Pourquoi sa
gestion est-elle devenue plus difficile
?
Aldo Naouri
Le
sous-titre de mon intervention annonce la
couleur : je dois mattacher à
comprendreet
à tenter dexpliquer pourquoi
la gestion de la violence adolescente est
devenue plus
difficilequelle
ne létait
autrefois.Pour
ce faire, je commencerai par
mattacher aux définitions.
Elles sont de
premièreimportance
pour comprendre les problèmes qui
se rencontrent
aujourdhui.
Cest un individu de lun ou
lautre sexe qui se trouve dans une phase de
son
développement
qui a existé de tout temps et
quon appelle «adolescence
».
Cest pas plus compliqué que
ça.
Nallez cependant pas croire que les
portes que ma formulation semble enfoncer
soient
aussi ouvertes
que ça ! Parce quil va falloir
maintenant trouver une définition ou un
contenu
à cette
« adolescence »
La médecine par exemple parle de
ladolescence comme de lâge
où survient la
«
puberté », cest à
dire les premières règles chez la
fille et le premières éjaculations
chez le
garçon.
Voilà une
définition à laquelle, bien que
médecin, je ne prêterai cependant pas
un grand
crédit.
Sonia
en fournit par
exemple un beau démenti.
Cest
une fillette ronde de partout. Jai bien
dit une fillette.
Ses seins se
sont mis à pousser à 6 ans 8 mois,
à peine quelques semaines avant que
sapilosité
pubienne soit devenue touffue. Elle a
été réglée à
7 ans 4 mois.
L'exploration
de son tableau clinique n'a pas
révélé de processus
tumoral.
Sonia
dépasse certes ses camarades de sa classe
de CE2 de plus d'une tête;
mais,comme
eux, elle joue à cache-cache, à
l'élastique et à la
poupée.
Elle se singularise néanmoins une
fois par mois, quand elle demande à sa
mère: « dis,est-ce
que tu vas me mettre des couches comme ça
encore longtemps? »
Quant à
Brigitte
elle se situe tout
simplement à l'autre
extrême.
Elle
est connue depuis longtemps dans les milieux de
la GRS (entendez :
GymnastiqueRythmique
au Sol).
C'est une de
ces jeunes filles qui a l'habitude du public
devant lequel elle se
produit.Une
de ces jeunes filles menues et gracieuses, d'une
souplesse de liane, qui fait ce qu'elle
veutavec
un corps d'une légèreté
aérienne.Et
pour cause! Brigitte mesure 1m 46 pour 34
kilos.A 16
ans elle est en seconde.Impubère,
évidemment.
Je la vois
régulièrement depuis de nombreuses
années parce que je la
désensibilise pourune
allergie pollinique. Nous avons souvent
parlé de sa puberté et nous avons
sacrifié auprotocole
d'explorations prévu en la
matière. Ça ne l'a jamais beaucoup
inquiétée et elle
atoujours
trouvé le fait plutôt
commode.
Un jour elle
arrive plus gaie que d'habitude et me dit
immédiatement: « ça y est
ellessont
venues » elle avait 16 ans 10 mois
et elle enchaîne
immédiatement: « vous allez
medonner
la pilule ! »
Je lui dis ma
réserve à intervenir si tôt
dans des processus hormonaux d'une si grand
délicatesse.
Je lui
demande les raisons de sa hâte. Elle me
les dit.Depuis
l'âge de 14 ans elle a un ami. C'est un
camarade de classe. Ils s'entendent
bien.Ils
partagent les mêmes goûts. Ils ont
les mêmes projets. Ils vont rentrer,
dés l'année
suivante,dans
une école de techniciens de laboratoire.
Leur diplôme en poche ils sont
assurés
d'êtreengagés
par l'oncle du garçon dans une ville
bretonne. Ils pourront alors s'adonner à
leurpassion
commune de la voile et avoir les trois enfants
qu'ils ont programmés.
La survenue
des règles allait leur poser un
problème de contraception qu'ils
n'avaientpas
eu jusque-là.
Bien que Sonia comme Brigitte
répondent lune et lautre
à la définition médicale
de
ladolescence,
je prétends que ni lune ni
lautre ne sont des adolescentes. Il est vrai
que la
définition
médicale a prévu leurs cas
respectifs, faisant de la première une
« puberté précoce
»
et de la
seconde une « puberté retardée
».
