Le
suicide des adolescents a toujours hanté la
littérature entre le Werther de Goethe, le
héros de Notre prison est un Royaume de
Cesbron, celui des Amitiés
Particulières de Peyrefitte, ou le
héros du film du Cercle des poètes
disparus. Ce drame individuel et social s'il reste
un " geste de vivant " ne peut - être
accepté, pour des jeunes en pleine
métamorphose, comme une décision
lucide et philosophiquement justifiable.
Il n'est pas dans mon propos de balayer tout le
champ des études sur ce drame de la vie, qui
concerne d'ailleurs tous les âges, ni
d'arpenter tous les lieux où ces jeunes en
souffrance tentent de se construire une existence,
mais de poser quelques repères de vigilance
et d'accompagnement plus particulièrement
dans l'espace scolaire.
Si les statistiques placent le suicide des jeunes
en France en deuxième cause de
mortalité, après les accidents de la
route, les chiffres sont délicats à
manipuler car le décompte des suicides
aboutis masque aussi des morts accidentelles dans
des conduites à risques à
visée suicidaires. Par ailleurs, les
tentatives de suicide répertoriées,
ne prennent en compte que celles qui transitent par
des services officiels et ont fait l'objet d'une
prise en charge de suivi. Beaucoup ne sont pas
signalées, tant le sujet est tabou dans les
familles culpabilisées par ce passage
à l'acte.
Un malaise
multifactoriel : Penser le suicide des jeunes pour
mieux le prévenir
Les recherches scientifiques ont montré
qu'il résulte d'une interaction complexe de
divers facteurs biologiques,
génétiques, psychologiques,
sociologiques et environnementaux.
Multifactoriel, le suicide d'un jeune, pas plus que
celui d'un adulte ne peut en effet s'expliquer par
une seule cause. Tous les jeunes en échec
scolaire ne se suicident pas (certains deviennent
délinquants), ceux en échec amoureux
peuvent rebondir ou s'alcooliser, et d'autres
malmenés par leurs camarades peuvent se
réfugier dans l'excellence ou la
solidarité de bande, au lieu de cette
violence retournée sur
eux-mêmes.
Cette dynamique du suicide va se décliner en
idées suicidaires, en tentatives, en
récidives, en suicides aboutis. Il est
évident qu'une prévention, si elle
doit se situer d'abord très en amont, va
aussi s'exercer aux stades " actifs ", pour
éviter la récidive ou avant que
l'irréparable ne se produise Mais elle agit
aussi en aval, dans le soutien aux familles et aux
jeunes, afin que le syndrome dit de " Werther "
n'éveille des vocations pathologiques, en
famille ou entre camarades, risque amplifié
aujourd'hui par l'impact d'un internet propice
à un mimétisme du
désespoir.
Parmi d'autres structures, la
fondation JEVI (Québec) a
repéré des facteurs de risques
:
-
Des facteurs de
vulnérabilité : le sentiment
d'anonymat ou d'isolement, les exigences
de performance scolaire ou sportives, les
incertitudes face à l'avenir,
l'éclatement des structures
familiales, le sentiment de ne pas faire
partie de projets collectifs, les
conditions
socio-économiques.
J'y ajouterai l'incapacité à vivre
des frustrations, la perte d'estime de soi
après des échecs, la violence
familiale, scolaire ou de la rue, le
harcèlement entre pairs à
l'école, l'homophobie, et bien sûr,
les pathologies psychiques activées
fortement chez les adolescents en quête
d'identité.
-
Des facteurs de " précipitation " :
rupture amoureuse, échec scolaire,
querelles familiales, rejet du groupe,
deuils réels ou symboliques,
accidents de santé graves,
humiliations, viols, agressions.
Si le suicide est le point d'orgue tragique qui
cristallise à un moment donné un mal
de vivre, les comportements autodestructeurs, les
addictions et notamment au virtuel, les conduites
à risques, les états
dépressifs, les fugues,
l'absentéisme, le repli sur soi sont
à prendre en compte comme autant de signes
d'alertes d'un drame qui peut se profiler. Mais la
souffrance est parfois bien subtile dans son
expression, et des jeunes " sans histoires ", au
visage lisse, font une tentative de suicide
à la stupéfaction de leur entourage
et sans que famille, école ou amis aient
été pour autant dans le déni
de signes précurseurs.
Un projet global
: sensibiliser tous les acteurs et
partenaires
Face aux formes multiples du mal de vivre, face
à l'alchimie subtile des facteurs de risque,
la réponse ne peut-être qu'à la
fois individuelle et collective. Chaque membre de
la famille, chaque membre de l'Education nationale
(enseignants, CPE, chefs d'établissements,
assistante sociales ou infirmières,
médecins, psychologues, conseillers
d'orientation), ou d'associations parascolaires,
qu'elles soient sportives, artistiques ou
confessionnelles, chaque élève,
chaque citoyen est potentiellement un veilleur, une
sentinelle vigilante de proximité.
Coopération entre l'école et la
famille pour que des comportements
préoccupants rendent attentifs tous les
autres acteurs, coopération dans
l'équipe éducative quand
l'élève dysfonctionne ou que des
camarades soulignent des attitudes
inquiétantes, coopération pour qu'un
signalement ne s'enlise pas dans une
procédure improbable : ce sont des postures
à développer de façon
systématique.
La configuration multifactorielle de l'acte
suicidaire suppose de mobiliser les ressources des
individus et des institutions, notamment scolaires,
pour être attentif à ces facteurs de
risque. L'objectif est alors de développer
un " mieux-vivre " dont les retombées
seront bénéfiques au quotidien pour
tous les enfants, et pas seulement en
prévenant " le mal de vivre ".
