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L'estime de soi :

un don de la nature

ou un chantier humain au long cours ?

Marie-Françoise Bonicel 

 

"Les seuls regards d'amour sont ceux qui nous espèrent, qui nous envisagent au lieu de nous dévisager. "

Paul Baudiquey.

 

          Dans une société où la réussite sociale constitue la référence, où la concurrence à l'école, dans la vie professionnelle et dans la cité favorise l'individualisme, où la compétition internationale redistribue les cartes des premiers et des derniers à l'aune du PIB, le concept d'estime de soi donne lieu à de multiples publications et réflexions, notamment sur son impact dans les apprentissages scolaires, comme s'il fallait un antidote aux surenchères de l'efficacité.

          Sa définition a évolué depuis la fin du XIXème siècle et si les chercheurs actuels divergent toujours, il semble qu'ils puissent s'accorder sur l'idée d'une attitude intérieure " qui consiste à s'apprécier tout en tenant compte du regard des autres " (Chalvin) et par un effet de tension entre les instances décrites en psychanalyse par Freud (Moi idéal, Idéal du moi, Surmoi).

          L'estime de soi, joue un rôle important dans les rapports sociaux et dans le développement de la personne humaine pour affronter les défis fondamentaux de la vie. C'est ainsi que La Gestalt-thérapie met en avant l'impact qu'elle produit sur cette dimension structurante de l'individu et Jacques Nimier, dans une publication qui évalue les effets des formations des enseignants, soulignait notamment l'évolution vers une meilleure image de soi-même. ( stage et confiance en soi) Ses dysfonctionnements favorisent des comportements pathologiques (névrose, honte, pathologies du deuil, addictions, dévalorisation de soi, incapacité à affronter les échecs, la perte d'un travail et tout évènement qui touche l'image de soi.

          Bien que l'on n'ait pas encore localisé un hypothétique gène de l'estime de soi, il semble cependant que les bonnes fées qui se sont penchées sur le berceau d'un enfant, ne déposent pas auprès de lui les mêmes ressources pour qu'il puisse se construire en disposant de ce précieux étayage que constitue l' estime de lui-même et qui se déclinera au long de sa vie en confiance en soi, amour de soi ou en images positive de soi.

          Si chaque enfant qui vient au monde naît revêtu " d'un manteau d'humanité ", la qualité du tissu, sa richesse, sa solidité, ses chatoiements ne sont hélas, pas également répartis. Ce " manteau d'humanité " est tissé diversement de fils solides ou de déchirures, de gratifications et de blessures, avec lequel il lui faudra composer avec plus ou moins de succès pour se réaliser ou simplement survivre et en consolider la trame.

L'estime de soi a-t-elle son revers quand elle est excessive ?

          Nous connaissons tous des individus à l'ego hypertrophié, qui affectent comportements vaniteux et prétentieux ou une surestimation d'eux-mêmes exaspérante et pathétique.

          Gérard est un intellectuel brillant, qui a occupé des missions d'enseignement universitaire, des fonctions de manager en France et à l'étranger. Tout échec, même minime le plonge dans des réactions démesurées. Accompagné en coaching, il est en perpétuel grand écart entre un moi idéal très élevé et la réalité. Paradoxalement ses réussites, les félicitations, les retours positifs accentuent sa surestimation et rendent encore plus violents les échecs normaux de l'existence. Ses choix professionnels " kamikazes " lui font prendre des risques accentués avec des chutes spectaculaires et des somatisations qui n'affectent pas l'estime apparente qu'il se porte, ne le rendent pas plus modeste, mais l'entraine dans une spirale infernale.

          Il est probable que, en creux se profile un mécanisme de défense de " retournement en son contraire " qui masque en réalité… un manque d'estime de soi pour être à la hauteur d'une barre jamais atteinte.

           C'est le combat de toute une vie que de se construire une identité toujours capable de se fissurer ou de s'enrichir comme le laisse entrevoir la belle formule d'Elena Lasida : " L'identité, passé composé et futur imparfait " . Imperfections difficiles à assumer pour certains.

          L'enfant qui vient au monde a été désiré ou non, attendu dans la joie ou l'angoisse parfois même dans le déni, a été aimé ou non. (Un enfant peut ne pas avoir été désiré mais avoir été très aimé. Mais le sait-il ?) . S'il naît autre que ses parents l'ont espéré (sexe, beauté, handicap) (voir article handicap ou différence) comment va-t-il s'imprégner ou non de ces manques, les intérioriser, les dépasser pour vivre au plus près de lui-même sans se laisser engloutir par eux et en acceptant d'être imparfait ? Comment ceux que la naissance a comblés vont-ils faire fructifier le capital dont ils bénéficient ?

