De
la
recherche
de
maîtrise
à
la
gestion
de
l'incertain
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PLAN
DU SITE
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On
nous dit:
"Il faut
maîtriser sa discipline",
"il faut
maîtriser les techniques
des
TICE",
"il faut
maîtriser sa classe",
"il faut
maîtriser nos
émotions".
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Or
nous savons bien que dans la
réalité "les choses" nous
échappent souvent et que nous
sommes de plus en plus dans des
circonstances incertaines! Nous passons
insensiblement d'un cours bien
préparé où tout est
prévu d'avance à des
situations où, les TIC, les travaux
interdisciplinaires entre autres, nous
amènent des imprévus
continuels.
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Comment passer d'une
recherche de maîtrise illusoire à la
gestion de l'incertain?
Comment également
préparer nos élèves à
ce monde incertain dans lequel ils vivent et
vivront?
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"Maîtriser"
sa classe, pour quel résultat? Les
élèves n'ont alors que deux
possibilités: devenir passif (une classe
silencieuse!) avec toutes les conséquences
sur l'apprentissage qui ne peut se faire qu'avec
une participation active des élèves
ou alors la classe "explose" dans le chahut pour
sortir de cette contrainte.
"Maîtriser" ses émotions, en
particulier sa colère quand un
élève nous gène? Nous faisons
celui qui ne voit rien, nous essayons de tenir bon,
de parler plus fort, de regarder ailleurs jusqu'au
moment où, comme une marmite, nous explosons
menaçant, punissant au besoin le premier
élève qui est sous notre main La
"sanction" que nous aurions pu donner au
départ, avant de commencer à
"bouillir" devient "punition" (voir:
Sanction
et Punition)
souvent disproportionnée.
On peut aussi chercher à se
maîtriser (ne plus exprimer ce que l'on
ressent) pour répondre au désir de
l'autre et être ainsi aimé de lui au
point de devenir "une machine":
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<<Pascale
- Si tu veux,
avec mes élèves, je veux être
la bonne mère, comme avec mes enfants. Je
sais que c'est un leurre car on ne peut pas
être la bonne mère, mais cela
m'arrange... C'est cela qui me gratifie. Je vois du
reste beaucoup de liens avec ma façon
d'élever mes enfants. Avec eux si tu veux,
je veux tout leur donner. Cela ne marche pas parce
que ce n'est pas vrai, je ne suis pas tout le temps
disponible; alors c'est d'autant plus grave pour
eux parce que j'ai donné l'impression que je
pouvais tout donner. Eh bien, avec mes
élèves c'est comme cela! Cette
année j'ai eu quelques "clashs". J'avais
donné l'impression que les gens qui ne
comprenaient rien allaient pouvoir comprendre avec
moi. Et le jour où ils ne comprennent pas,
alors ils m'agressent. Je me laisse beaucoup
piéger avec cela. Avec les enfants... avec
mon mari aussi. J'ai du mal à frustrer les
enfants. Je n'arrive pas à me
préserver, je suis livrée comme cela
en pâture. Si bien que cette année,
j'avais l'impression d'être une machine
à café avec mes
élèves. Il suffirait d'appuyer et
allez, elle va nous expliquer, on va tout
comprendre. Alors là, c'est quand même
un peu délirant. Et tu vois, je crois qu'il
y a de ma faute là-dedans s'ils ont cette
impression, s'ils sont comme cela avec moi.
N. - Une machine à café?
P. - Automatique, tu vois! On appuie
sur le bouton, le café vient: là,
c'est pareil. On pose une question, c'est lumineux,
on va comprendre. Or, ce serait de la
mégalomanie de ma part d'imaginer que je
vais faire comprendre à tout le monde, mais
c'est un peu cette illusion-là que j'ai. je
constate, en tout cas, que c'est la première
année que je subis des agressions de la part
de mes élèves...>> Une
enseignante dans "Les maths à quoi ça
me sert?" p.115
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"Maîtriser
notre discipline"? Les élèves
souvent nous y invitent dans une belle ambivalence:
"le prof doit tout savoir" alors si il
"sèche" on rigole de ses hésitation,
de ses erreurs! On est content de le placer dans
une position de persécuteur pour pouvoir le
combattre. Ne vaut-il pas alors mieux que
l'enseignant résiste à cette demande
fantasmatique de tout savoir pour se montrer dans
sa réalité de personne qui cherche,
qui hésite et qui a besoin de temps et
d'erreurs pour trouver?
