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                  Les
                  souvenirs d'enfance sur les
                  maths
                  
                   - N: Est-ce que vous pourriez me dire
                  comment vous êtes devenu professeur de
                  mathématiques ? 
                  
                  - P: J'ai de tout temps été
                  attiré par les mathématiques.
                  Je n'en ai pas de souvenirs très
                  précis, mais d'après ce que
                  racontaient mes parents, c'est déjà
                  vers l'âge de deux à trois ans que je
                  m'intéressais particulièrement aux
                  chiffres, je m'amusais par exemple à faire
                  des calendriers ... j'en ai encore un qui date
                  d'avant la guerre de 1914 et qui allait jusqu'en
                  1952 ... 
                  
                  - N: ... des calendriers ... 
                  
                  - P: Oui, et je savais par coeur les
                  correspondances entre les jours du mois et si
                  c'était un lundi, un dimanche, etc. pour
                  deux ou trois ans, aux environs des années
                  12, 13, 14, ... Mon père qui était
                  lui même professeur de collège,
                  n'aimait pas tellement me voir faire cela. 
                  
                  Donc, j'ai su écrire les chiffres avant
                  de savoir écrire les lettres et lui qui
                  était plutôt tenté par
                  l'histoire, m'a mis dans les sections
                  littéraires. Je n'étais pas
                  tellement enchanté de cela mais j'avais
                  obtenu la promesse que si je réussissais le
                  bac de première A, il me permettrait de
                  passer en Math-Elem. En première, j'ai eu la
                  chance d'avoir un professeur extrêmement
                  intéressé par les
                  mathématiques. Je m'étais posé
                  des questions à propos de l'extraction des
                  racines carrées de 2, car après tout
                  pourquoi cette méthode compliquée ?
                  Si on cherchait dans une table de carrés, on
                  pouvait regarder s'il n'y avait pas un carré
                  dont le double serait aussi presque un
                  carré; ainsi 52 = 25, deux fois
                  25 c'est 50; or il y a un carré voisin 49.
                  Ainsi 7/5 est déjà une bonne
                  approximation de racine de 2 et en regardant
                  systématiquement dans la table, j'avais
                  découvert une loi de récurrence entre
                  les différentes solutions de
                  l'équation x2 - 2y2 =
                  1. Je suis donc allé trouver mon professeur
                  pour lui demander s'il pouvait me donner quelques
                  indications là-dessus. Il m'a dit: je crois
                  que cela me rappelle quelque chose, cela doit
                  être en relation avec ce qu'on appelle les
                  fractions continues; il m'a expliqué
                  finalement tout ce qu'étaient les fractions
                  continues et je dirai que tout mon travail
                  ultérieur a tourné autour de cette
                  question et tout ce que j'ai fait a pour
                  origine cette théorie des fractions
                  continues que j'avais essayé de
                  généraliser ... les
                  problèmes de théorie des nombres
                  m'ont toujours passionné. 
                  
                  - N: Oui ... 
                  
                  - P: A l'Ecole Normale, après la
                  sortie, le Directeur m'a demandé ce que je
                  voulais faire, je lui ai dit: je veux faire la
                  théorie des nombres. Il a levé les
                  bras au ciel, en me disant: mais comment ? vous
                  savez bien qu'il n'y a personne en France qui en
                  font ! faites donc les fonctions de variables
                  complexes. Je lui ai répondu: je ne ferai
                  jamais les fonctions de variables complexes et si
                  je ne réussis pas cela ... j'aimerais autant
                  faire de l'enseignement secondaire ! Evidemment,
                  j'ai fait beaucoup de fonctions de variables
                  complexes, parce qu'on ne peut guère faire
                  de théorie des nombres sans faire de
                  variables complexes. 
                  
                  - N: Est-ce que vous voyez une
                  relation entre les calendriers et la théorie
                  des nombres ? 
                  
                  - P: Eh ! Oui ! parce que c'est des
                  chiffres, c'est le plaisir d'écrire des
                  chiffres ou d'avoir des relations entre les
                  chiffres ... toutes les sept fois, il se
                  trouvait un dimanche que j'écrivais en
                  rouge, les autres étaient en noir, cela
                  m'amusait d'écrire des chiffres et de
                  trouver des relations. 
                  
                  Le
                  désir d'absence de trou
                  
                  C'est un de mes cousins qui raconte cela, mais
                  cela paraît quand même un peu
                  extravagant: il prétend que quand j'avais un
                  an, ou deux ans probablement puisque je parlais, je
                  l'ai amené devant une image où il y
                  avait quatre trèfles à quatre
                  feuilles. Je lui ai dit. regarde René comme
                  c'est curieux: là il y a quatre feuilles,
                  là il y a quatre feuilles, là il y a
                  quatre feuilles, là il y a quatre feuilles
                  et cela fait seize feuilles, et si on prend ici
                  quatre et quatre et là quatre et quatre,
                  cela fait deux fois quatre, cela fait huit ici et
                  encore une fois, deux fois huit cela fait seize. Je
                  lui aurais dit des choses de ce genre, je pense
                  qu'il a dû romancer un peu mais en tout cas,
                  c'était une des questions qui
                  m'intéressaient. De même, prendre un
                  ruban de deux mètres et compter les
                  différents nombres ou compter les
                  numéros sur les poteaux
                  télégraphiques, j'allais
                  repérer ces poteaux les uns après les
                  autres et il ne fallait pas que j'en manque
                  un. Il y avait le plaisir de
                  collectionner, de classer les choses, je pense
                  qu'il devait y avoir cela. Je me suis amusé
                  à collectionner des timbres, des papillons,
                  toutes sortes de choses, je pense que c'est un
                  petit peu en liaison avec le fait d'aimer les
                  classifications et le fait qu'il n'y ait pas
                  de trou dans les séries ... 
                  