Mais ce nest pas pour un
problème de chronologie que je récuse
la définition. je
pense que Sonia est, et restera certainement encore
longtemps, une petite fille.
Alors
que Brigitte, a
déjà à tout point de vue un
comportement adulte des plus
admirables.
Un comportement
que nombre dindividus déclarés
« adultes » du fait de leur
âge,
passent leur
vie entière à ne pas atteindre.
Cest à leur intention dailleurs
quon a inventé le
concept
d« adulescents ».
Voilà pourquoi je propose de
définir ladolescence dune
manière plus opératoire
et
den faire
ce que jappellerai un « entre
deux ».
Plus quune étape, ce serait,
avant tout, un « état
».
Et ce, à
quelque âge chronologique ou à quelque
période historique on le
considère.
De cet « entre deux », je
dirais dans un premier abord quil
est coincé :
-
entre lenfance, dont le sujet se
trouve à grand regret
chassé
Je
profite néanmoins de cette
incise pour signaler, à
ceux que ladolescence dans
tousses
aspects intéresse,
quils peuvent lire sur mon
site le texte
duneconférence,
très longue et très
documentée que jai
donnée il y a quelques
années à Paris
VII,sous
le titre de
«ladolescent
et son
corps
» (en PDF)
- et
lâge adulte, auquel il na
absolument pas la moindre envie
daccéder.
Je reviendrai sur
ce point et jaurai dailleurs à
définir lâge adulte.
Pour revenir à ce que je compte tirer
de lexposé de mes cas, je soulignerai
le fait que
- les
adulescents se sont plus ou moins adaptés
aux règles de leur environnement
- alors que les
adolescents les récusent et que cette
récusation vient chez eux au
tout
premier
plan.
Cest cela qui,
précisément, singularise les cas de
Sonia et de Brigitte.
Il leur manque
en effet les portes qui claquent, la
véhémence, la
susceptibilité,
lactivisme
brouillon, limprévisibilité des
comportements, linconstance des conduites,
les
éclats
de voix, la larme facile, la bouderie
obstinée alternant avec des propos
quérulents
quand ce
nest pas la tonalité paranoïaque
de certains propos.
Il leur manque ce qui fait désormais
de ladolescence un véritable monde
à part :
-
rétif à la raison,
-
renfermé sur lui-même,
- ne
tolérant que ses semblables
- et si bien
caractérisé dans ses
conduites
o
quil se déclare incompris
quelle que soit lattitude quon
ait avec lui
o quil
récuse, en bien des domaines, la
compétence ou les positions
des
adultes.
Au point dêtre, par exemple,
facilement mobilisable et de
faire
même
faire parfois plier le politique, lequel le
prend dailleurs au
sérieux
*Parce
quil prétend et le
pire cest quon le croit !
savoir tout sur
tout
et mieux que personne,
*Parce
quil a consigné ce savoir en
des codes ésotériques
qui, hier,
était
chala ou skate ? Qui est aujourdhui
emo, tektonik killer ou
rocker
? Peu importe : par delà les
clivages, ils ont la
fonction
phatique
du mobile : « Salut, tes
où ? moi, jsors du bahut. Ok,
à
plus !
» pour assurer leur
cohésion.
*Parce
quil estime avoir droit à
tout et ne se gêne pas pour le
faire
savoir
*Parce que
les parents ne savent plus comment le
prendre,
*Parce que
le corps enseignant a souvent du mal
à le gérer
*Parce
quil a conduit à la
création, aussi bien sur le plan
physique que
psychologique,
de filières de soins qui lui sont
spécifiques :
les
services
de médecine adolescente et les
maisons dadolescents se
sont
multipliées.
Toutes choses qui ont amené le
marketing, qui a su admirablement cerner ses
contours et les
flatter,
à le constituer en un marché
particulièrement juteux.
Quai-je fait en dressant le catalogue
des caractéristiques que nous rencontrons
autour
de nous ou dans
nos consultations ?
Je nai
fait que mettre en mots les effets de la violence
qui échoit physiologiquement
à
ladolescent,
qui lhabite longtemps et qui,
aujourdhui et plus souvent quil ne le
voudrait, le
submerge et
surtout, surtout, lasservit au point de le
rendre insupportable.
