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Le Lien, la Loi et le Sens

Marie-Françoise Bonicel  

 

          Ce texte reprend la communication de Marie-Françoise Bonicel aux Journées Nationales de Formation de l'AIRe, du 30 nov et des 1er et 2 déc 2011 à Reims sur le thème " De la prise en charge à l'accompagnement. Une réflexion éthique sur l'évolution de nos pratiques."

           L'association AIRe propose depuis 1995, un espace de rencontre et de réflexion aux établissements et services accueillant des enfants et adolescents qui présentent des difficultés psychologiques dont l'expression et l'intensité des troubles du comportement, perturbe gravement la socialisation et l'accès aux apprentissages. Elle regroupe les ITEP, institutions médico-sociales placées dans le champ de compétence de l'Etat et financées par l'assurance maladie.

www.aire-asso.fr/aire.php

 

           Mon propos aura plus la forme d'une " causerie " ou d'un vagabondage que d'un article savant tiré au cordeau du politiquement correct Mais il dit autant mes convictions qu'il s'appuie sur monexpérience et celle de tous ceux qui œuvrent pour que l'être humain puisse conjuguerintégrité et dignité, et notamment dans la transmission de ce que nous déclinons sous ces trois vocables.

           Derrière ce titre à la Clint Eastwood, ( je fais là allusion au filme culte la Bête, le Bon et le Truand) se dessinent trois pôles qui permettent dans l'accompagnement de ceux qu'avec affection, j'appelle les "cabossés de la vie ", de tricoter une alliance ou d'inventer une alchimie qui donne toutes les chances au jeune de devenir un partenaire de réussite. J'aime ces images qui fait rêver de transformer du plomb en or ou qui suggèrent dans un habile parfilage de tirer parti du meilleur d'une étoffe maltraitée en récupérant les fils d'or pour en confectionner un tissage rénové.

           Mais derrière cette habileté de l'artisan ou de l'artiste, se profile tout autant la nécessité de notre part, éducateurs, d'adopter une posture d'humilité. J'englobe derrière ce terme d'éducateurs toute l'équipe éducative, du personnel spécialisé au personnel administratif en passant par tous les corps de métiers qui font de nos institutions des lieux de vie.

 

Que savons-nous en effet des traces que nous laissons chez ceux dont nous avons la charge ?

           Une de mes étudiantes que je vis somnoler toute une année durant mes cours, le lundi matin à 8h, m'écrivit 20 ans après : " je ne sais pas ce que vous m'avez enseigné, mais vous m'avez appris à vivre ". J'imagine que pour d'autres, j'ai pu laisser aussi dans leur demi-sommeil, des messages négatifs dont je ne connaitrai jamais l'impact dévastateur.

           " Depuis ce jour, le malade est devenu mon maître, d'autant plus exigeant et efficace qu'il ne le sait pas ", écrivit un pionnier des soins palliatifs pour les sidéens à Lyon, jésuite, professeur de philosophie qui abandonna sa chaire professorale pour devenir soignant de nuit.

Pouvons-nous imaginer que ceux que nous accompagnons, soient ainsi nos maîtres dans le registre de la transmission, du moins à certains moments ?

 

           Trois pôles, trois piliers, trois registres imbriqués dans une approche systémique, complexe. Trois angles d'un même triangle pour amorcer un long travail de résilience, de restauration d'une identité ou d'un retour à une possible intégration sociale. Si tout enfant qui nait est revêtu d'un manteau d'humanité, pour beaucoup trop d'entre eux, le manteau est déchiré, troué, fragilisant leur présent comme leur avenir.

           Si je ne suis pas de votre maison AIRe, je suis pourtant de votre maisonnée, à travers mon expérience ancienne d'Inspectrice de l'Aide sociale à l'Enfance de la Seine St Denis et de mon immersion constante dans les fractures que la vie provoque en soi et entre soi, et je sais combien vos missions diverses, vous conduisent à transformer les manques en vides médians (François Cheng) en vides fertiles (Jacques Salomé) ou en vides créatifs (Serge Ginger).