                  - N: Mais quand vous trouviez un trou
                  qu'est-ce qui se passait ? 
                  
                  - P: Je n'étais pas
                  heureux, j'essayais de le combler d'une
                  façon ou d'une autre; il me fallait une
                  construction bien achevée, sans
                  intermédiaire: je n'aime pas les choses
                  où il fallait admettre. Ainsi, dans
                  l'enseignement secondaire: quand on faisait de la
                  géométrie, je ne savais pas ce qu'on
                  admettait, ce qu'était une droite et l'image
                  du fil tendu cela ne m'a jamais satisfait; j'ai
                  trouvé qu'il y avait un cercle vicieux,
                  qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas
                  et à l'époque, je n'ai pas pu obtenir
                  d'explication de la part de mon professeur parce
                  que lui-même n'était pas non plus
                  très sûr sur cette
                  affaire-là; c'est bien plus tard avec
                  l'axiomatique que j'ai vu comment on pouvait sortir
                  de ces difficultés ... 
                  
                  - N: Oui, il manquait quelque chose
                  à ce moment-là ? 
                  
                  - P: Oui, je ne savais plus si on faisait
                  de la physique ou si on faisait des
                  mathématiques ... Je n'aime pas les calculs
                  compliqués. Evidemment, il y a des
                  démonstrations qui nécessitent
                  quelquefois des calculs horribles, mais je me
                  demandais toujours: est-ce qu'il n'y a pas quand
                  même un chemin plus direct, qui
                  éviterait un certain nombre de calculs ? 
                  
                  A ce sujet, je me souviens de la première
                  composition en hypotaupe: je sortais d'un
                  collège et je ne savais rien du tout; or le
                  professeur nous avait donné une
                  équation du second degré dont le
                  discriminant s'étalait sur deux lignes au
                  moins. Alors j'ai fait la discussion correspondante
                  et je n'en étais pas satisfait. J'ai donc
                  cherché dans tous les sens ... et puis, j'ai
                  eu l'idée de faire un changement d'axes et
                  les affaires se sont arrangées admirablement
                  malgré la complication du discriminant; je
                  tenais toute la discussion. Mais je me suis fait
                  attraper par mon prof de taupe qui m'a dit: vous
                  faites comme le cheval qui doit sauter par-dessus
                  un obstacle et qui, au lieu de sauter
                  par-dessus, tourne autour, j'avais voulu voir
                  si vous saviez calculer et vous, vous évitez
                  tous les calculs ... J'ai été
                  vexé! 
                  
                  - N: Vous étiez vexé
                  ... 
                  
                  - P: Eh oui ! Parce que j'avais fait tout
                  le reste, j'avais fait le grand calcul avant, et
                  c'est parce qu'il était trop encombrant que
                  ça ne m'avait pas satisfait, alors voir que
                  mon effort n'était pas
                  apprécié (rires). 
                  
                  La
                  beauté des maths
                  
                  Le mathématicien, je crois, est sensible
                  à une certaine beauté d'une
                  construction; on parle de belles
                  théories, mais, en général, on
                  ne dira pas qu'une théorie compliquée
                  est une belle théorie mais
                  plutôt lorsqu'elle contient de
                  l'inattendu, des rapprochements
                  inattendus entre des parties des
                  mathématiques ... Je ne sais pas ce que vous
                  en pensez mais probablement si vous êtes
                  devenu mathémacien, c'est parce que
                  ça vous a attiré et que vous
                  trouviez que c'était joli. On ne
                  décide pas de devenir mathématicien,
                  c'est parce qu'on aime les raisonnements,
                  les devinettes, les problèmes, des choses
                  comme cela, les mots croisés, les
                  jeux de réflexion, les jeux
                  d'échecs, je pense que tout cela, ce sont
                  des indices. 
                  
                  Les
                  maths : une affaire personnelle
                  
                  Quand il y a quelqu'un qui vient me dire: je
                  voudrais faire une thèse, donnez-moi un
                  sujet: eh bien! non, le sujet c'est vous qui
                  devez le trouver, vous devez m'apporter une
                  centaine de questions que vous vous posez et
                  ensuite, sur ces cent questions, nous pourrons
                  élaguer; je vous dirai: ceci c'est fait,
                  ceci parait peut-être trop difficile, mais
                  là, il y a peut-être quelque chose
                  à chercher, etc. parce qu'au fond une
                  thèse de mathématiques, c'est
                  avoir soi-même une idée et non
                  celle du professeur; c'est tout à fait
                  différent d'une thèse de sciences
                  expérimentales où vous avez un
                  appareil et avec lequel il faut faire des
                  expériences. En mathématiques, il
                  faut avoir soi-même une idée si on
                  veut progresser. 
                  
