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Les caractéristiques de la pratique pédagogique actuelle  

dans une séance de formation pour illettrés

Extrait d'un mémoire de Marie Liesse Nimier   

 

             Description du déroulement d'une séance pédagogique et apports de différents éléments issus de l'observation replacés dans un cadre théorique.

PLAN DU SITE

 

             La salle de formation est plutôt grande car on peut y circuler facilement. Elle est équipée d'un ensemble de tables disposées en U, d'un bureau pour le formateur, d'un paper board, d'un tableau mural. Trois ordinateurs sont à disposition. Une petite bibliothèque contient des livres et un placard spacieux sert de local au formateur pour entreposer son matériel pédagogique.

             Les stagiaires s'installent à la place qu'ils semblent occuper habituellement.

Le formateur donne alors à chacun d'entre eux une feuille d'émargement afin qu'ils puissent attester de leur présence. Des dossiers sont empilés sur une table ; il recherche les dossiers qui correspondent à leurs auteurs respectifs et les dispose à côté d'eux. Ensuite, il passe quelques minutes auprès de chaque personne afin de trouver la fiche d'exercices qui est à faire et qui s'inscrit dans une continuité par rapport à la séance précédente.

             On peut dire que le travail donné est personnalisé car chaque dossier comprend une série de fiches avec des exercices correspondant aux niveaux et aux capacités des stagiaires. Ces exercices sont issus de différents ouvrages ou de méthodes visant l'apprentissage du français écrit. On trouve une variété d'exercices sur l'alphabet, le vocabulaire, la grammaire et l'orthographe : exercices de graphisme, de phonétique, d'association, de repérage, de formulation d'hypothèses, de discrimination, etc.

             Les stagiaires travaillent individuellement sur leur fiche, ils sollicitent le formateur en cas de besoin notamment si une consigne n'est pas comprise ou ne peut être lue ou alors, si une difficulté apparaît dans la réalisation d'un exercice et aussi quand la fiche est terminée.

             Le formateur passe ainsi d'une personne à l'autre pour aider et suivre le travail en cours : avec untel, il donne une explication, avec tel autre, il corrige, pour un autre encore, il fournit la fiche suivante.

             Les stagiaires sont concentrés sur leur travail avec une application qui est à souligner même si, parfois, de la fatigue se fait sentir assez rapidement chez certains.

             On note également une ambiance calme, sérieuse, plutôt silencieuse.

             Les échanges émanent principalement du formateur notamment lors des explications, des corrections, des encouragements face à des apprenants qui ont des attitudes d'acquiescement et d'approbation. Des échanges apparaissent ponctuellement entre voisins de table dans les cas où un stagiaire se trouve en difficulté pour poursuivre son travail et que le formateur est mobilisé auprès de quelqu'un d'autre. Dans ces moments, un stagiaire peut s'intéresser au travail de son voisin ou bien une discussion à deux peut soudainement s'enclencher. Une certaine solidarité est perceptible au sein de ce groupe notamment quand le formateur est occupé avec le stagiaire qui est sourd. Le niveau de cette personne est très faible puisqu'il reconnaît tout juste les lettres de l'alphabet et la communication avec lui est compliquée. Il faut parler fort, avec des gestes et bien articuler puisqu'il lit en partie sur les lèvres. Il mobilise par conséquent du temps. Néanmoins, il est remarquable de constater la patience des autres vis-à-vis de cet homme. Il est possible qu'il fasse l'objet de projections en cristallisant sur lui les problèmes ressentis par chaque stagiaire. La bienveillance qui lui est témoignée par les membres de ce groupe, ne serait-elle pas, alors, à l'image de désirs individuels profonds de l'expression de ce même sentiment à leur encontre ?

             La séance a une durée de trois heures. A son issue, les personnes quittent la salle et le formateur récupère et range les dossiers de chacun dans l'armoire où ils sont entreposés.

