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Du rapport au savoir

Eléments pour une théorie

Bernard Charlot

 

Ed. Anthropos. (1999)

Dernière de couverture

 La notion de rapport au savoir commence à se répandre dans le champ des sciences humaines. Elle attire l'attention sur le savoir comme sens et plaisir et ouvre un espace de dialogue entre disciplines. Mais par là même elle court le risque de devenir attrape-tout. L'auteur, qui est l'un des « pères » de la notion, entre prend ici de lui donner statut de concept. Ce faisant, il bouscule quelques idées reçues sur « les causes » de l'échec scolaire et transgresse un tabou en avançant l'idée d'une sociologie du sujet. Prenant appui sur une réflexion anthropologique, il explore diverses « figures de l'apprendre » et propose plusieurs définitions du rapport au savoir. Ce livre repose sur un pari : rien n'est plus utile que la théorie, dèslors qu'elle parle du monde, en un langage accessible à tous.

Bernard CHARLOT est Professeur de sciences de l'éducation à l'Université Paris VIII Saint-Denis.

Table des matières

1. L'échec scolaire : un objet de recherche introuvable

2. La reproduction, l'origine sociale et les handicaps sont-ils la cause de l'échec scolaire ?

3. Pour une sociologie du sujet

4. Le petit d'homme, obligé d'apprendre pour être : une perspective anthropologique

5. Le savoir et les figures d'apprendre

6. Le rapport au savoir : concept et définitions 

Résumée par Gilbert Orsi (Formateur IUFM)

 "La notion de rapport au savoir commence à se répandre dans le champ des sciences humaines." B.Charlot ( professeur de sciences de l'éducation à l'Université Paris 8 Saint-Denis) est l'un des "pères" de la notion. Prenant appui sur une réflexion anthropologique, il explore dans cet ouvrage diverses "figures de l'apprendre" et propose plusieurs définitions du rapport au savoir. En voici le résumé :

 "L'origine sociale n'est pas la cause de l'échec scolaire"

Selon B.C il y a une interprétation abusive par l'opinion publique et les enseignants des thèses de Bourdieu relatives à la "reproduction" : si certains enfants échouent à l'école, ce serait "à cause" de leur origine familiale et aujourd'hui, de leur origine "culturelle" c'est à dire "ethnique". Certes, l'échec scolaire à quelque chose à voir avec l'inégalité sociale, mais cela n'autorise absolument pas à dire que "l"origine sociale" est la cause de l'échec scolaire" ! En effet, deux phénomènes peuvent être statistiquement liés sans que l'un soit la cause de l'autre (tous deux pouvant n'avoir aucune relation directe). Si par exemple il est reconnu que beaucoup d'enfants qui apprennent à lire en un an, ont tous une salle de bain chez eux, on voit qu'il serait ridicule de transformer la corrélation statistique en causalité : prendre des bains et des douches n'aide pas à apprendre à lire ! L'origine sociale n'est pas plus la cause de l'échec scolaire que les salles de bain sont la cause de l'apprentissage de la lecture. Certes l'origine sociale à quelque chose à voir dans l'échec scolaire et le but de la recherche est justement d'éclaircir ce "quelque à voir".

 "Les élèves en échec ne sont pas des handicapés socioculturels"

Selon B.C, il existe une seconde interprétation abusive des sociologies de la reproduction : les différences de position entre individus est pensée comme handicap socioculturel.

En fait, il faut être plus précis que cela. Selon John Ogbu (1978) il existerait plusieurs formes de la théorie du handicap. Il en distingue 3 :

- la "déprivation" : le handicap c'est ce qui manque aux enfants pour réussir à l'école (il lui manque des bases, il a des lacunes, c'est la faute à l'élève lui-même.