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E:<<Surtout,
il y a un autre fait, c'est que lui (le
prof) sait et qu'il est encore
au-dessus du problème que... Bon
! vous êtes professeur, vous
faites étudier n'importe quoi.
Des équations. Mais vous
êtes largement au-dessus de cela,
vous avez déjà
étudié des
problèmes quinze fois plus
difficiles. Alors, j'ai toujours le
sentiment dans cette
matière-là que vous
êtes au-dessus de tout ça
! « Bon ! vous donnez
l'équation, vous savez, vous, la
faire... Enfin, ça vous amuse,
j'ai l'impression que vous posez des
colles à vos
élèves : " Hein ! vous y
arrivez pas ! Alors, ça m'a
toujours fait..., et puis surtout, il y
a des jeunes professeurs qui vraiment
se foutent du monde ; et s'il y a des
choses dont j'ai horreur, c'est qu'on
se foute du monde, qu'on se moque de
quelqu'un. Le gars qui arrive les mains
dans les poches, qui pose un
problème de vingt lignes au
tableau et qui le résout comme
ça en cinq minutes, pour nous...
sécher pendant des heures,
ça me fait penser à un
jeu : au chat et à la
souris. Le chat, c'est le prof, et
puis moi !... Salut les gamins ! Il y a
des mecs qui ont trouvé
ça, et vous, vous y arriverez
pas ! N. - Quelqu'un qui vous
rabaisse. E. - Hé ! oui,
c'est ça ! Oui, je crois que
c'est ça ! Enfin, ce n'est pas
une généralité. En
tout cas, moi, ce que j'ai comme
expérience mathématique,
c'est ça !... C'est
intéressant, parce que je
n'avais jamais... (Rires.)>>
Un élève dans:
"Mathématique et
affectivité" p.53
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De
façon plus générale
on trouve ce
désir de maîtrise dans bien des
domaines:
-Le
politicien cherche à
"maîtriser" son image,
-on demande aux
instituts de sondage de "maîtriser" la
réalité de l'élection
future?
-à la
météo de "maîtriser" le
temps,
-aux
scientifiques de "maîtriser" la
"réalité"
-au
théoricien
de
n'utiliser qu'une théorie "bien
maîtrisée" à
l'exclusion d'autres:
|
<<Cher
Monsieur Nimier, A consulter encore
votre site, il me vient une question :
Ne craignez-vous pas les écueils
de l'éclectisme. Car en
vérité vous faîtes
quelque peu feu de tout bois, Lacan, le
cognitivisme, j'en passe et des
meilleurs... Or il me vient de
multiples questions / objections
à partir de ce constat : -
Comment pouvez-vous espérer
"maîtriser" cette
multiplicité de
références
théoriques, souvent ardues ?
N'êtes-vous pas alors
condamné à piocher ce qui
dans ces discours vient quelque peu
corroborer ce que vous pensiez
déjà, ce qui revient
à faire violence à ces
discours ?>>
|
La
recherche de maîtrise de l'extérieur
de nous est bien souvent une recherche de
"maîtrise" de l'intérieur de nous qui
nous fait peur.
Cette
recherche de maîtrise absolue n'est pas autre
chose
qu'une
défense contre l'imprévu,
l'incertain
qui est
difficile à vivre parce qu'il crée en
nous une
insécurité.
L'incertitude
est pourtant partout!
|
*
L'incertitude
de la connaissance: (voir : Les
représentations suivant
E.Morin)
|
*
L'incertitude de l'histoire, de
l'écologie de l'action.
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<<Il
y a dans la connaissance trois principes
d'incertitude - le premier est
cérébral : la connaissance n'est
jamais un reflet du réel, mais toujours
traduction et reconstruction,
c'est-à-dire comportant risque
d'erreur;
- le second est
psychique : la connaissance des faits est
toujours tributaire de
l'interprétation;
- le
troisième est
épistémologique : il
découle de la crise des fondements de
certitude en philosophie (à partir de
Nietzsche) puis en science (à partir de
Bachelard et Popper). Connaître et penser,
ce n'est pas arriver à une
vérité absolument certaine, c'est
dialoguer avec l'incertitude.>>Edgard
MORIN "La tête bien faite" Ed.