                  - N: Ça me rappelle ce que vous
                  disiez tout à l'heure: vous aviez votre
                  idée et votre intérêt pour les
                  nombres, alors que votre père
                  s'intéressait davantage à l'histoire
                  ... 
                  
                  - P: A l'histoire ... oui ... 
                  
                  - N: ... l'important c'était
                  votre idée. 
                  
                  - P: Eh ! oui, et heureusement que
                  j'ai tenu ferme parce que je crois que je
                  n'aurais jamais rien fait en lettres, rien de
                  sérieux ... Mon premier élève
                  à être allé au-delà de
                  l'agrégation est M. DAVID, il a fait
                  une thèse sur la théorie des nombres,
                  qui est très jolie, et qui reste encore un
                  petit monument. On ne l'a pas encore très
                  bien comprise mais elle mériterait
                  d'être continuée ... c'est autour des
                  fractions continues ... 
                  
                  Deux
                  "sources" au maths
                  
                  Un certain nombre de mathématiciens ont
                  créé BOURBAKI pour essayer
                  d'introduire des structures dans les
                  mathématiques et on m'avait demandé
                  d'y participer: j'avais la mission d'essayer de
                  trouver des structures pour la théorie des
                  nombres; mais cela ne marchait pas, il n'y a pas de
                  structures là-dedans et finalement BOURBAKI
                  a renoncé à faire quelque chose en
                  théorie des nombres. Maintenant, je commence
                  à peu près à savoir pourquoi:
                  je pense que les mathématiques dans leur
                  ensemble procèdent de deux sources et
                  la première source évidemment
                  à laquelle tout le monde pense, c'est
                  l'expérience, et la physique ou la chimie
                  ... Ces domaines posent certains problèmes
                  qui font progresser les mathématiques,
                  mais il y en a une autre qui me semble tout
                  aussi importante c'est la théorie des
                  nombres. Les problèmes posés par les
                  nombres entiers nécessitent de tels travaux
                  et de telles réflexions que finalement
                  c'est de là que sortent à peu
                  près la moitié des théories
                  mathématiques. Je ne donnerai qu'un exemple,
                  enfin l'exemple le plus connu: c'est la
                  théorie des groupes. C'est pour
                  résoudre certaines équations que
                  GALOIS et ABEL avaient créé la
                  théorie des groupes. Mais il y en a d'autres
                  auxquels on pense moins: les espaces
                  vectoriels. 
                  
                  Tout le monde parle des espaces vectoriels et
                  tout le monde croit que c'est dû à la
                  mécanique, ce n'est pas vrai, les espaces
                  vectoriels proviennent de l'étude
                  algébrique de l'extension des corps. 
                  
                  - N: Pourquoi vous êtes-vous
                  intéressé plutôt à ce
                  type de mathématiques abstraites,
                  plutôt qu'à l'autre type de
                  mathématiques ?  
                  
                  - P: Mais j'aime aussi
                  énormément les mathématiques
                  appliquées; par exemple, j'ai toujours
                  aimé faire des calculs et vérifier
                  ensuite expérimentalement pour voir si cela
                  colle bien et si cela donne des résultats.
                  Je me suis construit des petits appareils et
                  même, à un moment donné, je me
                  suis demandé si je n'étais pas
                  plutôt fait pour être physicien, vous
                  voyez j'ai créé le certificat de
                  T.M.P., je continue à enseigner les
                  mathématiques en physique parce que
                  l'utilisation des mathématiques dans la
                  physique m'intéresse. 
                  
                  Les
                  deux pôles de la vie
                  
                  - N: Est-ce que vous avez eu
                  l'impression d'une évolution ? 
                  
                  - P: Non, j'ai toujours eu ce goût
                  pour les deux à la fois. Mais
                  malgré tout, je crois que j'étais
                  mathématicien et que mathématicien
                  malheureusement ... 
                  
                  - N: Pourquoi malheureusement
                  ? 
                  
                  - P: Parce qu'il y a quand même
                  deux pôles dans la vie, il y a d'une part
                  la raison: les mathématiques cela en
                  est la forme la plus évoluée, mais il
                  y a aussi la sensation, le sentiment avec
                  tous ses développements, avec les arts et
                  toutes ces choses-là; cela c'est au moins
                  aussi important, si non plus, que le
                  raisonnement pur et dans cette deuxième
                  partie je n'aurais pas aussi bien réussi
                  qu'en mathématiques; donc je dis que je suis
                  un petit peu trop orienté vers les
                  mathématiques; je connais des gens qui sont
                  beaucoup plus équilibrés. 
                  
                  - N: Vous en souffrez ou vous avez
                  l'impression que c'est normal ? 
                  
                  - P: On ne peut pas dire que j'en
                  souffre, mais je préférerais avoir un
                  peu plus de choses. Je m'intéresse quand
                  même un petit peu à certaines choses
                  ... je m'intéresse en particulier à
                  la musique mais pas de façon aussi intense
                  que je m'intéresse aux
                  mathématiques. 
                  
