| 
                             Dieu
                  merci (je profite d'utiliser cette interjection
                  tombée dans notre langage commun, avant
                  qu'elle ne soit prohibée par un gardien du
                  temple sourcilleux d'une laïcité
                  épurée de ses sources patrimoniales),
                  Dieu merci donc, il ne m'a pas été
                  demandé de dresser un état des lieux
                  du principe de l'enseignement de la Morale
                  laïque à l'Ecole. Ni de la Morale -
                  tout-court, mais de la Morale laïque
                  notée, ce qui restreint mes propos mais ne
                  peut me dispenser d'en approcher le
                  contexte. 
                  
                    
                  
                  Croisades et
                  boucliers exaltés, pour quoi faire
                  ? 
                  
                    
                  
                            
                  La décision de Vincent Peillon a
                  suscité approbations, critiques ou
                  inquiétudes quant au contenu, aux
                  modalités, à la formation des
                  enseignants. Et parfois une interrogation sur le
                  sens même de cette décision. Morale
                  républicaine ou citoyenne, enseignement des
                  faits religieux, instruction ou éducation
                  civique, la question sur la manière de vivre
                  ensemble, comme nouvelle incantation de la
                  postmodernité se décline dans ces
                  différentes tentatives pour tenter
                  d'apporter à nos jeunes
                  déboussolés, des repères et
                  balises, des cadres et des limites dont les adultes
                  sont eux-mêmes démunis, et inventer
                  des supports pour transmettre des valeurs
                  improbables et dissoutes dans un présent
                  déjà passé. 
                  
                    
                  
                  La
                  violence
des autres ! 
                  
                    
                  
                            
                  L'actualité violence - une nouvelle rubrique
                  à part entière dans nos journaux
                  quotidiens, nous offre un terrain propice pour
                  envisager la restauration dans le cadre de
                  l'Education Nationale d'un corpus de valeurs qui
                  font défaut dans la cité et dans la
                  Cité, dans la famille et dans la politique,
                  chez les éducateurs comme dans la finance et
                  même chez ceux qui porteurs de
                  responsabilités religieuses
                  véhiculent violence ou dérapages
                  sexuels. 
                  
                            
                  En trente ans d'enseignement universitaire, si j'ai
                  bien été spectatrice de quelques
                  escarmouches verbales entre des étudiants,
                  il a fallu que j'approche de la fin de mes
                  fonctions, pour apprendre que trois incidents
                  violents se sont produits en quelques mois, durant
                  les intercours, avec pour l'un des
                  étudiants, consultation médicale et
                  plainte. Je viens de lire que la très
                  sérieuse Ecole Normale Supérieure de
                  Cachan a vu elle aussi pendant une soirée
                  étudiante in situ, un étudiant
                  gravement blessé dans une bagarre.
                  Comportements violents inattendus en ce lieu "
                  protégé ", malgré une
                  réaction civique
 de la victime qui
                  s'était elle, interposée entre les
                  belligérants. 
                  
                    
                  
                            
                  La folklorique " Alliance royale " qui ne risque
                  pas de mettre en péril la République
                  avec ses 0,025% de résultats aux
                  élections européennes de 2009, fait
                  appel à un texte de la spécialiste de
                  l'antiquité, Jacqueline de Romilly, "
                  Problèmes de la démocratie grecque "
                  qui déclare ((sans garantie de
                  validité de sources, le texte n'étant
                  pas référencé) : 
                  
                            
                  " Si les démocraties tombent, c'est
                  qu'elles ne parviennent pas à enseigner aux
                  jeunes des valeurs et l'excellence de la vertu. Les
                  sophistes ont introduit le désordre à
                  Athènes par une éducation qui
                  poussait les jeunes à faire ce qu'ils
                  voulaient. Préserver l'unité de la
                  cité passe donc par une éducation
                  stricte et réglementée ". Dans un
                  débat publié dans le nouvel
                  Observateur en septembre 2012, Alain Finkielkraut
                  ne dit pas autre chose en répondant à
                  Ruwen Ogien qui doute du bienfondé de cet
                  enseignement et voit lui dans cette nouvelle
                  croisade, une nostalgie des blouses grises et de
                  l'époque où l'enseignant était
                  maître dans sa classe. (Et sans doute ne se
                  faisait pas agresser par des parents ou des
                  élèves) : 
                  
                            
                  " Discipliner les pauvres, comme vous dites, est
                  le seul moyen de les tirer de leur condition ! Si
                  les professeurs n'arrivent pas à mettre de
                  l'ordre dans leur classe pour enseigner, tous les
                  enfants de ces quartiers sont voués à
                  un destin de malheur [...]. Depuis les
                  années 1970, on ne veut plus que les enfants
                  soient " bien élevés " mais qu'ils
                  soient " épanouis ". Seulement voilà
                  : la spontanéité n'a pas tenu ses
                  promesses. Elle se déploie sans entraves et
                  on assiste à un réensauvagement du
                  monde ", conclut Alain Finkielkraut.
                   
