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Le contexte actuel et la forme scolaire du XXI éme siècle

Alain Bouvier  

Ancien Recteur, Membre du Haut conseil de l'éducation (H.C.E.)

             Il m'est apparu que les questions principales dans l'Education Nationale sont permanentes, mais les réponses évolutives. Ce qui change, c'est le contexte. Quel est-il aujourd'hui et quelles conséquences en tirer sur la forme scolaire du XXI éme siècle ?

1. Constats sur le contexte actuel

          Une série d'éléments caractérisent le contexte actuel. Tout au moins ils explicitent quelques uns des enjeux qui traversent le système éducatif français aujourd'hui.

 

          De nombreux pays développés de l'hémisphère nord, après-guerre puis durant la période dite des " trente glorieuses " ont vu se développer ce que l'on qualifie généralement de " massification " des systèmes éducatifs. Aujourd'hui, les élèves en âge d'être scolarisés le sont. On oublie souvent qu'il y a 25 ans (hier, donc), 70% des français possédaient, au plus, le certificat d'étude . La massification est réussie, en France comme ailleurs dans les pays de l'OCDE.

 

          Les objectifs que se donnent les pays développés sont globalement assez proches les uns des autres. Par exemple, ceux figurant dans la Loi d'orientation de 1989 (inspirés d'autres pays dont, par exemple, le nord de l'Europe pour les cycles) se sont retrouvés dans les recommandations de Copenhague de 2002 qui, à leur tour, inspirèrent la loi d'orientation de 2005, etc.

 

          Notre système éducatif connaît beaucoup de réformettes indiscernables en dehors des frontières de l'Hexagone, bien qu'elles marquent curieusement beaucoup les enseignants, et seulement un petit nombre de réformes. Les plus conséquentes viennent de la société civile. Il en fut ainsi, il y a vingt ans, avec l'introduction de l'enseignement des langues vivantes à l'école élémentaire (qui était alors à des années lumières de cette perspective), ou de l'usage scolaire d'Internet il y a dix ans (le milieu enseignant peine encore à s'en emparer, bien qu'on sent une évolution dans ce domaine en ce moment). Aujourd'hui, c'est l'utilisation pédagogique des Blogs et des ENT, ainsi que la validation des acquis de l'expérience qui n'ont toujours pas fait leur chemin. Et pour demain, vers quoi nous orientent les évolutions sociétales présentes ? La question mérite attention et réflexion.

 

          Malgré les efforts des enseignants et leurs compétences, une partie non négligeable des élèves " résiste " au système scolaire. Les chiffres sur la lecture de la JAPD sont clairs et hélas éloquents. Comme l'est, en 2004, celui des 2,5% d'élèves décrocheurs (20 000, en réalité beaucoup plus). Comme l'est encore celui des 150 000 élèves environ qui sortent chaque année du système éducatif sans diplôme ou sans qualification, dont 40 %, trois ans après, sont encore au chômage.

          Non seulement notre École est inégalitaire, non seulement l'équité n'est pas au rendez-vous, mais depuis 15 ans, le système scolaire ne progresse plus, malgré, sur cette période, une baisse importante des effectifs élèves . Entre les élèves, les écarts se creusent. En clair, l'École ne diminue pas les inégalités socio-économiques et culturelles des enfants qui lui sont confiés. Au contraire, elle les accentue. L'ascenseur social ne fonctionne pas ou ne fonctionne plus.

          Sur ce constat préoccupant, quels éléments de la situation propre à la France discerne-t-on, qui seraient susceptibles de peser sur les évolutions futures ?

 

2. Faits marquants de la situation française

          En France, il faut en premier lieu observer une forte volonté du Parlement de vouloir, à juste titre dans un pays démocratique, peser sur l'École, ses missions, et contrôler ses résultats. Non seulement cela se voit à travers le vote successif de deux lois d'orientation pour l'École en quinze ans, par les conséquences de la mise en œuvre progressive de la LOLF et par le rôle de plus en plus appuyé des commissions parlementaires, mais aussi par le vote d'un certain nombre de lois touchant à des questions sociales ou sociétales, comme la loi sur le handicap. Pour leur mise en œuvre, ces lois impliquent plusieurs ministères (dont celui de l'Éducation nationale), des collectivités territoriales, des partenaires, etc. Elles donnent ainsi aux Préfets un rôle de plus en plus important.

 

          Conformément à la Loi d'orientation de 2005, ces évolutions s'expriment aussi à travers la publication du décret signé par le Premier ministre, définissant le Socle commun de connaissances et de compétences. Celui-ci précise l'engagement de la Nation sur ce qu'elle garanti à tous. En d'autres termes, ce Décret explicite les résultats attendus de l'École. Il s'inscrit dans une volonté de développer, à tous les niveaux, une culture du rendu de comptes, peu présente à l'heure actuelle dans le système éducatif français.

