permettrait de ?
tricoter? simultanément la limite entre le
dedans et le dehors de la psyché du
bébé et entre le conscient et
l'inconscient de son espace psychique
[
]
Il me semble
que les enseignantes permettent aux
élèves en difficulté
d'accomplir un travail psychique du même type
que celui que décrit ici Denis Mellier. En
introduisant une temporalité qui
diffère de celle de l'espace traditionnel de
la classe , en centrant leur accompagnement sur la
découverte de l'écart entre le
réel et le fictif, les enseignantes
permettent aux élèves d'accomplir un
travail d'attention. Denis Mellier
décrit ce travail psychique comme " un
travail de lien [
] entre
représentations et perceptions ".
L'auteur souligne également que "ce
travail est constitutif de la mise en place d'une
temporalité primaire : la sensation d'une
continuité d'être n'émerge
qu'avec la pensée d'une
discontinuité ".
Les
enseignantes constatent que le travail en
atelier de lecture procure ce sentiment d'existence
à certains de leurs
élèves. Ainsi, en est-il de
l'élève Corentin, élève
handicapé par sa lenteur, qui, selon les
enseignantes, grandit grâce à sa
participation aux ateliers de lecture :
Le cas de
Corentin élève handicapé par
sa lenteur
Minute
51
Josiane:
mais
euh en même temps il a un peu mûri - un
peu
Viviane:
ouhlou
qu'est ce que ça devait être en
début d'année (rire)
Corinne:
tu te rends pas compte
Josiane:
oh
mais en début d'année c'était
le grand bébé
Corinne:
oh
mais là il est encore bébé
mais
Viviane:
vu
sa taille en plus
Corinne:
non mais en plus il se cachait quoi -
c'était - il existait pas -il fallait
surtout pas qu'on
Viviane:
ah
là en atelier il existe
Corinne:
ah
là maintenant je peux te dire qu'il existe
un peu partout
Viviane:
ouais
ouais
Corinne:
et
puis il est même volontaire
hein
Josiane:
c'est
bien
Ces
échanges témoignent que les
enseignantes s'accordent sur une
représentation de l'élève
Corentin l'assimilant à un
bébé
"
là il est encore
bébé
". Selon moi, la maternité de Viviane
introduit un climat psychique propice à ce
type de représentation . En assimilant,
au plan fantasmatique, les élèves
à des bébés, les enseignantes
se rendent disponibles pour exprimer leur "
préoccupation maternelle primaire "
(telle qu'elle a été
théorisée par Winnicott) et
développent leur " capacité de
rêverie " requise pour l'exercice de la
fonction alpha (au sens de Bion). J'ai
évoqué, précédemment,
que je percevais un effet de résonance entre
la fantasmatique développée à
l'occasion des ateliers de lecture et celle qui
traverse l'espace de la réunion. Il me reste
à préciser comment se manifeste cette
résonance et en quoi sa mise à jour
me permet de préciser le scénario
fantasmatique qui sous-tend les échanges au
cours de cette réunion.
La scène
psychique groupale
Si
je reprends les observations qui ont retenu mon
attention au cours de l'analyse de la dynamique de
la réunion, je peux établir
plusieurs rapprochements entre ce qui se passe dans
les ateliers de lecture entre les enseignantes et
les élèves, et au cours de la
réunion entre les enseignantes
elles-mêmes.
-
Il s'agit d'un même rapport au temps,
- d'un climat
émotionnel similaire marqué par
la bipolarité,
- et d'un
mimétisme sur le plan des
activités.
En ce qui
concerne le cadre temporel dans lequel se
déroule la réunion, j'ai dit,
précédemment, combien cette
réunion m'avait semblé interminable.
