Les
réflexions
d'Alain Bouvier
étayées dans son immense
expérience, celles
de Rémi Boyer
puisées dans sa rencontre avec la demande
souvent formulée en forme de plainte de
nombreux enseignants souhaitant quitter le
métier, suffiraient à nourrir ce
dossier. Mais elles m'inspirent quelques
échappées réactivant des
constats et des situations rencontrées dans
mes différents métiers de
l'éducation et de la formation où j'y
fus confrontée. Je pense là, à
mon métier d'inspectrice de l'Aide à
l'Enfance, à mes responsabilités
d'enseignante en option " gestion du personnel ",
à l'IUT de Troyes, et du suivi des
stagiaires en entreprises ou institutions, Mais
aussi comme directrice-adjointe de l'IUFM
expérimental de Reims, chargée du
personnel, mes activités de consultante en
entreprises ou institutions, celle de coach de
responsables de GRH, de formation, de bilan de
compétences dans le privé et le
public, notamment dans l'Education Nationale.
Parfois aussi dans l'accompagnement de personnes
souhaitant faire évoluer leur
carrière ou changer de
métier.
La question de l'évolution ou du changement
professionnel se pose dans tous les secteurs de la
vie économique ou sociale. Il y a 40 ans on
disait à nos étudiants qu'ils
auraient 3 employeurs, il y a 30 ans au moins 3
métiers différents dans leur
parcours. Et il y a dix ans, que 80% des
métiers de 2050 n'existaient pas encore !
Une des grandes questions contemporaines - tous
secteurs confondus, est à la fois, de
maintenir l'employabilité des personnes et
de les préparer aux changements techniques
et environnementaux, aux changements culturels et
sociaux, notamment ceux liés aux processus
de mondialisation, afin de leur éviter
d'être frappés d'obsolescence. Et
parmi les défis à venir, l'un d'entre
eux est de répondre à la question : "
comment former à des métiers qui sont
encore totalement inconnus " ? Si l'enseignement
n'est pas inconnu, c'est la manière de
l'investir, le changement du public et le champ
dans lequel il s'exerce qui sont des inconnues
!
Les interrogations concernent aussi bien
l'industrie que les secteurs des services, ceux de
la santé ou du social, de l'éducation
et de la formation. Pourquoi l'Education nationale
échapperait-elle à ces défis
qui ont toujours existé, mais que la
rapidité des mutations rend plus angoissants
? Si l'éducation n'a pas à
répondre aux critères de
rentabilité du secteur marchand, elle n'est
pas dispensée pour autant d'exigence
d'efficacité, exigence à laquelle
participe largement une meilleure utilisation des
compétences existantes, de celles à
développer ou à susciter, ainsi qu'au
redéploiement des personnels vers d'autres
activités si besoin. Cette dimension
là de la gestion des hommes, ne constitue
pas la totalité de la mission, mais en est
une ligne stratégique.
"
Conversion
ou reconversion ?Reconversion subie ou reconversion
choisie ?
La terminologie questionne ; pourquoi parles t'on
de re-conversion, alors que le terme de conversion
implique déjà un changement
d'état ?
Au-delà de cette curiosité lexicale
et au risque de faire une typologie caricaturale,
je verrais 4 grandes catégories
d'enseignants susceptibles de
bénéficier d'une réorientation
professionnelle, qu'elle soit subie ou
choisie.
- Les
égarés, ceux qui n'auraient jamais du
être là.
Dans tous les métiers, il y a des erreurs
d'orientation et des erreurs de recrutement. Ici
cela peut-être le métier choisi par
tradition familiale, par souci de
sécurité, pour sa
compatibilité avec la vie familiale
(notamment les femmes), par intérêt
pour la matière mais pas pour sa
transmission, ou pour d'autres raisons
circonstancielles : tout a été
écrit sur ce sujet.