Quelques pistes possibles non
exhaustives :
Promouvoir un
nouvel esprit relationnel pour tous
C'est une revendication largement partagée
dans une société fragilisée
par les métamorphoses rapides et les
repères bousculés. Des leviers
s'offrent à nous :
Développer les capacités de
résilience : " les enseignants, tuteurs
de résilience ", c'est ainsi que j'avais
intitulé un séminaire dans
l'Education Nationale au Luxembourg. Nous sommes
tous des tuteurs potentiels, et tous acteurs pour
stimuler chez nos enfants fragilisés, les
ressources dont ils disposent et qu'ils ignorent
trop souvent.
Favoriser l'estime de soi : à
l'adolescence plus encore, le regard que les jeunes
posent sur eux est sensible à celui que leur
portent les adultes. Montrer que nous ne confondons
pas leurs actes et la personne, que l'erreur n'est
pas une faute, et que leur valeur personnelle
dépasse de beaucoup tout ce qui apparait.
(Voir: L'estime
de soi, un don de la nature ou un chantier humain
au long cours ?)
Lutter contre l'échec scolaire :
c'est évidemment un programme d 'ensemble
qui touche aussi le décrochage, mobilise les
écoles de la seconde chance, les
écoles hors les murs et invite à
mettre en uvre des pédagogies
différenciées dont les
retombées dépassent bien
évidemment la question du suicide. Mais la
réussite scolaire n'est pas tout : la
Finlande, qui bénéficie d'un niveau
économique élevé, d'un
système scolaire où les
élèves sont heureux, sans pression
excessive, cité partout en exemple, a aussi
le taux de suicides des jeunes le plus
élevé d'Europe. D'autres facteurs
entrent donc en jeu, que le système scolaire
que beaucoup leur envient, ne suffit pas à
compenser.
Créer un climat de communication et de
dialogue : à l'école comme en
famille, la vigilance est favorisée par une
meilleure écoute et communication avec
l'enfant, avec les élèves, entre
collègues et entre partenaires. Cela
s'apprend (Voir: Dossier
écoute) dans
le cadre de formations, cela s'expérimente
au quotidien, en cours comme dans les temps de vie
scolaire et familiaux ou, dans les activités
périscolaires.
Montrer que les impasses de vie peuvent
être revisitées.
Quelle " ferveur de vivre "
(Jacques Salomé), les adultes
manifestent-ils qui soit stimulante et source d
'identification pour des jeunes ? Quelle image leur
donnons-nous de l'avenir ? Tandis que des
situations vécues trop souvent par les
adolescents comme des impasses dont la sortie ne
peut se faire que par la mort ou la fuite dans des
conduites à risques, si la vie des adultes
peut témoigner en contre-point d'un
optimisme raisonné et lucide, on peut
espérer pour les jeunes une traversée
plus sereine des épreuves de la
vie.
Trouver des
points d'appui pour une vigilance renforcée
:
Là où les facteurs de "
vulnérabilité " sont
présents, là où les facteurs "
précipitants " sont sensibles, la
vigilance est de mise chez les acteurs qui
gravitent autour des jeunes.
- Les
parents premiers concernés, mais
souvent trop impliqués pour être
lucides.
- Les
médecins
généralistes
sollicités pour des troubles du
sommeil, des comportements anorexiques ou
pour des signes d'addiction.
- Les accompagnants
du milieu sportif ou associatif attentifs
aux changements de résultats ou
d'humeur, de repli sur soi ou
d'agressivité.
- Les pairs,
copains de classe ou de loisirs, fratrie :
confidents ou simplement observateurs, s'ils
ne sont pas englués dans un souci de
confidentialité et de loi du silence,
ils peuvent par leur proximité
être attentifs aux signes de
détresse. Ils sont aux
premières loges aussi pour être
des alliés solidaires et fraternels
afin d'aider leur copain en difficulté
à dépasser des épreuves
de vie.
- Les corps de
métier de l'Ecole. Chacun à
sa manière peut être un
précieux détecteur de signes de
mal-être (même si le risque
suicidaire n'est pas le seul) : enseignants
qui repèrent des chutes de
résultats ou un repli sur soi, les CPE
sensibles aux comportements,
infirmières, assistantes sociales,
médecins scolaires, psychologues,
sollicités par les jeunes ou par les
personnels éducatifs, conseillers
d'orientation. Parfois, les agents de
services ont des oreilles et des yeux
aiguisés pour repérer des
souffrances. La qualité et l'attention
de l'équipe de direction aux questions
" psycho-sociales ", au travail en
coopération en interne, avec les
parents et avec les partenaires
extérieurs au-delà des
résultats scolaires, est
déterminante pour créer un
climat favorable au soutien.
- Les structures
d'aides extérieures quand des
signes précurseurs se manifestent ou
des tentatives de suicide se produisent :
chaque département
bénéficie de lieux d'accueil en
pédopsychiatrie, d'une Maison de
l'adolescence ou de consultations en milieu
ouvert, dont les adresses sont accessibles
dans les Mairies. Mais aussi beaucoup
d'associations nationales proposent aide,
conseils, orientation, adresses locales.
(voir ci-dessous)
Lorsque un homme met fin à ses jours, c'est
toujours une histoire singulière qui conduit
à ce geste. Quand il s'agit d'un jeune,
cette alchimie reste encore plus
mystérieuse, mais ne peut nous laisser le
choix pour autant entre fatalité
démobilisatrice et illusion de pouvoir
maitriser tous les facteurs de risques. Quelle vie
voulons-nous pour eux et pour nous ?
" Un jeune qui fait une
tentative de suicide, c'est d'abord et avant tout
juste un jeune qui veut vivre, mais autrement "
.Pr Daniel Marcelli,
pédopsychiatre
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