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Qu'est-ce qu'une médiation?

JEAN-POL ROCQUET Janvier 2004

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 L’intégration des conflits

             Le conflit est inhérent à la relation. Ne pas l’admettre comme constitutif de la relation, c’est avoir une représentation « angélique » et naïve des relations humaines et professionnelles. La plupart des personnes redoutent les conflits. Elles pensent qu’il suffit de la seule bonne volonté et d’une communication transparente pour éviter les phénomènes conflictuels. D’autres pensent que les agents de l’institution défendent des valeurs qui transcendent les personnes ; même si un instituteur maltraite un élève, il convient de préserver l’agent de l’institution parce que les valeurs qui sont présupposées, et les normes appliquées sont plus importantes que les sujets, fussent-ils défaillants. Dans ces conditions, les institutions font violence aux personnes, parce que les valeurs et les normes sont « sacrées. »

             Avec le désenchantement de la société, avec le déclin des institutions, le conflit donne forme à l’organisation. A condition qu’on ne craigne pas son expression. Les conflits ne se « gèrent » pas, comme on l’entend dire parfois par métaphore économique, et par tradition managériale. Les conflits concernent des femmes et des hommes et il n’y a pas de traitement « économique » du conflit. Les conflits s’intègrent à la relation, ils sont inhérents, voire fondateurs de la relation. S’ils sont intégrés, les conflits ne détruisent pas les relations.

             Intégrer les conflits, c’est d’abord reconnaître qu’ils ont une place « intégrale », entière : « un bon partenariat est un bon adversariat » prétend Jacques Ardoino. Il a raison. Penser que les relations humaines sont marquées par la bonté, la bonne volonté, le désir de coopération, voire le désir d’une société, harmonieuse est au mieux une illusion, au pire, une méconnaissance de la réalité. A l’opposé, penser que « l’enfer, c’est les autres » et que toute tentative de mise en relation entre humains révèle un drame de l’incommunicabilité est une croyance de misanthrope.

             Intégrer les conflits à la relation, c’est retrouver le cadre humain dans lequel jouent les personnalités, les stratégies d’acteurs, les phénomènes affectifs, bref de prendre en considération la complexité, l’incertain et l’opacité.

             Pour l’inspecteur qui se veut médiateur, s’il y a des satisfactions lorsque le lien est restauré, lorsque les adversaires sont conciliés, voire réconciliés, il y a également des déceptions, lorsque les adversaires trouvent (inconsciemment le plus souvent) un intérêt et un équilibre à cultiver la violence dans le conflit, et sa répétition. Quoi qu’il en soit, un principe fort de la médiation, c’est celui du « reliquat non résolu. »

L’inspecteur, médiateur, peut espérer intégrer les conflits à la relation, sans vouloir résoudre entièrement les problèmes des personnalités et des collectifs ; il reste un fond conflictuel qu’un inspecteur, dans le cadre de la professionnalité, ne peut prétendre supprimer :

« On ne doit jamais se fixer pour but de résoudre totalement et définitivement un problème, on doit se borner à tenter de l’améliorer ou de l’atténuer.”

(P. Watzlawick.- Le langage du changement.- Seuil, 1980)

 

Violence et agressivité

La violence est liée au conflit. La violence fait partie de la vie.

             La violence est parfois sans auteur humain : est violent le tremblement de terre, la tempête, la maladie, la mort par accident. Est violent, mais dans une moindre mesure, la suspicion, le défaut d’organisation, le retard, l’ironie, le jugement, le conseil. La violence, c’est en quelque sorte la déconstruction du sens des actes posés par un sujet, du sens qu’il donne à sa vie. Et comme l’humain est « être de sens », il transforme la violence insensée, en agressivité, une forme de violence qui a trouvé un objet.