           Dans les divers accompagnements que je suis invitée à assurer : coaching individuel ou accompagnement d'équipes, dans les champs divers de l'éducation, ceux de l' entreprise, de la santé, du handicap, des prisons, des milieux religieux, de la fin de vie, de la prévention du suicide, des parents en deuil, de la thérapie, en France, en Europe au Québec ou avec l'Afrique, je suis confrontée à ces trois défis qui sont déclinés avec des variantes liées aux spécificités de l'activité ou aux particularités culturelles. Je vous propose une immersion dans quelques combinaisons issues de ces trois registres, nourris des schémas de la tradition psychanalytique revisités par les praticiens de la psychologie positive au sens large, mais dont nous percevons les exigences humanistes qui viennent de bien plus loin.

 

Le Lien et la Loi, une reconnaissance de l'altérité

"Il n'y a pas d'amour sans Loi, il n'y a pas de Loi sans amour". Jean-Marie Petitclerc

           Le pôle cadre et le pôle accueil … Où mettre le curseur relationnel ? , c'est ainsi que s'interroge avec beaucoup de pertinence, le Dr Catherine Deshays, pour trouver la bonne distance avec l'autre. Elle présente ces deux registres, reliés sur un axe, disposant d'un curseur relationnel dont la position varie selon la nature de la rencontre, de l'âge de la personne, de leurs rapports personnels ou professionnels, des statuts et des rôles (entretien de contact, d'orientation, de sanction, d'aide etc.)

         Il est évident que la reliance exclut la fusion et que la conscience d'avoir à faire à un autre, est la première étape d'une relation réussie, même si je reconnais en lui du semblable en miroir, (de la mêmeté pour utiliser un terme remis au goût du jour). Poser un cadre dans tout entretien ou dans les parcours d'accompagnement est un passage obligé pour soutenir, se différencier, rassurer, contenir, se préserver soi et préserver l'autre. Cadre temporel, cadre spatial, cadre éthique.

           C'est l'adulte qui pose la Loi Symbolique, rappelle la loi civile, les règles de vie, le respect, afin d'ouvrir un lieu et un monde commun avec le jeune qu'il prend en charge ou qu'il accompagne selon les circonstances. Le respect des règles et des balises structurent non seulement la situation mais les personnes, et ouvrent la voie à l'empathie bienveillante qui permet de s'appuyer sur ce qui est et non sur ce qui manque. C'est dans cet ensemble que peut se forger une confiance pour constituer une alliance constructive, incontournable pour un projet de vie, comme pour les minuscules actes qui jalonnent le quotidien de nos institutions.

 

Le lien et le Sens, passeurs de futur

" Pour vivre un lien, il faut avoir vécu un lien ; ces choses-là se transmettent ; nul ne plante sur du granit et nul ne crée de liens à partir du néant ". Daniel Sibony

 

           Il appartient à l'adulte, quelque soit sa fonction de générer du lien avec celui qu'il accompagne, de permettre au jeune (ou à l'adulte) de se sentir aimé ou tout au moins reconnu, exister, et de trouver dans cette sécurité affective, les ressources pour regarder le passé avec plus de légèreté et ouvrir une lucarne vers un avenir plus dégagé.

           Mais pour que le jeune puisse donner du sens à son passé et à son futur à construire ou à reconstruire, il a besoin de se sentir relié sans être entravé. Métiers de funambules que vous avez à assurer, que nous avons à assurer, témoignant d'une confiance en la plasticité de l'homme plus encore que de celle du cerveau très en vogue actuellement !

 

           Espérer, c'est d'abord être espéré par quelqu'un comme le disait Robert Scholtus inspiré sans doute de Charles Péguy, c'est se sentir attendu. " Les seuls regards d'amour sont ceux qui nous espèrent, qui nous envisagent sans nos dévisager " poétisait le critique d'art, Paul Baudiquey. Quel programme périlleux pour accompagner les mals-nés -comme on dit au Québec- et que nous avons mission de remettre au monde !