Je vous
confesse quà la fin de ma
carrière, je me débarrassais des
adolescents sur mes
confrères
: javais beaucoup trop envie de les gifler
!
Mais cest quoi cette
violence ?
La violence nest pas un processus
gratuit, fortuit, évitable, inutile ou
nuisible.
La violence
dont jai souligné le caractère
physiologique est indispensable. Elle
fournit
lénergie
nécessaire à la mutation qui
sopère dans le corps et dans la
psyché.
Elle a une
fonction précise : elle est dabord et
avant tout un processus de
défense.
Même si elle en fait le lit, elle ne
doit en aucun cas être confondue avec
lagressivité.
Lagressivité,
particulièrement préoccupante
aujourdhui dans certaines
populations
adolescentes,
est un processus dattaque aux
paramètres complexes.
Le mot violence dérive du
latin vis (force) qui est apparenté au terme
vir (le mâle
humain,
réputé se distinguer de sa compagne
par une plus grande force).
La violence,
surtout telle quon la perçoit
aujourdhui, est donc avant tout
lexpression
brute et
brouillonne de la force nouvelle
quacquièrent ladolescente comme
ladolescent,
sous
leffet particulièrement dopant
des stéroïdes sexuels.
Jai dit que la violence avait une
fonction de défense.
À quoi
sert-elle ?
Elle sert à doter, physiologiquement,
le corps qui croît et qui se transforme,
dune force
nouvelle et qui
lui soit correctement
adaptée.
Pour comprendre
son intensité et la brutalité de sa
survenue, il ne faut pas la penser
dans
notre contexte
actuel. Il faut la rapporter à son origine
la plus lointaine quand elle
oeuvrait
naturellement
chez les adolescents de nos ancêtres
hominiens.
La poussée hormonale qui survenait
chez eux réveillait leur instinct de
reproduction et
les
contraignait à satisfaire
immédiatement leur pulsion
sexuelle.
Comme ils
avaient à le faire dans un contexte
environnemental par définition hostile,
la
violence dont
ils se trouvaient pourvus leur permettait de tirer
avantage des avantages dont la
nature les
avait pourvus :
- des
membres inférieurs
démesurés par rapport au tronc
conféraient aux garçons
la
possibilité
de courir vite et déchapper aux
prédateurs qui les guettaient dans
leur
quête
de lobjet sexuel ;
- les filles
étaient dotées, elles, de ce
quon nomme aujourdhui l«
obésité
péripubérale
», cette réserve de graisse
destinée à leur permettre,
même en cas de
disette, de
mener à bien une éventuelle
grossesse.
Il est évident que dans l'espace
restreint de nos groupes sociaux actuels de tels
atouts
constituent
plus une gêne quun avantage.
Couvés, pourvus, gâtés,
protégés, et encadrés, nos
adolescents vivent la force
nouvelle
qui les gagnent
sur un mode à tout le moins
étonné.
L'énergie inutile
délivrée par la violence
- se
heurte en effet à l'alentour,
- leur revient
en ricochet,
- les affecte,
les embarrasse, les gêne, les
déprime
- et les met
dans un état critique.
Ils nont pas alors d'autre choix que
d'en déplacer le point
d'impact.
Ils l'assument
comme ils le peuvent, la mettant au service de tous
les affrontements qui
pourront en
user et l'user pour les libérer de sa
tyrannie.
Sur fond de létat
denfance auquel ils sétaient
habitués et dans lequel ils ont
longtemps
cru pouvoir se
tenir à jamais, ils ne trouvent pas de mots
pour circonvenir et maîtriser
les
perceptions
nouvelles que leur adresse leurs corps.
Les changement de caractéristiques du
corps leur rendent en effet souvent ce
corps
étranger
et un peu effrayant.
Si les règles finissent
généralement par être
acceptées par ladolescente, il
nen va pas
aussi
facilement des seins qui poussent et du
soutien-gorge quil lui faudra tôt ou
tard se
résoudre
à porter. Quand lacné, la peau
et la chevelure grasses sen mêlent,
cest tout soi même
qui se trouve
à devoir être plaint !
Ce sont alors les comportement brouillons ou
maladroits, les éclats de la voix qui
mue,
lactivisme
et la réactivité qui déclinent
toutes les nuances de limpulsivité et
de la
susceptibilité
à fleur de peau. Il faudra pas mal de temps
et un lent processus
dadaptation
pour parvenir
à une attitude plus sereine.