 

 

Avoir de l'estime pour soi ou être estimé par les autres ?

" L'être humain construit sa valeur à partir de la valeur que l'autre lui accorde ".

Anne Langlois, Responsable de formation, IUFM de Basse Normandie.

 

          Plus encore qu'être aimé, l'être humain semble avoir le besoin d'être reconnu. Une vieille histoire qui commence sur un registre d'état civil, première étape d'une identité à construire et qui suit de près la manière dont la mère va tenir le bébé, moment clé où s'enracinent les premières sensations d'exister et d'être soutenu par elle (le fameux holding). Plus tard, ce sera sous son regard que l'enfant va se sentir exister dans un " dialogue tonique " (Wallon ) qui participe à l'élaboration d'une image de soi…La pyramide des besoins de Maslow dans ses déclinaisons enrichies, décrit ce besoin d'être reconnu et l'associe étroitement à l'estime de soi notamment dans le milieu professionnel .

Arrêt sur image

          En feuilletant un album de photos, mes yeux s'arrêtent sur un cliché de ma classe de CM2 à la fin des années 1950. Nous sommes une vingtaine de filles d'une école communale d'un bourg proche de Metz. Une dizaine se dirigera directement vers le Certificat d'études qui vit ses dernières années. 10 tenteront le concours d'entrée en sixième, nous sommes 3 à le réussir : M.Z toujours première de classe, fille de commerçants aisés ; elle s'arrêtera au BEPC pour rentrer dans le commerce familial ; D.S toujours seconde, très brillante fille d 'avocat s'arrêtera au bac et suivra le modèle maternel de femme au foyer. Moi - même, toujours troisième, turbulente et rebelle, fille d'un fonctionnaire et d'une mère au foyer, j'aurai diplômes universitaires et activités professionnelles.

          Je m'interroge en pensant à ces deux compagnes de classe que leur réussite à l'école primaire prédisposait à un avenir scolaire brillant. Comment ont -elles intériorisé des messages familiaux restreignant leur horizon, bridant peut- être leur confiance en elles pour assumer l'évolution sociale du travail des femmes ?

          Pression familiales ou sociales ? Quel impact sur l'image de soi les a ainsi éloignées d'une trajectoire personnelle ?

          Même si un des objectifs de l'éducation en famille, à l'école ou dans les autres espaces de vie, consiste à conduire l'enfant vers une autonomie suffisante pour ne pas dépendre de ce regard de l'autre, l'individu reste marqué par ces traces précoces, positives ou négatives, réactivées au gré des circonstances de la vie et souvent de façon imprévisible.

          Le psycho-sociologue Jacques Salomé, qui décline un certain nombre de besoins relationnels à la source de l'estime de soi, montre ainsi que certains besoins sont antinomiques comme l'affirmation de soi et le besoin d'être approuvé. Deux besoins pourtant constitutifs de l'estime de soi entre lesquels l'enfant et l'adulte devra faire un choix selon une ligne de vie qu'il se donne ou selon les circonstances.

          Mais nous voyons bien dans la réalité, que ces deux perspectives s'alimentent l'une l'autre dans le temps, dans des proportions variables, selon l'âge, la capacité d'autonomie du sujet, notamment à l'école, lieu où s'expérimentent le dépassement de soi, de l'autre et où l'évaluation des acquis croise le regard de l'enseignant, des autres élèves et le sien propre.

          Ouvrant le dossier d'Education et management de mai 2006 consacré à l'estime de soi, Marie-Joseph Chalvin, professeure agrégée d'histoire déclare :

" L'Ecole est un espace où l'estime de soi est durement mise à l'épreuve. Lieu de passage et de rencontre de nombreux partenaires aux objectifs différents, lieu de socialisation et d'étude pour les élèves, lieu d'espérances et de déceptions pour les parents, lieu d'évaluation et de sélection pour les enseignants, l'établissement abrite autant et peut-être plus de déconvenues que de succès, ce qui ne crée pas le climat favorable à l'instauration d'une saine estime de soi "

          Les inspecteurs visent pour la plupart à accompagner désormais leurs enseignants et non seulement à les évaluer, et l'ont sait les remous provoqués par les projets d'évaluation des établissements ou des équipes enseignantes. Comment ceux qui sont chargés d'enseigner ou d'encadrer dans l'Education Nationale vivent ils ce regard porté sur eux par l'Institution et même par la société qui leur fait porter la responsabilité des échecs, plus que des réussites?