Si les cabinets de recrutement ou les services du
personnel du secteur privé peuvent commettre
des erreurs d'appréciation malgré la
batterie de moyens mis en uvre, les
recrutements sur concours tels qu'ils sont
conçus ne permettent guère de
repérer ces fragilités de motivation
et encore moins les fragilités psychiques
qui peuvent inconsciemment orienter les choix vers
ce secteur où l'école est un lieu
familier, et les enfants des partenaires moins
angoissants que les adultes. Pour m'être
trouvée " enfermée " durant 4
années , par un concours que beaucoup
enviaient ( le Trésor), dans un premier
métier choisi pour des raisons de
sécurité et de confort
immédiat, j'ai de la compréhension et
de la compassion pour ceux qui souffrent d'un choix
non pertinent, et une forte motivation pour les
inviter à en sortir comme je l'ai
fais.
Un travail sur l'amont des choix reste
incontournable, mais comme l'arlésienne,
cette question traverse les décennies et se
heurte aux résistances, notamment
syndicales. Je ne sais pas si cette maxime au
fronton de ma mémoire scolaire, " Errare
humanum est, perseverare diabolicum " a jamais
ébranlé nos décideurs. Toute
erreur d'orientation peut se corriger, comme nous
le rappelle Rémi Boyer, déroulant les
centaines de réorientations réussies.
Mais pour cette catégorie, les
égarés, il importe que la
réorientation soit très rapide,
qu'elle soit volontaire, incitée ou
contrainte.
- Les déçus
du paysage de l'affectation géographique ou
du public
Ils rêvaient d'un poste avec vue sur mer, la
vallée de Chamonix ou à
l'écoute des cigales en Provence : ils
atterrissent dans un secteur en détresse
industrielle, dans une cité à
l'abandon, un secteur rural inaccessible. Ils
rêvaient d'enseigner la langue de Goethe,
choisie par des élèves
motivés, mais la désaffection
vis-à-vis de cette langue, les obligent
à l'exercer dans trois lieux
différents, parfois très
éloignés (comme je l'ai vu dans
l'Académie de Créteil ou dans l'Aube)
avec un empilement des réunions et des
rencontres avec les parents sans compter des
trajets épuisants.
A Paris, agrégés, ils rêvaient
de Fénelon ou de Carnot (Henri IV ou Louis
le Grand pour plus tard), ils se retrouvent en zone
sensible dans un lycée professionnel de la "
couronne " ou intra-muros. Certains font d'ailleurs
le choix d'y rester par conviction, d'autres
demandent leur mutation dès leur
arrivée, peu armés pour faire face
aux problèmes sociaux ou
culturels.
Je pense à cette agrégée
d'espagnol qui enseigne avec bonheur à
Sciences Po, et que j'ai connue dépressive,
accablée d'être affectée faute
de poste en lycée, dans un collège
rural de l'Aube profonde, où elle avait
suivi son mari pour ses contraintes
professionnelles.
On se souvient de Cécile Ladjali,
agrégée elle aussi, et de son
magnifique travail d'enseignante de lettres
à Drancy, affectée pendant plusieurs
années dans un lycée difficile
où elle a laissé son empreinte avant
de devenir Maitre de conférences à la
Sorbonne mais qui fait encore le choix d'enseigner
aussi à des jeunes sourds.
Je pense encore à cette jeune professeur des
Ecoles, affectée dans une classe unique de
la Haute-Marne, sans matériel
pédagogique et qui à chaque demande
d'enfant pour aller aux toilettes devait conduire
toute sa classe en même temps, de l'autre
côté de la rue, faute d'auxiliaire
pour assurer la surveillance. Ces
préoccupations matérielles, la
gestion d'une classe unique à laquelle elle
n'avait pas été
préparée, rendaient inopérants
tous les discours pédagogiques fussent-ils
savants.
- Les
épuisés du
système
Pour les uns ce sera la lassitude d'enseigner la
même chose chaque année à des
élèves perçus comme
étant de moins en moins attentifs. Comment
régénérer la motivation, celle
des élèves, la sienne propre sur fond
de (ou de sentiment de) solitude, face à
l'agressivité de parents perdus, sur fond de
circulaires jargonnantes et décalées
?