Quant à la fameuse
obésité péripubérale
physiologique que lévolution na
pas jugé
nécessaire
de corriger, elle augure leffroi
désespéré suscité par
la dictature de la taille 38 !
Il
nen était en aucune façon
ainsi, il y a seulement un
siècle.
Et tout
simplement dabord parce que la puberté
survenait alors à un âge bien plus
tardif
qu'aujourd'hui.
En France, au
début du vingtième siècle, les
règles survenaient entre 15 et 16
ans1.
Et
quand on sait
que la maturation sexuelle masculine est
retardée d'environ 2 années par
rapport
à la
maturation sexuelle féminine, il nous est
facile de dessiner le panorama de l'époque
:
- une
enfance longue dont une partie était
consacrée aux tâches
d'apprentissage
précédait
la maturation sexuelle,
- laquelle
précédait elle-même
dassez peu la maturité sociale si
on s'en réfère à
la
date de
mariage des jeunes gens et à leur
inscription dans une
activité
professionnelle
stable.
- A peine les
dits jeunes gens ressentaient-ils la violence de
leurs pulsions, en
particulier
génitales, qu'ils avaient à leur
portée tous les moyens de
lassumer.
Avec les changements des conditions
nutritionnelles, la maturité sexuelle
sest mise à
survenir de
plus en plus tôt, alors que
lévolution de la distribution des
moyens de
subsistance a
conduit la maturité sociale à
survenir de plus en plus tard.
Ce qui, au
début du siècle,
-
ressemblait à une sorte de gué
encore aisément franchissable
- prend de plus
en plus l'allure d'un précipice aux
parois escarpées
- duquel il
semble difficile de s'extraire quand on y
tombe.
La chose m'a
été dite, et de manière
émouvante, par une petite
Rosa
de dix ans trois
mois.
Je l'avais vue deux ans auparavant pour une
manifestation aiguë qui avait l'allure
d'une
épilepsie
sensorielle. Malgré l'ambiguïté
des formulations dans un registre aussi flou,
j'avais
décidé
de faire pratiquer un EEG. Ce qui eut pour effet de
mettre sa mère dans un
véritable
état de
panique, déclenchant de sa part la narration
de l'histoire d'une jeune soeur,
adolescente
épileptique, qui était
accidentellement décédée au
cours d'une fugue. C'est elle
même qui
dut aller reconnaître le corps et annoncer le
décès à la grand-mère
de Rosa. Elle
s'aperçoit
au fil de son récit combien Rosa est
investie par cette grand-mère qui a
eu
d'ailleurs
à son endroit maintes conduites de
rapt.
L'EEG reviendra normal. Rosa aura pu
être clivée par sa mère du
statut substitutif
menaçant
de sa tante morte. La grand-mère en prendra
son parti comme elle le pourra
et
Rosa parviendra
à s'extraire de ses conduites phobiques,
devenant une excellente
élève,
pleine d'humour
et populaire parmi ses camarades.
Ce jour là, elle parait très
émue. Elle reste debout à la droite
de son père.
Au bord des
larmes, elle s'adresse à moi de
manière saccadée:
- je
viens parce que ça va trop vite.
Ça m'a pris hier et ça va trop
vite.
- Quoi
donc?
-
Tout.
-
Raconte.
-
J'étais dans mon lit, j'ai entendu des
voix, j'ai bougé mon bras, et tout
ça, ça va
trèsvite.
- Mais quoi
donc, ton bras?
- Non, je ne
sais pas Tout Le temps surtout, et
puis tout, et puis tout
La mère de Rosa prend alors la parole
pour me dire que ce phénomène vient
compléter
un tableau
inquiétant, véritablement
régressif, accompagné d'une chute
considérable du
rendement
scolaire : en un mois Rosa est tombée en
queue de classe. « Elle ne sait plus
rien.Elle
oublie tout. Elle oublie les règles de
grammaire les plus simples. Elle ne sait plus
lesrègles
de calcul, elle refuse d'en apprendre de nouvelles.