Sur le moment de la réunion, je remarque que
l'enseignante, Corinne, manifeste de nombreux
signes respiratoires, du type halètements et
soufflements ; et je m'étonne,
intérieurement, du fait que Corinne
manifeste ces signes quand sa collègue
Viviane, qui est enceinte, affiche calme et
sérénité. Ces manifestations
physiques, associées à un travail
prolongé éveillent, en moi, un
fantasme de parturition. Le fait que les
enseignantes se projettent dans l'avenir en
envisageant le fonctionnement des ateliers
l'année prochaine, me conforte dans cette
représentation. Elles ont ainsi
créé un objet viable sur le long
terme . Je remarque qu'elles se demandent
comment appeler cet objet tout comme on se demande
comment on va appeler un nouveau-né :
Corinne:
non
parce qu'il faut qu'elle mette euh - faut qu'elle
se débrouille - ou qu'elle l'appelle
autrement
Josiane:
oui
- c'est ça
Corinne:
ou
qu'elle l'appelle euh - ben atelier lecture
hein
Josiane:
c'est
ça
Je veux
souligner ici que le pronom "elle" désigne
la Principale. Selon moi, le fantasme de
maternité est partagé par l'ensemble
des protagonistes de cette équipe. Le
lien maternant me semble être un lien
co-construit par le trio formé par Viviane,
Josiane, Corinne, dans leur rapport aux
élèves mais aussi dans leur lien
à l'institution et à leur Principale.
Le compte rendu m'apparaît, dans ce contexte,
être un lieu d'inscription de cette
co-construction du lien intersubjectif.
En
effet, en ce qui concerne les
activités conduites par les
enseignantes, je remarque que les
enseignantes reproduisent, au cours de la
réunion, certains traits qu'elles
sollicitent de la part de leurs
élèves.
Il s'agit de
l'activité de dessin pratiquée
par Corinne (cf. page 180, E7 ligne 51) qui fait
écho aux dessins demandés aux
élèves par Corinne (cf. E1 ligne 2,
page 180),
il s'agit du
rapport à l'écriture dont j'ai
évoqué précédemment
l'ambivalence et que j'ai interprété
comme une manifestation possible de la
réactivation de la dimension infantile du
rapport au savoir des enseignantes.
J'ai
noté également que les enseignantes
balisent les textes et accompagnent les
élèves selon des modalités
similaires à celles dont elles ont
bénéficié auprès de
l'accompagnatrice, qui a balisé leur compte
rendu en en définissant préalablement
le contenu.
Enfin, en ce
qui concerne le climat émotionnel, il
est marqué par de nombreux rires et des jeux
de rôles. Dans l'extrait suivant, Corinne
rejoue la scène où
l'élève Corentin disait sa
récitation. Dans cette scène, elle
prend alternativement les deux rôles,
celui de l'enseignante "
oui
Corentin fallait mettre un peu de ton euh un peu de
fluidité
" et celui de l'élève
"euh
que les loups-- ces loups-doucereux
[
] de tous les loups - le loup le
loup sont les plus
dangereux "
:
Corinne:
il
est volontaire pour aller réciter mais le
problème c'est qu'il oublie sa
récitation alors - (souffle) euh que les
loups-- ces loups-doucereux - (rires) de tous les
loups - le loup le loup sont les plus dangereux
-
Josiane:
(rire)
Corinne:
oui
Corentin fallait mettre un peu de ton euh un peu de
fluidité mais bon (rire) il est mignon -
mais en plus il est volontaire - attends il s'est
payé sept il était volontaire et puis
il - il a été volontaire pour y
retourner et pour améliorer sa
note
Ce jeu de
rôle à une place d'enseignante ou
d'élève me semble significatif des
mouvements psychiques qui s'opèrent pour
l'enseignante. Le ton que Corinne adopte pour
imiter Corentin traduit, à mon sens, la
posture que l'enseignante adopte, en situation,
avec cet élève. La manière
dont elle prononce les sons ou avec insistance,
m'évoque le cri du loup. L'enseignante
marque de nombreuses pauses qui me laissent penser
qu'elle a laissé du temps à
l'élève pour retrouver les mots de sa
récitation. Il me semble que l'enseignante
rejoue là la contenance des projections
pulsionnelles que l'élève
extériorisait au moment de sa
récitation. Les loups dangereux apparaissent
doucereux à cet élève en
difficulté grâce à
l'accompagnement que lui a témoigné
son enseignante. Il semble que l'expérience
de cette récitation ait été
positive pour Corentin puisqu'il est volontaire
pour y retourner et améliorer sa note.
Je
fais l'hypothèse que si les
enseignantes sont en mesure d'exercer
cette fonction contenante auprès
des élèves, c'est parce
qu'elles se ressourcent elles-mêmes
par la relation qu'elles entretiennent
avec leur Principale et la cellule
d'Innovations pédagogiques.
