Que
faisons-nous de notre
agressivité?
Cette force qui est en nous, nous pouvons
"l'appliquer" à
différents "objets" (à notre
matière enseignée, aux
élèves, aux collègues
etc...)
Nous
pouvons la "transformer" en
passion, attention, amour...
Nous pouvons "l'apprécier"
comme une de nos qualités ou au
contraire "nous en méfier",
nous en protéger, la
retenir...
Dans tous les cas elle existe en nous et
nous devons la "gérer"
c'est-à-dire en faire quelque
chose.
Evidemment nous pouvons "la nier",
"la refouler" mais ce n'est pas
pour autant qu'elle n'agira pas dans la
façon d'exercer notre métier
et cette fois à notre insu et peut
être d'autant plus
fortement!
Voici quelques exemples:
|
Définition
<<Au
niveau dynamique il s'agit d'une union,
somme toute pervertie, entre les pulsions
sexuelles et les courants brutaux
primitifs. Les premières venant
colorer de plaisir les seconds dans un
sens devenu destructeur, alors que dans
l'évolution heureuse qui se
manifeste dès l'oedipe, et se
confirme à l'adolescence, les
dynamismes violents primitifs viennent
logiquement renforcer les pulsions
sexuelles dans leur finalité propre
au service de l'amour et de la
créativité. Telle est la
description qu'en donne Freud dans son
concept
d'étayage.
Le
but de la démarche imaginaire
appartenant à l'agressivité
implique une satisfaction libidinale prise
dans l'atteinte d'un objet
représenté sous la forme
(consciente ou inconsciente) d'un rival
oedipien, alors que la mise en jeu
précoce des dynamismes instinctuels
violents primitifs se limite à une
défense narcissique, sans tenir
compte des dégâts
éventuellement causés
à celui qui est vécu comme
simple menace extérieure et non
dans une optique authentiquement
objectale.>>
Dictionnaire
international de la psychanalyse. p.32
Ed. Calmann-Lévy
|
L'agressivité
"refoulée"
Il s'agit d'une enseignante agrégée
de lettres qui veut être sympathique avec ses
élèves, elle est contre les punitions
qu'elle dit ne servir à
rien. Evidemment les élèves le
sentent et en profitent. Elle menace souvent,
répète sa menace de punition mais ne
passe jamais à l'acte de peur de leur faire
mal et de se sentir coupable à leur
égard.
Elle a conscience de sa difficulté et c'est
pourquoi elle demande à assister à un
de nos stages de formation
continue.
Deux mois
après ce stage elle nous
écrit:
<< (Je
constate) en moi quelques signes de
changements symbolique. Par exemple j'ai
commencé l'année scolaire en
achetant un cahier "Super Conquérant" au
lieu du tendre "Claire Fontaine" habituel, j'ai
donné des punitions dès la
première semaine et je continue à
en donner
régulièrement>>.
Sanctionner est une marque d'agresivité et
il faut y voir clair sur son agressivité
pour ne pas s'en trouver culpabilisé et
faire face à la peur de représailles
éventuelles (internes et/ou
externes).
Projection de
notre agressivité sur les
élèves
L'exemple suivant est intéressant dans la
mesure où il montre comment la projection de
notre agressivité sur les
élèves va être ressentie et
entraîner par interaction leur propre
agressivité à notre égard. On
trouvera sur le coté gauche de la page le
compte rendu de ce qu'un professeur nous dit dans
une lettre deux mois après un stage de
formation continue; puis sur le côté
droit une proposition d'analyse de ce qui s'est
passé entre lui et ses élèves.
Entretien
«Stagiaire
:
Ce qui a changé avec les
élèves s'est produit
à l' issue du premier stage qui
remonte maintenant à 18 mois
environ. Après ce stage,
j'ai senti une diminution des
tensions entre les
élèves et
moi.
Interviewer
-
Diminution des tensions dites-vous
?
Stagiaire
:
Je veux dire qu'il y a eu une
époque où j'avais
l'impression, c'était pas gratuit
car j'avais des classes très
difficiles, que les
élèves étaient
agressifs à mon
égard, je
soupçonnais un peu
systématiquement qu'une
conversation dans mon dos ou un ricanement
étaient dirigés contre moi.
Jai l'impression que je ne peux pas dire
que ça n'existe plus, mais j'ai
l'impression qu'à priori
je ne considère plus que
si des élèves rient ou
parlent c'est forcément contre
moi. Et cela je l'ai
éprouvé dans les semaines ou
les mois qui ont suivi le 1 er
stage.
