1. Constats sur
le contexte actuel
Une
série d'éléments
caractérisent le contexte actuel. Tout au
moins ils explicitent quelques uns des enjeux qui
traversent le système éducatif
français aujourd'hui.
De
nombreux pays développés de
l'hémisphère nord,
après-guerre puis durant la période
dite des " trente glorieuses " ont vu se
développer ce que l'on qualifie
généralement de " massification " des
systèmes éducatifs. Aujourd'hui, les
élèves en âge d'être
scolarisés le sont. On oublie souvent
qu'il y a 25 ans (hier, donc), 70% des
français possédaient, au plus, le
certificat d'étude . La massification
est réussie, en France comme ailleurs
dans les pays de l'OCDE.
Les
objectifs que se donnent les pays
développés sont globalement assez
proches les uns des autres. Par exemple, ceux
figurant dans la Loi d'orientation de 1989
(inspirés d'autres pays dont, par exemple,
le nord de l'Europe pour les cycles) se sont
retrouvés dans les recommandations de
Copenhague de 2002 qui, à leur tour,
inspirèrent la loi d'orientation de 2005,
etc.
Notre
système éducatif connaît
beaucoup de réformettes indiscernables en
dehors des frontières de l'Hexagone, bien
qu'elles marquent curieusement beaucoup les
enseignants, et seulement un petit nombre de
réformes. Les plus conséquentes
viennent de la société civile. Il en
fut ainsi, il y a vingt ans, avec l'introduction de
l'enseignement des langues vivantes à
l'école élémentaire (qui
était alors à des années
lumières de cette perspective), ou de
l'usage scolaire d'Internet il y a dix ans (le
milieu enseignant peine encore à s'en
emparer, bien qu'on sent une évolution dans
ce domaine en ce moment). Aujourd'hui, c'est
l'utilisation pédagogique des Blogs et des
ENT, ainsi que la validation des acquis de
l'expérience qui n'ont toujours pas fait
leur chemin. Et pour demain, vers quoi nous
orientent les évolutions sociétales
présentes ? La question mérite
attention et réflexion.
Malgré
les efforts des enseignants et leurs
compétences, une partie non
négligeable des élèves "
résiste " au système scolaire.
Les chiffres sur la lecture de la JAPD sont clairs
et hélas éloquents. Comme l'est, en
2004, celui des 2,5% d'élèves
décrocheurs (20 000, en
réalité beaucoup plus). Comme l'est
encore celui des 150 000 élèves
environ qui sortent chaque année du
système éducatif sans diplôme
ou sans qualification, dont 40 %, trois ans
après, sont encore au chômage.
Non
seulement notre École est
inégalitaire, non seulement
l'équité n'est pas au rendez-vous,
mais depuis 15 ans, le système scolaire ne
progresse plus, malgré, sur cette
période, une baisse importante des effectifs
élèves . Entre les
élèves, les écarts se
creusent. En clair, l'École ne diminue pas
les inégalités
socio-économiques et culturelles des enfants
qui lui sont confiés. Au contraire, elle les
accentue. L'ascenseur social ne fonctionne pas ou
ne fonctionne plus.
Sur
ce constat préoccupant, quels
éléments de la situation propre
à la France discerne-t-on, qui seraient
susceptibles de peser sur les évolutions
futures ?
2. Faits
marquants de la situation
française
En
France, il faut en premier lieu observer une forte
volonté du Parlement de vouloir, à
juste titre dans un pays démocratique, peser
sur l'École, ses missions, et
contrôler ses résultats. Non
seulement cela se voit à travers le vote
successif de deux lois d'orientation pour
l'École en quinze ans, par les
conséquences de la mise en uvre
progressive de la LOLF et par le rôle de plus
en plus appuyé des commissions
parlementaires, mais aussi par le vote d'un certain
nombre de lois touchant à des questions
sociales ou sociétales, comme la loi sur le
handicap. Pour leur mise en uvre, ces lois
impliquent plusieurs ministères (dont celui
de l'Éducation nationale), des
collectivités territoriales, des
partenaires, etc. Elles donnent ainsi aux
Préfets un rôle de plus en plus
important.
Conformément
à la Loi d'orientation de 2005, ces
évolutions s'expriment aussi à
travers la publication du décret
signé par le Premier ministre,
définissant le Socle commun de connaissances
et de compétences. Celui-ci
précise l'engagement de la Nation sur ce
qu'elle garanti à tous. En d'autres termes,
ce Décret explicite les résultats
attendus de l'École. Il s'inscrit dans une
volonté de développer, à tous
les niveaux, une culture du rendu de comptes, peu
présente à l'heure actuelle dans le
système éducatif
français.