                  Être
                  à la "source", à
                  "l'origine"
                  
                  Finalement, j'ai toujours été
                  attiré par les mathématiques et
                  par des choses plus physiques comme l'astronomie
                  par exemple. Cela m'a passionné, quand
                  j'étais gosse je dévorais des
                  livres d'astronomie plus que les romans. Les
                  romans m'intéressaient moins que les livres
                  d'astronomie quand je pouvais en avoir ... la
                  physique m'intéressait, la biologie aussi.
                  Voir le monde, cette immensité
                  m'impressionne encore toujours. A
                  l'agrégation, par exemple, j'aurais
                  aimé avoir à faire une leçon
                  de cosmographie de façon à pouvoir
                  expliquer comment, avec des observations, sans
                  instruments, on pouvait avoir une idée de
                  l'ordre de grandeur, je ne dis pas une mesure
                  précise, mais de l'ordre de grandeur des
                  événements célestes ...
                  J'aimais bien montrer qu'on pouvait par le
                  raisonnement, obtenir des choses qu'il suffisait de
                  vérifier ensuite par une mesure ... je me
                  suis amusé par exemple à mesurer la
                  hauteur du beffroi de ma ville. J'avais construit
                  un petit appareil qui me permettait de mesurer un
                  certain angle, puis je mesurais une distance et je
                  faisais le calcul de la hauteur. Ensuite, je suis
                  allé vérifier, je suis monté
                  en haut, j'ai laissé pendre une ficelle et
                  ça collait bien ... j'étais
                  très content ... 
                  
                  Il y a encore des tas de questions qui se
                  posent. Tous les problèmes de théorie
                  des nombres s'énoncent simplement: tout
                  nombre pair est-il la somme de deux nombres
                  premiers ? ... Vous savez, ce n'est toujours pas
                  démontré ! ... C'est irritant parce
                  qu'on n'y arrive pas, on a inventé de belles
                  méthodes qui, finalement, ont envahi
                  toutes les mathématiques. C'est pour
                  cela que je pense que les mathématiques
                  doivent énormément à la
                  théorie des nombres, c'est une
                  discipline un peu à part mais qui est
                  à l'origine ... 
                  
                  - N: Qui est la source ? 
                  
                  - P: Il y a beaucoup de
                  mathématiciens à la suite de BOURBAKI
                  qui pensent que c'est la théorie des
                  ensembles qu'il faut mettre au
                  départ; eh bien ! je ne le pense pas, je
                  pense que c'est la théorie des nombres, des
                  nombres entiers, je préfère partir
                  des axiomes de PÉANO, ou des choses comme
                  cela pour définir les entiers la
                  théorie des ensembles s'est construite
                  après coup ... 
                  
                  - N: Vous semblez accorder beaucoup
                  d'importance à l'idée d'origine
                  ... 
                  
                  - P: Oui, certainement, il faut avoir
                  une origine nette et claire. L'axiomatique, par
                  exemple, a permis d'y voir beaucoup plus clair
                  qu'autrefois où on mélangeait des tas
                  de choses. Pourquoi est-ce que les gens n'ont
                  jamais compris la relativité ? C'est parce
                  qu'ils ont mélangé l'espace physique
                  avec l'espace euclidien: ils ont cru que
                  c'était deux choses identiques et il y a
                  encore des esprits qui n'arrivent pas à se
                  défaire de l'idée que l'espace qui
                  nous entoure n'a pas de géométrie:
                  c'est nous qui mettons une géométrie
                  dans l'espace qui nous entoure ... 
                  
                  Les
                  mathématiques comme objet "projeté",
                  différent de la
                  "réalité"
                  
                  - N: On peut presque dire qu'on
                  projette quelque chose dans l'espace. 
                  
                  - P: Oui, et il se trouve que cela colle
                  bien ... c'est un miracle ... Alors les gens
                  ont bien mélangé cela, mais ils n'ont
                  absolument rien compris à ce qu'était
                  la théorie de la relativité... c'est
                  une autre géométrie qu'on
                  projette sur l'espace et qui colle un peu mieux
                  que l'euclidienne, voilà tout ... rien ne
                  prouve qu'on ne pourra pas encore en trouver une
                  autre meilleure, etc. 
                  
                  - N: L'important c'est de bien
                  séparer la réalité de ce qu'on
                  projette dessus. 
                  
                  - P: Oui, et je crois que dans
                  l'enseignement c'est une chose qu'il faudrait qu'on
                  mette bien en évidence quand on parle
                  à des gosses; il faut dès le
                  début arriver à faire comprendre
                  qu'il y a deux démarches
                  différentes et il y a beaucoup trop de
                  gens qui font encore de la géométrie
                  en ne distinguant pas l'aspect mathématique
                  de l'aspect physique. Et moi, je pense que c'est
                  très mauvais du point de vue
                  pédagogique. 
                  
                  - N: Oui, c'est fondamental de
                  séparer ... 
                  
                  - P: Je crois que l'homme a mis assez
                  longtemps pour arriver à cela, il faut quand
                  même bien qu'on en profite. 
                  
