Mon
propos aura plus la forme d'une " causerie " ou
d'un vagabondage que d'un article savant
tiré au cordeau du politiquement correct
Mais il dit autant mes convictions qu'il s'appuie
sur monexpérience et celle de tous ceux qui
uvrent pour que l'être humain puisse
conjuguerintégrité et dignité,
et notamment dans la transmission de ce que nous
déclinons sous ces trois
vocables.
Derrière ce
titre à la Clint Eastwood, ( je fais
là allusion au filme culte la Bête, le
Bon et le Truand) se dessinent trois pôles
qui permettent dans l'accompagnement de ceux
qu'avec affection, j'appelle les
"cabossés de la vie ", de tricoter
une alliance ou d'inventer une alchimie qui donne
toutes les chances au jeune de devenir un
partenaire de réussite. J'aime ces images
qui fait rêver de transformer du plomb en or
ou qui suggèrent dans un habile parfilage de
tirer parti du meilleur d'une étoffe
maltraitée en récupérant les
fils d'or pour en confectionner un tissage
rénové.
Mais derrière
cette habileté de l'artisan ou de l'artiste,
se profile tout autant la nécessité
de notre part, éducateurs, d'adopter une
posture d'humilité. J'englobe
derrière ce terme d'éducateurs toute
l'équipe éducative, du personnel
spécialisé au personnel administratif
en passant par tous les corps de métiers qui
font de nos institutions des lieux de
vie.
Que savons-nous
en effet des traces que nous laissons chez ceux
dont nous avons la charge ?
Une de mes
étudiantes que je vis somnoler toute une
année durant mes cours, le lundi matin
à 8h, m'écrivit 20 ans après :
" je ne sais pas ce que vous m'avez
enseigné, mais vous m'avez appris à
vivre ". J'imagine que pour d'autres, j'ai pu
laisser aussi dans leur demi-sommeil, des messages
négatifs dont je ne connaitrai jamais
l'impact dévastateur.
" Depuis ce jour,
le malade est devenu mon maître, d'autant
plus exigeant et efficace qu'il ne le sait pas
", écrivit un pionnier des soins palliatifs
pour les sidéens à Lyon,
jésuite, professeur de philosophie qui
abandonna sa chaire professorale pour devenir
soignant de nuit.
Pouvons-nous
imaginer que ceux que nous accompagnons,
soient ainsi nos maîtres dans le
registre de la transmission, du moins
à certains moments ?
Trois pôles,
trois piliers, trois registres imbriqués
dans une approche systémique, complexe.
Trois angles d'un même triangle pour amorcer
un long travail de résilience, de
restauration d'une identité ou d'un retour
à une possible intégration sociale.
Si tout enfant qui nait est revêtu d'un
manteau d'humanité, pour beaucoup trop
d'entre eux, le manteau est déchiré,
troué, fragilisant leur présent comme
leur avenir.
Si je ne suis pas de
votre maison AIRe, je suis pourtant de votre
maisonnée, à travers mon
expérience ancienne d'Inspectrice de l'Aide
sociale à l'Enfance de la Seine St Denis et
de mon immersion constante dans les fractures que
la vie provoque en soi et entre soi, et je sais
combien vos missions diverses, vous conduisent
à transformer les manques en vides
médians (François Cheng) en vides
fertiles (Jacques Salomé) ou en vides
créatifs (Serge Ginger).
Dans les divers
accompagnements que je suis invitée à
assurer : coaching individuel ou accompagnement
d'équipes, dans les champs divers de
l'éducation, ceux de l' entreprise, de la
santé, du handicap, des prisons, des milieux
religieux, de la fin de vie, de la
prévention du suicide, des parents en deuil,
de la thérapie, en France, en Europe au
Québec ou avec l'Afrique, je suis
confrontée à ces trois défis
qui sont déclinés avec des variantes
liées aux spécificités de
l'activité ou aux particularités
culturelles. Je vous propose une immersion dans
quelques combinaisons issues de ces trois
registres, nourris des schémas de la
tradition psychanalytique revisités par les
praticiens de la psychologie positive au sens
large, mais dont nous percevons les exigences
humanistes qui viennent de bien plus
loin.