             Parce que la souffrance qui résulte de la violence déconstruit le sens de la vie, de l’école, les personnes confrontées à cette souffrance cherchent un objet responsable de la violence qui lui est faite : au tremblement de terre qui fait violence, succède l’agressivité contre les responsables politiques, les architectes, la violence de la maladie se transforme en agressivité contre le médecin, le malade lui-même qui n’a pas pris les précautions nécessaires. L’accident dans les escaliers est le fait de la maîtresse ; l’absence de motivation au travail est de la responsabilité des parents « qui auraient démissionné. »

             Le conflit serait un processus « violent » parce que le sens est déconstruit dès lors que le conflit oppose des valeurs à d’autres valeurs, des opinions à d’autres opinions, dans le surgissement des faits insus et imprévus. On n’attend pas que des enfants souffrent, voilà la violence, mais elle se transforme en agressivité quand la violence s’explique par la responsabilité de leurs auteurs. On n’attend pas qu’une enseignante frappe des enfants, comme on n’attend pas que des enfants se bousculent dans les escaliers, qu’un parent insulte et menace un enseignant dans sa classe.

Ce qui fait violence ce sont des actions. Ce qui fait agression, ce sont les personnes.

 

L’enseignant, le parent, l’élève, agressés ou agressifs, devient « autre » de ce qui était prévu qu’il fasse et qu’il soit.

             On attend du maître qu’il éduque. Quand il frappe, il est « autre.» Du parent, on attend qu’il se conforme aux règles de civilité, comme l’élève aux règles de sécurité. Et pourtant, ils deviennent étranges, étrangers à leur image, « autres » et aliénant, dans ces circonstances.

 

             Cet « autre » effraie, car il n’est pas conforme à l’image qui s’est construite. Mme Mérignac apparaît comme « une sorcière » ; M. Duzon comme le personnage d’une scène irréelle, une scène de « mauvais film, d’un cauchemar ou d’un cirque. » (voir exemple)

             L’autre est étrange et inquiétant, il rend « fou », il est aliénant.

             L’autre est également en soi : l’enseignant qui frappe n’a pas la volonté de frapper, de même que le parent agit sous le coup de l’émotion, quand il insulte et menace, de même pour l’élève qui sait que, pour sa sécurité et celle de ses camarades, il doit avancer prudemment, en rang et éviter les bousculades.

             L’autre en soi est également détesté par soi.

             C’est sans doute la raison qui fait que, pour l’éviter, ne pas le voir, on a tendance à projeter l’autre en soi sur les autres. On a tendance à ne pas le reconnaître comme une part de soi dans les actions qui lui sont imputées. On peut imaginer que, si Mme Mérignac s’est trouvée surprise par la bousculade, surprise et inquiète, sa réaction, augmentée de l’énergie de l’émotion, aurait pu être de frapper les deux élèves, sans qu’elle l’ait voulu. On peut aussi comprendre que l’institutrice ne puisse reconnaître ce qu’a fait cette autre en elle qui aurait frappé Christophe et Maxime.(voir exemple)

             Pourtant les conflits sont sources d’apprentissage, quand ils sont mis à distance des émotions, lorsqu’ils sont intégrés à la relation. Cependant, comme il est plus facile de projeter sur les autres, et les agresser, ne serait-ce que pour reconstruire du sens, il faut aux conflits des tiers qui se posent en médiateurs. Des tiers qui viennent se placer « entre » les protagonistes, pour séparer, pour interdire la violence et pour dire entre les personnes.

 

 

La médiation

“L’homme est continuellement en quête d’un savoir sur les objets de son expérience ; il cherche à en comprendre le sens et à réagir conformément à la compréhension qu’il a acquise.”

Don D. Jackson.- Point de vue sur l’existentialisme.- in Une logique de la communication.- Seuil, 1972

              L’agressivité, cette forme de violence qui a trouvé son objet, s’exerce dans sa forme insupportable du passage à l’acte, comme une décharge d’énergie : frapper, cracher, insulter, ironiser, juger sont des actes agressifs. Ce sont ces actes qui sont le propre de la communication conflictuelle, le conflit étant un « heurt » un « choc » relationnel. Le conflit est l’expression d’une pulsion, celle qui vise à détruire l’autre.