Seuil(1999)
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<<L'aventure
incertaine de l'humanité poursuit dans sa
sphère l'aventure incertaine du cosmos,
né d'un accident impensable et se
continuant dans un devenir de créations
et de destructions.
Nous
avons appris à la fin du xxe
siècle qu'à un univers
obéissant à un ordre impeccable,
il faut substituer un univers qui est le jeu et
l'enjeu d'une dialogique (relation à la
fois antagoniste, concurrente et
complémentaire) entre l'ordre, le
désordre et l'organisation.>>
Edgard MORIN. "Les
7 savoirs nécessaires à
l'éducation du
futur"p.92
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L'incertitude
est inhérente aux effets de
système
Alors
comment faire face à
l'incertitude,
apprendre
à la gérer?
<<Il
y a deux erreurs extrêmes à
ne pas commettre: se dire qu'on ne peux
rien faire "puisque c'est
"imprévisible"; à l'inverse
vouloir construire des réponses
pour "tous les scénarios". Le
problème n'est pas de
prévoir l'imprévisible, mais
de s'entraîner à lui faire
face. De s'entraîner à
l'action en situation de forte
incertitude.>>
Patrick
Lagadec (Le Monde: "La culture
française des crises est
fondamentalement dépassée"
11/12/2001)
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Ce
n'est
pas en préparant des
scénarios:
C'est
ce qu'on fait parfois dans sa tête avant de
recevoir un parent d'élève:
<<Il m'a demandé en rendez vous pour
me parler de cela sans doute, - dans ce cas je lui
parlerai de cette affaire, - oui mais il me
répondra que... - alors je pourrais lui
rétorquer que ... >> et ainsi de
suite! On cherche à tout prévoir mais
en même temps on tue la rencontre qui
nécessite pour être vivante justement
de l'imprévu!
De
même si on cherche à tout
prévoir face à une classe violente,
c'est autre chose qui arrivera.
Inversement
ne rien faire n'avance pas, ne fait pas progresser
son aptitude à faire face à
l'imprévu:
On
peut au contraire s'entraîner à ces
situations; c'est l'objectif de la formation
psychologique des enseignants.
Les
jeux de rôle en particulier sont un moyen de
se mettre dans des situations imprévues et
d'étudier ses réactions, sa
façon de faire face et d'apprendre
progressivement à élargir sa gamme de
réponses de façon à avoir une
attitude plus adaptée aux
situations.
Le
retour sur expérience est une autre
occasion de se préparer ;
réfléchir avec d'autres sur la
façon dont on a fait face dans telle
situation imprévue, c'est ce qui peut
être fait dans un
G.A.P.P.
I
Il y a un
état d'esprit à acquérir fait
de:
-
la certitude que ce qui arrivera sera
différent de ce qu'on a
prévu,
-
la certitude, par l'expérience acquise,
qu'on est capable de s'adapter à ces
situations imprévues sans dommage trop
grand et en faisant parfois le deuil de
certaines illusions
-
On peut
aussi utiliser des "stratégies" au lieu de
"programmes"
|
Nos
cours sont-ils préparés comme des
programmes avec un déroulement
prévu d'avance, un scénario bien
mis au point au cours des années
passées? Sommes-nous alors toujours
ennuyés de n'avoir pas fini ce que nous
avions prévu, parce que des
"imprévus" sont survenus?
Ou
au contraire partons-nous avec seulement "une
stratégie" pour l'apprentissage d'une
notion? Étant capable à chaque
instant de modifier des scénarios
provisoires pour nous adapter aux situations qui
se présentent, aux opportunités
qui arrivent.
|
<<La
stratégie doit prévaloir
sur le programme. Le programme
établit une séquence
d'actions qui doivent être
exécutées sans variation
dans un environnement stable, mais,
dès qu'il y a modification des
conditions extérieures, le
programme est bloqué. La
stratégie, par contre,
élabore un scénario d'action
en examinant les certitudes et
incertitudes de la situation, les
probabilités, les
improbabilités. Le scénario
peut et doit être modifié
selon les informations recueillies, les
hasards, contretemps ou bonnes fortunes
rencontrées en cours de
route.>>Edgard MORIN.