 

 Analyse

             Si on se réfère au Traité des sciences et des techniques de la formation, l'approche pédagogique de cette séance peut être qualifiée " d'hétéro-structuration " autrement dit, elle construit " des situations dans lesquelles on veut transmettre, enseigner, instruire, former, transformer " . L'idée est de faire passer le savoir de celui qui sait à celui qui ignore. La situation de face à face formateur / groupe, même si elle ne comprend pas d'exposé magistral, est basée sur un savoir détenu par le formateur et transmis aux apprenants par l'intermédiaire d'exercices. Ces derniers fournissent des contenus d'enseignement préparés et individualisés selon un découpage progressif de connaissances. L'évaluation par les corrections régulières et les feed back ont une grande importance.

             On peut parler ici d'une forme d'enseignement programmé (Burrhus Frederic Skinner en est le principal auteur) qui renvoie à la théorie du béhaviorisme et consiste en une forme d'enseignement individualisé dont le contenu est fragmenté et présenté de façon à apporter une rétroaction à l'apprenant au fur et à mesure qu'il avance dans sa démarche d'apprentissage. L'apprenant est ainsi placé devant une formule pédagogique présentée sous une forme écrite dans laquelle il a le loisir d'apprendre selon ses capacités personnelles, son rythme d'apprentissage et ses disponibilités. C'est un enseignement qui utilise, en particulier, des documents de travail et des textes pour aider les élèves à atteindre un certain niveau de performance. Cet environnement est caractérisé par l'individualisation de l'apprentissage, le renforcement positif et la vérification immédiate des résultats dans une logique qui tend à exclure l'erreur comme forme pédagogique.

             Citons ici Jean Pierre Astolfi qui nous invite à considérer autrement le statut de l'erreur

"Les modèles constructivistes s'efforcent eux, de ne pas évacuer l'erreur et de lui conférer un statut beaucoup plus positif. Le but bien sûr est de toujours les éradiquer, mais on admet que pour y parvenir, il faut les laisser apparaître, voire même les provoquer si l'on veut réussir à mieux les traiter. Elles sont les indicateurs des tâches intellectuelles que résolvent les élèves et des obstacles auxquels s'affronte leur pensée pour les résoudre. Bien des erreurs commises en situation didactique doivent être pensées comme des moments créatifs de la part des élèves, simplement décalés d'une norme qui n'est pas encore intégrée. Faute d'accepter de prendre ce risque, on cantonnerait les élèves dans des activités répétitives à l'abri des imprévus mais aussi des progrès ".

 

             Dans le cadre de la séance évoquée, indiquons aussi que le constat de la qualité du travail, de la justesse des réponses ou de la bonne réalisation d'un exercice est une récompense appréciée qui motive les formés à poursuivre leur travail. C'est ce qu'on peut désigner sous le terme de " renforcement positif ".

             On peut repérer ici des facteurs de motivation extrinsèque et, rappelons le, c'est la forme de motivation la moins autodéterminée. Les personnes tendent alors à agir dans l'intention d'obtenir une conséquence qui se trouve en dehors de l'activité même. Dans notre cas, il s'agit bien de recevoir une récompense qui prend la forme de félicitations de la part de la formatrice. Soulignons que cette forme de motivation apporte le moins de satisfaction à l'individu car ce qui fonde l'action est alors perçu comme une injonction, une demande ou une pression extérieures et peut être ressenti comme une menace, une contrainte ou une atteinte à l'estime de soi. Dans ce cas, l'individu cherche davantage à éviter un risque, à répondre à une obligation qu'à satisfaire un besoin personnel auquel il donnera un sens.

 

             Dans le cadre de la séance qui fait l'objet de cette analyse, mentionnons encore que la méthode pédagogique utilisée est affirmative dans le sens où c'est le formateur qui expose, explique et démontre une règle, un principe. Elle est déductive car elle s'appuie sur une loi générale (les exemples fournis au début d'un exercice par exemple) et étudie son application aux cas présentés ensuite. Il s'agit de partir de l'abstrait pour aller vers le concret contrairement à la méthode inductive qui utilise l'expérimentation, les faits concrets pour aboutir à des généralisations, à la théorisation.

             En référence à l'ouvrage de Marcel Lesne, on retiendra aussi de cette séance un mode de travail pédagogique plutôt de type transmissif à orientation normative , dans le sens où il s'intéresse aux dimensions individuelles des comportements en référence à des normes (ce sont les savoirs à maîtriser qui guident l'action). Ce mode de travail suppose des formes de pouvoir direct et une posture d'autorité (c'est la formatrice qui organise et dirige l'activité).

