Cette recherche a pour objectif de faire
apparaître les composantes fantasmatiques de
l'objet nombre. Nous pourrons également
observer l'expression symbolique et les
mécanismes de défense mis en jeu
ainsi que les différentes stratégies
pour lutter contre la prise de conscience de
mobiles inconscients, avec les frustrations et les
angoisses qui peuvent en
résulter.
|
Test proposé
aux élèves. (45 élèves
de 4 ème de L.E.P. section:
E.T.C.)
|
Il s'agissait d'une rédaction faite
en classe pendant une durée d'une heure. Les
élèves ne connaissaient pas la
finalité du test et ont participé
avec le seul souci de réaliser une
rédaction.
|
"Après avoir parcouru des
plaines et traversé des montagnes
vous arrivez au pays des chiffres.
Racontez ce que vous observez et ce que
vous ressentez"
|
|
Le test s'est passé pendant le cours
de français. Le professeur a écrit le
texte de la rédaction au tableau. Les
élèves ont réalisé leur
travail comme à l'habitude sur une feuille
de copie. Nous n'avons pas observé de
comportements différents des autres
rédactions. Le contrat didactique a
été respecté et chaque
élève a rendu à la fin de
l'heure sa rédaction. Pour le professeur de
français ce travail correspondait à
une épreuve où l'élève
devait manifester de l'imagination.
|
Analyse
des réponses des
élèves
Pulsions
orales
Les pulsions orales renvoient aux processus
du stade oral. Il s'agit du premier stade de
l'évolution libidinale pendant lequel le
plaisir est associé à la nutrition.
Cette centration sur l'activité buccale se
retrouve à l'intérieur des fantasmes
exprimés par les élèves dans
leur relation à l'objet nombre.
«Quant je
suis rentré chez moi à
l'heure que tous les habitants devaient
être chez eux j'ai été
dîner. Même mes couverts
étaient composés de chiffres
transparents ou multicolores puis tout
à coup, il se mit à pleuvoir
pendant des mois. Les gouttes de pluies
ressemblaient aux chiffres et endormaient.
Quand j'ai fini mon dîner je suis
allé me
coucher».
|
On ne peut qu'être frappé par
l'apparition d'un temps à l'intérieur
d'un temps : "Pendant des mois" se trouvant
à l'intérieur du temps d'un repas.
Cette durée qui s'allonge n'est pas sans
évoquer le fantasme d'un temps de nourriture
très long où la satisfaction orale
s'éterniserait. Nous pouvons
également faire le rapprochement entre
gouttes de lait et "gouttes de pluies en forme de
chiffres" et qui endormaient Ce fantasme se termine
par la plénitude du repos et du
dormir.
Une autre élève présente
le pays des chiffres comme un paradis. Elle
écrit
:
«Ce monde
était merveilleux. Les chiffres
étaient en chocolat, de l'amande,
ils tenaient en suspension dans le
ciel ... ».
|
|
|
Pulsions à
caractère phallique.
Les
pulsions de type phallique sont en relation avec la
phase pendant laquelle la libido se positionne sur
les organes génitaux. Freud dans ses
différents travaux montre la primauté
du phallus. Selon lui la libido est : "de nature
masculine aussi bien chez la femme que chez
l'homme". D'autre part : "la zone
érogène directrice chez la fille est
localisée au clitoris qui est l'homologue de
la zone génitale mâle (gland)" Dans le
protocole suivant l'élève utilise des
archétypes phalliques :
chêne,oiseaux
<<Dans ce
pays merveilleux où il y a des
chiffres en forme de chêne, le trois
en forme d'oiseaux, dans ce monde
où j'arriverais n'était pas
comme tous les autres, il me faisait peur
en même
temps.>>
|
|
Nous pouvons également observer le
trouble qui se produit devant des sexes. Toujours
dans le même protocole l'élève
écrit :
«ce paysage
était rempli de chiffres de 1 et 2,
3, 4, 5 ... jusqu'à l'infini et
quand je m'enfonçais au plus
profond de la forêt où il
faisait sombre je ressentais affreusement
la peur».
|
|
Nous pouvons
souligner les expressions . «enfonçais
/ profond / forêt / sombre /
peur".(pp.132/135)
Pulsions liées
à des fantasmes de type
originaire
Pour l'élève suivante on
s'aperçoit de la recherche inquiète
d'une ressemblance anatomique entre les sexes
et,surprise,que voit-elle...