Interviewer
:
Pour les élèves, est-ce
qu'il s'est passé quelque chose
?
Stagiaire
:
J'ai eu probablement une autre attitude
avec les élèves
sans que ce soit quelque chose
qui relève de
décisions du genre
«A partir d'aujourd'hui je fais comme
ceci ou comme cela». Mais je pense
que.. ça s'est installé
naturellement, et il est probable que je
traverse les couloirs et que je circule en
classe avec un esprit plus détendu
sans être sur la
défensive et je pense
que cela doit être perçu des
élèves et que du même
coup ils ajustent leur
comportement sur le
mien>>
|
Schéma
explicatif
Avant
la formation:
Un professeur
qui ressent une certaine violence en lui
(...et qui n'en a pas?) peut chercher
inconsciemment à se
débarasser de ce sentiment
culpabilisant en le projetant sur ses
élèves (C'est classique!).
Il se sent donc agressé et
réagit vis-à-vis de la
classe. Les élèves, en
danger, se rebellent pour de bon et le
professeur, justifié dans son
impression, peut alors légitimement
les agresser sans plus avoir de conflit
interne.
Après
la formation:
Après
sa formation, la tension interne ayant
diminué, le professeur n'a plus
besoin de projeter son agressivité
à l'extérieur. Il voit la
classe de façon plus
réaliste, les élèves
ne se sentant plus agressés,
n'agressent plus à leur tour.
C'est-à-dire qu'ils adaptent leurs
attitudes à celle du professeur. Il
y a interaction entre le professeur et
eux.
|
L'agressivité
à l'égard des élèves au
service du "machisme"
Voici ce que dit un
prof qui se souvient de son ancien prof de
maths:
<<Pascale
- C'était un type qui dictait un
cours. Il marchait de long en large dans la
salle, et il s'arrêtait au milieu d'une
phrase et disait: «Un tel, continuez.
» Et le "un tel", c'était toujours
les filles, ma copine et moi. Alors que nous, on
"ramait" et on était terrorisées.
On ne savait pas de quoi il s'agissait, on ne
comprenait rien... on n'a plus rien compris
toute l'année. On essayait de s'en tirer,
d'apprendre pour les colles. C'était
affreux, mais vraiment épouvantable!
(...) Son grand plaisir, c'était de
fourguer des exercices qu'on ne pouvait pas
trouver et, en colle, ce n'était que
cela, des exercices avec des astuces.
N. - Comment as-tu
vécu cette année?
P. -J'ai
été malade, j'ai eu une colite
toute l'année. A la fin, mes parents sont
venus me chercher, affolés... Je veux
dire qu'il y a même eu des symptômes
physiques. On arrivait à deux heures de
l'après-midi, après le repas. On
attendait, on le guettait: il va arriver... il
va arriver... la porte s'ouvrait: il rentrait.
Tu vois, c'était du théâtre:
«Interrogation écrite. Prenez une
feuille. » Sur le repas! On ne
digérait pas, nous. Ce n'est pas
étonnant que j'aie eu une colite! ... Je
me suis laissée avoir parce que je ne
voyais pas le grotesque de la situation, je
marchais dans la terreur, le sadisme et tout
ça! Je marchais
complètement.
N. - Est-ce que ce
n'est pas aussi autre chose pour toi?
P. - Bien
sûr! je veux dire que lorsque j'y repense
de façon rationalisée, je vois
qu'il y a parmi les profs de maths des gens qui
ont un peu ce penchant-là, ce
sadisme-là. Je veux dire qu'ils ont du
plaisir à poser à ceux qui sont en
face des colles qu'ils ne comprennent pas; c'est
facile en maths de faire cela! C'est assez
facile d'avoir de petits exercices à
astuces qui font que même un gars
intelligent ne trouve pas; autrement dit, c'est
facile d'impressionner. Je crois quand
même que pour le prof de maths, il y a
sûrement cela qui joue, et je dois dire
que moi-même, il faut que je fasse
grandement attention pour ne pas jouer à
cela.>> Voir: "Pascale
ou la machine à
café"
Mais
si elle a "marché complètement" dans
ce sadisme, c'est qu'il trouvait sans doute une
résonance en elle et c'est ce qu'elle
cherche à comprendre.Pascale doit trouver un
moyen pour ne pas tomber dans ce qu'elle
considère comme du sadisme. Pour ce faire,
elle a adopté une attitude opposée,
celle de "bonne mère" qui lui permet de
refouler son agressivité et de retrouver un
équilibre. Ainsi son processus de
pensée lui fait trouver une solution
à son conflit interne. "Des gens qui ont
un peu ce penchant-là, ce sadisme-là.