Depuis
le début des années 1980, les deux
vagues de décentralisation successives ont
mis en valeur la dimension territoriale des
questions d'éducation. Non seulement les
collectivités territoriales exercent les
responsabilités qui sont officiellement les
leurs, mais elles affichent une volonté
croissante d'aller au-delà, y compris sur le
plan pédagogique. L'association des
régions de France (ARF) l'affirme haut et
fort. Quand on sait l'importance que prennent les
régions sur les registres
stratégiques, économiques, de la
recherche, des TICE, etc., leurs intentions de plus
peser sur le pilotage des questions d'enseignement,
d'éducation et d'orientation semble
cohérent et s'inscrire dans des tendances
lourdes des évolutions en cours.
L'Éducation
nationale agît sous le contrôle
d'instances nombreuses, désormais
habilitées à lui demander des comptes
sur ses résultats et l'emploi des moyens qui
lui sont accordés. Elles le font avec
une insistance croissante. La Cour des comptes s'y
emploie régulièrement et
éclaire le Parlement. Les audits -dits de
modernisation, effectués par les corps
d'inspection du ministère de
l'économie et des finances et du
ministère de l'éducation nationale-
se multiplient et soulèvent, une à
une, des questions sensibles. Par ailleurs, les
rapports des deux Inspections
générales du ministère de
l'Éducation nationale sont de plus en plus
clairs, explicites, percutants., Chaque
année, le Haut conseil de l'éducation
(HCE) rend au Président de la
République son rapport public sur les
résultats de l'École.
Dernier
élément de contexte que je retiendrai
: notre système souffrirait de l'abondance
de ses réformes, de leur incessant
enchaînement. Ayant eu à
m'exprimer sur ce thème lors d'un
séjour à l'étranger, j'ai
dû me pencher sur le sujet pour chercher
à décrire ce qui pouvait être
compréhensible en dehors de l'Hexagone, par
des personnes ne possédant pas nos codes,
peu familières avec les subtilités de
nos règles administratives. Si j'exclus la
réforme des maths modernes des années
1970 que connurent pratiquement tous les pays, avec
des différences portant sur son ampleur et
son calendrier de mise en uvre, force me fut
de constater que notre système
éducatif connaît
régulièrement un nombre notable de "
réformettes ", indescriptibles à
l'étranger, à courte durée de
vie et à faible ampleur de mise en
uvre.
Par contre, les
réformes sont peu nombreuses.
- Les unes
concernent des structures : le
collège unique (1975), la création
des IUT ou des IUFM,
- d'autres des
dispositifs de formation : les ZEP et les
MAFPEN (1982), le Bac pro, les cycles et les
démarches de projet (1989), le LMD, le
Socle commun de connaissances et de
compétences (2006),
- d'autres portent sur
l'introduction de nouveaux enseignements,
comme les langues à l'école
élémentaire (1988) ou les TICE,
- d'autres enfin touchent
aux modalités d'évaluation ou
de certification, comme la VAE ou le
B2I.
Le système
bouge, mais, somme toute, lentement, par
décennies.
On
remarquera que la majorité des
réformes sont d'origine exogène,
conséquences d'évolutions
sociétales, comme si le système
peinait à trouver des voies endogènes
de réforme. Il s'agit là d'une
tendance lourde qui s'accentue
clairement.
3 Des
données préoccupantes
En
France, une classe d'âge est de l'ordre de
750 000 élèves. Cela veut dire que
chaque année, 750 000 élèves
arrivent, à trois ans (à quelques
exceptions près) à l'école
maternelle. Ensuite, ils avancent dans le
système, mais pas à la même
vitesse. Ils en ressortent un jour, pas au
même moment et pas avec les mêmes
qualifications. En fait, pour être plus
précis, on peut distinguer cinq groupes
de taille comparable : chacun représente
environ 20 % des effectifs.
- Le premier groupe
(150 000 élèves) sortent sans rien
ou avec le brevet des collèges. On sait
par le CEREQ que trois ans après, 40%
d'entre eux sont au chômage et tout fait
craindre qu'ils le soient pour longtemps.
- Le deuxième
groupe sort avec un niveau V de qualification,
c'est-à-dire un CAP ou un BEP,
diplômes qui jouent un rôle certain
en termes d'insertion professionnelle .
- À l'autre
extrémité de cette échelle,
150 000 élèves sortent avec au
moins un diplôme à Bac+3 ; ils ont
atteint le niveau LMD. L'influence des
diplômes sur l'insertion professionnelle
est claire puisque, trois ans après, en
2005, 8% des jeunes de ce groupe étaient
au chômage contre 40% de ceux du premier
groupe. Enfin, par rapport aux besoins de
recrutement à venir, des flux annuels de
150 000 au niveau du LMD sont insuffisants,
d'autant plus que l'Éducation nationale
en prélèvera entre 30 000 et 40
000 pour son usage suivant les années.