             On peut ici s'interroger sur ce que produit la directivité dans l'action pédagogique et avancer d'abord, que sa logique place l'individu comme " objet " de formation. On notera à cet égard, que les apprenants semblent dans une attente forte vis-à-vis du formateur. D'une manière générale, la docilité et l'obéissance pourraient qualifier les attitudes des uns et des autres. Le formateur est le guide, les formés lui font confiance et semblent disposés à se laisser conduire. On pourrait penser que ce type d'intervention laisse peu de place à l'initiative des apprenants.

 

             Citons là un extrait du Traité qui explique bien " qu'il ne s'agit pas tant d'identifier et de mettre en pratique un style, une modalité ou une conception pédagogique idéale ou supérieure aux autres, que de veiller à l'optimisation du croisement entre les attitudes du formateur et les dispositions de l'apprenant. De ce point de vue, un style de facilitateur, non directif, face à un apprenant peu autodirigé, peut se révéler aussi inefficace qu'un style transmissif et directif face à un sujet doté d'un projet d'apprentissage fortement autodéterminé. Ici encore, tout est question d'articulation " . Le terme d'articulation prend ici toute son importance dans le sens d'un équilibre. En effet, une directivité excessive pourrait contribuer à entretenir les apprenants dans des attitudes de passivité, de soumission sans leur laisser la possibilité de s'exprimer, de décider par eux-mêmes et donc d'acquérir une assurance et une confiance internes. A contrario, des situations où l'autonomie des apprenants serait le seul mode pédagogique risqueraient de provoquer le découragement et l'abandon face à l'activité.

 

             Dans le cadre de la séance, il est vrai qu'une demande implicite de prise en charge de l'apprentissage par le formateur est très présente dans le groupe. Les parcours, les vécus personnels des stagiaires et les sentiments associés pourraient, pour une part, expliquer cette demande. En effet, les paroles timides, hésitantes, confuses, les regards fuyants, les têtes baissées observées illustrent assez bien, chez ces personnes, une conscience de leur situation propre. Cela peut provoquer individuellement des sentiments de honte et de gêne plus ou moins importants et, par conséquent, une difficulté à croire en soi-même et à donner de la valeur à sa propre pensée. La tendance est donc forte de faire porter à l'autre (le formateur) l'entière responsabilité des décisions et des apprentissages. On repère ici les répercussions psychologiques de l'illettrisme et à quel point l'image de soi est en jeu dans le processus d'apprentissage.

 

             En résumé, on peut essayer, à l'aide de la grille d'analyse de Marguerite Altet , de situer le style pédagogique du formateur dans une dimension " didactique " c'est-à-dire, relative aux modalités et aux stratégies choisies dans la manière d'organiser et de gérer l'activité. Sur une échelle qui va d'un axe structurant centré sur le processus enseigner et le pôle savoir à un axe stimulant privilégiant le processus former et le pôle apprenant, il semblerait qu'on puisse placer le curseur près du premier axe. Si on s'intéresse à la dimension " relationnelle " c'est-à-dire, aux modes de communication dans la manière d'entrer en relation et de gérer les situations d'interactions, la forme dominante serait une organisation d'échanges et une communication de type vertical.

             Concluons en affirmant que le stock des ressources des individus en stage étant limité, c'est bien le pouvoir et le savoir agir qui font lacune chez les personnes en situation d'illettrisme. Cependant, on ne peut " vouloir " agir et donc s'engager dans une démarche de changement que si l'on est en sécurité et en conscience de son savoir / pouvoir agir. Construire la confiance, restaurer une image de soi positive, organiser un contexte incitatif fait partie de la démarche pédagogique à développer. Mais il y a aussi à résoudre la problématique de la situation d'apprentissage où la compétence peut se déployer dans trois dimensions. On peut poursuivre l'analyse avec le référentiel des Compétences Clés en Situation Professionnelle (CCSP) et voir en quoi cet outil peut contribuer à la réflexion.

 

Voir également:

Dossier illettrisme

http://www.illettrisme-ressources.com/index.html

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