C'est
un grand agrément que la diversité
:
Nous sommes
bien comme nous sommes.
Donnez le
même esprit aux hommes,
Vous
ôtez tout le sel de la
société.
L'ennui
naquit un jour de
l'uniformité
affirmait le poète
Houdar Antoine de la Motte au 18eme (il a
sombré depuis dans les oubliettes de
l'histoire, mais ce vers est resté
célèbre.) La diversité est,
elle, d'une actualité débordante qui
ne cesse d'inviter à penser et à agir
autrement.
Pour d'autres, l'épuisement sera
plutôt lié aux changements incessants
et parfois contradictoires comme ceux de
l'histoire, ou de se retrouver à enseigner
des matières nouvelles en technologie pour
des enseignants issus d'autres filières.
Crainte d'avoir à se confronter à des
changements de contenu et plus encore à
enseigner autrement. L'irruption des nouvelles
technologies qui ont pris leur temps pour
être intégrées dans les
établissements scolaires et plus encore dans
l'univers des enseignants, en est le symbole
manifeste, alors que des merveilles sont
réalisées dans ce domaine et qu'elles
ouvrent un chemin vers les jeunes qui
adhérent à ces outils avec
facilité.
Mais quelle révolution dans la pensée
et dans l'adaptation : nécessiter de se
familiariser avec la technique, savoir que les
élèves y sont parfois plus
compétents, s'appuyer sur le travail de
groupe (en classe, mais aussi entre professeurs).
Nous connaissons cette souffrance nouvelle qui
s'est manifestée dès les
années 1980-1990, dans les entreprises, dans
la fonction publique où des personnels
vieillissants (j'en ai connus à la
Sécurité sociale, aux Allocations
familiales ou dans des grosses entreprises, qui ont
vécu leurs dernières années
professionnelles comme des calvaires).
Il arrive aussi que ce soient
les élèves eux-mêmes qui
refusent d'évoluer : " Même charmeurs,
intelligents, sensibles, mes élèves
de Seine-St Denis (mes chers derniers
élèves), parfois m'épuisaient,
me mettant durement face au monde, à
l'altérité réticente, au refus
d'évoluer- et le combat d'hier est devenu
aujourd'hui plus exigeant encore pour une
majorité d'enseignants ", nous rappelle
Nicole Martini dans son livre " Notre école
a-t-elle un cur ? "
- Les aventuriers de la
nouveauté
A l'intérieur de l'Education nationale, ils
ne sont pas forcément en souffrance : ils
ont souvent adhéré à des
actions et pratiques innovantes et ont
participé à des formations
d'ouverture. Mais après avoir
épuisé les possibilités de
changement sur site, avant d'être
eux-mêmes épuisés, ils
cherchent à changer de type
d'établissement, ou de fonction dans le
cadre institutionnel, utilisant les mutations, les
détachements ou même les mises en
disponibilité pour expérimenter
d'autres métiers. Certains passent une
thèse et intègrent l'enseignement
supérieur et la recherche. Ce sont le plus
souvent des personnes qui ont été
très créatives dans leurs premiers
métiers (voir les parcours originaux
d'André Giordan, de Charles Gardou ou de
Jacques Nimier par exemple)
Ils ont fréquemment
acquis une expertise dans leur domaine initial ou
dans un autre et la réinvestissent ailleurs
et autrement (ceci concerne aussi les autres
personnels : assistants sociaux, conseillers
d'orientation, infirmières ou chefs
d'établissements, inspecteurs)
Des visages me viennent ainsi en mémoire :
enseignants devenus formateurs d'adultes et
sollicités en France ou à
l'étranger, détachés au GRETA
ou devenus thérapeutes, conseillers dans des
institutions européennes ou auprès
d'ambassades. Une assistante sociale que j'ai
connue en établissement, puis auprès
de l'Inspection académique et
détachée pour la politique jeunesse
de la ville. Un conseiller d'orientation dans le
secondaire, puis le supérieur, devenu
formateur et enfin inspecteur SAIO. Une enseignante
devenue IPR, Directrice adjointe d'IUFM puis Chef
de MAFPEN, et enfin inspectrice
générale, innovante à chaque
étape
Alors quelle politique de personnel face à
ces demandes de changements ? Cela parait une
mission impossible tant que la gestion des
personnels sera pensée comme une gestion
administrative des dossiers, incontournable dans le
fonctionnement centralisé qui reste la norme
avec les points d'ancienneté qui vous
permettent de descendre la vallée du
Rhône à petits pas ou à saut de
gazelle à la faveur d'un concours.