Bien qu'étant la cinquième
puissance économique mondiale, nous
sommes en dessous de la moyenne des pays de
l'OCDE. Observons encore que les effectifs des
filières scientifiques ne font que
décroître et pas seulement en
France.
Sur
un tout autre plan, on peut regarder les
évolutions des taux de réussite
aux baccalauréats entre 2000 et 2005. Si
en 2000, les baccalauréats
généraux, technologiques et
professionnels se tenaient dans un mouchoir, entre
79% et 80%, cinq ans après,
l'évolution est nette et lourde de sens :
Bacs généraux 86% ; bacs
technologiques 79% ; Bacs professionnels 76%.
Les écarts se sont creusés et
semblent contribuer à la panne de
l'ascenseur social.
Une
enquête de l'OCDE de 2006, portant sur 30
pays, fait apparaître d'autres données
inquiétantes pour la France :
· Par
élève, nous consacrons 20% de
moyens financiers de plus que la moyenne des
pays de l'OCDE. En pourcentage du PIB
consacré à l'éducation, au
niveau international, la France est dans le
peloton de tête, au dessus de la
Finlande.
· Selon Christian
Forestier qui s'appuie sur le chiffres de l'OCDE
: " notre lycée est le plus
coûteux du monde " .
· 21% des
élèves qui entrent dans le
supérieur sortent sans aucun
diplôme autre que le
baccalauréat.
· Nous figurons en
tête d'un palmarès : celui des
redoublements. À 15 ans, 40% des
élèves français ont
redoublé au moins une fois, contre 13%
pour la moyenne des pays de l'OCDE (moyenne qui
inclut la France), alors que le redoublement
n'existe pas au Japon, en Corée, en
Islande, en Norvège, en
Finlande
4. Sur la forme
scolaire
La
forme scolaire actuelle est largement celle
héritée du XIXe siècle.
Adaptée sans doute avant la massification et
les évolutions sociétales de la
seconde moitié du XXe siècle, elle a
dépassé ses limites sans que ne se
dessine celle qui lui succédera.
Les
apprentissages des élèves aujourd'hui
résultent des effets de trois
sous-systèmes non articulés.
- Au
système scolaire formel, au sein
duquel nous agissons et que nous connaissons
bien, s'ajoutent désormais deux autres
à l'influence en expansion.
- D'abord un
système non formel fait de cours
particuliers et d'officines ayant pignon sur
rue, avec des chiffres d'affaire en croissance
phénoménale. Suivant les
études, seraient concernés entre
700 000 et 2 millions d'élèves,
principalement des classes moyennes. On dit que
ce " marché de l'angoisse scolaire "
représenterait 2,5 milliards d'Euros.
S'ajoute à cela les quelques 4,5 millions
de cahiers de devoirs de vacances. Enfin, plus
de 100 000 élèves de nos
établissements scolaires s'inscrivent au
CNED dont ils attendent des formes de soutien
scolaire. On doit ajouter à cela le
travail essentiel fait dans certaines communes,
par des associations qui accueillent des
élèves après les heures
scolaires, souvent issus de classes
défavorisées. Beaucoup
complètent leur action destinée
aux élèves d'activités en
direction des parents.
- Existe aussi et se
développe encore plus vite un
système informel principalement
basé sur l'usage d'Internet, à
travers des portails, des sites
spécialisés, les uns gratuits, les
autres payants. Leur développement depuis
trois ans est fulgurant. Ils offrent des
possibilités d'accompagnement totalement
individualisé, des travaux faits à
la demande, l'aide de Blogs de professeurs, des
accès au savoir " à la carte ".
Nous savons qu'aujourd'hui, les
élèves passent plus de temps sur
Internet qu'à regarder la
télévision, pas seulement pour
travailler leurs devoirs bien sûr
!
Quel
équilibre, quelle articulation entre ces
trois systèmes ? Quelle cohérence ?
Qui veille sur l'ensemble ? Personne ou presque,
sauf les usagers que sont les élèves
et leurs familles.
Quand
nous évaluons les élèves, nous
mesurons les effets de quel(s) système(s)
?
Faut-il
s'étonner que les lycéens se soient
montrés performants au Bac 2006
malgré les grèves de cette
année là et celles des deux
années précédentes ? Les
élèves et leurs familles ont su
efficacement tout utiliser. Ils bâtissent des
scenarii individuels et personnels, utilisant tout
ce qui est désormais disponible.
La
coupure entre l'École et les pratiques
sociales ne cesse de croître. Des
craintes s'expriment de voir que l'École
hors l'École se développe sans
l'École.
J'espère
qu'il est encore temps de réagir.
Pouvons-nous rester à
côté des ces
évolutions et attendre de savoir
vers quoi elles nous dirigent ? Faut-il
renoncer devant l'empirisme et le
pragmatisme ?
N'est-ce pas
à nous, professionnels de
l'enseignement, de construire la forme
scolaire du XXIe siècle
?
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