«Comme tous
les jours, j'étais chez moi.
Allongée sur mon lit en train de
lire un livre, puis tout à coup un
trou noir... Quelques temps plus tard, je
me réveillais mais je
n'étais plus chez moi.
J'étais arrivée je ne sais
comment au pays des chiffres. Je vais vous
raconter mon aventure. Je me
réveillais tout à coup puis
je regardais un peu partout pour savoir
où j'étais. J'aperçus
au loin un petit homme et il avait l'air
comme moi. Puis en s'approchant je
m'aperçus qu'il avait deux jambes,
deux pieds, deux bras, une tête, une
bouche, deux yeux, mais oh! là,
là ! à la place de notre
ventre il avait un chiffre. C'est comme
ça que j'ai su que j'étais
au pays des chiffres. Puis un frisson me
vint car le petit homme s'approchait de
moi. Il me demanda comment j'étais
arrivée ici. Je lui répondis
que je ne savais pas, puis on fit
connaissance. Il était gentil et il
m'emmena voir sa famille. C'était
la famille du 1 ce qui représentait
là-bas les chefs du village puis
nous sommes devenus de bons amis et il m'a
appris que sa mère était
magicienne et que c'est elle qui m'aurait
fait venir car elle s'était
trompée de formule. Quelques jours
plus tard il m'apprit que je pourrais
rentrer chez moi. J'étais
très contente mais un peu moins de
quitter mon ami. Le moment fut enfin
arrivé je dus repartir je dis au
revoir à tout le monde puis tout un
coup je fus à nouveau dans un trou
noir puis je me suis
réveillé chez moi sans aucun
souvenir de cette
histoire».
|
Tout au long du protocole nous pouvons
observer chez l'élève le souci de
connaître l'origine de la scène
«originaire», l'origine de la
sexualité, l'origine de la différence
des sexes. La scène fantasmatique
débute par un trou noir et se termine par un
trou noir : "je fus à nouveau dans un trou
noir". Nous pouvons rapprocher ce fantasme
originaire des rites initiatiques chez certains
peuples Africains. Les nouveaux initiés
doivent ramper à l'intérieur d'un
tunnel noir symbole d'une "renaissance".
L'élève s'inquiète
également de l'origine de la
différence des sexes. Après avoir
fait l'inventaire des similitudes : "deux jambes,
deux 'pieds, deux bras, une tête, une bouche,
deux yeux" elle s'étonne de ce qui est
à la place du ventre - "un chiffre". Puis
c'est l'inquiétude de l'élève
à travers un fantasme de séduction et
le surgissement de la sexualité: "puis un
frisson me vint car le petit bonhomme s'approchait
de moi". L'élève s'inquiète
à nouveau sur sa propre origine : "il me
demanda comment j'étais arrivée
là-bas. Je lui répondis que je ne
savais pas".
Dans la suite du protocole apparaît une
magicienne ayant fait une erreur de formule. Nous
pouvons penser aux formules de
mathématiques. Ainsi sa présence /
naissance serait le résultat d'une erreur...
A travers ce protocole nous observons la dynamique
simultanée de différents fantasmes de
type originaire. Le rapport avec les nombres a
permis à l'élève de
libérer certaines pulsions et exprime toutes
ses inquiétudes sur ses origines.
(pp.135/137)
Les nombres comme objet
d'amour
«je pense
que je suis dans la famille du dix qui
sont les nombres que j'aime, qui sont
gentils avec tout le monde; que je me sens
bien avec eux, que je les vois tous les
jours quand je me lève le matin et
quand je rentre à
l'école».
|
Pour
l'élève cette famille dix devient une
famille idéale ou elle serait heureuse de
vivre.
Dans le protocole suivant nous observons un
mécanisme d'associations qui permet à
l'élève d'éprouver des
sentiments heureux envers certains
nombres
«Je les aime
bien en particulier le 14 mais je ne
dirais pas pourquoi. Quand je pense au 14
ça me fait rêver. Je ressens
plein de joies dans mon coeur ...