- le "conflit culturel" : le handicap survient lorsque leur culture familiale n'est pas accordée à celle que suppose la réussite scolaire

- la "déficience institutionnelle" : le handicap est cette fois un désavantage que produit l'institution scolaire elle-même dans sa façon de traiter les enfants des familles populaires

Il y a un glissement de la notion de handicap : selon le dictionnaire un handicap est, dans le domaine hippique, un désavantage donné à un cheval le plus rapide pour égaliser les chances, on le défavorise volontairement. Ensuite il y a un renversement de sens : le handicap devient une déficience, un manque, c'est le plus faible qui est défavorisé et non le plus fort.

Mais un manque de quoi ? Un élève est souvent considéré comme manquant de "ressources" (intellectuelles, culturelles …) dont il faut trouver l'origine par le manque de "ressources" d'origine familiale…Ainsi il se construit une longue chaîne d'origine socio culturelle dans laquelle la fonction de l'enseignant n'est jamais remise en cause ! C'est l'origine familiale qui est la cause de l'échec scolaire.

C'est pourquoi, BC, remet en cause non pas les faits, mais les explications, les causalités. Il est plus facile d'accuser l'origine socio culturelle qu'interroger la pertinence des pratiques, le sens que les élèves et leur famille(en particulier issus des classes populaires) accordent à l'école et la posture des enseignants eux-mêmes face à ces enfants. D'ailleurs, tous les enfants ne sont pas handicapés par leur origine, certains réussissent, ce qui devrait interroger sur la pertinence de la théorie du handicap socio-culturel. Mais les enseignants attribuent souvent au "don", le fait que certains s'en sortent malgré tout. Selon BC. on est donc là devant une idéologie.

 Analyser le "rapport au savoir" des élèves pour comprendre leur réussite et leurs échecs

 Pour B.C cela suppose plusieurs choses :

- une lecture en "positif" des actions des élèves, en ne pointant pas seulement ce qu'ils n'arrivent pas à faire, mais la part de ce qu'ils réussissent à faire. La lecture en négatif pointe les manques, celle en positif cherche à comprendre comment l'élève en est arrivé là, quel est le sens de ses actions, pourquoi un tel mode de fonctionnement, par où est-il passé, quelle a été son histoire d'élève ?…Un élève qui échoue n'est pas un objet incomplet, il demeure un sujet, si dominé soit-il par celui qui sait.

- pour qu'il y ait" activité" il faut que l'élève "se mobilise", pour qu'il se mobilise il faut que la situation présente pour lui du "sens" :

- "Se mobilise": (plutôt que se motive) mobiliser c'est mettre des ressources en mouvement Pour se mobiliser il faut de bons mobiles. Il faut que le but visé soit mobilisateur d'actions." L'enfant se mobilise dans une activité lorsqu'il s'y investit, fait usage de soi comme d'une ressource, est mis en mouvement par des mobiles qui renvoient à du désir, du sens, de la valeur ".

- "Activité": (plutôt que travail qui suppose une dépense d'énergie). L'activité est ici employée au sens d'une activité d'un sujet, une action interne au sujet.

- "du sens"

- 1. a du sens un mot, énoncé, événement qui peut être mis en relation avec d'autres dans un système ou dans un ensemble

2. Font sens des événements qui arrivent à l'individu et qui ont des rapports avec d'autres choses de sa vie, des choses qu'il a déjà pensées, des questions qu'il s'est posées.

3. A du sens ce qui crée de l'intelligibilité sur le monde, ce qui éclaire quelque chose dans le monde.

Ainsi, ce qui mobilise l'individu dans une activité où il y trouve du sens, c'est ce qui s'inscrit dans ce " nœud de désir " qu'est l'individu.

 " Il n'est pas de savoir sans rapport au savoir "

 Pour BC. un savoir ne peut être totalement extérieur à celui qui l'intègre : " il n'y a de savoir que pour un sujet ".

Il cite les analyses de JM Monteil (1985). Celui-ci, s'attache à distinguer l'information, la connaissance et le savoir.

L'information est extérieure au sujet (on peut la stocker, elle est transmissive, elle est placée " sous le primat de l'objectivité ").