           Dans cette tension féconde, peut se déployer une parole, qui dans la vie psychique est comme un levain dans la pâte, fait gonfler, élargit et agrandit les possibles de ceux qui nous sont confiés.

 

La Loi et le Sens, une alchimie pour l'avenir

" Un fleuve sans rivages, devient vite un marécage ". Auteur inconnu.

 

           Pouvons-nous regarder vers le futur quand le chaos nous habite ?

 " Peut être faut-il rappeler, qu'avoir de l'autorité face à l'autre, signifie être capable d'avoir une influence sur ses comportements, ses conduites, sa façon d'être, pour lui permettre d'être plus lui-même, et de l'aider ainsi à être, en quelque sorte, auteur de sa propre vie en percevant mieux ses ressources et ses limites " nous rappelle Jacques Salomé .

 

           Certes l'autorité ne peut s'exercer selon les mêmes formes que par le passé (quel passé d'ailleurs ?), elle ne se confond pas avec le simple exercice d'un pouvoir, mais sa fécondité structurante pour les jeunes s'alimente aussi dans la cohérence et la manière d'être de l'adulte.

           C'est sur ces fondations consolidées par les métiers du soutien, de l'éducation, de l'accompagnement, que peuvent se déployer des projets de vie. Les questions existentielles, les fractures, les manques, se traitent, se restaurent par l'existence, dont vous êtes, dont nous sommes, accompagnants, les tâcherons prédestinés.

           " Il n'y a pas de formation sans intention ", ais je eu l'occasion d'écrire à propos des chefs d'établissements, dans notre ouvrage collectif, Ecole, changer de Cap. Contributions à une éducation humanisante dirigé par Armen Tarpinian, spécialiste de la motivation.

           Vous aurez compris au passage que nous ne pouvons pas inviter des jeunes à dégager du sens dans leur vie, si nous ne sommes pas aussi interrogés par cette question récurrente mais jamais totalement aboutie. Robert Scholtus , nous le rappelle quant à lui : " c'est l'horizon vers lequel nous marchons qui nous éclaire ". Horizon décliné aux couleurs de nos convictions personnelles sans doute mais qui n'occulte pas la question de notre intention Qu'est ce qui peut nous éclairer ?

 

 Le lien, la Loi et le Sens, un chemin d'autonomie ?

"L'éducation, c'est délivrance…" André Gide.

 

           Mais quelle autonomie ? Selon quels critères ?

 

           Dans son approche de la psychologie positive, Jacques Lecomte fait de ces trois pôles, un triangle où la Loi est établie par l'adulte, le Lien généré par lui, et le Sens créé par le jeune.

Un terreau possible pour nos métiers de réparation où nous sommes conduits à amplifier la vie de ces jeunes dans laquelle nous pouvons substituer des liens créateurs à des liens pathologiques.

           J'ai écris ailleurs : " Comme nous redoutons que nos enfants nous fassent de l'ombre avant de nous transformer en ombre ! " suggère le psychanalyste J-B Pontalis. Est-ce pour cela que parents, enseignants, éducateurs et même pasteurs, nous avons tant de mal à transmettre repères et balises éthiques, interrogations existentielles ou convictions sur l'essentiel, alors que nous n'hésitons pas à submerger nos enfants de savoirs fragiles ?

Qui leur fera découvrir qu'ils sont uniques, libres mais responsables de la terre qu'ils habitent avec d'autres ? Qui les aidera à se situer dans la chaîne des générations et à s'interroger sur " l'immense invisible " évoqué par Marguerite Yourcenar ou à interpréter leur être-au-monde? Sinon ceux qui ont la mission de les accompagner dans une relation créatrice par laquelle passe toute transmission ", un chemin à faire en marchant. "

 

           Pour cela vous déployez tant d'énergie et une inventivité propice à fabriquer une hospitalité sécurisante, à dessiner de nouveaux paysages, à tracer des chemins qui bifurquent loin des autoroutes de la réussite prêt- à porter, où ces jeunes peuvent marcher sans être empêchés de voir ce qui est devant eux.