                  - N: Sinon quel est le risque
                  ? 
                  
                  - P: Mais c'est de ne pas pouvoir faire
                  de progrès parce qu'on reste trop
                  accroché à cela. 
                  
                  - N: On est trop accroché
                  à la réalité. 
                  
                  - P: Oui et cette
                  réalité, on pense que c'est la
                  construction mathématique ... Le
                  raisonnement c'est abstraction pure,
                  évidemment, suscitée par la
                  réalité et encore ? ... Quand vous
                  prenez les nombres p-adiques, alors là, pour
                  l'instant on ne voit encore aucune
                  motivation due à la
                  réalité; mais d'ici quelque temps on
                  trouvera dans la réalité des choses
                  pour lesquelles les nombres p-adiques formeront un
                  bon modèle. On ne l'a pas encore
                  jusqu'à présent, cela reste encore
                  entièrement dans l'esprit; or, il y a
                  des tas de théories construites sur les
                  nombres p-adiques, il y a des fonctions de
                  variables p-adiques, il y a des bouquins ... C'est
                  assez curieux: vous avez par exemple des
                  propriétés du genre suivant: pour
                  tout disque, on peut prendre comme centre n'importe
                  lequel de ses points, même un point qui
                  serait situé sur la circonférence,
                  donc deux disques ou bien ils sont concentriques ou
                  bien ils sont disjoints, vous n'avez que ces deux
                  possibilités; alors cela fait des tas de
                  problèmes ... bizarres ! Par exemple, la
                  fonction égale à 1 sur un disque et
                  à 0 ailleurs est partout continue, il n'y a
                  pas de discontinuité sur la
                  circonférence comme on pourrait le croire,
                  parce que deux points qui seraient de part et
                  d'autre de la circonférence sont à
                  une grande distance l'un de l'autre, ils ne peuvent
                  jamais être voisins. 
                  
                  - N: Au fond, cela donne beaucoup plus
                  de possibilités ... 
                  
                  - P: Je dis que j'ai bien compris ce
                  qu'était un réel seulement
                  après avoir compris les p-adiques. 
                  
                  - N: Oui, et si on reste trop
                  près de la réalité, il n'y a
                  pas d'autres possibilités. 
                  
                  - P: Oui, mais oui, il faut
                  s'abstraire de la réalité si on veut
                  faire des progrès. Donc, quand on veut
                  enseigner les mathématiques, il faut savoir
                  cela, même si on ne le dit pas encore
                  explicitement aux gosses .................. 
                  
                  La
                  naissance "d'enfants"
                  
                  Donc ces nombres ont fait des petits, des
                  enfants partout, alors j'ai pu faire une
                  thèse ... mais j'ai été
                  nommé à Bordeaux pour enseigner les
                  probabilités, la statistique que je n'avais
                  jamais faites: cela m'a appris beaucoup de choses.
                  Là, j'ai essayé aussi d'avoir des
                  élèves: je n'en ai eu qu'un,
                  c'était DAVID et un collègue que j'ai
                  réussi finalement à intéresser
                  à la question; nous avons travaillé,
                  puis finalement quand on m'a proposé d'aller
                  à Paris, j'ai beaucoup hésité
                  parce que je me trouvais bien à Bordeaux,
                  mais je suis allé à Paris parce que
                  c'était là que je pouvais trouver des
                  élèves dans les écoles et
                  lentement, j'ai commencé par un, deux
                  élèves et finalement cela s'est
                  développé et maintenant, il y a
                  à peu près deux cents
                  théoriciens des nombres en France et cela
                  marche très bien. 
                  
                  - N: Vous avez beaucoup de descendants
                  ... 
                  
                  - P: Pour ma thèse, c'était
                  même assez compliqué parce qu'il n'y
                  avait personne qui pouvait en faire un rapport, il
                  a fallu l'envoyer à l'étranger pour
                  avoir un rapport de quelqu'un de compétent,
                  alors que maintenant, il y a des théoriciens
                  des nombres, je crois, dans toutes les
                  Universités. En même temps, j'ai
                  essayé aussi de rentrer à
                  Polytechnique parce que je pensais qu'il n'y avait
                  que par l'intérieur qu'on pouvait atteindre
                  les polytechniciens et je dirai que presque la
                  moitié des gens qui font de la
                  théorie des nombres sont des
                  polytechniciens. 
                  
                  - N: C'est important pour vous d'avoir
                  des élèves ... 
                  
                  - P: C'est le rôle du professeur
                  (rires), un professeur sans élève !
                  ... et, qu'est-ce que vous voulez, quand vous avez
                  trouvé une jolie chose, il faut quand
                  même avoir un public auquel le
                  raconter... et si vous n'avez pas
                  d'élèves, vous ne pouvez raconter
                  à personne! 
                  
                  
                  
                  Le
                  "déclic" de la
                  découverte 
                  
                  - N: Quand vous travaillez les
                  mathématiques, comment ça se passe ?
                  Vous êtes dans votre bureau ? 
                  