Elle reste dans son coin et elle
quin'a plus
sucé son pouce depuis longtemps, se remet
à le sucer pendant de longs moments
lesyeux
dans le vague. Elle sombre dans la tristesse et je
ne sais plus que faire. Je me
suissouvenue
qu'on lui avait fait cet électro, alors
quand elle m'a raconté l'histoire de son
bras,
j'ai
préféré venir vous voir
».
Rosa a beaucoup grandi, je l'examine. Elle
mesure 1m48 pour 45kg. Elle a une
poitrine
déjà
importante. Quand j'en arrive à ce point de
l'examen, sa mère me signale que Rosa a
eu
ses
premières règles un mois auparavant
alors qu'elle était chez sa
grand-mère. Elle n'aurait
pas
été effrayée mais elle a dit
nettement regretter
l'événement.
C'est alors que tout me parait pouvoir
prendre sens, y compris la phrase de
l'enfant:
« tout
va trop vite ».
On en parle. Je demande à Rosa, qui
est d'origine algérienne, si sa
grand-mère a
poussé
des youyous. Je lui explique que dans bien des
sociétés y compris la
société d'origine
de ses parents
l'événement donne lieu à une
fête, puisque le groupe s'enrichit
d'une
procréatrice
potentielle. Je fais évoquer aux parents de
Rosa les rites locaux avec leurs
particularités.
Revient alors en force l'ombre de la
grand-mère maternelle. Un peu comme
si
le travail
ébauché deux années auparavant
réclamait un complément.
Je profite de ma connaissance de l'arabe
pour m'amuser à jouer sur les
sonorités du
prénom
de Rosa. J'en fais une "rozza" et je lui
suggère de demander à son père
la traduction
littérale
de son prénom ainsi prononcé. Elle
sourit enfin. Elle le regarde , me regarde,
le
regarde
à nouveau. Et lui dans un sourire lui
répond : « ça peut vouloir
dire cheville
ou
"boulon
ou rouage ». Je poursuis en
demandant au père de Rosa de poursuivre
son
processus de
traduction : « et votre nom propre
ça veut dire quoi? » «
Charpentier », me
répond-il.
Rosa découvre ainsi une inscription qui lui
était jusque-là inconnue et dont
elle
pourra faire
usage pour se mettre à l'abri de la
propension incestueuse de la
lignée
maternelle.
Je me suis plu à imaginer que je lui
avais offert par mon intervention une autre
forme
de la
fête rituelle à laquelle elle aurait
eu droit si elle était demeurée dans
les registres
symboliques de
sa société d'origine.
Ce sont en effet des
rituels
qui, à
dautres époques et sous dautres
cieux, ont pris en charge létat
adolescent dont
le
caractéristiques nétaient pas
plus méconnues quelles le sont
actuellement.
La gestion de la violence adolescente
sopérait alors sur un mode assez
expéditif et sans
sencombrer
de critères quelconques.
dans tous les cas
que jai rapportés (dans la page:
"Les
rituels de
l'adolescence"),
jai souligné quon retrouve
linitiative des hommes
et des
pères.
Un aphorisme de mon folklore dorigine
témoigne de la quasi universalité de
cet état de
faits en
énonçant que : « Si la
mère est lauteur de la naissance de
lenfant, cest le père
quimet au
monde ladolescent ».
Voilà qui invite à revenir
à la notion d « entre-deux
» dont jai tenu à faire la
définition
de
ladolescent.
Cet « entre-deux » fait en
effet intervenir non plus seulement
lhésitation à quitter
un
âge pour
une autre, mais un débat « entre deux
», léternel débat entre
père et mère autour
de
lenfant.
Cet éternel débat, parce quil
est désormais insoluble, contraint
lenfant à se
confronter,
seul, à la tyrannie de la violence qui lui
échoit.
Ce sont les
impasses actuelles de ce débat qui ont
préparé la solitude et les
problèmes
des
adolescents.
Du côté des garçons,
cest une main qui se tend. Et comme elle
nen rencontre aucune
autre, elle les
condamne à la solitude que trompe mal
ladhésion à un groupe et
à lidéologie
de ce
groupe.
Du côté des filles, cest
plus préoccupant encore.