           Car accompagner ces jeunes de façon moderne, c'est-à-dire à la lumière des sciences humaines, des neurosciences et de la réflexion éducative contemporaine, ce n'est pas d'abord déployer un arsenal de techniques, pourtant bien utiles, mais c'est mettre en route des projets avec eux et non pas sur eux, pour leur permettre d'être auteurs de leur vie. Il ne s'agit pas d'être " en lévitation du réel ", mais de parcourir avec eux des chemins d'utopie, dans cette tension qui consiste à reconnaitre leurs manques, leurs déficiences sans les confondre avec eux pour éviter d'en faire " des handicapés du lien social " selon l'expression de Jacky Desmet, et pour faciliter une inclusion sociale, plus ou moins réussie, qui soit inventive et ne se laisse pas définir par les normes de réussite de notre société.

 

Identité narrative

           Pour cela, parmi ces chemins, il est possible de donner place à ce qui dans le sillage de Paul Ricœur ouvre sur une " identité narrative ", soit à travers des contes et récits écrits par d'autres et dans lesquels ils peuvent s'identifier, soit dans leur propres histoires de vie qu'ils peuvent élaborer, formant une manière de la réécrire, de la reconstruire : " Faire de sa vie une histoire " ( Alex Lainé), ainsi que nous le rappellent aussi Martine Lany-Bayle ou Boris Cyrulnik. On notera que l'histoire de vie qui s'enracine pour une bonne part dans l'inconscient est à différencier du récit de vie qui ne stimule pas totalement les mêmes zones du cerveau. Mais la nuance est ténue et le principe reste essentiel :

" Un chemin qui passe par tricoter des récits, faire parler les choses, les évènements, les actes afin de substituer la parole à l'acte, tenter d'aller vers la symbolisation et se distancier du passage à l'acte dans lequel les jeunes d'ITEP sont englués " affirme avec expérience Jacky Desmet, directeur général de la fondation Lucy Lebon.

 

           De grands auteurs on fait de leurs récits de vie, des histoires de vie : Boris Cyrulnik, Annie Ernaux, Eric Fottorino, Alexandre Jardin ou Brigitte Lozerech, pour n'en citer que quelques uns, archéologues d'un passé revisité pour mieux construire l'avenir.

 

           Moins connu, Pierre Sylvain raconte lui, la vie de Julien Letrouvé,

colporteur, enfant " abandonné à la corne d'un champ de seigle " vers les années 1880, élevé dans le giron des femmes qui se rassemblaient dans les écreignes - sorte de troglodytes champenoises - où il acquit le goût des livres grâce au talent d'une fileuse qui savait aussi lire à voix haute avec conviction. Resté illettré, il devint pourtant colporteur des livres bleus qu'il achetait à Troyes confortant l'idée que l'on peut faire aimer ce que l'on ne possède pas. Il confirme aussi que l'on peut se construire avec l'imaginaire déployé dans ses histoires de vie lues à la veillée, traversé de l'amour reçu dans cette terre-mère, réactivé par l'amitié improvisée avec un évadé prussien - qui sait lire lui, et prendre ainsi appui sur ce que nous nommerions aujourd'hui des tuteurs de résilience.

          Une autre histoire de vie, celle de Philippe Pozzo di Borgo racontée par lui-même dans Le Second Souffle, a fait exploser en 2011, les entrées des salles de cinémas, après le succès de son livre, édité il y a dix ans, et adapté au cinéma récemment. On voit dans ce livre, comment le récit de vie, celui de son accident qui le rend tétraplégique :" Je n'ai plus de passé, je n'ai pas d'avenir, je suis une douleur présente ", se transforme à travers la narration, en une histoire de vie, dont le héros brisé se reconstruit après ce drame, la mort de ses bébés et celle de son épouse, avec notamment l'aide de son auxiliaire de vie, Abdel, complice de cette reconstruction et qu'il nomme son " diable gardien ".