Le Lien et la
Loi, une reconnaissance de
l'altérité
"Il
n'y a pas d'amour sans Loi, il n'y a pas de
Loi sans amour". Jean-Marie
Petitclerc
Le pôle cadre
et le pôle accueil
Où mettre le
curseur relationnel ? , c'est ainsi que s'interroge
avec beaucoup de pertinence, le Dr Catherine
Deshays, pour trouver la
bonne distance avec
l'autre. Elle présente ces deux registres,
reliés sur un axe, disposant d'un curseur
relationnel dont la position varie selon la nature
de la rencontre, de l'âge de la personne, de
leurs rapports personnels ou professionnels, des
statuts et des rôles (entretien de contact,
d'orientation, de sanction, d'aide etc.)
Il
est évident que la reliance exclut la
fusion et que la conscience d'avoir à
faire à un autre, est la première
étape d'une relation réussie,
même si je reconnais en lui du semblable en
miroir, (de la mêmeté pour utiliser un
terme remis au goût du jour). Poser
un
cadre dans tout
entretien ou dans les parcours d'accompagnement est
un passage obligé pour soutenir, se
différencier, rassurer, contenir, se
préserver soi et préserver l'autre.
Cadre temporel, cadre spatial, cadre
éthique.
C'est l'adulte qui
pose la Loi Symbolique, rappelle la loi civile, les
règles de vie, le respect, afin d'ouvrir un
lieu et un monde commun avec le jeune qu'il prend
en charge ou qu'il accompagne selon les
circonstances. Le respect des règles et des
balises structurent non seulement la situation mais
les personnes, et ouvrent la voie à
l'empathie bienveillante qui permet de s'appuyer
sur ce qui est et non sur ce qui manque. C'est dans
cet ensemble que peut se forger une confiance pour
constituer une alliance constructive,
incontournable pour un projet de vie, comme pour
les minuscules actes qui jalonnent le quotidien de
nos institutions.
Le lien et le
Sens, passeurs de futur
"
Pour vivre un lien, il faut avoir
vécu un lien ; ces choses-là se
transmettent ; nul ne plante sur du granit et
nul ne crée de liens à partir
du néant ". Daniel Sibony
Il appartient
à l'adulte, quelque soit sa fonction de
générer du lien avec celui qu'il
accompagne, de permettre au jeune (ou à
l'adulte) de se sentir aimé ou tout au moins
reconnu, exister, et de trouver dans cette
sécurité affective, les ressources
pour regarder le passé avec plus de
légèreté et ouvrir une lucarne
vers un avenir plus
dégagé.
Mais pour que le
jeune puisse donner du sens à son
passé et à son futur à
construire ou à reconstruire, il a besoin de
se sentir relié sans être
entravé. Métiers de funambules que
vous avez à assurer, que nous avons à
assurer, témoignant d'une confiance en la
plasticité de l'homme plus encore que de
celle du cerveau très en vogue actuellement
!
Espérer,
c'est d'abord être espéré par
quelqu'un comme le disait Robert Scholtus
inspiré sans doute de Charles Péguy,
c'est se sentir attendu. " Les seuls regards
d'amour sont ceux qui nous espèrent, qui
nous envisagent sans nos dévisager "
poétisait le critique d'art, Paul Baudiquey.
Quel programme périlleux pour accompagner
les mals-nés -comme on dit au Québec-
et que nous avons mission de remettre au monde !
Dans cette tension
féconde, peut se déployer une parole,
qui dans la vie psychique est comme un levain dans
la pâte, fait gonfler, élargit et
agrandit les possibles de ceux qui nous sont
confiés.
La Loi et le
Sens, une alchimie pour l'avenir
"
Un fleuve sans rivages, devient vite un
marécage ". Auteur
inconnu.