Un cas
d'école
Je porte encore la colère et la
honte d'avoir été
impuissante face à une gestion de
dossiers au lieu d'une gestion des hommes,
pour une équipe de formateurs dont
j'avais la responsabilité dans
l'Académie de Reims. (Stages FNTE -
Nimier durant 15 ans).
(Voir
compte rendu dans la la revue
Connexions)
La mission de ces formateurs a
été close sans concertation
et dans une violence absolue par le
Recteur de l'époque, malgré
les interventions au plus haut niveau. Le
DRH, n'a jamais pris la peine de les
rencontrer pour envisager leur avenir et
ne leur a jamais notifié la
suppression de leur détachement
à temps partiel ou total. Ils ont
été avisés par leur
lycée d'origine pendant
l'été qu'ils figuraient sur
les listes du lycée, et de leur
affectation dans telle classe.
Deux situations particulièrement
scandaleuses dans cette maltraitance qui
aurait conduit n'importe quel patron de
PME devant les prud'hommes : j'avais
alerté le Recteur et le DRH sur le
cas d'une enseignante de maths,
détachée depuis 15 ans, et
qui venait de déclencher un cancer
et sur un couple d'enseignants qui venait
de perdre leurs deux enfants dans un
accident au cours de l'été.
Aucun d'eux n'a été
reçu, aucun courrier personnel pour
accompagner leur réaffectation.
Mais la gestion administrative des
dossiers a été
bouclée aux normes.
|
Mais quels sont les obstacles à une
meilleure fluidité des compétences ?
Sans que la liste soit exhaustive, quelques uns
émergents dans mon
expérience.
"
La persistance de mythes
Celui de la vocation : si ce mode d'orientation
atteint encore un certain nombre de postulants qui
portent en eux le désir de transmettre
souvent issu de la passion de leurs propres
enseignants, pour beaucoup, c'est un métier
comme un autre ( on voit ce même changement
chez les infirmières ou
médecins).
Le choix de la survie sur place: on peut tout
accepter, en s'adaptant a minima. C'est là
une confusion entre un ajustement conservateur et
un ajustement créatif comme on le propose en
gestalt-thérapie ( Serge Ginger). Cela gagne
souvent les enseignants en fin de carrière,
avec l'objectif de " tenir jusqu'à la
retraite ". Un ajustement créatif
consisterait à s'appuyer sur l'immense
expérience de ces enseignants dans
l'accompagnement de jeunes enseignants ou
d'équipes ou dans la conception de
programmes ou d'outils.
Le déplacement du
problème : je ne suis pas convaincue
qu'un mauvais enseignant devienne forcément
un bon chef d'établissement, et je ne suis
pas non plus convaincue qu'il faille avoir
été enseignant pour devenir chef
d'établissement - un directeur
d'hôpital pour avoir une vision d'ensemble et
ne pas rester enfermé dans une nostalgie
corporatrice n'est ni médecin, ni
brancardier, ni infirmier ! Les documentalistes se
sont un temps rebellés, eux qui venaient
d'avoir un vrai diplôme, devant l'orientation
" sanitaire " de collègues enseignants,
réorientés par
nécessité vers cette
spécialité.
