Dans
notre classe nous sommes tiraillés par des
soucis contradictoires: faire que tous les
élèves puissent comprendre mais aussi
arriver à finir le programme ... tenir ainsi
continuellement compte des contraires non pour les
opposer mais pour trouver une solution, au moins
temporaire, et pouvoir les associer: Europe
fédérale/ Europe
confédérale/ Europe des nations ;
Europe libérale/ Europe
sociale.
L'enseignant
dans sa classe est de plus en plus amené
à se servir de l'INTERACTION des disciplines
car la réalité ne peut se laisser
enfermée dans une discipline quelle qu'elle
soit, les T.P.E. en sont un exemple! L'interaction
entre classes se fait également dans un
même établissement. Il y a ainsi une
prise de conscience d'une INTERDEPENDANCE à
l'intérieur de l'établissement avec
le projet d'établissement. Il en est de
même pour l'Europe qui paradoxalement se
construit sur la prise en compte de l'interaction
des pays et donc de leur interdépendance.
Or, historiquement, les nations se sont au
contraire construites, la plupart du temps sur la
proclamation de leur indépendance! C'est
là l'originalité de l'Europe et donc
de sa puissance d'exemple dans le monde. Enfin
l'Europe est une occasion d'échanges pour
les enseignants et les élèves . Ces
échanges peuvent ouvrir les esprits à
la tolérance, à l'écoute de
l'autre différent. Ils peuvent
également conduire à une
interrogation sur les diverses cultures. Jacques
Demorgon, spécialiste de ces questions, nous
donne ci-dessous une idée des
difficultés et des possibilités de se
comprendre mieux en Europe, à travers nos
histoires et nos adaptations. >>
J.N. Le vaste champ de
l'éducatif européen Jacques Demorgon
Entre
des citoyens désireux d'atteindre un bien
commun, la liberté de parole et donc de
critique est nécessaire. Mais pouvons-nous
encore croire en Europe, à un bien commun ?
Le sentiment qu'il n'y en a plus tient à
deux causes. 2/ L'Europe est
constituée de nations qui posaient, hier,
comme légitime et même sacré
de faire la guerre à telle ou telle
autre. Les citoyens de ces nations sont nombreux
à ne pas pouvoir découvrir le
sacré dans l'ensemble de pays
accolés, nommé Europe. Face à
ces deux difficultés majeures, gouvernants
et citoyens se sont comportés comme si
l'Europe allait se faire d'elle-même, comme
hier l'Italie Italia fara da se !
Une
perspective comme celle de la construction
européenne ne peut se faire
seulement par décret. Elle ne peut
vraiment " prendre " que si les citoyens
des différentes nations trouvent
des raisons de vouloir vivre mieux
ensemble. Mais cela peut-il se faire sans
rencontres, sans échanges, sans
coopérations multiples, sans
réflexions, sans
élaborations de sentiments et de
pensées ? -
Voilà ce qui constitue un vaste ensemble de
tâches éducatives pour lesquelles les
institutions et les personnes se sont jusqu'ici
engagées de façon bien trop modeste.
Ce qui a été entrepris, dans
l'éducatif européen (trop peu, eu
égard à l'étendue et à
la profondeur des problèmes), n'a
suscité qu'un enthousiasme et un engagement
limités des gouvernants, des citoyens, des
enseignants. - Les
Offices franco-allemand et
germano-polonais ont été
à l'origine des rencontres de huit
millions de jeunes et jeunes adultes, mais
en quarante ans ! Et pourquoi n'y a-t-il
que deux Offices semblables dans toute
l'Europe ? - Que
de difficultés aussi pour mettre
sur pied des cursus d'études
qui conduisent les étudiants ou les
enseignants à vivre, étudier
ou enseigner une année dans un
autre pays que le leur.
Dans
les domaines professionnels, il y a
aussi des interrogations culturelles
liées au travail en commun. Trop
peu est fait pour y
répondre.
La
connaissance des cultures des autres pays
européens représente une
véritable frontière de la
communication et du savoir. Et donc une
relance exceptionnelle pour toutes nos
tâches
éducatives. L'intérêt
d'une connaissance de la diversité des
cultures
Au-delà
de la question passionnante de la
diversité des langues et des
capacités des traductions, on peut
donner des exemples qui montrent aussi
l'intérêt profond d'une
connaissance de la diversité des
cultures dans les échanges concrets
entre jeunes ou entre
enseignants. Un
échange conversationnel, entre
jeunes européens en rencontre,
risque de les opposer. De jeunes Allemands
vont souhaiter respecter un rituel
organisé de prises de paroles et
d'écoutes. Nombre de jeunes
Français vont
préférer la
spontanéité,
désorganiser le rituel et seront
accusés de se comporter de
façon peu démocratique.
