Ce
n'est pas faire de procès d'intention
à la commission nationale, que de
considérer que l'actuel débat est
à la fois " dispersé " sur un grand
nombre de sujets (22) et souvent verrouillé
par les suggestions de pistes de réflexion
trop " fermées ".
Certaines " questions possibles " sont si
fermées qu'elles semblent ne solliciter
qu'un type de réponse : oui ou non ! Pour
que chacun puisse se faire une opinion sur cet
encadrement du débat , les 22 sujets de
réflexion proposés par la commission
nationale sont
ici avec
les mots-clés proposés pour chacun
d'eux et les suggestions de " questions possibles
". La commission les a regroupés sous trois
grands thèmes intitulés "
définir les missions de l'École "
(sujets 1 à 7), " faire réussir les
élèves " (8 à 17) et "
améliorer le fonctionnement de
l'École " (18 à 22).
Annoncé pour la rentrée de
septembre, ce débat a été long
à mettre en place : officiellement, il
est ouvert depuis le 17 novembre et sera clos, dans
sa première partie au moins, le 17 janvier.
Deux mois incluant la période des
fêtes de fin d'année peu propice
à une réflexion " pour le bien commun
", c'est court. Depuis quelques jours, plusieurs
appels officiels ont été
lancés à tous les citoyens pour
qu'ils s'expriment sur l'École de demain,
laissant penser que chacun pourra être
entendu de la commission nationale. Il est
évident que cette invitation est fallacieuse
: si chaque citoyen peut effectivement
écrire à la commission, il est
impossible que toutes les opinions ainsi
énoncées, toutes les propositions
avancées soient prises en compte dans la
synthèse finale, ne serait-ce que pour des
raisons matérielles.
On peut d'ailleurs s'interroger sur le
slogan affiché en tête du site de la
commission " 60 millions d'avis à partager
", c'est à dire un par Français
(nouveaux nés compris ?) C'est pourquoi les
" quinze mille débats " annoncés
seront essentiellement ceux qui seront
organisés dans les établissements
scolaires (collèges, lycées,
certaines écoles primaires).
Or ces débats locaux sont très
encadrés : les animateurs (en principe un
par question étudiée, bien que les
annonces des réunions
présentées sur le site de la
commission n'en mentionnent le plus souvent qu'un
pour plusieurs questions) choisis (par qui ? Si les
personnels de direction en sont
écartés, on note à plusieurs
reprises des IA, IPR, ou autres personnels "
d'autorité ") seront seuls habilités
à rédiger les synthèses qui
seront ensuite transmises à la commission
nationale. Les sujets qui seront traités
dans chaque établissement sont choisis par
les organisateurs du débat (en principe le
conseil d'administration). Ils doivent
obligatoirement être choisis parmi les 22
proposés. Leur nombre n'est pas fixé
mais pratiquement, il sera compris entre 2 et 4
dans la plupart des cas, compte tenu des
délais très courts pour
l'organisation et la transmission des
synthèses (dans les 10 jours suivant la
dernière réunion, et avant le 17
janvier.
La forme de ces synthèses est
aussi fixée : 8 pages en " times 12 ",
soit 3 pages consacrées aux constats, 3
à la prospective et 2 à trois
propositions retenues (1 par paragraphe). Les dates
et lieux de débats devront être
annoncés à l'avance à la
commission nationale qui les présente sur
son site (http://www.debatnational.education.fr -
pour l'instant, le nombre de 15 000 semble encore
loin d'être atteint.)
En principe, les associations pourront aussi
envoyer le résultat de leurs
réflexions dans les mêmes formes (8
pages, etc.) Mais il semble qu'elles doivent
obtenir un agrément et remplir un formulaire
envoyé par la commission nationale : un
courrier électronique adressé
à la commission à ce sujet le 16
novembre est pour l'instant sans
réponse.
" PENSER GLOBALEMENT, AGIR
LOCALEMENT "
Beau slogan,
mais encore ?
Le " grand débat sur
l'École " qui commence nous invite à
considérer que tout problème qui
touche notre vie peut être l'objet de deux
approches différentes :
· en
général, après analyse d'une
situation bien identifiée et
délimitée, on recherche une solution
précise, applicable à court terme, au
problème concret posé ; on vise
à supprimer certaines gènes, à
améliorer une situation, à rendre
l'action plus efficace, à soulager certaines
souffrances, à corriger certaines
injustices
ou certains scandales,
etc.
