La salle de formation est
plutôt grande car on peut y circuler
facilement. Elle est équipée d'un
ensemble de tables disposées en U, d'un
bureau pour le formateur, d'un paper board, d'un
tableau mural. Trois ordinateurs sont à
disposition. Une petite bibliothèque
contient des livres et un placard spacieux sert de
local au formateur pour entreposer son
matériel pédagogique.
Les stagiaires s'installent à
la place qu'ils semblent occuper habituellement.
Le formateur
donne alors à chacun d'entre eux une
feuille d'émargement afin qu'ils puissent
attester de leur présence. Des dossiers sont
empilés sur une table ; il recherche les
dossiers qui correspondent à leurs auteurs
respectifs et les dispose à
côté d'eux. Ensuite, il passe quelques
minutes auprès de chaque personne afin de
trouver la fiche d'exercices qui est à faire
et qui s'inscrit dans une continuité par
rapport à la séance
précédente.
On peut dire que le travail donné
est personnalisé car chaque dossier
comprend une série de fiches avec des
exercices correspondant aux niveaux et aux
capacités des stagiaires. Ces exercices sont
issus de différents ouvrages ou de
méthodes visant l'apprentissage du
français écrit. On trouve une
variété d'exercices sur l'alphabet,
le vocabulaire, la grammaire et l'orthographe :
exercices de graphisme, de phonétique,
d'association, de repérage, de formulation
d'hypothèses, de discrimination, etc.
Les stagiaires travaillent
individuellement sur leur fiche, ils
sollicitent le formateur en cas de besoin
notamment si une consigne n'est pas
comprise ou ne peut être lue ou
alors, si une difficulté
apparaît dans la réalisation
d'un exercice et aussi quand la fiche est
terminée.
Le formateur passe ainsi d'une
personne à l'autre pour aider
et suivre le travail en cours : avec
untel, il donne une explication, avec tel
autre, il corrige, pour un autre encore,
il fournit la fiche suivante.
Les stagiaires sont
concentrés sur leur travail
avec une application qui est à
souligner même si, parfois, de la
fatigue se fait sentir assez rapidement
chez certains.
On note également une
ambiance calme, sérieuse,
plutôt silencieuse.
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Les échanges émanent
principalement du formateur notamment lors des
explications, des corrections, des encouragements
face à des apprenants qui ont des attitudes
d'acquiescement et d'approbation. Des
échanges apparaissent ponctuellement entre
voisins de table dans les cas où un
stagiaire se trouve en difficulté pour
poursuivre son travail et que le formateur est
mobilisé auprès de quelqu'un d'autre.
Dans ces moments, un stagiaire peut
s'intéresser au travail de son voisin ou
bien une discussion à deux peut soudainement
s'enclencher. Une certaine solidarité
est perceptible au sein de ce groupe notamment
quand le formateur est occupé avec le
stagiaire qui est sourd. Le niveau de cette
personne est très faible puisqu'il
reconnaît tout juste les lettres de
l'alphabet et la communication avec lui est
compliquée. Il faut parler fort, avec des
gestes et bien articuler puisqu'il lit en partie
sur les lèvres. Il mobilise par
conséquent du temps. Néanmoins, il
est remarquable de constater la patience des
autres vis-à-vis de cet homme. Il est
possible qu'il fasse l'objet de projections en
cristallisant sur lui les problèmes
ressentis par chaque stagiaire. La bienveillance
qui lui est témoignée par les membres
de ce groupe, ne serait-elle pas, alors, à
l'image de désirs individuels profonds de
l'expression de ce même sentiment à
leur encontre ?
La séance a une durée de
trois heures. A son issue, les personnes
quittent la salle et le formateur
récupère et range les dossiers de
chacun dans l'armoire où ils sont
entreposés.
Analyse
Si on se réfère au
Traité des sciences et des techniques de la
formation, l'approche pédagogique de
cette séance peut être
qualifiée "
d'hétéro-structuration "
autrement dit, elle construit " des situations dans
lesquelles on veut transmettre, enseigner,
instruire, former, transformer " . L'idée
est de faire passer le savoir de celui qui sait
à celui qui ignore. La situation de face
à face formateur / groupe, même si
elle ne comprend pas d'exposé magistral, est
basée sur un savoir détenu par le
formateur et transmis
aux apprenants par l'intermédiaire
d'exercices. Ces derniers fournissent des contenus
d'enseignement préparés et
individualisés selon un découpage
progressif de connaissances. L'évaluation
par
les corrections régulières et les
feed back ont une grande importance.