 

          C'est aussi le récit quasiment initiatique de la fabuleuse histoire de vie du journaliste et écrivain saoudien Ahmed Abodehman, La ceinture, qui nous livre son tiraillement entre racines, traditions et entrée dans la modernité et nous guide dans la construction de son identité, des pieds nus de son enfance à sa mission en France où il exerce aujourd'hui la profession de journaliste pour laquelle il dirige le bureau parisien du journal saoudien Al Riyadh : "Mais je suis là, parmi vous, à Paris, à l'aube de l'an 2000 ! Qu'elle aventure pour moi qui ne connais pas même ma date de naissance ! Sans doute ne me voyez-vous pas, car je m'efforce d'être comme vous, gris, indifférent, pourtant je porte en moi mon village comme un feu inépuisable ", écrit-il dans sa préface.

 

           Je crois, en fin de conte comme disait Raymond Devos, que j'ai envie de bannir de mon vocabulaire, l'expression : mettre l'enfant au centre du système éducatif et de le remplacer par au cœur du système éducatif, ce qui me parait irriguer plus justement les relations, et peut faire battre ainsi nos vaisseaux du cœur.

           J'ai lu avec intérêt les textes indispensables qui balisent juridiquement vos obligations et ceux qui donnent le ton de leur mise en actes. Vaste programme aurait dit de Gaulle dans un contexte différent !

           Et pourtant, " les textes ne sont pas des dépôts sacrés, mais des fontaines de village " disait le pape Jean XXIII, un autre grand homme même pour l'agnostique que je suis ! A travers ce que j'ai pu entrevoir de vos engagements et de vos pratiques, je mesure combien vous faites jaillir des fontaines de village dont ces initiatives de regroupement annuel, disent la cartographie évolutive.

 

 

           Pour permettre aux accompagnants de garder le cap, d'assurer leurs missions et de garder dans le vif de leurs pratiques l'enthousiasme et le rôle structurant qui leur est dévolu, j'insiste sur la nécessité de ne pas rester seul. J'invite à mettre en place des groupes de paroles ou d'analyse de pratiques, des lieux et des temps pour partager les difficultés et les réussites dans un cadre sécurisant comme les temps de rencontres sous le figuier de la littérature rabbinique, espaces transitionnels accompagnés par un tiers formé à l'écoute et extérieur à l'institution.

 

Alors, accompagner ? Oui, mais comment dans un monde en panne d'humanisme ?

" Pour inventer des chemins à défricher, il faudra à l'enseignant comme à l'élève, une sécurité intérieure et l'ouverture d'une fenêtre sur l'avenir ". MF. Bonicel

 

           Mais où puiser cette sécurité intérieure ? L'institution peut, en partie, par son rôle contenant, constituer un sas favorable à cette sécurité indispensable pour permettre d'établir une relation s'appuyant sur les incertitudes de la rencontre et favorisant la créativité. Cela suppose d'accepter de se trouver dans une relation asymétrique où l'autre peut se retrouver en position " haute " en alternance sans que nous en soyons fragilisés.

 

           Malgré un long parcours de vie enrichie de ceux qui l'ont croisé, Tobie Nathan, ethno-psychanalyste témoigne : " je sais qu'un maître mène au caché mais ne le révèle pas, ne le désigne pas, ne l'explicite jamais. Il est le chemin qui y conduit; on ne peut être à la fois le contenant et le contenu "… Cette attitude renvoie à la fonction " d'éveilleur " de l'éducateur et non à celle de modèle, même s'il est préférable d'être en cohérence de vie entre ce que nous tentons d'éveiller et ce que nous pratiquons. Cet accompagnateur - éducateur est bien " celui qui contient mais qui reste disponible aux errances éventuelles, au cheminement plus ou moins conscient de ces jeunes ". (Jacky Desmet). Sa manière de faire est d'être un tremplin pour le jeune par la vertu de ce beau, subtil et foisonnant concept, que l'on nomme reliance. Théorisé par le sociologue Marcel Bolle de Ball en 1995, repris généreusement par Edgar Morin et que j'avais déjà savouré dans la bouche de Jacques Salomé en 1982. Porteur de mouvement et de complexité, il convient bien à ce que nous tentons de faire pour permettre à ces jeunes de se délier de liens pathogènes, pour mieux se relier au meilleur de la vie.