                  
                    
                  
                            
                  Les débats sont ouverts, la mission
                  ministérielle au travail. A ma modeste
                  place, je propose très provisoirement car la
                  tâche est immense et fait appel à la
                  complexité des compétences et
                  à la prise en compte de multiples
                  paramètres, de repérer quatre pistes
                  qui émergent au milieu de bien des voies
                  à inventer. 
                  
                    
                  
                  La
                  première relève de l'acquisition de
                  connaissances, donc de l'enseignement
                  : 
                  
                    
                  
                            
                  Enseigner à travers ses fondements
                  historiques, ses avatars, ses racines antiques
                  métissées des influences successives,
                  ses sources religieuses diverses, comment se forge
                  une démocratie 
                  
                          
                  Enseigner l'évolution qui a conduit aux
                  droits de l'Homme, à la suppression de
                  l'esclavage, aux droits des femmes, aux droits des
                  enfants, droits qui ont fait sortir des pans
                  entiers de nos sociétés de
                  l'obscurantisme et de l'oppression (il reste du
                  chemin ici et ailleurs) 
                  
                            
                  Enseigner les repères philosophiques ou
                  religieux, qui étayent les grands principes
                  moraux et les différentes conceptions de la
                  Morale selon les civilisations et les
                  époques.  
                  
                            
                  Enseigner les outils qui permettent de
                  repérer ces " morales " non-dites qui
                  tentent de diriger nos vies et qui se
                  déclinent en argent, valeurs
                  matérielles, réussite à tous
                  prix ou en revendications aux " droits à "
                  en évacuant les " devoirs envers
                  ". 
                  
                            
                  Enseigner les faits religieux (on sent la
                  frilosité de la proposition qui est
                  déjà en cours) comme faits
                  historiques et sociologiques  
                  
                            
                  Enseigner les religions et les laïcités
                  (on enseigne bien les grands textes fondateurs et
                  les mythes de la civilisation grecque, latine ou
                  égyptienne) 
                  
                            
                  " Si au lieu de petits débats
                  précipités sur le racisme, on
                  dispensait dans les lycées à tous
                  niveaux des éléments d'histoire des
                  religions, et quelques solides
                  références contemporaine, à
                  affirmer au fil des ans, on aiderait beaucoup de
                  jeunes à se repérer symboliquement,
                  à trouver place" affirme le
                  psychanalyste Daniel Sibony (revue Regards
                  n°251, mai 1990) 
                  
                    
                  
                            
                  Ces enseignements là, peuvent tout à
                  fait donner lieu à une évaluation des
                  connaissances, être notés pour
                  répondre aux exigences d'un programme,
                  rassurer enseignants, parents et Ministre, et
                  conforter aux yeux des élèves la
                  valeur de ce nouveau corpus. 
                  
                            
                  Ce pourrait être une étape pour
                  introduire la réflexion sur " une morale du
                  lien social dans une société
                  démocratique " comme le déclare Jean
                  Bauberot, professeur à l'EPHESS, et chantre
                  de la laïcité. Une morale laïque
                  selon lui, qui ne serait pas une morale
                  totalitaire, mais une morale commune trouée
                  pour laisser place aux morales personnelles issues
                  des particularités culturelles, des
                  convictions familiales ou
                  communautaires. 
                  
                            
                  Mais ce serait enseigner une langue morte ou une
                  langue de conservation si cet enseignement ne
                  s'accompagne pas d'une posture
                  éducative. 
                  
                    
                  
                  La seconde :
                  faire vivre ce corpus enseigné
                   
                  
                    
                  
                            
                  Elle donne tout son sens à la
                  première étape, et vise à
                  inventer des manières de l'incarner en
                  consacrant des temps formels ou informels ( heure
                  de vie de classe, opportunités durant les
                  cours) pour que les élèves puissent
                  faire le lien entre ces données historiques,
                  religieuses, sociologiques, juridiques et leur
                  quotidien, leurs difficultés à vivre
                  l'altérité et à établir
                  ce que le sulfureux théologien Hans Kung
                  appelait la " proexistence active ", bien
                  au-delà de la coexistence neutre, molle et
                  aseptisée.  
                  
