Beaucoup
se souviennent, ou pour les plus jeunes,
ont entendu parler de cette audacieuse
affiche publicitaire de 1981, avec la
sulfureuse Myriam :
" le 2
septembre, j'enlève le haut, demain
j'enlève le bas ".
La
formule est tombée dans le domaine
public et s'est appliquée par la
suite à bien d 'autres champs.
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Vagabondages
dans les hauts et les bas
Le récit
mythique de la Genèse, cette antichambre de
nos structures sociales, est un inépuisable
réservoir de métaphores
pédagogiques. Dans l'organisation du monde,
on se rappelle que Dieu s'empressa de
séparer les eaux d'en haut et les eaux
d'en bas créant immédiatement un
clivage porteur d'une hiérarchie. Dans son
étonnante traduction inspirée du
structuralisme, Chouraki fait dire à Elohim
(Yahvé) " Un plafond sera au milieu des
eaux. " Apparemment, un principe qui fit
école
Cette division est
présente dans les champs de la vie sociale
et économique: découpage
administratif ou régional de notre
territoire (Bas-Rhin et Haut-Rhin, Basse et
Haute Normandie
), dans l'industrie
sidérurgique (les hauts-fourneaux et les
bas-fourneaux), la finance et les bilans
(bas de bilan avec ses
éléments circulants non permanents et
les hauts de bilan avec ses
éléments permanents), le
bas-clergé et le haut-clergé sous
l'Ancien Régime clivant les
clercs.
Elle surgit de façon
informelle dans les configurations villageoises ou
urbaines avec des hiérarchies
privilégiant parfois les hauteurs, ailleurs
les plaines ou les rives, et apparait dans les
statistiques socio-économiques
définissant les classes sociales ou les
revenus.
"Il faut
mépriser les hauts et repriser les bas".
Jacques Chirac. (
à propos des
sondages !)
Vaste programme, comme aurait dit de Gaulle, et
question aussi ancienne que lhistoire des
institutions. Ces dernières sont en effet,
un lieu de compromis entre souveraineté du
roi et légitimité des individus,
entre garder une ligne idéologique et
prendre en compte des spécificités
locales ou culturelles, entre efficacité et
démocratie.
Les choses se sont
complexifiées quand les gens d'en haut
ont été élus par ceux d'en
bas, dans un système de
démocratie indirecte, et non plus
héritiers de droit divin. La
démocratie directe est peu présente
dans notre espace citoyen, sauf par de rares
référendums ou les votations suisses,
et la démocratie participative, ailleurs que
dans le secteur associatif ou
autogéré, les primaires des partis,
reste marginale. Cette préoccupation de
partage des pouvoirs a été
partagée par bien d 'autres structures
très hiérarchisées comme
l'Eglise catholique, le Parti Communiste au temps
de sa grandeur ou par des pays aux institutions
fédérales.
Réforme
de l'Education Nationale
A l'occasion d'un
échange entre confrères sur
l'opportunité d'opérer les
réformes de l'Education nationales soit
à partir du haut, soit à partir du
bas en excluant l'un ou l'autre des deux termes, ce
débat récurrent se
réveille.
Les uns estiment
que les décisions venant du Ministère
sont déconnectées de la
réalité du terrain et sont
destinées à rester " lettre
morte " ou à susciter des
réactions de la base qui les renvoient dans
les oubliettes de l'histoire (Loi Devaquet par
ex.). Pour d'autres les innovations ou
expérimentations, " menées en
bas " n'ont pas d'impact sur l'ensemble du
système et restent parcellaires,
saupoudrages courageux certes, mais ni
mutualisés, ni connus notamment depuis la
suppression au Ministère d'une structure
gérant les innovations pédagogiques,
comme la lutte contre les violences scolaires, la
mise en place de médiateurs, les initiatives
artistiques ou culturelles avec l'extérieur
etc.).