           C'est dans cette tension féconde entre ces trois pôles que peut s'inscrire une présence de l'accompagnant. Si comme l'affirme Carl Rogers : " la porte du changement ne s'ouvre que de l'intérieur ", il nous appartient, à nous les adultes, d'en huiler les rouages, d'en indiquer la manière de s'en saisir et de sécuriser le passage.

           Faire " acte de présence ", le terme est souvent utilisé de façon péjorative, comme une apparition de convenance superficielle et fugace, alors que la présence vraie - être là - est dans la profondeur de l'instant, fondatrice et étayante. L'art de la présence, c'est un art du soin qui conditionne la validité de nos pratiques.

 

Esprit es tu là ?

"Une personne est achevée par une autre personne." St Augustin.

 

           Une de mes stagiaires à la fin de son récent parcours qualifiant s'est prise à rêver d'ouvrir une " Maison de la Parole " avec une plaque inspirée de l'activité de son grand-père, un vieux fourreur grec qui désignait ainsi son atelier :

           " Réparation, transformation, restauration ". On pourrait ajouter : " Ici, on amplifie la vie et on trouve des raisons d'espérer. " Utopie ? Certes, mais à réalisation vérifiable, selon l'expression du pragmatique antépénultième président du FMI, Michel Camdessus. Comme le rappelle Guy Coq, " je décide d'espérer parce que c'est meilleur pour la vie ".

           Passer du boulevard de la plainte au boulevard de la vie , d'une pédagogie de la réclamation à une pédagogie de la création, c'est à ce prix que nous pourrons transformer le mur des lamentations en mur des acclamations, avec un passage obligé par le mur des transformations, pour revisiter l'image créative de ma collègue, Catherine Rambert, gestalt-thérapeute.

           La fraternité qui me semble être le carburant oublié de la trilogie qui fleurit au fronton de nos mairies, doit être pour cela au cœur de ce qui nous mobilise. Nous ne sommes pas là pour conserver des cendres, celles des déceptions devant l'incomplétude des jeunes qui nous sont confiés, mais pour transmettre la flamme de ce qui nous relie à eux dans une humanité complice, où se tissent nos forces et nos fragilités.

           " Que serions nous sans nos blessures… non, personne n'est un être fini " affirmait encore Paul Baudiquey, qui voyait dans les blessures de Rembrandt, la fécondité de ses plus grandes œuvres.

           Vous êtes vous aussi dans vos métiers, bâtisseurs et acteurs d'une humanité singulière et multiple à réinventer, artistes des profondeurs. Nos jeunes sont prisonniers de leurs manques… Mais " comment peut-on s'échapper d'une prison sans dehors ? " questionne Robert Scholtus dans un autre contexte et dans un livre dont il dit qu'il l'a écrit " pour citer les absents à l'ordre de la vie " . Votre principale mission pourrait bien être de réintégrer ces jeunes dans l'ordre d'une vie à inventer, plus attractive que celle que nous leur peignons trop souvent.

 

           " Hâte-toi de transmettre " nous invite le poète René Char ". Merci de ce que vous dites, de ce que vous faites, de ce que vous êtes, merci d'être des passeurs de vie.

 

Marie-Françoise Bonicel

est diplômée de Sciences politiques et Economiques, docteur en psychologie sociale clinique, psychologue, gestalt-thérapeute, formatrice, coach, superviseur. Membre du LPA de Reims, Stress et Société.

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