                            
                  On est là dans l'éducation et la
                  formation et dans une posture qui va permettre
                  à l'élève de se construire une
                  identité. Cela suppose que loin d'un
                  empilement de savoirs on institue une
                  véritable culture des religions et des
                  références laïques, qui
                  n'hésite pas à s'appuyer sur des
                  représentants des cultes ou des courants
                  philosophiques, loin de tout prosélytisme,
                  pour faire entendre en quoi ces croyances
                  religieuses ou laïques orientent la vie de
                  leurs semblables. 
                  
                            
                  Les défenseurs de la laïcité
                  trouveront un ardent convaincu en la personne de
                  Gabriel Ringlet, ancien-vice recteur de
                  l'Université Catholique de Louvain,
                  universitaire, écrivain, journaliste qui
                  n'hésite pas à rassembler dans le "
                  lieu de la résistance poétique "
                  près de Louvain, artistes, médias,
                  croyants, francs-maçons ou agnostiques, pour
                  des échanges exigeants , ce qui lui a valu
                  d'ailleurs quelques démêlés
                  avec certains catholiques et membres de sa
                  hiérarchie. Dieu est il laïque
                  ?questionne le sous-titre de son livre (L'Evangile
                  d'un libre penseur) Pour les plus rétifs, il
                  est possible d'aller directement aux chapitres
                   
                  
                            
                  " Traverser la laïcité " et celui "
                  Traverser la Mer rouge " qui fourniraient une trame
                  documentée à la construction d'un
                  espace laïque dilaté et non
                  rétréci au plus petit
                  dénominateur commun. 
                  
                    
                  
                  La
                  troisième piste : la valeur de
                  l'exemple 
                  
                    
                  
                            
                  Sans doute la plus difficile à exploiter,
                  sauf à s'appuyer comme on le fait pour
                  l'usage de l'erreur en pédagogie, des
                  dérapages des élèves
                  eux-mêmes, des enseignants, des familles, des
                  citoyens, des clercs, des entreprises, des
                  politiques qui sont autant de contre-exemples sur
                  la manière de vivre les valeurs
                  écrites aux frontons des mairies, sur la
                  Déclaration des droits de l'homme, les
                  Tables de la Loi ou même sur les chartes de
                  bonne conduite, rédigées après
                  consensus dans des classes innovantes.. 
                  
                            
                  Ce serait ainsi montrer que, si la visée est
                  une Morale qui peut être le plus grand
                  dénominateur commun sur des essentiels, sa
                  mise en uvre est un chemin périlleux
                  avec des chutes nombreuses. Comment parler de la
                  fraternité quand des familles dorment dans
                  la rue ? De justice quand l'impunité est
                  assurée à certains ? De respect,
                  quand l'enseignant excédé se laisse
                  aller à des propos inacceptables contre un
                  élève ? De la vie comme valeur
                  fondamentale, quand tout concourt à la
                  maltraiter? 
                  
                            
                  Et pourtant faire entendre que malgré toutes
                  ces défaillances humaines, il est possible
                  de se donner quelques balises solides, est un pari
                  qui vaut la peine.  
                  
                            
                  La mise en ordre d'un grenier m'a fourni l'occasion
                  d'un dépoussiérage de mes cours de
                  philosophie des années 1960, philosophie
                  tout juste affranchie de l'époque où
                  elle était " Servante de la théologie
                  ", selon l'expression consacrée au
                  XIXème, et qui divisait le cours en quatre
                  grandes parties : la Morale, la
                  Métaphysique, la Psychologie, la Logique.
                   
                  
                            
                  Embellie des souvenirs, peut-être, mais j'ai
                  puisé dans cet enseignement des
                  références nombreuses qui m'ont
                  accompagnée dans les chemins de ma vie (y
                  compris les mauvais !). Il est vrai que j'ai eu la
                  chance de bénéficier d'enseignants
                  qui interrogeaient le Bien et le Mal (sans le
                  définir ou l'enfermer dans des
                  affirmations), à travers leurs
                  matières, que ce soit l'histoire, la
                  biologie ou la littérature mais aussi les
                  évènements de nos vies personnelles,
                  de la vie de la classe, du collège ou de la
                  société, nous aidant à
                  repérer ce qui pouvait nous aider à
                  vivre malgré les défaillances de ceux
                  qui étaient censés nous indiquer le
                  chemin. 
                  