                  - P: Oh ! ici ou chez moi, n'importe
                  où ... on travaille par exemple à
                  autre chose et brusquement on pense à telle
                  chose ... on sent d'ailleurs quand cela
                  représente réellement un pas
                  nouveau, il y a une espèce de
                  déclic et même sans faire aucun
                  calcul on sent déjà que cela
                  marche. Alors on va à la maison et on va
                  essayer de voir si cela colle. 
                  
                  Il y a quelquefois des déceptions
                  d'ailleurs. Ma femme me le disait très
                  souvent "Oh! toi, je te connais, tu m'as dit que tu
                  as trouvé quelque chose et demain, tu
                  viendras me dire que c'est faux ...". On peut
                  avoir une idée avant de s'endormir ou quand
                  on a une insomnie. On pense à certain
                  problème qui vous a passionné
                  et très souvent la solution se
                  présente à ce moment-là.
                  Le fait d'écrire n'est pas absolument
                  indispensable. Par contre, on ne peut pas faire
                  une démonstration sérieuse sans
                  écrire, mais l'idée est en dehors
                  de toute écriture. Comment se
                  présente-t-elle ? Il faut
                  s'accrocher, il faut tourner, retourner la
                  question qui vous préoccupe sous tous ses
                  aspects, il faut y penser tout le temps, et
                  à certain moment il y a quelque chose qui
                  se déclenche et il y a quelquefois des
                  choses très simples auxquelles on n'avait
                  pas pensé, et on y pense que lorsqu'on a
                  tourné et retourné la question
                  ... 
                  
                  ... Vous connaissez bien le vieux
                  problème des logarithmes des nombres
                  négatifs: du temps de BERNOUILLI les gens se
                  disputaient: est-ce que cela avait un sens
                  logarithme de (-1) ou pas ? les uns disaient oui,
                  les autres disaient non et c'est EULER qui a
                  clarifié la question par l'introduction de
                  ex, où le logarithme de (-1)
                  était imaginaire, c'était i 
                  . II a donc mis de l'ordre dans la question. Eh
                  bien! dans les p-adiques nous avons exactement le
                  même problème: actuellement les gens
                  disent: est-ce que le logarithme p-adique de p a un
                  sens ou est-ce qu'il n'en a pas ? Les uns disent
                  oui, on pourrait lui donner tel sens, les autres
                  pas. Eh bien ! il n'y a pas encore eu d'EULER
                  jusqu'à présent pour savoir comment
                  il faudrait faire ... Nous avons la chance d'en
                  être encore là, au stade où
                  étaient les mathématiciens du temps
                  d'EULER; donc vous avez tout un grand champ
                  vaste qui ne demande qu'à être
                  exploré, et comme cela a commencé
                  en 60, c'est-à-dire il n'y a pas même
                  vingt ans, pensez qu'il y a encore du travail
                  à faire ... 
                  
                  Invention
                  ou découverte?
                  
                  Oui, est-ce que les mathématiques sont
                  préexistantes ou pas ? Parce qu'on a
                  un peu l'impression qu'on se promène dans
                  un terrain à explorer ... et pour lequel
                  il s'agit de trouver des chemins, des
                  voies d'accès; ensuite viennent les
                  topographes qui dressent les cartes d'Etat-Major,
                  c'est ce qu'on appelle BOURBAKI, ils dressent la
                  carte d'Etat-Major du terrain conquis. Les
                  topographes, eux, ne conquièrent pas
                  beaucoup de terrain, et ils sont toujours
                  obligés de modifier les cartes après
                  les découvertes nouvelles ... 
                  
                  - N: Oui, vous avez l'impression qu'on
                  explore un terrain ... 
                  
                  - P: Comme si cela existait
                  déjà. 
                  
                  -N: Comme si ça existait et
                  qu'il faille le découvrir. 
                  
                  - P: ... et je pense que tous les
                  mathématiciens ont cette sensation,
                  même s'ils ne le disent pas, ou qu'ils disent
                  le contraire. C'est un peu le même plaisir
                  que celui de l'explorateur. 
                  
                  - N: Oui, vous vous sentez
                  explorateur. 
                  
                  - P: C'est ça, oui, oui. Il suffit
                  de trouver un chemin, même
                  compliqué; ensuite on arrive à
                  trouver des chemins plus simples, mais très
                  souvent les démonstrations d'un nouveau
                  théorème sont d'abord très
                  compliquées mais ensuite tout s'arrange
                  ... 
                  
                  - N: Qu'est-ce que c'est que ce
                  terrain à explorer ? 
                  
                  - P: On aimerait bien le savoir ! 
                  
                  - N: Oui, vous n'y avez jamais
                  pensé ? ... quelque chose qu'on explore
                  ... 
                  
                  - P: Oui, les mathématiques c'est
                  tout à fait ça, et elles semblent
                  s'étendre à l'infini. 
                  
                  - N: Oui. 
                  
                  - P: Plus on va et plus elles
                  s'ouvrent dans toutes les directions. 
                  
                  - N: Oui, quelque chose d'infini,
                  à votre avis. 
                  
                  - P: J'en ai l'impression, on a cette
                  sensation, je ne sais pas si cela correspond
                  à quelque chose. 
                  