"Les
7 savoirs nécessaires à
l'éducation du
futur"p.100
|
|
Tout
ceci
n'est-il pas à prendre en compte dans la
formation des enseignants?
Pour
la préparation des équipes
de secours par
exemple:
<<on
se contente d'exercices très
convenus, ce qui nous rend
vulnérable. Mais les
résistances sont vives: quand vous
essayez de mettre un facteur de surprise
dans un scénario, on vous
répond: "surtout pas, vous aller
démolir tout l'exercice!" ... Nous
baignons dans une sorte de culture royale
bannissant le questionnement,
l'imprévu, l'ouverture, la
confiance envers le citoyen. On travaille
à l'intérieur de champs
solidement quadrillés, à
l'abri de lignes de démarcation qui
bloquent coopération et initiatives
transverses, mais qui font le lit des
crises.>>
Patrick
Lagadec (Le Monde: "La culture
française des crises est
fondamentalement dépassée"
11/12/2001)
|
Dans la formation
d'enseignants ne se contente-t-on pas aussi souvent
d'exercices très convenus, à
l'intérieur de champs quadrillés (les
disciplines).
L'introduction
de l'interdisciplinarité, la formation aux
T.I.C.,
la
formation
psychologique
(et non seulement le cours de psychologie qui ne
présente aucune incertitude!) avec ses
exercices, ses jeux de rôle, ses objets
intermédiaires ne peuvent -ils pas
être vus également comme des moyens de
préparer les enseignants à
gérer l'incertitude de leur
profession?
|
Pour
compléter:
Commentaire
<<C'est aux
yeux du chef d'établissement qui a un peu
travaillé ces questions un thème
central dans le pilotage au quotidien - au
delà même de la classe, dans le 'jeu'
collectif de l'établissement.
>>
<<La notion
de maîtrise est complètement
laminée par un univers qui la rend
péjorative (domination),
présomptueuse (rationalisme), purement
formelle (titre). Pourtant elle existe encore dans
des domaines comme l'art et la création,
dans des traditions où la discipline et le
maître sont associés avec quelque
"lâcher prise". Il y est question d'auteur,
d'autorité. La maîtrise est
maîtrise du Sens, pas des choses qui sont
seulement médiatrices. L'école de la
maîtrise et des responsabilité est
à refonder sur les ruines laissées
par les rationalismes
dogmatiques.>>
<<Le
directeur financier tente de fuir l'incertitude
alors que le directeur commercial tente de sortir
des habituels paradigmes. Il va falloir une bonne
dose de courage au PDG ! >>
<<Beaucoup de
probl`emes pratiques ne trouvent pas de solution
optimale par l´eductions logiques `a partir
des seules observations disponibles pour un agent.
>>
<<Une banque
s'est retrouvée confrontée à
la baisse de son résultat en 2008 du fait de
la crise. Le directeur financier propose de lancer
un plan social et le directeur commercial
préfère investir dans un programme de
fidélisation. Qui gère et qui
maîtrise l'incertain ? >>
<<Article
intéressant qui rejoint, pour le domaine du
management, ce que j'ai fait paraître dans
"L'entreprise intelligente: savoir tirer profit de
l'incertitude" (Dangles) (ISBN 9782703309277). Il
faut introduire l'incertitude dans notre
façon même de penser.
>>
<<Gestion de
l'incertain : un magnifique oxymore !
>>
<<Je suis
enseignante dans le premier degré, avec une
préférence pour le cycle 3. Cet
article sur la maîtrise m'a ouvert de
nouveaux horizons ! Contrairement à ce que
j'ai appris, je ne prévois pas de
scénario, mais plutôt une ligne
directive avec un objectif à atteindre (avec
différents niveaux prévisibles selon
la réception, le niveau
général ou l'humeur des
élèves ce jour-là. Un peu
comme un joueur de jazz, je n'exécute pas
une partition stricte mais j'improvise sur un
thème. Or j'en ressentais une certaine
gêne, me demandant si ma technique
n'était pas suffisamment "sérieuse"
et rigoureuse. Me voilà en grande partie
déculpabilisée. Merci beaucoup pour
cet éclairage très
intéressant.>>
<<Je
souhaiterais imprimer certaines de vos pages mais
je n'rrive pas à avoir le texte en entier.
comment faire? Je consulte
régulièrement votre site que je
trouve intéressant.>>
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