Je veux dire qu'ils ont du plaisir à poser
à ceux qui sont en face des colles qu'ils ne
comprennent pas". Notre métier peut
par ses caractéristiques (quelqu'un qui sait
face à quelqu'un qui ne sait pas ) peut
induire , si on n'y prend garde, un certain
"sadisme" auquel l'élève
répondra par une position "masochiste"
. Il est préférable de le savoir
et d'avoir à l'esprit ce "plaisir"
d'être du bon coté , "celui qui sait",
et de ne pas en abuser!
La discipline
comme protection contre sa propre
agressivité
François
(professeur de
mathématiques)
- J'aime
bien enseigner et donner confiance aux
élèves, leur expliquer qu'ils
peuvent y arriver. Et quand j'en vois un qui
s'éveille, qui s'accroche, cela me
plaît. Surtout quand je me dis que si je
l'avais brutalisé, il n'aurait jamais
réussi à comprendre; alors
là j'ai une véritable
satisfaction. Et puis j' aime bien ce contact
avec les élèves par
l'intermédiaire des maths. C'est un peu
un jeu, il y a des astuces, il y a des finesses:
le rapport est bien délimité. Ce
n'est pas comme pour les profs de
français qui sont très souvent en
psychodrame, qui déchaînent des
affectivités terribles dans les classes.
Après, ce n'est pas forcément
facile d'en sortir. Pour nous c'est quand
même beaucoup plus simple et cela ne nous
empêche pas de discuter avec les
élèves à la fin d'un cours.
On a un rapport qui
s'établit...
N. -
Vous avez dit un contact par
l'intermédiaire des maths?
F.
Oui, là je suis un petit peu
hésitant, je ne sais pas très bien
au fond ce que je fais. Je suis un prof, c'est
vrai. Mais au fond les maths me servent à
garder une distance. Parce que je suis
relativement distant malgré tout. Enfin
on discute, mais quand même, je suis assez
sérieux et je ne fais pas trop durer la
récréation.] (Voir
Livre)
Les mathématiques permettent de bien
"délimiter" le rapport
maître-élève, d'éviter
les "psychodrames" c'est-à-dire les
"affectivités terribles", car ce
risque, le professeur l'exprime ainsi : "Si je
l'avais (élèves) brutalisé, il
n'aurait jamais réussi à
comprendre". Ce professeur désire
être protégé de sa propre
agressivité et il se sert des
mathématiques comme d'un
"intermédiaire" entre lui et les
élèves, comme d'un tiers pour
éviter les dangers de la relation
duelle.
Négation
de l'agressivité
Parfois on préfère nier
l'agressivité, la sienne et celle des
autres, on a alors l'impression qu'on peut "aimer"
tout le monde et que "tout le monde nous aime" .
TOUT LE MONDE IL EST BEAU ET GENTIL...
Voici l'exemple d'une professeur qui a pris
conscience de ce processus après un travail
sur elle-même et qui se réjouit,
paradoxalement, de découvrir que certains de
ses élèves ne l'aiment pas
!
P -J'ai eu
une élève cette année qui
m'a reproché de ne pas savoir laver le
tableau. Alors, je ne l'ai pas supporté,
tu vois. C'en était une qui m'agressait
depuis le début de l'année.
Visiblement, elle ne pouvait pas me voir! Et
moi, évidemment, au bout de deux ou trois
fois, cela m'a agacée
sérieusement. Alors, il y a eu une
séance où je faisais un cours et
tout d'un coup, cette fille me dit: «Alors
là, c'est le comble, non seulement on ne
comprend rien mais en plus on ne voit pas ce qui
est au tableau parce que vous n'êtes pas
capable de laver correctement une
éponge!» Devant la classe, comme
cela, tout fort! Là, j'étais folle
de rage. Alors je lui ai répondu qu'elle
avait sûrement mille choses à me
reprocher, mais ne pas savoir effacer le
tableau, je trouvais que c'était un
mauvais, mauvais terrain !
N. -
Pourquoi?
P. - Parce que,
enfin, laver une éponge!... Je lui ai
dit: Si vous n'êtes pas contente, vous
n'avez qu'à laver et effacer
vous-même le tableau, c'est assez
pénible comme cela! Alors là,
j'étais très fâchée
et j'ai ajouté: De toute façon,
cela fait un moment que vous m'agressez. Alors
elle m'a regardée et m'a répondu
devant la classe éberluée: Et vous
de même!
P. -Je
n'aime pas rester sur des conflits comme cela...