             Pourtant, le conflit est relation. Et dans cette relation il y a un intérêt qui se manifeste pour l’autre, même s’il apparaît étrange et aliénant ; c'est pourquoi, si l’on intègre le conflit dans la relation, il convient de trouver un tiers qui en assure la médiation.

             Dans une relation conflictuelle, il y a des choses importantes qui sont signifiées, mais qu’on ne peut entendre tant la violence agressive vise d’abord à faire souffrir plutôt qu’à signifier.

             La médiation, notamment par le travail de la parole, en conflit, est une source de déviation de la violence vers la construction du sens. Quand le père de Christophe surgit dans la classe de Mme Mérignac, (voir exemple) quand il l’interpelle, l’insulte et la menace, il veut dire quelque chose que personne ne peut entendre, et surtout pas l’enseignante, parce que le retentissement émotionnel est trop important.

 

Le tiers de la relation est toujours le langage, verbal ou non-verbal.

             Imaginons que M. Duzon demande rendez-vous, rencontre Mme Mérignac, prévienne toute agressivité en précisant qu’il essaie de comprendre ce qui s’est passé ce jour-là, qu’il comprenne le malaise de l’enseignante, qu’il envisage la dénégation comme un mécanisme de défense, et qu’il recherche un lieu de conciliation pour mettre des mots sur ses propres affects, dire qu’il trouve insupportable les bosses et les marques sur le visage de son fils, pour dire qu’il n’a pas trouvé que cet événement pouvait être conforme aux valeurs éducatives qui sont celles en usage dans l’école. S’il avait pu prévenir par des mots ce qu’il voulait signifier, en disant qu’il pouvait comprendre un moment imprévu de tension, qu’il ne voulait pas avoir raison contre une enseignante, qu’il ne jugeait pas. Bref, s’il avait pu modérer sa réaction, alors le conflit aurait été intégré à la relation.

 

Le langage est le médiateur, comme la connaissance.

             Si M. Duzon avait connu ce qu’est un mécanisme de défense, il aurait compris le sens de la dénégation de la part de Mme Mérignac. S’il avait connu le déplacement, il aurait pu comprendre le sens de la parole accusatrice de son fils. De la même manière s’il avait eu quelque connaissance des institutions, il aurait compris combien est importante la position de l’instituteur dans une communication qu’il envisage toujours comme dissymétrique. S’il avait sollicité la connaissance des phénomènes relationnels, M. Duzon aurait échappé aux pièges des attitudes ordinaires : jugement des actes de l’autre, interprétation abusive, retentissement émotionnel.

D’autres entrées, d’autres paradigmes explicatifs interviennent en tiers médiateur, en modérateur.

             Le savoir et la rationalité sont des lieux de mise à distance qui empêchent le passage à l’acte. Bien entendu, la connaissance des phénomènes relationnels n’est pas donnée. C’est même un domaine ignoré dans le monde scolaire. Et quand bien même il serait objet de formation : quand on est directement impliqué dans un conflit, la connaissance passe bien après le retentissement émotionnel. Et l’on connaît d’habiles médiateurs qui sont des adversaires agressifs dès lors qu’ils sont impliqués dans un conflit.

             C’est pourquoi, la mise à distance, l’apprentissage et la connaissance, la construction du sens du conflit sont assurés par une personne tierce. Quelqu’un qui vient se placer entre les protagonistes, quelqu’un qui vient « inter-dire », interdire notamment les manifestations et les réactions agressives. L’inspecteur est bien placé pour assurer le rôle de la personne tierce, la fonction de la médiation, même si ce rôle est nouveau pour lui. Son statut, la distance que lui confère son métier, son expérience de l’écoute active sont susceptibles de fonder la médiation.

 

La loi et la médiation

             Nous sommes tous les sujets de la loi. Même si elle est violente, elle dit la nature du lien social qui relie chacun d’entre nous. C’est ce en quoi la violence de la loi est une violence légitime. La loi est toujours présente dans la relation : elle est latente et limite la relation dans le cadre professionnel, elle se manifeste également dans le code de civilité.