La connaissance est le résultat d'une expérience personnelle (d'une épreuve, d'une vie, elle est intransmissible, elle est " sous le primat de la subjectivité ").

Le savoir se situe à l'interface : c'est de l'information appropriée par un sujet, c'est donc aussi de la connaissance mais dépouillée de la subjectivité, il devient alors un " produit communicable ".

Tout savoir est donc avant tout un rapport au monde, un construit. Pour BC. l'erreur commise par certains dans la volonté de classer différents types de savoirs est de ne pas insister sur ce rapport du savoir comme expression de rapport au monde du sujet. (par exemple il y aurait des savoirs pratiques, théoriques, procéduraux, déclaratifs, scientifiques, opératoires…).

Or, par exemple, il n'existe pas de savoir " pratique " en soi, est pratique un savoir que l'individu trouve pratique ! C'est pourquoi tout savoir est en fait un rapport au savoir.

Ainsi, dit B.C, "le savoir est construit dans une histoire collective qui est celle de l'esprit humain et des activités de l'homme, et il est soumis à des processus collectifs de validation, de capitalisation, de transmission ". Le sujet entretient avec le monde des rapports de diverses sortes (il y a différentes manières d'investir le savoir et différents mobiles pour l'investir : l'élève apprendra aussi bien pour avoir une bonne note, un bon métier plus tard, faire plaisir à son professeur, que pour éviter une raclée. La valeur spécifique du savoir est dépassée, " le savoir prend sens dans un autre système de sens ".

 " Pour B.C, trois types de conséquences issues de ces analyses " :

- Méthodologiques : " si l'on se donne le sujet pour aller à la recherche du savoir ou d'abord le savoir pour partir à la recherche du sujet, on ne peut pas penser le rapport au savoir. C'est ce rapport lui-même qu'il faut se donner d'emblée. "

- Théoriques : " un savoir n'a de sens et de valeur qu'en référence aux rapports qu'il suppose et qu'il produit avec le monde, avec soi-même, avec les autres ".

- Pédagogiques :

" si le savoir est rapport, c'est le processus qui conduit à adopter un rapport de savoir au monde qui doit être l'objet d'une éducation intellectuelle-et non l'accumulation de contenus intellectuels. Il s'agit d'amener un enfant à s'inscrire dans un certain type de rapport au monde, à soi, aux autres. Cela suppose d'autres formes de renoncement, provisoire, ou profond, à d'autres formes de rapport au monde, à soi, aux autres ". Il s'agit pour l'enseignant de prendre en compte (et non de les nier) les difficultés de certains élèves à concevoir et intégrer d'autres formes de rapport au savoir (traitement délibéré de la mixité par exemple).

 Les rapports au savoir sont de nature à comprendre les mécanismes de l'échec scolaire , le rapport au savoir renvoie en fait au rapport à l'apprendre : rapport au monde/ à soi/ à l'autre

 B. C propose quelques repères :

-apprendre c'est établir un rapport au monde.

BC dit " apprendre c'est déployer une activité en situation " : les lieux dans lesquels l'enfant apprend ont des statuts divers (ex. la famille, la cité = lieu de vie, ex. l'école = lieu d'instruction). Si ces lieux se recoupent (ex. école = apprendre à vivre ensemble + s'instruire), il faut admettre que certains sont plus investis que d'autres. De plus, l'enfant sera plus ou moins sensible au statut de celui qui donne à apprendre : prestige, sympathie, professionnalisme, poids institutionnel…Enfin, la situation est aussi marquée par un moment., elle est fonction des représentations, des perceptions du sujet compte tenu de sa maturité, de son histoire, de ses projets.