                  - N: Ce qu'il y a
                  d'intéressant, c'est cette sensation qu'ont
                  les mathématiciens. 
                  
                  - P: Il y a des gens qui disent: que
                  peut-on encore trouver en mathématiques ?
                  Vous entendez souvent ce genre de question. 
                  
                  - N: Oui. 
                  
                  - P: Là, il n'y a pas de
                  problème. 
                  
                  - N: Oui, il y a toujours quelque
                  chose. 
                  
                  - P: Et même des choses très
                  jolies, très simples. 
                  
                  - N: A quoi, ça vous fait
                  penser ... une sorte de terrain, comme ça,
                  à l'infini ... 
                  
                  - P: ... Le développement se fait
                  comme un arbre qui croît, qui
                  croît ... ça s'arrêtera
                  peut-être un jour, mais je ne sais pas trop
                  ... pas aussi longtemps qu'il y aura des hommes.
                  C'est curieux cette espèce de tissu
                  qui s'est développé là, dans
                  l'humanité et où tous les
                  mathématiciens se comprennent entre eux;
                  c'est ça aussi le plus remarquable; c'est la
                  seule chose humaine où vous pouvez dire
                  à quelqu'un: voilà, vous vous
                  êtes trompé à cet endroit,
                  ça c'est faux, et il est obligé de le
                  reconnaître. Voyez-vous ailleurs où on
                  puisse dire à quelqu'un: vous vous
                  êtes trompé, c'est faux ? 
                  
                  - N: C'est vrai, oui. 
                  
                  - P: Cela enseigne l'humilité et
                  on n'est jamais très sûr, mais... 
                  
                  Erreurs,
                  règles...
                  
                  - N: Oui, on a besoin des
                  autres. 
                  
                  - P: Oui, oui; enfin on en a besoin
                  plus ou moins, mais en tout cas, les autres
                  peuvent vous montrer votre erreur et quand on
                  vous a montré votre erreur, il n'y a rien
                  à faire, il n'y a plus qu'à
                  s'incliner, c'est faux; effectivement, là on
                  n'avait pas fait le bon raisonnement ... 
                  
                  - N: Oui, c'est vrai, il n'y a qu'en
                  mathématiques ... 
                  
                  - P: Oui, c'est pour cela que souvent
                  les mathématiciens sont des hommes
                  très rigides, parce qu'ils
                  n'admettent pas les erreurs, vous ne trouvez
                  pas ? et ils se construisent aussi, souvent, une
                  image du monde très stricte ... 
                  
                  - N: C'est-à-dire qu'ils
                  n'acceptent pas les lacunes, comme vous le disiez
                  au début. 
                  
                  - P: Eh oui ... 
                  
                  - N: Et pourquoi cela ? 
                  
                  - P: Eh bien ! Il faut que tout marche
                  par des règles, c'est la règle
                  qui semble la chose essentielle au
                  mathématicien. 
                  
                  - N: La règle ... 
                  
                  - P: Qu'est-ce qu'un axiome ? C'est
                  une règle. La règle du
                  jeu: on a le droit de faire ceci ou
                  cela. C'est comme pour les échecs, pour
                  chaque pièce on a le droit à telle et
                  telle règle, et il n'y a pas
                  d'exceptions, on n'accepte pas une exception
                  à la règle, tout est
                  codifié à l'avance ... c'est
                  sans doute pour cela que je n'aime pas l'art sans
                  règles. 
                  
                  - N: Ah! oui ... dans les calendriers,
                  il y avait aussi des règles. 
                  
                  - P: Eh ! oui, il y avait des tas de
                  règles et c'est cela qui me
                  passionnait: tant de jours par mois ... et tous
                  les sept jours il y a un dimanche ... 
                  
                  - N: D'où venait cet amour des
                  règles que vous aviez déjà
                  à cet âge-là ? 
                  
                  - P: Il faut bien penser quand même
                  que c'est dans la nature humaine d'avoir des
                  règles, puisqu'on doit vivre en
                  société et vivre en
                  société n'est possible qu'avec des
                  règles, sinon je ne vois pas ... 
                  
                  Donc, il faut bien que cela soit inné,
                  sinon chaque homme vivrait de façon
                  individuelle. 
                  
                  - N: C'est ce qui permet de vivre avec
                  les autres ? 
                  
                  - P: De vivre avec les autres ... 
                  
                  - N: D'être uni aux autres
                  ... 
                  
                  - P: Aussi, et que cela fasse une
                  société cohérente ... mais les
                  règles sont dans un certain sens assez
                  arbitraires. On peut imaginer des tas de
                  systèmes de règles différentes
                  et d'ailleurs dans les mathématiques, il y
                  en a aussi. 
                  
                  - N: Oui, l'important est qu'elles
                  existent. 
                  
                  - P: Oui ... il faut les avoir
                  posées ... ça me donne un
                  sentiment de malaise, l'absence de
                  règles. 
                  
                  - N: De malaise ? 
                  
                  - P: Je ne sais pas, je ne me sens pas
                  en sécurité ... on s'embarque
                  dans de la philosophie en ce moment. 
                  
                  - N: Non dans notre vécu ...
                  dans ce que vous représentez ... 
                  