Ce qui est
sûr, qu'elles viennent d'en haut ou d'en
bas, les impulsions semblent trop souvent se
dévitaliser et s'enliser dans les sables
mouvants des structures intermédiaires, sont
parfois bloquées par la force conservatrice
des syndicats, des fédérations de
parents d'élèves ou par l'inertie
personnelle et la résistance au changement
des individus ou des groupes. (Voir:
La
dégradation des "bonnes idées" en
pédagogie
)
Le philosophe
Tzvetan Todorov explique cette force de
résistance active ou passive par " le
gigantisme d'un corps de l'éducation
nationale, constituée d'acteurs multiples
dont aucun n'a un pouvoir suffisant pour mener
à bien une réforme mais qui, presque
tous, ont un pouvoir suffisant pour bloquer les
autres ".
On sort
accablés de ce constat trop lucide. Pour
l'un de mes collègues, homme de conviction
engagé depuis des décennies dans le
mouvement REVEIL qui constitue un lieu ouvert et
militant pour "une école créatrice
d'humanité" et un " Réseau
d'Échanges, de Valorisation et
d'Études des Initiatives
Locales " , "
considérer que le Loi peut faire changer les
pratiques, et d'abord les "regards", des
enseignants sur leur "mission", c'est les
réduire au rôle de "fonctionnaires
exécutants" obéissant aux
instructions "venant d'en haut". "
Ses convictions
sont confortées par des exemples
puisés dans nos grandes réformes
sociétales et il cite ainsi la genèse
de la loi sur l'avortement qui a suivi et
entériné les murs et ne les a
pas précédés. L'exemple a
toute sa valeur.
Pourtant, mon
goût pour l'histoire du droit et ses liens
avec la société, m'ont toujours fait
douter de l'affirmation de Michel Crozier " on
ne change pas une société par
décret", ou la nuancer tout au
moins.
Des exemples
dans l'histoire
L'histoire de
l'esclavage dans laquelle je me suis
replongée par nécessité de
mieux connaitre le terrain des formations en
Martinique rappelle bien, que c'est le droit, qui
éclairé par des élites et sans
attendre un consensus illusoire, a fait changer les
choses et non les quelques révoltes
sporadiques d'esclaves, indispensables cependant
pour éveiller les consciences. De la
même façon en France, Robert Badinter
ne s'est pas appuyé sur un consensus (les
abolitionnistes étaient minoritaires : 37 %)
pour voter l'abolition de la peine de
mort.
Lorsque les
japonais ont développé l'approche de
la qualité dans les entreprises (cercles de
qualité des années 70-80), leur
succès au Japon, qui perdure sous d'autres
formes tient à cette double prise en
tenaille de la base et du top management. Sa faible
pérennisation dans les entreprises en France
semble liée au moindre engagement du " top
management ".
Quand Bourguiba de
la belle époque développait
l'éducation en Tunisie, son souci
était de s'attaquer à la question de
l'Ecole par le haut et la base, estimant que les
cycles intermédiaires suivraient par
capillarité. C'est ainsi qu'il a fait porter
ses efforts sur l'enseignement supérieur et
mis en route de nombreux programmes en direction de
l'enseignement primaire.
La
rénovation de l'école
"On juge mieux
les hommes de bas en haut que de haut en bas".
Paul Claudel
Je ne vais pas
alimenter cette dichotomie, et commenter cette
parole de poète. La grande concertation
à laquelle ont participé bien des
acteurs d'une base éclairée et
engagée, pour une refondation de l'Ecole,
qui reste à traduire en actes, laisse
augurer un désir et une volonté
partagée de changement, même si ce
n'est pas forcément pour aller dans le
même sens !
Les paradoxes sont
nombreux : tandis que la base se rebelle contre les
décisions prises au Ministère " loin
des réalités de terrain ", d'autres
(peut-être les mêmes) s'insurgent
contre les tentatives d'instaurer plus d'autonomie
aux établissements et ainsi de " casser " le
sacro-saint principe d'égalité, dont
tout observateur éclairé et de bonne
foi sait qu'il est une illusion d'optique
confortant l'inégalité de fait. Les
uns réclament des directives claires sur les
signes ostentatoires religieux, les autres ( les
mêmes, peut - être, s'insurgent contre
l'hypothèse d'une notation par leur chef
d'établissement, tout en se plaignant de ne
pas avoir le soutien de leur hiérarchie face
aux violences et en exerçant leur droit de
retrait quand celles-ci
s'exaspèrent.