».
|
Il apparaît un bonheur d'être
aimé et de conserver secret l'objet de son
amour. (p.138)
L'analyse de ces
différents protocoles nous montre
qu'il existe chez les élèves
un vécu fantasmatique des nombres
lié aux pulsions de vie. Parmi les
plus importants nous trouvons les
fantasmes de type oral, anal, phallique,
originaire, oedipien. Ces fantasmes
apparaissent chez les élèves
avec des désirs très
profonds qui conditionnent leurs rapports
différenciés avec les
nombres. Même si l'interdit est
source de refoulements et de sublimations,
nous constatons cependant l'importance et
l'influence de ces mécanismes dans
la vie psychique des
élèves.
|
|
Pulsions de haine: les
nombres comme objet de haine
«Le 9 pour
moi est débordant de
qualités et d'ambiances de tout. Le
9 quand je l'observe bien je ne sais pas
mais je ne sais comment m'exprimer dans ce
que je vais dire je pense qu'il pourrait
mieux faire dans son milieu. Pour les
autres chiffres je trouve
particulièrement pour le 7 je lui
trouve une critique. Il a aucune
expérience pour moi dans ce milieu
des chiffres. D'autre part les autres me
paraissent bien, le 3 ou le 0 ce sont les
chiffres pour moi qu'on pourrait leur
faire confiance donc pour le 3 pour les
autres camarades elles leur importe
beaucoup pour conclure tous les chiffres
peuvent être bons et d'autres non.
Je terminerais en disant qu'un voyage au
pays des chiffres n'est qu'un récit
d'écriture».
|
|
A travers ce protocole apparaît le
clivage entre "bons nombres" et "mauvais nombres".
L'élève projette sur le 9 des
caractères anthropologiques :
"débordant de qualité, d'ambiance de
tout". Il s'agit d'un bon objet puis
s'établit un retournement. Le 9 alors
"pourrait mieux faire dans son milieu".
L'ambivalence apparaît avec l'insatisfaction.
Qu'est-ce que le 9 pourrait mieux faire dans son
milieu ? Nous pourrions faire l'hypothèse
d'un manque affectif chez cette élève
par rapport à son propre milieu personnel et
familial. Le 7 a permis de manifester ce qui : "a
aucune expérience dans son milieu des
chiffres" et par conséquent serait un objet
incompétent ne pouvant apporter ce que l'on
espère de lui. Il est donc investi comme un
mauvais objet. Puis le trois et le zéro
deviennent eux par projection de 'bons" objets pour
lesquels "on pourrait leur faire confiance". Enfin
l'élève termine par un clivage sans
nuance : "tous les chiffres peuvent être bons
et d'autres non". Dans d'autres protocoles nous
retrouvons ce même processus de clivage avec
l'introduction d'êtres surnaturels comme les
diables et les sorcières.
(p.152/153)
Pulsion
d'agression
Nous pouvons l'observer également
dans des fantasmes de toute puissance. Le protocole
suivant montre comment l'élève
s'investit du pouvoir de vider l'énergie
d'objets extérieurs :
«C'est un
jour où je dormais
péniblement quand tout un coup mes
yeux commencèrent à se
fermer. J'étais déjà
dans une forêt, arrivée dans
cette forêt j'entendais des bruits,
je regardais à gauche et à
droite. Quand soudain deux jeunes
apparurent. Alors ils me dirent : bonjour
et bienvenue au pays des chiffres et je
répondis. Ils me montrent du doigt,
tiens, regardez là-bas il y a que
des chiffres, toute cette couleur et
d'ailleurs on ira demain les visiter. Le
lendemain matin c'était là
que les deux personnes font leur
connaissance. Ils m'ont dit qu'ils
étaient les gardiens des chiffres.