Pouvons-nous regarder
vers le futur quand le chaos nous habite ?
" Peut
être faut-il rappeler, qu'avoir de
l'autorité face à l'autre,
signifie être capable d'avoir une
influence sur ses comportements, ses conduites,
sa façon d'être, pour lui permettre
d'être plus lui-même, et de l'aider
ainsi à être, en quelque sorte,
auteur de sa propre vie en percevant mieux ses
ressources et ses limites " nous rappelle
Jacques Salomé .
Certes
l'autorité ne peut s'exercer selon
les mêmes formes que par le
passé (quel passé d'ailleurs
?), elle ne se confond pas avec le simple
exercice d'un pouvoir, mais sa
fécondité structurante pour
les jeunes s'alimente aussi dans la
cohérence et la manière
d'être de l'adulte.
C'est sur
ces fondations consolidées par les
métiers du soutien, de
l'éducation, de l'accompagnement,
que peuvent se déployer des projets
de vie. Les questions existentielles, les
fractures, les manques, se traitent, se
restaurent par l'existence, dont vous
êtes, dont nous sommes,
accompagnants, les tâcherons
prédestinés.
" Il n'y
a pas de formation sans intention ",
ais je eu l'occasion d'écrire
à propos des chefs
d'établissements, dans notre
ouvrage collectif, Ecole,
changer de Cap. Contributions à une
éducation
humanisante
dirigé par Armen Tarpinian,
spécialiste de la motivation.
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|
Vous aurez compris au
passage que nous ne pouvons pas inviter des jeunes
à dégager du sens dans leur vie, si
nous ne sommes pas aussi interrogés par
cette question récurrente mais jamais
totalement aboutie. Robert Scholtus , nous le
rappelle quant à lui : " c'est l'horizon
vers lequel nous marchons qui nous
éclaire ". Horizon décliné
aux couleurs de nos convictions personnelles sans
doute mais qui n'occulte pas la question de notre
intention Qu'est ce qui peut nous éclairer
?
Le
lien, la Loi et le Sens, un chemin d'autonomie
?
"L'éducation,
c'est délivrance
" André
Gide.
Mais quelle autonomie
? Selon quels critères ?
Dans son approche de
la psychologie positive, Jacques Lecomte fait de
ces trois pôles, un triangle où la Loi
est établie par l'adulte, le Lien
généré par lui, et le Sens
créé par le jeune.
Un terreau possible pour nos
métiers de réparation où nous
sommes conduits à amplifier la vie de ces
jeunes dans laquelle nous pouvons substituer des
liens créateurs à des liens
pathologiques.
J'ai écris
ailleurs : " Comme
nous redoutons que nos enfants nous fassent de
l'ombre avant de nous transformer en ombre ! "
suggère le psychanalyste J-B Pontalis.
Est-ce pour cela que parents, enseignants,
éducateurs et même pasteurs, nous
avons tant de mal à transmettre
repères et balises éthiques,
interrogations existentielles ou convictions sur
l'essentiel, alors que nous n'hésitons pas
à submerger nos enfants de savoirs fragiles
?
Qui
leur fera découvrir qu'ils sont
uniques, libres mais responsables de la terre
qu'ils habitent avec d'autres ? Qui les
aidera à se situer dans la
chaîne des générations et
à s'interroger sur " l'immense
invisible " évoqué par
Marguerite Yourcenar ou à
interpréter leur être-au-monde?
Sinon ceux qui ont la mission de les
accompagner dans une relation
créatrice par laquelle passe toute
transmission ", un chemin à faire
en marchant. "
Pour cela vous
déployez tant d'énergie et une
inventivité propice à fabriquer une
hospitalité sécurisante, à
dessiner de nouveaux paysages, à tracer des
chemins qui bifurquent loin des autoroutes de la
réussite prêt- à porter,
où ces jeunes peuvent marcher sans
être empêchés de voir ce qui est
devant eux.