· mais ce
problème se situe dans une situation
d'ensemble qui nécessite une
réflexion plus large, plus approfondie :
chaque situation précise amène
à considérer les interrelations et
interactions qu'elle entretient avec d'autres
situations qui la relient au sein d'un "
système " complexe ; cette approche dite "
systémique " ou " complexe " conduit
à rechercher des solutions " globales " qui
tiennent compte de l'ensemble des dimensions de cet
ensemble et dont les effets seront à la fois
plus profonds et plus durables ; solutions
révolutionnaires au sens propre du terme
dans la mesure où elles entraînent des
changements parfois radicaux de perspectives ;
solutions dont la mise en uvre ne peut se
faire que dans le moyen, voire le long terme,
puisqu'elles conduisent à des
transformations sociales profondes qui
elles-mêmes ne peuvent advenir que
progressivement dans une interaction avec les
transformations des mentalités
individuelles.
Trouver et
appliquer une solution à un problème
donné :
Lorsqu'il s'agit d'un problème
à la fois local et ponctuel, cette solution
n'a qu'une portée limitée. Elle n'a
aucune incidence sur la situation globale dans
laquelle ce problème s'est posé .
Mais ce problème peut se poser dans un grand
nombre de situations : la solution purement locale
n'est alors qu'un emplâtre sur une jambe de
bois ; elle agit comme ces médicaments qui
masquent un symptôme mais ne soignent pas la
cause de la maladie qui elle, continue
d'évoluer à bas bruit et risque un
jour de se révéler grave ou
même fatale (sans compter les effets
secondaires qui peuvent être pires que le mal
soigné !).
Agir au niveau des causes d'un
problème précis mais
général ou au moins très
fréquent nécessite alors une
réforme. Et c'est là que se pose un
autre type de problème : toute
réforme suppose un changement dans les
habitudes de penser, d'agir, de se comporter, de
vivre
Une réforme concerne tout autant
les personnes dans leur singularité que la
société, les institutions. Elle est
vécue par une partie des personnes
concernées comme une atteinte à leurs
intérêts particuliers, " avantages
acquis " parfois, " confort " souvent, habitudes
surtout. Il n'est pas de réforme innocente,
purement technique, même si toute
réforme comporte un caractère
technique. C'est pourquoi toute réforme, et
surtout dans le domaine extrêmement sensible
et complexe de l'éducation, demande du temps
: temps de réflexion collective, temps de
débats qui soient de vrais échanges,
donc durée non limitée au
départ, mais aussi débat ouvert et
approfondi, non verrouillé par un projet
bouclé d'avance, qui ne soit pas maintenu au
niveau des " brèves de comptoir " du
café du commerce mais alimenté par
des informations réelles donnant le plus
d'éclairages possibles pour une bonne
compréhension de la situation dans son
ensemble.
Car un problème ne naît pas de
rien, ex abrupto, même si souvent on ne l'a
pas vu venir (par manque de clairvoyance. ). Il se
situe dans une histoire : faire l'impasse sur cette
genèse ne peut que conduire à
déplacer le problème. C'est grave
surtout lorsque cette ignorance est voulue par ceux
qui cherchent surtout à promouvoir une
réforme qui serve leurs
intérêts particuliers à court
terme et non à résoudre un
problème dans l'intérêt
général.
Mais un problème particulier n'est
jamais isolé : il est en relation, et
même en interaction au sein d'une situation
globale qui concerne l'ensemble de la " cité
" (polis) et doit donc être traitée au
niveau " politique ".
De technique, le
problème devient alors " citoyen " ce qui
conduit au débat sur le projet de
société, qui lui même ne peut
que se situer dans le cadre d'une éthique
commune, partagée par tous ou du moins la
majorité des citoyens d'une
démocratie, c'est à dire d'un
ensemble de valeurs posées comme
essentielles parce qu'elles donnent un sens (dans
le double sens de ce mot : signification et
direction) au " contrat social " sans lequel toute
société n'est qu'un agrégat
d'intérêts particuliers en opposition
les uns aux autres (un contre tous :
compétition où tous les coups sont
permis).
Toute approche d'un problème
particulier devrait donc conduire à une
démarche globale, à penser
globalement.
Mise en
uvre d'une réforme.