             La loi est langage : langage verbal ou non-verbal. La loi est une institution et la loi fait autorité. Les rituels, la politesse constituent des manières d’entrer en relation qui sont convenues, à condition qu’on en connaisse les usages. Formuler une injonction en utilisant une interrogative : « Voulez-vous, je vous prie, me prêter votre stylo ? » a plus d’effet que la formulation d’un ordre : « Passez-moi ça tout de suite ! » Encore faut-il que les codes soient connus pour être efficients. (voir "Le rapport à la Loi")

La loi est langage, texte. La loi signifie le droit et les devoirs. Elle prévoit également les sanctions. (voir: "Sanction et Punition")

             La loi n’est pas un travail de la parole, mais la loi est discours : « Parler, et à plus forte raison discourir, ce n’est pas communiquer, comme on le répète trop souvent, c’est assujettir. Toute la langue est une rection généralisée.”(Roland Barthes.- Leçon inaugurale de la chaire de sémiologie littéraire du collège de France, prononcé le 7janvier 1977.- Seuil, 1978)

 

La loi s’exerce en référence au passé :

             La loi vise à rétablir un ordre social qui a été mis en désordre. Pour que l’ordre soit rétabli, l’exercice de la loi a besoin que les faits soient établis dans leur véracité. Il convient de dire à la lumière du discours du texte ce qui fonde la transgression, les circonstances et les auteurs. Pour que la loi soit reconnue et juste, il convient que les coupables soient identifiés, que les circonstances soient précisées et comparées au texte. La jurisprudence vient éclairer le jugement. Le cadre de la loi pose des relations nécessairement dissymétriques : le juge possède par statut l’autorité de dire et faire appliquer la loi. Il est le représentant de la loi, il en est une figure. Le juge est à la fois un expert et un acteur : son analyse des faits le conduit à dire ce qui doit être fait. Sa parole est un acte de pouvoir : il condamne ou innocente, il dit qui est agresseur et qui est victime ; il sanctionne et contraint à la réparation des actes de désordre. Comme la loi exerce des pouvoirs considérables sur les personnes, ils ont été séparés, le juge ne fait pas la loi, il l’applique. Et s’il prononce des condamnations, il ne les exécute pas. On comprend toute la difficulté de recourir à la loi pour des conflits nombreux et bénins, qui sont le lot du monde scolaire.

 

La médiation a un autre but : elle vise à créer ou recréer du lien entre les personnes.

             Et ce lien est établi par un travail de la parole. Dans la médiation, la parole circule entre les personnes en conflit, de façon à faire changer la relation. La médiation est tournée vers l’avenir, vers la (ré)conciliation. Au lieu de comparer les actes au texte, la médiation sollicite l’expression des points de vue, elle les fait observer dans leur convergence mais aussi dans la divergence. Le médiateur, à la différence du juge, n’a pas de pouvoir, il ne tient pas son autorité par statut, mais par rôle. L’autorité du médiateur est précaire, elle est fondée sur la reconnaissance des acteurs en présence. Le médiateur ne représente nul autre que lui-même. Il ne considère les adversaires ni comme des agresseurs ou des victimes ; ce sont des personnes en relation, en relation conflictuelle agressive ; mais la nature de cette relation peut être changée en une relation conflictuelle sans agressivité.

 

 

             Le travail de la parole en médiation est un travail d’expression, d’élucidation et de construction : expression des points de vue, des ressentis, des valeurs et des croyances, élucidation des implicites, et construction d’un acte symbolique, d’un acte de langage qui a été construit pour marquer la sortie du conflit et le changement de nature de la relation. Alors que le juge condamne et répare, le médiateur félicite les acteurs de la médiation pour ce travail d’expression, d’élucidation et de réconciliation.

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<<Est que un parent d eleve elu peu t il etre un mediateur entre le les parents d un enfant et le corps enseignant(directeur se) maitresse?>>

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