Et
pourtant
J'ai eu l'occasion de communiquer
à la Biennale de l'Education à Paris,
en juillet 2012, lieu de rassemblement de centaines
d'acteurs de la vie éducative qui pendant
quatre jours ont échangé et
partagé leurs expériences. Occasion
surtout de m'émerveiller devant le
foisonnement de recherches, de publications,
d'interventions sur des initiatives amples ou
minuscules qui disent la vitalité des
acteurs de terrain.
Recherches et
expériences loin du Ministère, mais
pas forcément contre lui, acteurs qui font
vivre cette Education Nationale avec
créativité, sans moyens
supplémentaires ou si dérisoires,
mais avec la conviction que l'initiative est
possible.
En anthropologie
du développement on sait que l'approche
préférentielle est celle " de bas en
haut " (bottom up) et cela parait bien
séduisant : on part des besoins
exprimés à la base et le haut
accompagnerait le processus de mise en
uvre
Serais-ce un exemple à
suivre ici ? La situation est souvent en fait
beaucoup plus complexe disent les observateurs
vigilants " et il est relativement facile de
manipuler ces méthodes pour les mettre au
service de la validation systématique des
bons vieux projets de développement
parachutés " de haut en bas " (top-down)
".
Pour sortir des
pattes de ce mammouth pas encore prêt
à l'allègement (et on sait la grande
longévité de cet animal), j'avancerai
quelques pistes :
- Le rôle des
corps intermédiaires :
Qui sont-ils ? Dans
cette liaison entre le haut et le bas, les chefs
d'établissements, les décideurs qui
gravitent au sein du Rectorat, le Corps des
Inspecteurs, jouent un rôle fondamental.
Courroies de transmissions souples ou rigides, ils
soutiennent, favorisent les initiatives ou
élèvent des obstacles. En leur temps,
nous avons pu expérimenter avec ce vaste
ensemble de stages - 50 par an sur 16 ans- (
Jacques
Nimier-FNTE), combien
le soutien des responsables successifs de MAFPEN et
d'IPR motivés avait permis cette
réalisation innovante et globale. Et nous
avons pu vivre aussi que c'est un Recteur qui les a
supprimés sans concertation aucune,
malgré bien des interventions et soutiens.
Les formateurs et les formés ont
essaimé ailleurs et autrement. Le rôle
des corps intermédiaires est
précieux, mais ne résiste pas
à tous les coups de boutoir.
- La conscience de la
marge de liberté dont ils disposent :
Pour avoir
assuré de nombreuses formations en direction
des chefs d'établissements en France et
à l'étranger (voir Bonicel (MF)
"Le
Coaching de chefs
d'établisements"
et "Le stress des chefs d'établissements
: du chaos à l'ajustement
créateur". in La revue de Gestalt.
n° 13-14, Mai.1998 pp. p.91-110), j'ai pu
mesurer les différences de comportements
individuels face aux mêmes contraintes. J'ai
observé le bon usage ou non de cette marge
de liberté dont beaucoup d'entre eux ne
voyaient même pas la lueur.
Certains,
obsessionnels de la perfection ou de
l'obéissance sont tétanisés
devant les réformes, décrets et
autres circulaires (comme pour Le voile !) et
accablés (Légitimement parfois) par
le florilège de demandes d'informations, de
documents statistiques de contrôle à
faire parvenir en haut-lieu (sans doute
stockés dans d'improbables greniers du
haut-lieu.) Ceux-ci, s'empressent de mettre en
place la dernière directive dans les
meilleurs délais et consomment beaucoup
d'énergie à faire passer ces
modifications ou nouveautés auprès
des personnels, des élèves et des
familles en immédiateté en imposant
ce qu'on leur a imposé.
D'autres, de
structures psychiques plus " perverses " (au sens
de capacité à contourner la loi),
estiment devant cette prolifération qu'il
est urgent d'attendre le changement de Ministre ou
de Recteur, la circulaire contredisant la
précédente, et font de la
résistance passive un mode d'action,
repoussant la mise en place, utilisant l'opposition
des enseignants ou des parents pour la justifier.