- apprendre c'est établir un rapport à soi-même :

pour se transformer, pour devenir quelqu'un. " La réussite scolaire produit un puissant effet de réassurance et de renforcement narcissique et l'échec de gros dégâts dans la relation à soi-même "

- apprendre c'est établir un rapport à l'autre :

pas seulement celui qui est physiquement présent, qu'on admire ou déteste, mais aussi le " fantôme de l'autre " que chacun porte en soi : comprendre (ou faire) quelque chose que quelqu'un d'autre n'arrive pas à comprendre (ou à faire), entrer dans " la communauté virtuelle " de ceux qui en sont capables.

Ainsi, pour BC, "un cours intéressant est un cours où se noue un rapport au monde, un rapport à soi et un rapport à l'autre "

Autrement dit, ce n'est bien souvent pas le savoir lui-même qui est objet de mobilisation mais le rapport par exemple que l'élève entretient avec l'enseignant (rapport à l'autre) " j'aime les maths parce que j'aime le prof).

. De plus, B.C précise que tout rapport au savoir est un rapport social au savoir :

" pour comprendre le rapport d'un individu au savoir, il faut prendre en compte son appartenance sociale, mais aussi l'évolution du marché du travail, du système scolaire, des formes culturelles… "

 

Comprendre le concept de rapport au savoir

 Pour BC, il faut préciser la condition anthropologique du rapport au savoir :

 - Il ne faut pas chercher à comprendre " l'influence " de l'environnement sur le sujet,

(cela n'aboutit pas à grand chose, car tel événement peut produire un effet sur tel individu et ne pas en produire sur tel autre). Mais chercher à comprendre la " relation " que le sujet entretien avec cet environnement. BC cite Canguilem " un vivant ne se réduit pas à un carrefour d'influence, si le vivant ne cherche pas, il ne reçoit rien, entre le vivant et le milieu, le rapport s'établit comme un débat ". Pour l'homme c'est une relation de l'environnement au monde dans lequel il vit, une relation à soi et aux autres. D'ailleurs, la définition du rapport au savoir pour BC, elle, est la suivante : " le rapport au savoir est le rapport au monde, à l'autre et à soi-même d'un sujet confronté à la nécessité d'apprendre ".

 - Le monde : c'est un monde perçu, imaginé, pensé :

" le rapport au savoir est un rapport à des systèmes symboliques ". Mais c'est aussi agir sur celui-ci " s'approprier le monde c'est s'en emparer matériellement, le modeler, le transformer ", car celui-ci a une réalité, préexiste, résiste. Le rapport au monde est donc résultat d'une activité de l'individu.

 - le sujet a une histoire personnelle "

je vis et me construis dans la société, mais j'y vis des choses qu'aucun être humain, aussi proche soit-il de moi, ne vit exactement de la même façon ".

- le sujet a des représentations du savoir.

BC cite D. Jodelet " la représentation inclut des croyances, valeurs, attitudes, opinions, images ". Le rapport au savoir inclut des représentations, cependant, l'objet " représentation " tel que décrit par certains chercheurs crée un artéfact. C'est en fait une construction du chercheur à partir de ce qu'en dit l'individu et à partir d'une question qu'il lui pose (mais que le sujet ne se serait sans doute pas posé). De plus, s'il y a des représentations, le rapport au savoir inclut des représentations qui portent sur autre chose qu'uniquement sur le savoir (rapport au lieu, au temps, à soi, au chômage, etc…). Donc le concept lui semble peu heuristique.

-Enfin, il faut distinguer " rapport au savoir " et " rapport de savoir ". Ce dernier crée de la distance entre par exemple le médecin et son patient, le professeur et l'élève. Ce rapport de savoir occupé par sa position sociale a une certaine influence sur le rapport au savoir (un film ou un livre qu'il faut " absolument " connaître, une activité dont on a un peu " honte " à dévoiler aux autres, à sa bande…). Chacun vit dans un monde structuré par des rapports sociaux, le rapport aux savoirs n'est qu'une expression de ces rapports sociaux, " mais, dit B.C, s'il y est pris il peut aussi s'en dépendre ". Ce qui donne à l'enseignant (et au chercheur) des bonnes raisons pour intervenir dans ce domaine…

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