Car accompagner ces
jeunes de façon moderne, c'est-à-dire
à la lumière des sciences humaines,
des neurosciences et de la réflexion
éducative contemporaine, ce n'est pas
d'abord déployer un arsenal de techniques,
pourtant bien utiles, mais c'est mettre en route
des projets avec eux et non pas sur eux, pour
leur permettre d'être auteurs de leur vie. Il
ne s'agit pas d'être " en
lévitation du réel ", mais de
parcourir avec eux des chemins d'utopie, dans cette
tension qui consiste à reconnaitre leurs
manques, leurs déficiences sans les
confondre avec eux pour éviter d'en faire "
des handicapés du lien social " selon
l'expression de Jacky Desmet, et pour faciliter une
inclusion sociale, plus ou moins réussie,
qui soit inventive et ne se laisse pas
définir par les normes de réussite de
notre société.
Identité
narrative
Pour cela, parmi ces
chemins, il est possible de donner place à
ce qui dans le sillage de Paul Ricur ouvre
sur une " identité narrative ", soit
à travers des contes et récits
écrits par d'autres et dans lesquels ils
peuvent s'identifier, soit dans leur propres
histoires de vie qu'ils peuvent élaborer,
formant une manière de la
réécrire, de la reconstruire : "
Faire de sa vie une histoire " ( Alex
Lainé), ainsi que nous le rappellent aussi
Martine Lany-Bayle ou Boris Cyrulnik. On notera que
l'histoire de vie qui s'enracine pour une bonne
part dans l'inconscient est à
différencier du récit de vie qui ne
stimule pas totalement les mêmes zones du
cerveau. Mais la nuance est ténue et le
principe reste essentiel :
" Un chemin qui
passe par tricoter des récits, faire
parler les choses, les évènements,
les actes afin de substituer la parole à
l'acte, tenter d'aller vers la symbolisation et
se distancier du passage à l'acte dans
lequel les jeunes d'ITEP sont englués
" affirme avec expérience Jacky Desmet,
directeur général de la fondation
Lucy Lebon.
De grands auteurs on
fait de leurs récits de vie, des histoires
de vie : Boris Cyrulnik, Annie Ernaux, Eric
Fottorino, Alexandre Jardin ou Brigitte Lozerech,
pour n'en citer que quelques uns,
archéologues d'un passé
revisité pour mieux construire
l'avenir.
Moins connu,
Pierre Sylvain raconte lui, la vie de Julien
Letrouvé,
|
colporteur, enfant "
abandonné à la corne d'un
champ de seigle " vers les
années 1880, élevé
dans le giron des femmes qui se
rassemblaient dans les écreignes -
sorte de troglodytes champenoises -
où il acquit le goût des
livres grâce au talent d'une fileuse
qui savait aussi lire à voix haute
avec conviction. Resté
illettré, il devint pourtant
colporteur des livres bleus qu'il achetait
à Troyes confortant l'idée
que l'on peut faire aimer ce que l'on ne
possède pas. Il confirme aussi que
l'on peut se construire avec l'imaginaire
déployé dans ses histoires
de vie lues à la veillée,
traversé de l'amour reçu
dans cette terre-mère,
réactivé par l'amitié
improvisée avec un
évadé prussien - qui sait
lire lui, et prendre ainsi appui sur ce
que nous nommerions aujourd'hui des
tuteurs de résilience.
|
Une autre histoire
de vie, celle de Philippe Pozzo di Borgo
racontée par lui-même dans Le Second
Souffle, a fait exploser en 2011, les
entrées des salles de cinémas,
après le succès de son livre,
édité il y a dix ans, et
adapté au cinéma récemment. On
voit dans ce livre, comment le récit de vie,
celui de son accident qui le rend
tétraplégique :" Je n'ai plus de
passé, je n'ai pas d'avenir, je suis une
douleur présente ", se transforme
à travers la narration, en une histoire de
vie, dont le héros brisé se
reconstruit après ce drame, la mort de ses
bébés et celle de son épouse,
avec notamment l'aide de son auxiliaire de vie,
Abdel, complice de cette reconstruction et qu'il
nomme son " diable gardien ".