 

          Depuis le début des années 1980, les deux vagues de décentralisation successives ont mis en valeur la dimension territoriale des questions d'éducation. Non seulement les collectivités territoriales exercent les responsabilités qui sont officiellement les leurs, mais elles affichent une volonté croissante d'aller au-delà, y compris sur le plan pédagogique. L'association des régions de France (ARF) l'affirme haut et fort. Quand on sait l'importance que prennent les régions sur les registres stratégiques, économiques, de la recherche, des TICE, etc., leurs intentions de plus peser sur le pilotage des questions d'enseignement, d'éducation et d'orientation semble cohérent et s'inscrire dans des tendances lourdes des évolutions en cours.

 

          L'Éducation nationale agît sous le contrôle d'instances nombreuses, désormais habilitées à lui demander des comptes sur ses résultats et l'emploi des moyens qui lui sont accordés. Elles le font avec une insistance croissante. La Cour des comptes s'y emploie régulièrement et éclaire le Parlement. Les audits -dits de modernisation, effectués par les corps d'inspection du ministère de l'économie et des finances et du ministère de l'éducation nationale- se multiplient et soulèvent, une à une, des questions sensibles. Par ailleurs, les rapports des deux Inspections générales du ministère de l'Éducation nationale sont de plus en plus clairs, explicites, percutants., Chaque année, le Haut conseil de l'éducation (HCE) rend au Président de la République son rapport public sur les résultats de l'École.

 

          Dernier élément de contexte que je retiendrai : notre système souffrirait de l'abondance de ses réformes, de leur incessant enchaînement. Ayant eu à m'exprimer sur ce thème lors d'un séjour à l'étranger, j'ai dû me pencher sur le sujet pour chercher à décrire ce qui pouvait être compréhensible en dehors de l'Hexagone, par des personnes ne possédant pas nos codes, peu familières avec les subtilités de nos règles administratives. Si j'exclus la réforme des maths modernes des années 1970 que connurent pratiquement tous les pays, avec des différences portant sur son ampleur et son calendrier de mise en œuvre, force me fut de constater que notre système éducatif connaît régulièrement un nombre notable de " réformettes ", indescriptibles à l'étranger, à courte durée de vie et à faible ampleur de mise en œuvre.

 Par contre, les réformes sont peu nombreuses.

- Les unes concernent des structures : le collège unique (1975), la création des IUT ou des IUFM,

- d'autres des dispositifs de formation : les ZEP et les MAFPEN (1982), le Bac pro, les cycles et les démarches de projet (1989), le LMD, le Socle commun de connaissances et de compétences (2006),

- d'autres portent sur l'introduction de nouveaux enseignements, comme les langues à l'école élémentaire (1988) ou les TICE,

- d'autres enfin touchent aux modalités d'évaluation ou de certification, comme la VAE ou le B2I.

 

Le système bouge, mais, somme toute, lentement, par décennies.

 

          On remarquera que la majorité des réformes sont d'origine exogène, conséquences d'évolutions sociétales, comme si le système peinait à trouver des voies endogènes de réforme. Il s'agit là d'une tendance lourde qui s'accentue clairement.

 

3 Des données préoccupantes

          En France, une classe d'âge est de l'ordre de 750 000 élèves. Cela veut dire que chaque année, 750 000 élèves arrivent, à trois ans (à quelques exceptions près) à l'école maternelle. Ensuite, ils avancent dans le système, mais pas à la même vitesse. Ils en ressortent un jour, pas au même moment et pas avec les mêmes qualifications. En fait, pour être plus précis, on peut distinguer cinq groupes de taille comparable : chacun représente environ 20 % des effectifs.

- Le premier groupe (150 000 élèves) sortent sans rien ou avec le brevet des collèges. On sait par le CEREQ que trois ans après, 40% d'entre eux sont au chômage et tout fait craindre qu'ils le soient pour longtemps.

- Le deuxième groupe sort avec un niveau V de qualification, c'est-à-dire un CAP ou un BEP, diplômes qui jouent un rôle certain en termes d'insertion professionnelle .

- À l'autre extrémité de cette échelle, 150 000 élèves sortent avec au moins un diplôme à Bac+3 ; ils ont atteint le niveau LMD. L'influence des diplômes sur l'insertion professionnelle est claire puisque, trois ans après, en 2005, 8% des jeunes de ce groupe étaient au chômage contre 40% de ceux du premier groupe. Enfin, par rapport aux besoins de recrutement à venir, des flux annuels de 150 000 au niveau du LMD sont insuffisants, d'autant plus que l'Éducation nationale en prélèvera entre 30 000 et 40 000 pour son usage suivant les années. Bien qu'étant la cinquième puissance économique mondiale, nous sommes en dessous de la moyenne des pays de l'OCDE. Observons encore que les effectifs des filières scientifiques ne font que décroître et pas seulement en France.