Et enfin d'autres
gagnés par un ajustement créatif vont
s'appuyer sur tous les interstices de
liberté pour innover, adapter, se servir des
directives et du nouveau pour faire du neuf et au
lieu de consommer de l'énergie pour se
plaindre ou combattre dans des oppositions
stériles, font des textes un levier pour
susciter des initiatives et engendrer des
démarches fertiles.
La consultation de
la base n'exclut pas que le détenteur de
l'autorité soit décisionnaire,
notamment dans des postures d'arbitrage. La
question des rythmes scolaires en est un
exemple éloquent : intérêts
divergeant selon le type d'établissement, sa
position géographique urbaine ou rurale,
selon le recrutement sociologique des
élèves, sans compter les
intérêts économiques du
tourisme ou le souci de l'enseignement religieux.
Le haut doit trancher.
- Amplifier le sens de la
responsabilité personnelle :
On sait la
diversité d'attitudes face aux contraintes
réelles ou imaginaires (les plus difficiles
à vivre) que ce soit dans la mission
managériale ou pédagogique. J'ai pu
développer ces pistes (voir Bonicel (MF)
Former les chefs d'établissements à
la complexité in Ecole, Changer de Cap,
Chronique sociale, 2007) en mettant l'accent sur
une formation humaine qui prend en compte ce que
nous appelons le développement personnel
à visée professionnelle, pour ne pas
effaroucher une hiérarchie sourcilleuse.
Mais tout autant,
la formation continue et notamment celle
pratiquée entre pairs dans des groupes
d'analyse de pratiques, permet de faire
évoluer les représentions des
contraintes ou des espaces de liberté dont
disposent les chefs d'établissements, des
liens de coopération qu'ils peuvent
établir entre collègues partageant
les mêmes soucis. " Tisserand des
complexités, tisserand de la
complexité, le chef d'établissement
est au cur autant qu'à la tête
de l'institution, à la fois fil conducteur
et créateur de liens en interne et dans les
territoires au-delà des murs. "
L'opposition "
haute et basse " est en effet relativisée
par les liens horizontaux
établis.
" La
création déjà contestée
des ESPE (Ecoles Supérieures du
professorat et de l'éducation est
intéressante à regarder sous l'angle
de cette dualité haut/bas. L'expression "
maitre d'uvre " qui qualifie la
mission de ces nouvelles structures est
prometteuse. Dans le domaine de la construction "
on appelle maître d'ouvrage
l'entité porteuse du besoin,
définissant l'objectif du projet, son
calendrier et le budget consacré à ce
projet. Le résultat attendu du projet est la
réalisation d'un produit, appelé
ouvrage. Et La maîtrise d'ouvrage (en anglais
Project Owner) maîtrise l'idée de base
du projet, et représente à ce titre
les utilisateurs finaux à qui l'ouvrage est
destiné ". Cela suppose de tricoter les
contraintes " d'en haut ", les besoins " d'en bas
", sans oublier le contexte, social,
économique et psychologique. Un bel ouvrage,
il faut l'espérer, si chacun des acteurs
dilate sa responsabilité personnelle pour
vitaliser et enrichir le projet.
St Benoit, mort au
VI eme siècle, a gagné une
autorité bien au-delà de la
sphère religieuse, et de très grandes
entreprises internationales plus soucieuses dans
leur management, de leurs résultats que
d'une quelconque spiritualité, s'appuient
pourtant sur le triptyque de la règle de
subsidiarité qui gère les
monastères bénédictins :
déléguer, accompagner, rendre
compte.
C'est peut
être par cette fécondité
réciproque verticale et transversale qu'il
sera possible de dépasser les oppositions
stériles entre haut et bas.
Jacky Beillerot affirmait
dans son livre bijou " Voies et voix de la
formation" qu'elle est :
Une colline
éternelle - Un travail de la terre - Une
aventure - Une réflexion
Cette
poétique formulation peut s'étendre
à une utopique réforme de l'Education
nationale, en inversant au besoin de haut en bas
ou
de bas en haut les vers du
poème.
" Il y a des
hauts et des bas dans la vie, comme disait le groom
de l'ascenseur". A. Allais.
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