                    
                  
                  La
                  quatrième piste : la littérature,
                  comme espace et objet
                  transitionnel
                  de choix 
                  
                    
                  
                            
                  A quelques pas de chez moi une demeure appartenant
                  à une vieille institutrice
                  décédée il y a 20 ans, a
                  été vendue par ses héritiers
                  qui ont généreusement rempli les
                  poubelles de livres et de cahiers. C'est ainsi que
                  j'ai récupéré à la nuit
                  tombée, au nom des valeurs familiales et
                  celles de l'école Républicaine
                  conjuguées - on n'abîme pas un livre
                  -, des ouvrages tristement jetés : Fables de
                  la Fontaine, Les Robinsons suisses, Le tour de
                  France de deux enfants, Robinson Crusoé, et
                  autres ouvrages édifiants en belles
                  reliures, qui ont marqué des
                  générations, ainsi que des
                  collections Vertes ou Or, Roses ou Bleues dont les
                  récits ont interrogé ma jeune
                  conscience dans des temps trop lointains, bien plus
                  que les exhortations familiales. 
                  
                            
                  Mais ce trésor recelait aussi, quelques
                  édifiants cahiers. Ces cahiers de " Morale "
                  du Maître, exhumés de la
                  précieuse poubelle, comportaient une maxime
                  quotidienne à écrire au tableau et un
                  questionnaire-trame visant à éveiller
                  des réactions et des échanges
                  prolongés par des textes classiques (La
                  Fontaine, Maupassant, Vallès, Dickens etc.)
                  Méthode que j'avais connue dans mon
                  école primaire de Lorraine il y a bien
                  longtemps, et tous comptes faits, faisant preuve
                  d'une pédagogie active très
                  moderne. 
                  
                            
                  Je crois à la force de la
                  littérature, classique ou contemporaine, de
                  la littérature jeunesse, des contes, des
                  récits mythiques, pour forger une
                  réflexion chez les jeunes, car la
                  littérature a pour l'essentiel une force :
                  elle montre, elle ne démontre pas. Au fil
                  des ans, je suis d'ailleurs revenue dans mes
                  formations auprès des adultes, à
                  l'usage des textes littéraires ou
                  poétiques pour amorcer, nourrir ou
                  consolider les questionnements qui nous
                  rassemblaient. 
                  
                            
                  On peut sourire des maximes édifiantes aux
                  odeurs de vieille craie qui ouvraient la
                  journée des classes de l'école
                  élémentaire. Dans les formations que
                  j'ai suivies à l'âge adulte pour
                  enrichir mes missions d'enseignements, de coaching,
                  de thérapie ou de consulting, j'ai
                  bénéficié de grands formateurs
                  dont certains avaient coutume de démarrer la
                  journée par une phrase porteuse pour le
                  thème de travail du jour et qui restait
                  à disposition du regard. J'ai
                  transféré cette pratique dans tous
                  les secteurs de mes engagements professionnels ou
                  associatifs. Les participants adhérent ou
                  pas à cette conviction que je fais partager
                  par l'amorce d'un poème une sentence
                  orientale, ou une citation classique.  
                  
                            
                  Objet transitionnel, accessible à
                  l'imaginaire et à la mémoire, " La
                  littérature est là pour nous
                  apprendre à vivre " confirme le philosophe
                  Tvetan Tandorov et comme le rappelle Evelyne
                  Martini, Inspecteur d'Académie, Inspectrice
                  pédagogique, dans un ouvrage très
                  personnel " Notre Ecole a-t-elle un cur ? "
                  (Bayard) qui s'interroge longuement sur l'espace
                  laissé aux élèves pour leur
                  intériorité. 
                  
                    
                  
                            
                  Alors, si l'introduction d'un enseignement des
                  connaissances autour des fondements historiques,
                  culturels, philosophiques de la Morale laïque
                  ou des morales, peut s'accompagner d'une
                  évaluation notée, l'essentiel de ce
                  qui peut se transmettre dans ce domaine comme dans
                  d'autres champs de la formation humaine, et permet
                  à chaque élève de se
                  construire une identité, échappe
                  à toute évaluation sinon à
                  celle qui se regarde à l'aune d'une vie
                  vécue. 
                |