Et comme je n'aime pas que les gens ne m'aiment
pas, je suis allée la voir après.
Je lui ai dit: Si vous voulez, on va parler un
peu pour voir ce qui se passe. Et je lui ai dit
ce que je pensais d'elle et elle aussi... et
depuis, elle est à tous mes cours au
premier rang. Elle comprend tout. Il faudrait
faire cela avec tous les élèves,
leur dire: On vous a vu, on vous a reconnu, etc.
et cela marcherait; mais ils sont fatigants.
Cette fois, c'était une agression
vraiment contre moi et cela; c'est nouveau. Tous
les échos qui me revenaient
étaient plutôt bons, j'avais
l'impression que je plaisais bien. Alors
là, c'était la première
fois que je prenais conscience que certains ne
m'aimaient pas.
Mais finalement, je
trouve que c'est bien parce que cela veut dire
que je l'accepte un petit peu. Rien que le fait
que cela ait pu avoir lieu est quand même
un progrès pour moi; j'ai maintenant un
peu moins l'illusion que je vais pouvoir tout
leur donner, tout leur faire comprendre. Mais je
me trouve encore parfois des alibis, des
justifications, je me dis que c'est parce qu'il
y a trop d'élèves, parce que je ne
peux pas faire ce que je veux...
N. -
Qu'est-ce que tu veux leur donner comme
cela?
P. -je ne sais
pas... "Leur donner", cela veut dire: se faire
aimer sans doute, enfin... c'est comme pour eux
"tout leur donner", cela veut dire qu'ils
m'aiment.>> (Voir
Livre)
L'agression verbale de cette élève
avait pour sens une demande d'attention à
laquelle elle pensait avoir droit. Elle profite de
la faille découverte chez Pascale, le
"mauvais terrain", c'est-à-dire un terrain
autre que les mathématiques, pour
"l'agresser verbalement", pour lui demander son
attention. Pascale va réagir au début
"sans distance" dans l'agresion à son tour
mais après la classe elle est capable de
"processus de pensée" différent et
plus adapté.
Pascale explique maintenant comment son
évolution personnelle l'aide à
laisser venir des "agressions verbales" et à
y faire face sans en être trop
affectée.
C'est intéressant de voir comment cette
enseignante trouve "bien " le fait d'être
capable de supporter les agressions verbales de ses
élèves. Pascale a maintenant la
certitude que c'est un progrès pour elle de
réussir à mieux utiliser son
agressivité grâce à un
processus de penser différent obtenu par son
travail sur elle même. Il y a
évidemment risque en retour de se faire
soi-même agresser et de se rendre compte
qu'on n'est pas forcément aimé,
apprécié par tous les
élèves (c'est là sans doute la
cause du processus de penser antérieur
qu'elle avait adopté). Elle a surtout pris
conscience qu'à travers les
mathématiques, c'est une demande d'amour
qu'elle pose, elle en devient moins tributaire et
retrouve alors une marge d'autonomie, une
diversité de réactions, d'attitudes
qui lui permettent de mieux doser la frustration
à l'égard de ses élèves
et donc de mieux s'adapter aux situations
diverses.
Il existe bien d'autres processus d'expression de
l'agressivité; on peut la retourner contre
soi même comme dans le suicide ou des
accidents plus ou moins provoqué
inconsciemment. Inversement elle peut
intervenir dans motivation puissante pour accomplir
une tâche qui revet alors un sens imaginaire
pour nous. (Voir:
Jean
Pierre et le mur à
abattre
)
Dans tous les cas on sait bien que la frustration
est nécessaire dans l'éducation des
jeunes: c'est en interdisant certaines voies de
satisfaction immédiate que l'enfant est
amené à en chercher d'autres à
un niveau supérieur. Pas assez de
frustrations empêche l'enfant de progresser,
trop le bloque et stérilise toute initiative
de sa part. Cette frustration qu'il doit apporter
renvoie parfois le professeur à son
agressivité inconscient. Sa tentation peut
être de lui laisser libre cours ou au
contraire, par réaction, de refouler ses
désirs condamnés, d'être trop
"gentil" avec les élèves et de ne
plus pouvoir les frustrer du tout. C'est ce que
certains parents reprochent aux enseignants: "un
manque d'exigence". Mais il ne s'agit pas, en
réalité, d'un manque d'exigence mais
plutot d'une incapacité à
gérer sa propre agressivité pour le
progrès des élèves.
On peut ainsi voir comment le
progrès des élèves peut
dépendre, entre autres, de la
conscience que nous avons de notre
agressivité et de la manière
dont nous l'utilisons.
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