C'est aussi
le récit quasiment initiatique de
la fabuleuse histoire de vie du
journaliste et écrivain saoudien
Ahmed Abodehman, La ceinture, qui nous
livre son tiraillement entre racines,
traditions et entrée dans la
modernité et nous guide dans la
construction de son identité, des
pieds nus de son enfance à sa
mission en France où il exerce
aujourd'hui la profession de journaliste
pour laquelle il dirige le bureau parisien
du journal saoudien Al Riyadh : "Mais
je suis là, parmi vous, à
Paris, à l'aube de l'an 2000 !
Qu'elle aventure pour moi qui ne connais
pas même ma date de naissance ! Sans
doute ne me voyez-vous pas, car je
m'efforce d'être comme vous, gris,
indifférent, pourtant je porte en
moi mon village comme un feu
inépuisable ", écrit-il
dans sa préface.
Je crois, en
fin de conte comme disait Raymond Devos,
que j'ai envie de bannir de mon
vocabulaire, l'expression : mettre
l'enfant au centre du système
éducatif et de le remplacer par au
cur du système
éducatif, ce qui me parait irriguer
plus justement les relations, et peut
faire battre ainsi nos vaisseaux du
cur.
J'ai lu avec
intérêt les textes
indispensables qui balisent juridiquement
vos obligations et ceux qui donnent le ton
de leur mise en actes. Vaste programme
aurait dit de Gaulle dans un contexte
différent !
Et pourtant,
" les textes ne sont pas des
dépôts sacrés, mais
des fontaines de village " disait le
pape Jean XXIII, un autre grand homme
même pour l'agnostique que je suis !
A travers ce que j'ai pu entrevoir de vos
engagements et de vos pratiques, je mesure
combien vous faites jaillir des fontaines
de village dont ces initiatives de
regroupement annuel, disent la
cartographie évolutive.
|
|
Pour permettre aux
accompagnants de garder le cap, d'assurer leurs
missions et de garder dans le vif de leurs
pratiques l'enthousiasme et le rôle
structurant qui leur est dévolu, j'insiste
sur la nécessité de ne pas rester
seul. J'invite à mettre en place des groupes
de paroles ou d'analyse de pratiques, des lieux et
des temps pour partager les difficultés et
les réussites dans un cadre
sécurisant comme les temps de rencontres
sous le figuier de la littérature
rabbinique, espaces transitionnels
accompagnés par un tiers formé
à l'écoute et extérieur
à l'institution.
Alors,
accompagner ? Oui, mais comment dans un monde en
panne d'humanisme ?
" Pour inventer
des chemins à défricher, il faudra
à l'enseignant comme à
l'élève, une
sécurité intérieure et
l'ouverture d'une fenêtre sur l'avenir
". MF. Bonicel
Mais où puiser
cette sécurité intérieure ?
L'institution peut, en partie, par son rôle
contenant, constituer un sas favorable à
cette sécurité indispensable pour
permettre d'établir une relation s'appuyant
sur les incertitudes de la rencontre et favorisant
la créativité. Cela suppose
d'accepter de se trouver dans une relation
asymétrique où l'autre peut se
retrouver en position " haute " en alternance sans
que nous en soyons fragilisés.
Malgré un long
parcours de vie enrichie de ceux qui l'ont
croisé, Tobie Nathan, ethno-psychanalyste
témoigne : " je sais qu'un maître
mène au caché mais ne le
révèle pas, ne le désigne pas,
ne l'explicite jamais. Il est le chemin qui y
conduit; on ne peut être à la fois le
contenant et le contenu "
Cette attitude
renvoie à la fonction " d'éveilleur "
de l'éducateur et non à celle de
modèle, même s'il est
préférable d'être en
cohérence de vie entre ce que nous tentons
d'éveiller et ce que nous pratiquons. Cet
accompagnateur - éducateur est bien " celui
qui contient mais qui reste disponible aux errances
éventuelles, au cheminement plus ou moins
conscient de ces jeunes ". (Jacky Desmet). Sa
manière de faire est d'être un
tremplin pour le jeune par la vertu de ce beau,
subtil et foisonnant concept, que l'on nomme
reliance. Théorisé par le sociologue
Marcel Bolle de Ball en 1995, repris
généreusement par Edgar Morin et que
j'avais déjà savouré dans la
bouche de Jacques Salomé en 1982. Porteur de
mouvement et de complexité, il convient bien
à ce que nous tentons de faire pour
permettre à ces jeunes de se délier
de liens pathogènes, pour mieux se relier au
meilleur de la vie.