Conversion subie ou choisie,
elle n'est pas forcément choisie de
façon positive, mais faute de mieux. "
Où que tu ailles ma fille, tu as ton
derrière derrière toi " affirmait la
grand -mère de Jacques Salomé, qui
faute d'études disposait d'une grande
expérience.
" La résistance au
changement
: celles des institutions mais aussi celle des
individus
"
"La peur du nouveau est dans beaucoup de
situations plus forte qu'une souffrance
familière " nous rappelle le
psychosociologue Jacques Salomé.
C'est pourtant une lutte contre la montre, ici et
ailleurs qui est entreprise pour ajuster les
compétences aux exigences d'un monde qui
bouge à grandes foulées. Cette
résistance au changement se manifeste aussi
par des comportements inadaptés
renforcés par la complicité
inconsciente des responsables timorés et des
agents tétanisés dans ce tourbillon.
Dans le cadre du redéploiement des
personnels de la fonction publique (anachronisme du
nombre de fonctionnaires de l'Agriculture ou des
Anciens Combattants), on se souvient des violentes
réticences syndicales ou corporatistes alors
même que des garanties d'avantages acquis
étaient affirmées. Il ne s'agissait
pourtant pas de changement de métier, mais
de contexte.
Dans les années post 1968, de nombreux
prêtres (alors moins diplômés
qu'aujourd'hui) ont quitté leur sacerdoce
avec cette interrogation. Que faire ? Dans mes
missions successives, j'en ai trouvé partout
: dans l'ingénierie du lien social,
directeurs de CAT ou de maison d'enfants, dans
l'économie quaternaire (expression de Roger
Sue), après concours ou reprise
d'études. Ils ont pu réinvestir leur
vocation autrement. Pourquoi pas des enseignants
?
Le mythe de
l'objectivation
des relations
(normes, procédures, indicateurs...:) dans
les recrutements, les avancements, les
regroupements... "Pas d'arbitraire...on va
être soumis à sa volonté...".
Avec souvent une collusion inconsciente entre
syndicats et administration pour avaliser cette
tendance. La fonction de ce mythe est
d'évacuer la subjectivité de toutes
relations avec la responsabilité qui
l'accompagne et parfois la culpabilité qui
s'en suit.
L'enseignant est
rentré dans son métier avec une
évidence de stabilité.
Il y a en commun entre les personnels des services
publics et parapublics une composante que l'on
oublie trop souvent. Le salarié de la poste
ou de l'éducation n'est pas entré
dans ce circuit pour la mobilité du
métier (sauf progression dans la
hiérarchie). Les postiers doivent
aujourd'hui changer de métier en interne et
devenir des commerciaux plutôt que des
administratifs, et la souffrance au travail de ces
personnels désorientés a
été très
médiatisée.
Paradoxalement, ce statut de
fonctionnaire qui peut donner un sentiment de
sécurité pour innover, faire
évoluer ses pratiques et au besoin changer
de poste dans le paysage de la fonction publique,
donne des semelles de plomb quand on parle de
mobilité et de reconversion, même en
interne.
Pour ces fonctionnaires la perspective du
changement va toucher en effet des
représentations et des pratiques
contradictoires à tous niveaux.
L'ignorance des
talents des individus par eux-mêmes et par
l'institution.
Dans les processus que j'avais mis en
place pour accomplir la mission qui
m'était confiée comme
Directrice Adjointe de l'IUFM
expérimental de Reims, j'avais
procédé à un
pèlerinage auprès de tous
les formateurs des sites (les cinq
anciennes écoles normales), non pas
pour étudier les dossiers
administratifs consultables au Rectorat,
mais pour entendre les personnels sur
leurs expériences et
compétences autres que celles qui y
figuraient et sur leurs attentes.
Un audit
humanisé, pour constituer un vivier
de personnes ressources adaptables,
flexibles. Je me souviens de mon
admiration devant toutes ces
compétences acquises ailleurs :
animation de groupes, expériences
culturelles, artistiques, associatives,
politiques et citoyennes
stérilisées dans la pratique
contrainte et
stéréotypée de la
formation qu'ils assuraient.