Ainsi, les choix culturels s'efforcent de
résoudre des problèmes
d'adaptation. Organisation et
spontanéité sont toutes
deux nécessaires. Il faut cependant
dans chaque circonstance inventer le
meilleur équilibre et donc jouer
avec les opposés. On est loin d'une
caricature des cultures. On est
plutôt dans un apprentissage de la
complexité
relationnelle.
Second
exemple. Les communications dans certains
pays européens sont
majoritairement de style plus explicite
(définitions) et dans d'autres de
style plus implicite (allusions).
L'histoire permet de comprendre ce biais
culturel. Il n'en demeure pas moins que
chacun de nous doit pouvoir être
implicite avec des familiers et explicite
avec les autres. Encore une adaptation
à apprendre qui varie selon les
circonstances. <<Le
conseil des ministres
franco-allemand, mardi 26 avril,
devait...confirmer l'importance
accordée aux
échanges
d'étudiants, mais aussi de
professeurs, de chercheurs... Il
va ainsi devenir possible, pour
les enseignants
diplômés dans les
deux pays, d'être
détachés ou mis
à la disposition, en
France pour les Allemands, en
Allemagne pour les
Français. Les enseignants
contractuels, non fonctionnaires,
exerçant en Allemagne
pourront aussi, à partir
de 2006, travailler en France
pour un contrat à
durée
déterminée de six
ans
maximum.>>
Troisième
exemple : la manière de traiter les
tâches. Dans certains pays on
est plus volontiers centré sur une
tache unique que l'on effectue avec toute
son attention. Dans d'autres, on
gère volontiers plusieurs
activités en même temps.
Là encore les choix culturels
dominants selon les pays recouvrent un
vrai problème adaptatif. Selon les
situations calmes ou mouvantes, je devrais
être capable de centrer ou de
décentrer mon attention. Une
fois de plus la diversité
culturelle est une véritable
école de l'adaptation
humaine. Quatrième
exemple: Les réunions surtout
les premières sont abordées
elles aussi bien différemment. Des
Français s'y rendent, sans
préparation, pour une
première prise de contact. Des
Allemands s'y rendent avec
déjà des propositions
précises. Les Allemands trouvent
que les français sont
"légers". Les Français se
sentent déloyalement pris de
vitesse par les Allemands. L'éclairage
historique des genèses culturelles, qui
permet de vraiment comprendre les cultures, a fait
de grands progrès. Ainsi, les secteurs
d'activité religieux, politique,
économique, informationnel, ne sont pas
considérés semblablement à
travers toute l'Europe.
Au
plan religieux, la séparation
de l'Eglise et de l'Etat, est une
singularité bien française
qui ne se retrouve pas telle
ailleurs. Au
plan politique, on a aussi une
exception française, avec une
unification très
centralisée, contrairement à
la Grande Bretagne faite des quatre "
nations " anglaise, écossaise,
galloise, irlandaise ; contrairement
à l'Allemagne aux seize Länder
; sans parler de l'Espagne avec ses
Catalans et ses Basques, de la
Tchécoslovaquie qui s'est
séparée, et a fortiori de la
Yougoslavie à feu et à
sang. Au
plan économique, on le sait
moins, mais les pays de culture catholique
restent soupçonneux à
l'égard de l'économie,
différemment des pays
protestants. Au
plan sexuel, d'ailleurs, cette source
historique religieuse induit aujourd'hui
encore des différences de conduite.
Les naissances illégitimes qui
peuvent être inférieures
à une sur dix, par exemple en
Grèce ou en Italie, passent
à 3 sur dix dans le reste de
l'Europe et même à 5 sur dix
dans les pays nordiques.