Combien souvent en effet la mère
daujourdhui, au lieu de soffrir
comme modèle
identificatoire
serein à son adolescente, revit en totale
sympathie la torture quelle a
ellemême
éprouvée
à cet âge-là. Sa communication
se trouve du coup hantée par
langoisse
générée
par les questions quelle se pose :
- sa
fille, cette chrysalide qui éclôt
à sa propre dimension, tiendra-t-elle la
promesse
attendue
delle ?
- aura-t-elle eu
tort de se projeter en elle et den
espérer une reproduction au moins
à
lidentique,
sinon en progrès ?
- a-t-elle eu
tort davoir imaginé quelle la
prolongera fidèlement par delà la
mort ?
Voilà qui nest pas fait pour
permettre à ladolescence de
saccommoder de la force
nouvelle qui
éclôt en elle et de
lapprivoiser. Si bien que cette force viendra
nourrir
communément
une agressivité à
expressivité et à direction
lune et lautre
variables.
Pour ce quil en est de
lexpressivité, elle va, comme je
lai dit plus haut dans mon
catalogue, dans
les cas les plus légers de la bouderie aux
claquements de porte en passant
par
les tics de
langage.
Elle peut être aussi retournée
contre ladolescente elle-même,
générant léchec
scolaire,
le blues, la
dépression, la consommation sexuelle,
laddiction aux drogues plus ou
moins
dures,
lanorexie mentale quand ce nest pas le
suicide.
Mais elle peut aller, filles et
garçons confondus, jusquaux troubles
des conduites
sociales,
visant alors par déplacement un
environnement perçu comme hostile,
générant tout
aussi bien son
rejet que la paranoïa ou une
agressivité tout azimut.
Je nirai cependant pas au delà
de cette simple énumération. Chacun
peut en effet
décliner
le tableau à sa guise
La difficulté de la
gestion de la violence adolescente
ne revient pas,
comme on pourrait le croire, à la seule
disparition des rituels.
Parce que
jai rencontré bien des adolescents
qui, sans le secours du moindre
cérémonial,
ont traversé leur adolescence sans
encombre.
Comment tout cela
sexplique-t-il donc ?
Par le fait tout simple que ce qui na
pas été correctement
réglé dans la petite
enfance,
revient en
force à cet âge-là et demande
à être définitivement
résolu.
Ce qui me permet davancer que les
adolescents sans problème que jai
rencontrés ont
assurément
bénéficié dans leur petite
enfance dune éducation de
qualité, alors que le
plus
grand nombre,
qui erre à la recherche dune solution
à son état, a été mal
sinon pas du tout
éduqué.
Quest-ce donc que cette
éducation et quels sont ses
contours ?
Cest une entreprise
dévolue aux parents et
destinée à permettre au plus
tôt à
lenfant
-
dapprendre à
maîtriser la violence des
pulsions dont il est naturellement le
siège
- de
gérer du mieux possible
langoisse de mort qui le saisit
vers la fin de la
première
année
- de
renoncer à lexercice de la
toute-puissance quil croit devoir
opposer à celle
quil
attribue
à sa mère
En
quoi réside cette éducation
?
Elle peut se mettre en place
dès lors que sont respectées
:
- la
différence générationnelle,
lenfant étant mis à sa place
et non pas au sommet de
la pyramide
familiale
- la
différence sexuelle et les places comme
les fonctions différenciées de la
mère et
du
père
Sa mise en oeuvre fait appel
essentiellement à la frustration, laquelle
doit parvenir à
faire admettre
à lenfant que « dans la vie
on ne peut pas tout avoir » au lieu de
le laisser
croire
quil « a droit à tout
».
Cette frustration
se met en place quasi automatiquement du simple
fait de la tiercité.
Le
père,
tiers séparateur à simple
portée de main, brise en effet la connivence
comblante du duo
mère-enfant.
Cette
frustration
- assortie
du respect de lenfant
- va lui
permettre de repérer sa
place
o dans
lespace
o et dans
le temps. Lequel, avant tout autre
ingrédient, va très
progressivement
laccoutumer
à son sort de mortel. Cest
lexpérience dun temps sans
plaisir
associé,
dun temps vide qui
sécoule, qui lui permet de se
sentir vivant et de
savoir la
mort tant redoutée nest pas
près de survenir.
La collection des frustrations,
jusques et y compris dans la traversée de la
phase
oedipienne,
permettra peu à peu à lenfant
de sinscrire solidement dans lordre
sécurisant de
son
environnement et de se sentir pleinement
vivant.