 

          Sur un tout autre plan, on peut regarder les évolutions des taux de réussite aux baccalauréats entre 2000 et 2005. Si en 2000, les baccalauréats généraux, technologiques et professionnels se tenaient dans un mouchoir, entre 79% et 80%, cinq ans après, l'évolution est nette et lourde de sens : Bacs généraux 86% ; bacs technologiques 79% ; Bacs professionnels 76%. Les écarts se sont creusés et semblent contribuer à la panne de l'ascenseur social.

 

          Une enquête de l'OCDE de 2006, portant sur 30 pays, fait apparaître d'autres données inquiétantes pour la France :

· Par élève, nous consacrons 20% de moyens financiers de plus que la moyenne des pays de l'OCDE. En pourcentage du PIB consacré à l'éducation, au niveau international, la France est dans le peloton de tête, au dessus de la Finlande.

· Selon Christian Forestier qui s'appuie sur le chiffres de l'OCDE : " notre lycée est le plus coûteux du monde " .

· 21% des élèves qui entrent dans le supérieur sortent sans aucun diplôme autre que le baccalauréat.

· Nous figurons en tête d'un palmarès : celui des redoublements. À 15 ans, 40% des élèves français ont redoublé au moins une fois, contre 13% pour la moyenne des pays de l'OCDE (moyenne qui inclut la France), alors que le redoublement n'existe pas au Japon, en Corée, en Islande, en Norvège, en Finlande…

 

4. Sur la forme scolaire

          La forme scolaire actuelle est largement celle héritée du XIXe siècle. Adaptée sans doute avant la massification et les évolutions sociétales de la seconde moitié du XXe siècle, elle a dépassé ses limites sans que ne se dessine celle qui lui succédera.

          Les apprentissages des élèves aujourd'hui résultent des effets de trois sous-systèmes non articulés.

- Au système scolaire formel, au sein duquel nous agissons et que nous connaissons bien, s'ajoutent désormais deux autres à l'influence en expansion.

- D'abord un système non formel fait de cours particuliers et d'officines ayant pignon sur rue, avec des chiffres d'affaire en croissance phénoménale. Suivant les études, seraient concernés entre 700 000 et 2 millions d'élèves, principalement des classes moyennes. On dit que ce " marché de l'angoisse scolaire " représenterait 2,5 milliards d'Euros. S'ajoute à cela les quelques 4,5 millions de cahiers de devoirs de vacances. Enfin, plus de 100 000 élèves de nos établissements scolaires s'inscrivent au CNED dont ils attendent des formes de soutien scolaire. On doit ajouter à cela le travail essentiel fait dans certaines communes, par des associations qui accueillent des élèves après les heures scolaires, souvent issus de classes défavorisées. Beaucoup complètent leur action destinée aux élèves d'activités en direction des parents.

- Existe aussi et se développe encore plus vite un système informel principalement basé sur l'usage d'Internet, à travers des portails, des sites spécialisés, les uns gratuits, les autres payants. Leur développement depuis trois ans est fulgurant. Ils offrent des possibilités d'accompagnement totalement individualisé, des travaux faits à la demande, l'aide de Blogs de professeurs, des accès au savoir " à la carte ". Nous savons qu'aujourd'hui, les élèves passent plus de temps sur Internet qu'à regarder la télévision, pas seulement pour travailler leurs devoirs bien sûr !

          Quel équilibre, quelle articulation entre ces trois systèmes ? Quelle cohérence ? Qui veille sur l'ensemble ? Personne ou presque, sauf les usagers que sont les élèves et leurs familles.

 

          Quand nous évaluons les élèves, nous mesurons les effets de quel(s) système(s) ?

          Faut-il s'étonner que les lycéens se soient montrés performants au Bac 2006 malgré les grèves de cette année là et celles des deux années précédentes ? Les élèves et leurs familles ont su efficacement tout utiliser. Ils bâtissent des scenarii individuels et personnels, utilisant tout ce qui est désormais disponible.

 

          La coupure entre l'École et les pratiques sociales ne cesse de croître. Des craintes s'expriment de voir que l'École hors l'École se développe sans l'École.

 

J'espère qu'il est encore temps de réagir. Pouvons-nous rester à côté des ces évolutions et attendre de savoir vers quoi elles nous dirigent ? Faut-il renoncer devant l'empirisme et le pragmatisme ?

N'est-ce pas à nous, professionnels de l'enseignement, de construire la forme scolaire du XXIe siècle ?

Voir:

Le rapport du H.C.E. sur le numérique à l'école (PDF)

 

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