Quand j'étais arrivé
à côté d'eux ils ont
commencé à perdre leur
énergie qui leur aide à
rester dans l'air. Alors je demandais au
gardien pourquoi ils perdaient leur
énergie. Il me répond c'est
parce que la première personne
qu'ils voient c'est comme
ça».
|
Il apparaît dans ce protocole un
désir de toute puissante avec droit de vie
et de mort sur les objets. La chute des chiffres ne
pouvant plus rester en l'air renvoie à une
signification phallique. (p.158)
Les nombres sont
véritablement investis et
intégrés à la vie
psychique des élèves. Nous
venons d'observer qu'en fonction de leur
vécu personnel les
élèves projettent leur
réalité et leur
singularité sur les nombres. Il en
résulte que la relation à
l'objet nombre est rarement neutre comme
le laisserait supposer une opinion sociale
qui fait des nombres un objet de preuve,
d'exactitude, de vérité
objective dénuée le plus
souvent d'affectivité. Nous avons
pu observer dans l'analyse de ce test
combien les fantasmes les plus universels
(oral, anal, oedipien, etc ... )
intervenaient dans cette relation. Nous
pouvons confirmer et souligner ce
qu'observait J. Nimier par rapport
à la relation aux
"mathématiques". Pour chaque
élève il existe bien un
mécanisme personnel lui permettant
de s'approprier fantasmatiquement l'objet
nombre. Ainsi confronté à
des pulsions non satisfaites,
l'élève met en place des
mécanismes de défense
réparation, introjection,
retournement, projection,
évitement, négation,
distanciation, déplacement, etc...
Nous pouvons nous interroger sur les
conséquences d'un potentiel
affectif par rapport au fonctionnement
cognitif lié aux activités
numériques. A l'aide de cas
cliniques nous observerons les
mécanismes de défense
utilisés à l'égard de
l'objet nombre. Nous chercherons
également à mettre en
évidence une singularité de
l'objet nombre par rapport à
l'objet mathématique.
(p.160)
|
|
"NOMBRES ET AFFECTIVITÉ"
est le titre de la thèse
soutenue par:
Benoît
MAURET
dans
l'U.E.R. de Sciences de
l'Éducation de PARIS V sous la
direction du Professeur
Gérard
VERGNAUD
.
Nous
en donnons ici des extraits et des
synthèses qui sont
évidemment choisis de façon
subjective.
|
|
|
Réaction
<<Super
>>
<<L'inconscient
freudien ou des psychanalystes n'est pas et n'a
jamais été une donnée
testable. Pourquoi ? Parce que cette théorie
dépend du postulat freudien du
déterminisme psychique prima faciae, absolu,
excluant tout hasard intérieur, tout
non-sens psychique. L'inconscient freudien est
absolument indissociable, dans la théorie
psychanalytique de ce postulat rigoureusement
intenable (Cf. Popper in : "L'univers
irrésolu, plaidoyer pour
l'indéterminisme"). Ce postulat est
intenable parce que le déteminisme absolu ne
peut donner lieu à aucun projet de
description ou de prédiction qui puisse
satisfaire à ses exigences
démesurées : pouvoir donner , avant
le projet une manière de calculer n'importe
degré de précision dans le calcul des
conditions initiales du projet. De ce fait comme,
le démontre Popper, le déterminisme
"scientifique" n'est d'aucune utilité pour
la science et n'a aucune valeur explicative (et,
encore moins prédictive). Toute la
psychanalyse est fondée sur une version
parfaitement insoutenable du déterminisme.
Des fondements théoriques jusqu'à la
pratique thérapeutique dite des associations
libres. Il n'y a pas de théorie de
l'inconscient spécifiquement freudienne ou
psychanalytique qui ne soit associée
à cette version du déterminisme.
Freud, lui-même, a martelé, pendant
toute sa carrière avoir une "foi
inébranlable" dans ce déterminisme.
Il se trompait lourdement et a fait de tout projet
psychanalytique, un projet qui échoue, par
nature, avant même d'avoir pu commencer.
Conclusion : ce qui disent avoir fait des
"expériences" sur l'inconscient
freudien...se trompent. L'inconscient freuien
n'existe pas sans ce que Freud en a explicitement
dit : le déterminisme absolu excluant tout
hasard. Prétendre avoir "testé" cet
inconscient sans tenir compte de ce que dit Freud,
c'est donc avoir testé quelque chose d'autre
ET PAS l'inconscient de Freud, parce que
celui-là reste impossible à mettre
à l'épreuve, il est parfaitement
irréfutable. Cordialement.>>
Patrice
|