                  Retour
                  aux enfant, petits enfants! (une nouvelle
                  généalogie)
                  
                  - P: Eh ! bien, je dirai que c'est une
                  aventure passionnante et surtout par le fait qu'on
                  a des élèves qui continuent dans des
                  directions qu'on a commencées et qu'on n'a
                  pas pu continuer; c'est eux qui
                  développent, certains trouvent des choses
                  tout à fait nouvelles ... je suis
                  très content de ce qui s'est
                  passé. 
                  
                  - N: C'est une sorte de
                  paternité par les mathématiques
                  ... 
                  
                  - P: Oui, on parle d'enfants,
                  petits-enfants, etc. J'ai déjà
                  un arrière petit-fils qui est mon
                  collègue à Paris, et qui a
                  maintenant de nouveaux élèves qu'il
                  est entrain de former: cela fera la
                  cinquième génération. Cela
                  fait quand même plaisir, ... et
                  surtout que pour cette discipline, qui n'existait
                  plus en France, maintenant la France est de nouveau
                  dans le peloton de tête. 
                  
                  -N: Ah! Bon ... 
                  
                  - P: Oui, maintenant nous pouvons nous
                  considérer comme les égaux des
                  Russes, des Américains, et l'école
                  française est bien appréciée:
                  alors ça fait tout de même
                  plaisir ... maintenant, j'ai l'impression
                  que je peux partir à la retraite avec la
                  sensation que ça continuera, que je n'ai
                  plus besoin de les soutenir: ils volent de leurs
                  propres ailes, ils vont faire autre chose que
                  ce que j'ai fait, alors ça va très
                  bien ... 
                  
                  La
                  culpabilité de faire certaines
                  mathématiques
                  
                  - N: Il fallait recréer un
                  mouvement ? 
                  
                  - P: Oui, la difficulté,
                  c'était d'avoir des élèves au
                  départ parce qu'il y avait une espèce
                  d'état d'esprit parmi les jeunes
                  mathématiciens qui pensaient que la
                  théorie des nombres était une
                  occupation secondaire, que ce n'était pas
                  aussi noble que de faire par exemple de la
                  géométrie algébrique ou
                  d'autres théories de ce genre,
                  moi-même j'étais dans ce mouvement
                  aussi. Heureusement que j'ai pu passer une
                  année aux Etats-Unis, où il y avait
                  tout un groupe de théoriciens des nombres
                  qui m'avaient invité. 
                  
                  J'ai vu alors, de là-bas, l'image des
                  mathématiques françaises vue des
                  Etats-Unis. Eh! bien, cela m'a regonflé,
                  cela m'a redonné du courage et cela a
                  vraiment bien démarré à mon
                  retour des Etats-Unis parce que je me sentais
                  l'équivalent des autres
                  mathématiciens, puisqu'avant
                  j'étais toujours le petit garçon
                  ... qui avait fait quelque chose d'un peu
                  défendu! 
                  
                  - N: Vous vous sentiez coupable
                  ? 
                  
                  - P: Oui, de faire de la théorie
                  des nombres; je me disais: je fais quelque chose
                  qui m'amuse mais qui n'est peut-être pas ce
                  qu'il faudrait que je fasse. Mais mon
                  séjour aux Etats-Unis m'a donné
                  confiance en moi ... c'est important quand on veut
                  créer quelque chose. Alors, j'ai vu que la
                  théorie des nombres était
                  considérée comme une bonne
                  discipline. 
                  
                  - N. Etait admise ? 
                  
                  - P: Oui, était admise. 
                  
                  - N: Et pourquoi vous sentiez-vous
                  coupable ? 
                  
                  - P: Mais de faire des
                  mathématiques qui m'amusaient et non pas des
                  mathématiques que j'aurais dû
                  faire, des mathématiques nobles
                  ... or, finalement, il faut faire dans les
                  mathématiques ce qui vous plaît,
                  c'est la première des
                  règles. 
                  
                  Tiré du livre:
                  "Entretiens
                  avec des
                  mathématiciens" 
                  
                  
                     
                        
                           
                              
                                 | 
                                    La
                                    motivation
                                    pour une discipline n'est pas
                                    affaire de "gadgets". 
                                    
                                     Elle
                                    s'inscrit dans la
                                    personnalité du sujet par
                                    l'intermédiaire de la
                                    représentation
                                    qu'il a de cette
                                    discipline. 
                                    
                                    On
                                    peut voir comment dans cette
                                    entretien la notion de
                                    "règle" a de l'importance,
                                    comment se constitue une
                                    généalogie
                                    fantasmatique pouvant exister
                                    aussi chez des professeurs de
                                    littérature dans laquelle
                                    ils trouvent des substituts
                                    généalogiques. 
                                    
                                    On
                                    remarquera aussi la
                                    difficulté d'un entretien
                                    quand apparaissent les
                                    défenses ("je ne me sens
                                    pas en
                                    sécurité"avec
                                    retour en arrière pour la
                                    thématique). 
                                  | 
                               
                            
                            
                         | 
                        
                           
                           
                         | 
                      
                   
                    
                  
                  
                   
                  
                  
                |