Les regards que
m'adresse Josiane au cours de la réunion
m'orientent vers l'idée que les enseignantes
s'approprient toute forme de soutien, je me sens
sollicitée pour les accompagner dans
leur travail d'écriture. Le fait que les
enseignantes terminent la rédaction de leur
compte rendu en relatant des expériences
positives me semble être un indice de la
teneur du travail psychique qui s'est produit au
cours de l'élaboration de l'écrit. En
témoigne ce qu'elles évoquent
à propos du conflit qui les avait
opposées à leur collègue
Rodolphe. À propos d'une séquence
ciblée sur la lecture des consignes, elles
constatent les lacunes de leur dispositif et
prennent en considération l'avis de leur
collègue absent, Rodolphe, qu'elles avaient
jusqu'à ce moment-là durement
critiqué : " Viviane
Rodolphe
il disait qu'on pouvait pas déconsti' -
décontex'tualiser le travail-
voilà
" (minute 38).
Conclusion
La situation de
travail de l'équipe ATL donne à voir
deux dimensions du lien intersubjectif :
-
celle qui concerne l'acte d'écriture
- et celle
qui concerne l'investissement psychique
mobilisé lors de la conduite des
ateliers.
J'ai
tenté de montrer que l'acte
d'écriture donnait lieu à un travail
psychique spécifique, lequel m'est apparu
recouvrir une fonction de contenance à
l'adresse des enseignantes. Le compte rendu
écrit m'a semblé être le lieu
d'inscription d'une configuration fantasmatique
faisant écho, pour les enseignantes,
à celle qui motive l'animation des ateliers
de lecture. En effet, mes analyses cliniques m'ont
conduite à l'hypothèse selon
laquelle, au cours de ces ateliers de lecture, les
enseignantes permettraient aux élèves
d'effectuer un travail d'attention .
Les
enseignantes assument alors, auprès de
leurs élèves, une fonction
contenante à l'instar de ce
qu'elles vivent à travers le
dispositif d'accompagnement mis en place par
la cellule d'Innovation
pédagogique.
Par ailleurs,
la durée prolongée de la
réunion a attiré mon attention sur la
donnée temporelle, laquelle semblerait
conditionner les possibilités d'effectuer un
tel travail psychique. L'observation du travail
d'écriture de cette équipe
pédagogique m'a permis d'appréhender
les effets, au plan psychique, d'un accompagnement
institutionnel. J'ai, en effet, tenté de
comprendre comment la posture des enseignants
pouvait infléchir leur travail en commun et,
inversement, comment leur activité
elle-même avait des effets sur leur
posture. Le repérage de ce double effet
me semble ouvrir des pistes pour envisager de
nouvelles modalités d'accompagnements
d'enseignants. [...]
La
nature des fantasmes qui sous-tendent
l'investissement des objets de savoirs et leur
résonance sur la scène
groupale.
En ce qui
concerne l'équipe ATL, j'ai observé
que la différenciation des places des
différents membres de l'équipe
paraît, au plan imaginaire, plus nettement
affirmée. J'ai dit, comment
l'accompagnatrice impose les modalités
d'écriture aux enseignantes et comment la
Principale impose le travail en ateliers de lecture
à l'enseignant que j'ai nommé
Rodolphe. Mais dans le même temps, ces deux
instances se placent dans une position
d'écoute, d'aide et de soutien aux
enseignants. Ainsi, les fonctions paternelle et
maternelle de l'institution s'exercent
auprès des enseignants, ce qui introduit une
structure oedipienne du lien permettant
l'émergence d'un fantasme de
procréation dans une structure
triadique. Selon moi, dans ce contexte, un espace
de créativité peut se
déployer. Je constate, en effet, que les
enseignantes conçoivent les ateliers de
lecture comme cet espace de vie, dans lequel les
élèves existent, où elles
peuvent prendre soin d'eux en les accompagnant dans
un travail d'attention par la lecture de textes.
Elles développent, dans ce lieu
protégé, leur capacité de
rêverie maternelle et exercent une fonction
contenante à l'instar de celle dont elles
bénéficient par leur lien à
l'institution. L'acte d'écriture, que je
perçois, au plan imaginaire, sous l'aspect
d'une parturition, serait, selon moi, un moment
d'inscription et de consolidation de cette
modalité du lien pour les protagonistes de
cette équipe. [...]
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