Parce qu'elle concerne l'ensemble d'une
société, même si elle ne
concerne directement qu'un domaine particulier, une
fraction de la population, une réforme est
nécessairement d'ordre politique, et donc,
en démocratie, elle doit être
impulsée par un gouvernement
représentant le peuple (démos).
Impulsée ne signifie pas
décrétée, car elle
entraîne nécessairement des
changements dans les manières de vivre, les
conduites individuelles et que celles-ci ne peuvent
être imposées : ceci est
particulièrement vrai dans tous les domaines
de l'humain, et au premier chef de
l'éducation.
Pour en revenir donc au débat actuel
sur l'avenir de l'École, l'erreur est donc
de vouloir décréter une
réforme, qu'elle soit " progressiste " ou "
conservatrice ", même si, hélas, elle
a plus de chances de soulever l'adhésion
dans le second cas, par les temps où
l'hyperindividualisme et le consumérisme
dominent .
A l'École plus que dans tout autre
institution sociale, une réforme de
l'École ne peut se résumer à
une loi que des exécutants devraient
appliquer. Dans ce domaine, la phrase de
Montesquieu " les murs
précèdent la loi " est
particulièrement pertinente. La loi, au sens
traditionnel du terme, ne peut que consacrer des
pratiques, des conduites, des " murs " (en se
souvenant que la " morale " est l'ensemble des
règles qui doivent gouverner les murs
(du latin mores), les conduites).
Il faut donc imaginer un autre type de loi,
qui fixe non des conduites mais des " orientations
" : ce devrait être le sens de toute " loi
d'orientation ", une loi qui incite aux
réformes, les facilite, sans les
décréter " clés en main
".
Une fois de plus, répétons que
les vrais réformes ne peuvent venir que de "
la base " qui ne doit donc plus être
pensée comme formée d'" agents
d'exécution " mais d'" agents du changement
", sources d'initiatives (ce qui devrait d'ailleurs
être le propre de toute démocratie
réelle) qui ne peuvent être que
locales. (c'est le sens même de
REVEIL).
Qu'attendre donc de la loi sinon qu'elle
fixe une orientation générale des
transformations nécessaires en fonction d'un
projet de société et qu'elle permette
les initiatives d'actions locales, qu'elle les
encourage, les soutienne, en facilite la
coordination non pas administrative et tatillonne,
mais démocratique et constructive (cf. les
manifestes " pour la reconnaissance de sites
pilotes de l'éducation nationale ", 1998 et
celui de 2000 " pour une école
créatrice d'humanité "
présentés sur le site de
Réveil.
Conclusion
proposée
Le débat actuel ne satisfait ni dans
son fond ni dans sa forme aux conditions
énoncées ci-dessus. Il faut cependant
faire l'effort d'y participer, ce qui ne signifie
pas le cautionner, mais bien au contraire tenter
d'éveiller, autant que nous le pourrons, les
participants aux débats locaux, à la
réalité complexe et globale des
problèmes particuliers qui y seront
traités, à tenter de sensibiliser au
moins quelques personnes de plus à la
nécessité de ne pas en rester au
niveau de l'affirmation de simples " opinions "
mais de s'engager dans un vrai débat
approfondi, un débat " off ", qui se
prolongera dans les mois et les années
à venir. Car on a bien compris que refonder
l'École de demain, même si c'est une
urgence et si les voies nouvelles ont
été largement ouvertes depuis
près d'un siècle, cela demandera du
temps, des efforts à long terme et que cela
nécessite un vrai engagement citoyen de
chacun dans la durée.
Tenter de gagner aussi le plus grand nombre
de nos concitoyens à l'idée que ce
sont les initiatives locales, qui donc
dépendent d'eux, de leur action personnelle,
qui seules pourront faire avancer les choses. Et
que l'une des plus urgentes réformes
politiques qu'il faille arracher aux pouvoirs
publics (les résistances de toutes natures
sont nombreuses, jusqu'au niveau local) c'est qu'il
reconnaisse le droit et garantisse les
possibilités réelles de mener des
initiatives locales, de sortir des normes
habituelles, en un mot d'agir localement dans une
perspective globale.
G.H.
27/11/03
R.E.V.E.I.L.
Rénover
l'École en Valorisant et en Encourageant les
Initiatives Locales
http://assoreveil.org/
|