          Si l'estime de soi est un état fluctuant et non stable, soumis aux aléas de la vie, elle constitue cependant un socle incontournable pour que les élèves puissent s'appuyer sur leurs ressources, tout en tenant compte de la reconnaissance des autres. " Carburant des relations sociales ", elle s'alimente dans le regard positif que l'individu porte sur lui, sur les autres et impacte aussi le regard sur l'avenir, loin des rapports de force mais dans une interdépendance créatrice.

 

 

L'estime de soi est-il un concept individuel ou collectif ?

          Nous avons évoqué rapidement la genèse de cette composante de la personnalité, et ses aspects individuels .Mais l'enfant nait dans une famille chargée elle-même d'une histoire, dans une culture, une communauté, une classe sociale qui vont impacter l'enfant à travers cette histoire sociale. Comment avoir une bonne image de soi quand on appartient à une famille " cabossée par la vie " ? , quand on est marqué par une histoire communautaire où l'oppression, l'exil, le mépris colorent l'image de soi et ou la violence prend la place vide, plutôt que de générer une solidarité constructive ?

          Vincent de Gaulejac a montré comment les sentiments de honte, la névrose de classe interdisent l'ascenseur social tout autant que les conditions matérielles.

 

          Est-ce la mission de l'Ecole de réparer ces blessures narcissiques, qu'elles soient d'origine familiales ou sociales ? C'est un débat récurrent, mais ce qui est sûr c'est qu'elle ne peut que les prendre en compte à la fois dans les apprentissages et dans la capacité à vivre ensemble dans les différences.

Quand la honte s'en mêle…

          J'ai le cœur serré quand prenant des jeunes vacanciers en stop à Belle-Ile-en-Mer, comme c'est l'usage local, pour les conduire à la plage ou au bourg, de les entendre répondre à ma question sur leur lieu de vie habituel, par : " on vient d'Ile de France ". Formulation neutre qui m'indique en creux qu'ils viennent du 9-3. En général, je leur dis que moi aussi j'ai vécu 12 ans en " Ile de France " et notamment à Aulnay-sous bois, en Seine-St Denis, il y a plus de 30 ans. Alors les langues se délient : ils y ont vécu ou bien dans la ville voisine. Nous connaissons des lieux en commun, un lien se crée. Mais cette honte de leur 9-3, qui leur fait cacher leur origine reste pour moi le symptôme d'une stigmatisation intériorisée qui pèse déjà sur leurs épaules et fragilise l'estime d'eux-mêmes, terrain propice à des comportements de surenchère.

          Quand s'y rajoute l'appartenance à un groupe social surexposé au chômage, à la discrimination, la confiance en soi a besoin d'être soutenue notamment à l'école, lieu où peuvent s'atténuer les inégalités, se valoriser des réussites, se restaurer un légitime narcissisme.

          Cela suppose notamment que ceux qui ont charge éducative soient au clair avec leur propre estime de soi, individuellement et collectivement. Je pense ici à l'image de soi -bien malmenée-, du corps enseignant que ce soit dans les medias ou dans et dans la société en général, parfois dans le regard des élèves, qui y lisent l'impuissance ou les échecs à venir.

 

Trois auteurs parmi d'autres, dans l'ouvrage collectif " Ecole, changer de cap ", ouvrent des pistes pour redonner à l'estime de soi des chances pour se développer ou se restaurer à l'Ecole

          Dans un article intitulé " L'estime de soi dans le milieu scolaire ", Maridjo Graner aborde la genèse de ce besoin d'avoir de la valeur, et elle le resitue au cœur de la motivation. Montrant la manière dont cette idée se décline sous d'autres vocables chez Adler, Rogers, Berne ou Winnicott, elle en désigne les fractures dans l'itinéraire de vie des élèves et propose des évolutions dans les pratiques scolaires qui prennent en compte ce rapport essentiel à soi même et aux autres : règles de respect, valorisation des réussites, dégagement des étiquettes, distinction entre la personne de l'élève et de ses productions exigences argumentées, etc. Elle rappelle au passage le nécessaire travail sur soi que les enseignants doivent mener pour que leur propre estime soit source de bienveillance à l'égard d'eux-mêmes et des autres.