On peut parler ici d'une forme
d'enseignement programmé (Burrhus
Frederic Skinner en est le principal auteur) qui
renvoie à la théorie du
béhaviorisme et consiste en une forme
d'enseignement individualisé dont le contenu
est fragmenté et présenté de
façon à apporter une
rétroaction à l'apprenant au fur et
à mesure qu'il avance dans sa
démarche d'apprentissage. L'apprenant est
ainsi placé devant une formule
pédagogique présentée sous une
forme écrite dans laquelle il a le loisir
d'apprendre selon ses capacités
personnelles, son rythme d'apprentissage et ses
disponibilités. C'est un enseignement qui
utilise, en particulier, des documents de travail
et des textes pour aider les élèves
à atteindre un certain niveau de
performance. Cet environnement est
caractérisé par l'individualisation
de l'apprentissage, le renforcement positif et la
vérification immédiate des
résultats dans une logique qui tend à
exclure l'erreur comme forme
pédagogique.
Citons ici Jean Pierre Astolfi qui nous
invite à considérer autrement le
statut de l'erreur
"Les
modèles constructivistes s'efforcent
eux, de ne pas évacuer l'erreur et de
lui conférer un statut beaucoup plus
positif. Le but bien sûr est de
toujours les éradiquer, mais on admet
que pour y parvenir, il faut les laisser
apparaître, voire même les
provoquer si l'on veut réussir
à mieux les traiter. Elles sont les
indicateurs des tâches intellectuelles
que résolvent les élèves
et des obstacles auxquels s'affronte leur
pensée pour les résoudre. Bien
des erreurs commises en situation didactique
doivent être pensées comme des
moments créatifs de la part des
élèves, simplement
décalés d'une norme qui n'est
pas encore intégrée. Faute
d'accepter de prendre ce risque, on
cantonnerait les élèves dans
des activités
répétitives à l'abri des
imprévus mais aussi des
progrès ".
Dans le cadre de la séance
évoquée, indiquons aussi que le
constat de la qualité du travail, de la
justesse des réponses ou de la bonne
réalisation d'un exercice est une
récompense appréciée qui
motive les formés à poursuivre leur
travail. C'est ce qu'on peut désigner sous
le terme de " renforcement positif
".
On peut repérer ici des facteurs de
motivation
extrinsèque
et, rappelons le, c'est la forme de motivation la
moins autodéterminée. Les personnes
tendent alors à agir dans l'intention
d'obtenir une conséquence qui se trouve en
dehors de l'activité même. Dans notre
cas, il s'agit bien de recevoir une
récompense qui prend la forme de
félicitations de la part de la formatrice.
Soulignons que cette forme de motivation apporte le
moins de satisfaction à l'individu car ce
qui fonde l'action est alors perçu comme une
injonction, une demande ou une pression
extérieures et peut être ressenti
comme une menace, une contrainte ou une atteinte
à l'estime de soi. Dans ce cas, l'individu
cherche davantage à éviter un risque,
à répondre à une obligation
qu'à satisfaire un besoin personnel auquel
il donnera un sens.
Dans le cadre de la séance qui fait
l'objet de cette analyse, mentionnons encore que
la méthode pédagogique
utilisée est affirmative dans le sens
où c'est le formateur qui expose, explique
et démontre une règle, un principe.
Elle est déductive car elle s'appuie sur une
loi générale (les exemples
fournis au début d'un exercice par exemple)
et étudie son application aux cas
présentés ensuite. Il s'agit de
partir de l'abstrait pour aller vers le
concret contrairement à la
méthode inductive qui utilise
l'expérimentation, les faits concrets pour
aboutir à des généralisations,
à la théorisation.
En référence à
l'ouvrage de Marcel Lesne, on retiendra aussi de
cette séance un mode de travail
pédagogique plutôt de type
transmissif à orientation normative ,
dans le sens où il s'intéresse aux
dimensions individuelles des comportements en
référence à des normes (ce
sont les savoirs à maîtriser qui
guident l'action). Ce mode de travail suppose
des formes de pouvoir direct et une posture
d'autorité (c'est la formatrice qui
organise et dirige l'activité).