Or, depuis quelques décennies, nos
sociétés ont tourné
délibérément le dos à
léducation
classique.
Elles nont plus soutenu la fonction
paternelle les pères sont
invités à être des
mèresbis
et elles
ont érigé linfantolatrie
en valeur suprême.
Ayant hissé lenfant au
sommet de la pyramide familiale et ayant
décrété quil
ne
devait pas
cesser dêtre comblé dès
sa venue au monde, elles lont
ancré en même temps
dans
lusage
stérile de sa toute-puissance et
dans sa perpétuelle angoisse de
mort.
Elles lont privé, de ce fait,
des mécanismes de défense qui lui
étaient indispensables
pour affronter
à son heure le bouleversement
adolescent.
Car quest-ce que la violence comme
processus de défense, sinon un processus
destiné à
faire obstacle
à la résurgence éventuelle de
langoisse de mort ?
Ladolescent a
toujours eu peur.
Peur de quoi
?
Peur de cesser dêtre enfant et
de devenir cet adulte qui lest, adulte, quand
il a enfin
accepté
son statut de mortel. Cest à dire
quand il a accepté lidée que la
mort est le lot
commun qui
nempêche tout de même pas
davoir à vivre une vie. Ce qui
explique soit dit en
passant
lexistence de ces adulescents et le
caractère de nos sociétés
elles-mêmes
adulescentes.
Or,
aujourdhui, ladolescent na pas
seulement peur.
Il fait
peur.
Et il fait peur
parce quil la brandit sa peur !
Et comme il rencontre en face de lui des
adultes eux-mêmes engoncés dans
leurs
adolescences
non dépassées et à qui il fait
peur, sa peur saccroît
dautant.
Au point quil na pas
dautre ressource que de sombrer dans
lagressivité,
obéissant
instinctivement
au vieil adage qui enseigne que « la
meilleure défense cest
lattaque » .
<« Les
pères sont des « mèrebis »
(...), infantolâtrie (...), l'enfant au
sommet de la pyramide familiale (...) les adultes
qui n'éduquent plus (...), l'adolescent fait
peur (...) » etc etc. Une seule certitude
à la lecture de ces lignes et de son dernier
bouquin : Naouri vieillit mal. Un long chapelet de
théories extravagantes, jamais
prouvées, une méconnaissance
sidérante de l'histoire de
l'éducation avec en filigrane l'apologie des
« bonnes vieilles méthodes »
éducatives, celles qui vous forgeaient des
hommes à coups de taloches. Naouri a refait
surface dans les médias il y a peu de temps
avec des propos ahurissants sur le doudou (à
supprimer brutalement sans explication), le pouce
à couper plutôt qu'à sucer et
cette obsessionnelle phobie du père aimant.
Un père qui ne frappe pas, un père
qui ne fait pas peur n'est pas un père, pas
un homme. Avec son dernier bouquin, Naouri creuse
un sillon qui se vend bien : celui de la peur des
jeunes et l'apologie de la violence
éducative. C'est dans l'air du temps et la
France reste un pays de cogneurs d'enfants. «
La question de la violence adolescente est devenue
plus difficile qu'elle l'était autrefois
», écrit-il encore. Quelle ignorance et
quelle fatuité ! Naouri n'a sans doute pas
lu le dernier livre de Robert Muchembled, «
Une histoire de la violence » (Le Seuil) :
l'historien des mentalités - qui lui,
connaît son sujet - évoque justement
l'extrême violence des adolescents du
passé, à l'époque des rites de
passage chers à Naouri. Curieux, quand
même, qu'un tel bouquin puisse trouver sa
place sur le site de Jacques
Nimier.>>
<<J'ai
beaucoup apprécié le dossier sur
l'adolescence et particulièrement l'article
écrit par Aldo Naouri. Ses propos sur la
frustration résonnent avec un article que
j'ai écrit il y a quelques temps "Eloge de
la frustration" qui a été
publié dans Non Violence Actualité.
je vous l'envoie en doc joint. Dans mon article,
j'aborde plutôt la première
adolescence ( vers 3 ans) : la puissance de
l'enfant comme ressource pour sortir de la matrice
fusionnelle et l'importance pour les adultes de
canaliser cette puissance sans casser le moteur de
développement. >>