          Claire Hebert -Suffrin, créatrice et militante des Réseaux réciproques des savoirs, voit dans le soutien mutuel des enseignants comme des élèves une valorisation des compétences, une intelligence collective, qui jouent sur la représentation d'eux-mêmes et qui permet aux élèves de s'autoriser aux risques de l'apprentissage avec leurs manques et leurs atouts partagés. C'est ainsi une manière de pouvoir développer la confiance en soi et en l'autre, l'affirmation de soi, en interaction avec l'autre dans un climat exigent mais bienveillant, et respectueux.

          Jacques Lecomte développe quant à lui, l'idée que l'enseignant puisse être un " tuteur de résilience " à l'Ecole. Nous sommes familiarisés désormais avec ce concept de résilience développé par Boris Cyrulnik, qui désigne la capacité d'un individu à se reconstruire après des épreuves. Concernant l'élève en difficulté, et qui peut avoir par ailleurs un regard négatif sur lui-même, Jacques Lecomte fonde ses propositions autour d'un " triangle de résilience ", formé par le lien positif établi entre l'enseignant et l'élève (valorisant), la Loi (" tu dois faire tes devoirs "), le sens (la signification et les directions).

          Ni stigmatisant, ni traversé par la pitié devant les difficultés de l'élève, l'enseignant " tuteur de résilience ", renarcissise l'élève en lui faisant prendre conscience de des ressources, en le valorisant, en le respectant dans une esprit de saine émulation.

 

L'estime de soi peut -elle se transmettre ?

          "Nous sommes pauvres de ce que nous ne savons pas que nous avons".

Jacques Salomé

          C'est dans la bouche de sa grand-mère mythique que le psycho-sociologue place cet aphorisme de sagesse. Dans un petit ouvrage rare et audacieux pour une inspectrice en exercice, Evelyne Martini, nous rappelle que : " on aide à vivre par ce que l'on est, ce que l'on transmet, par l'héritage de savoir et de sagesse qu'on lèguera, par le moindre écart entre la parole qu'on donne et l'acte qu'on pose ".

          Oui, l'estime de soi peut se transmettre, si nous avons, parents, éducateurs, conscience de nos propres ressources, de notre valeur, que nous résistions au pessimisme ambiant qui par capillarité nous fait sombrer dans le sentiment d'impuissance.

          L'acte pédagogique ne se joue pas seulement dans un tête-à tête-singulier entre l'élève et l'enseignant. Il est nourri de tout ce qui se joue dans la famille, la société, dans l'ensemble de l'Institution scolaire. Edgar Morin parlerait de la complexité de l'acte éducatif et des acteurs qui l'animent de près ou de loin.

          Citant les traditions africaines, la journaliste Agnès Auschitzka, spécialisée dans les questions de la famille nous donne cette belle image : " […] au pays, il faut tout un village pour faire d'un enfant un adulte qui sourit à la vie… ".

 Ressources

Mieux comprendre nos comportements. Regards sur nos raisons et déraisons d'agir. Maridjo GRANER Chronique sociale , 2011

L'estime de soi. Apprendre à s'aimer avec ou sans les autres. Chalvin, Marie-Joseph.

Paris : Eyrolles, 2005.

Ecole, changer de Cap. Contributions à une éducation humanisante. Sous la direction d'Armen Tarpinian, Laurence Baranski, Georges Hervé, Bruno Mattéi. Chronique sociale, 2007.

Favoriser l'estime de soi à l'école. Daleth Meran, Geneviève Eyraud, Denis Fontaine, Agnès Oesler. Chronique sociale, 2006. Préface de Philippe Mérieu

L'estime de soi : S'aimer pour mieux vivre avec les autres. Christophe André. François Lelord. Odile Jacob, 2008.

De l'amour de soi à l'estime de soi. Jacques Salomé. Livre audio .Alexandre Stauké. 2005

Parents, oui, mais pas tout seuls. Agnès Auschitzka. DDB.2009.

Idées forces pour le XXeme siècle. Sous la direction d'Armen Tarpinian. Chronique sociale, 2009.

 

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Commentaire

Apprendre à vivre ensemble à l’école

Charles Rojzman, Théa Rojzman,

 

Réaction

<< Cet article et ses livres ressources devraient être lus par tous les enseignants.

L’école reste un acteur important du développement de l’Estime de soi chez l’enfant en étant son 1er lieu de confrontation à la société>>

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