C'est dans cette
tension féconde entre ces trois pôles
que peut s'inscrire une présence de
l'accompagnant. Si comme l'affirme Carl Rogers : "
la porte du changement ne s'ouvre que de
l'intérieur ", il nous appartient, à
nous les adultes, d'en huiler les rouages, d'en
indiquer la manière de s'en saisir et de
sécuriser le passage.
Faire " acte de
présence ", le terme est souvent
utilisé de façon péjorative,
comme une apparition de convenance superficielle et
fugace, alors que la présence vraie -
être là - est dans la profondeur de
l'instant, fondatrice et étayante. L'art de
la présence, c'est un art du soin qui
conditionne la validité de nos
pratiques.
Esprit es tu
là ?
"Une personne est
achevée par une autre personne." St
Augustin.
Une de mes stagiaires
à la fin de son récent parcours
qualifiant s'est prise à rêver
d'ouvrir une " Maison de la Parole " avec une
plaque inspirée de l'activité de son
grand-père, un vieux fourreur grec qui
désignait ainsi son atelier :
"
Réparation, transformation, restauration
". On pourrait ajouter : " Ici, on amplifie
la vie et on trouve des raisons
d'espérer. " Utopie ? Certes, mais
à réalisation vérifiable,
selon l'expression du pragmatique
antépénultième
président du FMI, Michel Camdessus. Comme le
rappelle Guy Coq, " je décide
d'espérer parce que c'est meilleur pour la
vie ".
Passer du boulevard
de la plainte au boulevard de la vie , d'une
pédagogie de la réclamation à
une pédagogie de la création, c'est
à ce prix que nous pourrons transformer le
mur des lamentations en mur des acclamations, avec
un passage obligé par le mur des
transformations, pour revisiter l'image
créative de ma collègue, Catherine
Rambert, gestalt-thérapeute.
La fraternité
qui me semble être le carburant oublié
de la trilogie qui fleurit au fronton de nos
mairies, doit être pour cela au cur de
ce qui nous mobilise. Nous ne sommes pas là
pour conserver des cendres, celles des
déceptions devant l'incomplétude des
jeunes qui nous sont confiés, mais pour
transmettre la flamme de ce qui nous relie à
eux dans une humanité complice, où se
tissent nos forces et nos
fragilités.
" Que serions nous
sans nos blessures
non, personne n'est un
être fini " affirmait encore Paul
Baudiquey, qui voyait dans les blessures de
Rembrandt, la fécondité de ses plus
grandes uvres.
Vous êtes vous
aussi dans vos métiers, bâtisseurs et
acteurs d'une humanité singulière et
multiple à réinventer, artistes des
profondeurs. Nos jeunes sont prisonniers de leurs
manques
Mais " comment peut-on
s'échapper d'une prison sans dehors ? "
questionne Robert Scholtus dans un autre contexte
et dans un livre dont il dit qu'il l'a écrit
" pour citer les absents à l'ordre de la vie
" . Votre principale mission pourrait bien
être de réintégrer ces jeunes
dans l'ordre d'une vie à inventer, plus
attractive que celle que nous leur peignons trop
souvent.
" Hâte-toi
de transmettre " nous invite le poète
René Char ". Merci de ce que vous dites, de
ce que vous faites, de ce que vous êtes,
merci d'être des passeurs de vie.
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