Je me souviens de
leur propre étonnement et de leur
adhésion large à mon
engagement, mais tout autant de la
réaction de ce responsable syndical
devant cette initiative :
" Vous voulez nous
transformer en bétail d'entreprise
". Je suppose que ce long travail suivi de
préconisations a subi un classement
vertical après mon départ,
même s'il m'a valu post mortem
(celle de ma fonction !) l'attribution des
palmes académiques par le
président de
l'Université.
|
Pour connaitre des personnels investis avec une
forte implication dans l'accompagnement des
enseignants sollicitant un changement ou
invités à changer, et qui ont pour
eux-mêmes traversé ce parcours,
s'investissant dans des formations personnelles
à leurs frais le plus souvent, je sais leur
engagement et leur conscience professionnelle
malgré la minceur de leur marge de
manuvre.
Je sais aussi comment elles doivent travailler dans
le prêt à porter et le cousu main,
invitant en interne à réveiller le
désir - (comment faire germer le
désir d'apprendre chez les
élèves, si le sien est en berne), et
en externe à faire émerger les
talents et à ouvrir des perspectives
ignorées : " Nous sommes pauvres de ce que
nous ne savons pas que nous avons " ne cesse de
dire Jacques Salomé.
La formation continue, levier des
changements : devenue parente pauvre du
système éducatif, elle
témoigne de l'indigence d'une projection sur
l'avenir.
La mobilité professionnelle qui devrait
être la situation normale dans un monde qui
bouge à grande vitesse ne peut être
mise en uvre sans cet appareillage que
constitue la formation tout au long de la vie.
Malgré le constat que les individus ont
tendance à aller se former là
où ils sont déjà bons, elle
est le creuset de la transition professionnelle et
de la sortie de la solitude.
Nous connaissons tous des entreprises industrielles
qui ont jeté l'éponge en n'ayant pu
résister à la concurrence, et qui ont
laissé leurs personnels en grande
difficulté faute d'une formation continue
pensée pour s'adapter non seulement aux
évolutions de l'entreprise, mais aussi pour
leur permettre d'accéder à d'autres
types de responsabilités.
Nous savons en anthropologie que plus une personne
étrangère maitrise sa culture et
qu'elle la comprend, plus elle a des
facilités pour s'adapter. En mobilité
professionnelle, plus la personne a acquis de
compétences, plus elle est aura des
facilités pour la transition et la formation
continue y participe surtout si elle ouvre des
fenêtres dans la vie du salarié
sur
" le complexe et le contexte
" (E. Morin).
C'était la politique de Michelin dont
j'avais rencontré le DRH, capable de
recruter des diplômés, sans projet de
poste a priori, souvent puisés dans un
vivier de talents repérés à
l'occasion de stages : littéraires ou
scientifiques, philosophes ou juristes
et
même des enseignants en reconversion.
Alors quelle employabilité pour ces
enseignants ? J'ai cité la
réactivation de la motivation, des
mobilités dans l'institution, des
changements de contexte et de métier,
à penser dans une gestion globale, du
recrutement à la fin de vie professionnelle.
Rémi Boyer a décliné dans son
livre de nombreuses pistes et réussites,
tout en sachant que c'est toujours un exercice
périlleux, là où affrontent
des logiques obscures pour changer à
l'intérieur de soi, changer à
l'intérieur de l'institution, changer non en
s'exilant, mais en choisissant d'être
ailleurs, éventuellement, en tenant compte
des contraintes familiales, sans amertume mais
fidèle à ses conceptions de
l'homme.
"
Vivre c'est naviguer dans un océan
d'incertitudes à travers des archipels de
certitudes " et nous avons besoin de " mondiologues
" rappelait Edgar Morin au sommet Wise d'octobre
2013 au Qatar sur " l'Education innovante
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