On peut ici s'interroger sur ce que produit
la directivité dans l'action
pédagogique et avancer d'abord, que sa
logique place l'individu comme " objet " de
formation. On notera à cet égard, que
les apprenants semblent dans une attente forte
vis-à-vis du formateur. D'une manière
générale, la docilité et
l'obéissance pourraient qualifier les
attitudes des uns et des autres. Le formateur
est le guide, les formés lui font confiance
et semblent disposés à se laisser
conduire. On pourrait penser que ce type
d'intervention laisse peu de place à
l'initiative des apprenants.
Citons là un extrait du Traité
qui explique bien " qu'il ne s'agit pas tant
d'identifier et de mettre en pratique un style, une
modalité ou une conception
pédagogique idéale ou
supérieure aux autres, que de veiller
à l'optimisation du croisement entre les
attitudes du formateur et les dispositions de
l'apprenant. De ce point de vue, un style de
facilitateur, non directif, face à un
apprenant peu autodirigé, peut se
révéler aussi inefficace qu'un style
transmissif et directif face à un sujet
doté d'un projet d'apprentissage fortement
autodéterminé. Ici encore, tout est
question d'articulation " . Le terme d'articulation
prend ici toute son importance dans le sens d'un
équilibre. En effet, une directivité
excessive pourrait contribuer à entretenir
les apprenants dans des attitudes de
passivité, de soumission sans leur laisser
la possibilité de s'exprimer, de
décider par eux-mêmes et donc
d'acquérir une assurance et une confiance
internes. A contrario, des situations où
l'autonomie des apprenants serait le seul mode
pédagogique risqueraient de provoquer le
découragement et l'abandon face à
l'activité.
Dans le cadre de la séance, il
est vrai qu'une demande implicite de prise
en charge de l'apprentissage par le formateur est
très présente dans le groupe. Les
parcours, les vécus personnels des
stagiaires et les sentiments associés
pourraient, pour une part, expliquer cette demande.
En effet, les paroles timides, hésitantes,
confuses, les regards fuyants, les têtes
baissées observées illustrent assez
bien, chez ces personnes, une conscience de leur
situation propre. Cela peut provoquer
individuellement des sentiments de honte et de
gêne plus ou moins importants et, par
conséquent, une difficulté à
croire en soi-même et à donner de la
valeur à sa propre pensée. La
tendance est donc forte de faire porter à
l'autre (le formateur) l'entière
responsabilité des décisions et des
apprentissages. On repère ici les
répercussions psychologiques de
l'illettrisme et à quel point l'image de soi
est en jeu dans le processus
d'apprentissage.
En résumé, on peut
essayer, à l'aide de la grille d'analyse de
Marguerite Altet , de situer le style
pédagogique du formateur dans une dimension
" didactique " c'est-à-dire, relative aux
modalités et aux stratégies choisies
dans la manière d'organiser et de
gérer l'activité. Sur une
échelle qui va d'un axe structurant
centré sur le processus enseigner et le
pôle savoir à un axe stimulant
privilégiant le processus former et le
pôle apprenant, il semblerait qu'on puisse
placer le curseur près du premier axe. Si on
s'intéresse à la dimension "
relationnelle " c'est-à-dire, aux modes de
communication dans la manière d'entrer en
relation et de gérer les situations
d'interactions, la forme dominante serait une
organisation d'échanges et une communication
de type vertical.
Concluons en affirmant que le stock des
ressources des individus en stage étant
limité, c'est bien le pouvoir et le savoir
agir qui font lacune chez les personnes en
situation d'illettrisme. Cependant, on ne peut "
vouloir " agir et donc s'engager dans une
démarche de changement que si l'on est en
sécurité et en conscience de son
savoir / pouvoir agir. Construire la confiance,
restaurer une image de soi positive, organiser un
contexte incitatif fait partie de la
démarche pédagogique à
développer. Mais il y a aussi à
résoudre la problématique de la
situation d'apprentissage où la
compétence peut se déployer dans
trois dimensions. On peut poursuivre l'analyse avec
le
référentiel des Compétences
Clés en
Situation Professionnelle (CCSP) et voir en quoi
cet outil peut contribuer à la
réflexion.
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