Il
y a des centaines d'exemples de ce genre
qui nous permettent de comprendre que dans
ces rencontres européennes nous
avons si nous le voulons un champ
éducatif
extraordinaire. Ceci
dit, les rencontres faites hier ont
déjà suscités des travaux qui
donnent de nouveaux outils étendus,
profonds, accessibles pour entrer dans une
compréhension entre citoyens des diverses
nations européennes. Ces outils,
bio-psycho-sociologiques et historiques nous
évitent déjà la caricature des
cultures en insistant d'abord sur quatre
perspectives fondamentales : 1/
éviter la coupure entre individu et
société. C'est en se
produisant eux-mêmes que les
sociétés et leurs membres
produisent leur culture. 2/
relier nature et culture. L'adaptation
humaine est naturellement ouverte sur les
contextes de vie eux-mêmes
différents et changeants. L'habitus
culturel s'engendre en raison de
l'intérêt adaptatif à
sélectionner, à
éprouver, à conserver une
réponse utile. 3/
conjuguer renouvellement et
conservation. L'habitus culturel,
réponse privilégiée
peut se modifier, disparaître ; ou
bien se renforcer et se maintenir au point
de constituer une " identité
culturelle ". De telles identités
liées font système et
peuvent entraîner des
réactions d'incompréhension
voire de racisme culturel. 4/
relier histoire et culture. Pour
atteindre à la
compréhension, il faut
compléter la perspective de libre
adaptation par celle de singularité
historique. Cela en découvrant
comment les individus et les
sociétés s'engagent
diversement dans de grandes orientations
d'action : religieuses, politiques,
économiques, informationnelles ;
comment ils les composent ensemble
produisant ainsi les quatre grandes formes
de sociétés:
Ces
quatre grandes formes de
sociétés se succèdent
ainsi dans l'histoire. Elles engendrent,
par leur interaction et leur composition,
la singularité géohistorique
de chaque société qui, de
cette façon, devient situable,
comparable et
compréhensible. Ainsi,
dans la genèse de formation des
pays européens, une
problématique adaptative "
unité / diversité "
oppose très concrètement
plusieurs choix : séparation,
association, unification. Si tels
de ces choix sont maintenus, ils seront
à l'origine de cultures
différentes.
Ainsi
" l'Allemagne " composée
hier d'une multitude de pays (350 en 1648)
est encore aujourd'hui divisée en
seize " Länder ". A l'opposé,
la France connaîtra quatre
unifications successives : romaine,
catholique, royale,
républicaine.
Cela seul
permet de comprendre que l'Allemagne "
fédérale " souhaite une Europe "
fédérale ", tandis que la France
républicaine veut une Europe des Nations.
La
Grande-Bretagne est encore plus
singulière car elle conjoint unité de
la Couronne (le Royaume éprouve le besoin de
se dire Uni) et diversité des quatre nations
qui perdurent : anglaise, écossaise (avec
son parlement propre), galloise et irlandaise.
L'Espagne, autre culture encore, car tôt
romanisée elle a été ensuite
déstabilisée par la conquête
musulmane. Sa lutte, pendant une " reconquista " de
cinq siècles l'a unifiée
religieusement mais pas politiquement, d'où
une guerre civile qui a fait un demi million de
morts, et des autonomies fortes catalane ou
basque. Le cas espagnol montre aussi que des
investissements différents, ici plus
religieux que politique changent le destin d'un
pays. Autres
exemples.
La
France, catholique et royale, restera
davantage dans une croyance au politique
gouvernant l'économique. La
Grande-Bretagne prendra l'orientation
inverse, inventant la troisième
grande forme de société : la
nation marchande agricole, industrielle,
maritime, modèle de
société repris dans les
autres pays. Pas en Allemagne, en
Italie, au Japon. Le choc entre ces
pays impériaux qui pensèrent
pouvoir l'emporter en devenant fascistes
et les nations marchandes
démocratiques entraîna deux
guerres mondiales qui atteignirent des
violences si extrêmes que personne
n'aurait pu les prédire.
On
le voit la connaissance des
cultures, en particulier
liées aux formes de
société, n'est pas
faite de connaissances livresques
mais devrait faire aujourd'hui
partie de toute éducation
humaine, et accompagner les
commémorations du
passé tragique
européen.
Nous
pensons avoir donné une
première idée de
l'importance éducative
décisive de ces nouveaux outils de
compréhension, systémiques
et historiques des cultures des pays
européens. Comme on le voit on est
ici très loin de confondre ainsi
culture et folklore.
Il
y a là un vaste champ
d'enseignement et d'apprentissage qui
n'est rien moins qu'une nouvelle
frontière : celle de la
connaissance des pays, de leurs cultures,
de leurs langues, de leurs
stratégies en cours.
C'est
dans ces conditions concrètes
d'échanges vécus et
pensés entre jeunes, jeunes
adultes, enseignants, professionnels,
créatifs et créateurs que
l'Europe se fera ou non. Un haut
responsable politique reconnaissait qu'il
fallait faire l'Europe pour les citoyens
mais pas sans eux.
Cependant,
il ne saurait être question de tout
mélanger. Se connaître et
se comprendre entre citoyens des nations
européennes ne se substitue pas aux
engagements politiques. C'est plutôt
une condition pour rendre ces engagements
mieux informés et donc les
coopérations, aussi bien que les
conflits, plus clairs. Tout cela pour que
l'avenir de nos pays soit plus ouvert,
mieux construit pour eux-mêmes et
pour le monde. Pour
compléter 1°) Aller
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(gouv-DARIC)
1/ La
concurrence généralisée se
présente comme pouvant fonder
légitimement par son verdict l'existence
de gagnants et de perdants.