Trois
des hommes (20, 25 et 28 ans)
bénéficient du RMI mais ils
déclarent avoir une activité et ils
se définissent comme des ferrailleurs. Pour
eux, le travail est synonyme de système D.
En d'autres termes, ils récupèrent,
lors de vide- greniers ou à la
décharge, différents métaux
qu'ils revendent ensuite à des
intermédiaires. Ces trois hommes ont chacun
une femme et plusieurs enfants et ce sont des gens
du voyage. Ils ont des liens familiaux entre eux et
vivent au sein d'une communauté. Au cours de
leur vie, ils ont effectué beaucoup de
déplacements suite à des expulsions
fréquentes des terrains qu'ils occupaient.
Ils sont donc très mobiles, avec voitures et
caravanes.
Leur parcours scolaire est court, il
s'arrête à l'école primaire
pour deux d'entre eux et le troisième a
connu une institution spécialisée de
type IME (Institut Médico-Educatif). Ils
semblent avoir une façon de vivre et de
travailler plutôt marginale et fortement
marquée par leur passé. Ils peuvent
avoir des projets, mais à très court
terme, ce qui peut expliquer leur présence
discontinue en formation.
La femme (39 ans) est employée
avec un contrat à durée
indéterminée à temps partiel
(quelques heures le matin) comme agent d'entretien
dans une entreprise de restauration rapide. Elle a,
auparavant, occupé en discontinu des postes
en qualité d'employée de
ménage à l'hôpital ou dans des
restaurants. Elle vit avec son frère qui
travaille dans un CAT (Centre d'Aide par le
Travail) et a, elle-même, une reconnaissance
de travailleur handicapé. Après
l'école primaire, elle a connu une
orientation en SES (Section d'Enseignement
Spécialisé).
Les autres hommes sont
actuellement sans emploi :
L'un d'entre eux (54 ans) a
travaillé 30 ans comme
opérateur de fabrication de
carreaux de faïence puis, suite
à une vague de licenciement, il
s'est retrouvé sans emploi. Il a
réalisé quelques travaux de
manutentionnaire en intérim, obtenu
un contrat aidé en qualité
d'ouvrier polyvalent dans une
communauté de communes pendant 4
ans et souhaite aujourd'hui, revenir
à un emploi de manutentionnaire.
Depuis le décès de sa
mère, il vit seul et a obtenu
récemment une reconnaissance de
travailleur handicapé. Il dit ne
pas avoir de souvenirs de l'école
qu'il a quittée en
CM2.
Un autre de ces hommes (42
ans) a un parcours scolaire en IME.
Il a travaillé très
tôt et l'instabilité semble
le caractériser dans son parcours
professionnel. Il a cumulé une
série d'emplois qu'il a
occupés sur des durées
courtes (ouvrier en maraîchage,
manutentionnaire, ripeur, agent de
conditionnement, plongeur, cuisinier,
manuvre en exploitation
forestière, etc.). Il vit
seul.
Le parcours scolaire du
suivant (52 ans) s'est poursuivi
jusqu'au collège. Il a
travaillé ensuite pendant 30 ans
dans une entreprise comme ouvrier
spécialisé en meuble. Il n'a
pas retrouvé d'emploi depuis son
licenciement. Divorcé, il vit
seul.
Enfin, le dernier d'entre
eux (51 ans) est un ancien manuvre
du bâtiment mais il ne travaille
plus depuis longtemps. Il possède
un lourd handicap en raison de sa
surdité provoquée par un
accident. Son parcours scolaire s'est
limité à l'école
primaire. C'est un homme marié
dont la femme travaille comme agent
d'entretien. Ils n'ont pas
d'enfant.
|
|
Ces premiers éléments
d'itinéraires de vie nous donnent un
aperçu des profils d'apprenants en formation
à l'AFB. Une constante apparaît :
la durée courte de la scolarité.
Pour ceux qui ont quitté l'école
très tôt pour travailler, on peut
faire l'hypothèse d'un milieu familial
où l'insécurité
matérielle exigeait des
responsabilités précoces, ce qui
expliquerait la rupture avec l'éducation de
base. Pour ceux qui viennent des institutions
spécialisées, les acquis sur le plan
du lire-écrire-compter sont très
faibles et on note, chez ces personnes, une image
de soi particulièrement fragile. Il est
possible que l'étiquette "
débilité " ait imprégné
leur parcours et qu'elle reste prégnante
dans leur mémoire. Les personnes aux
parcours un peu plus longs ont des acquis mais avec
des " trous " plus ou moins importants. Ils peuvent
avoir oublié ce qu'ils ont appris parce
qu'ils n'ont pas utilisé leurs acquis ; ils
n'en avaient pas besoin ou se sont organisés
pour se débrouiller autrement.
Ce qui
caractérise la situation d'illettrisme varie
donc d'une personne à l'autre.
Deux d'entre eux reconnaissent difficilement
les lettres de l'alphabet, d'autres
déchiffrent à peine des mots simples
et écrivent phonétiquement
(c'est-à-dire que le graphisme correspond
aux sons entendus). D'autres encore ont une
capacité à écrire mais des
erreurs d'orthographe, de grammaire ou de syntaxe
restent très fréquentes. La plupart
de ces personnes s'expriment avec une syntaxe peu
aisée à comprendre. Le vocabulaire
est restreint, les mots utilisés sont
souvent imprécis, les prises de paroles sont
simples et courtes. Pour tous, la culture
générale est plutôt
faible.
|
L'image que certains
entretiennent d'eux-mêmes est
particulièrement négative
et on aborde, avec cette question, la
relation à soi et la relation aux
autres. Les remarques qui s'expriment
parfois dans le groupe laissent deviner
des sentiments de honte, des
sentiments d'être des " bons
à rien " ou de ne pas
être capables d'apprendre.
Ceci peut engendrer un repli sur
soi et un manque de communication avec les
autres. On note d'ailleurs que
plusieurs de ces personnes vivent seules
et semblent coupées de tout lien
social. D'une manière
générale, ces apprenants en
formation ne parlent que si on leur
adresse la parole. En revanche, l'un
d'entre eux s'exprime de façon
volubile en particulier lorsqu'il se sent
entendu. Ils paraissent marqués par
une absence de confiance en
eux-mêmes amplifiée par une
certaine conscience de leurs
difficultés.
|
Précisons, pour finir cette
description, que ces personnes en situation
d'illettrisme ont développé au cours
de leur parcours des habiletés, des
aptitudes et des compétences d'ordre manuel
et technique. Elles ont accumulé
différentes ressources pour faire face aux
situations. Indiquons par exemple, des savoir-faire
relatifs à des métiers
(bâtiment, bois, environnement, etc.) et
aussi des savoir-faire relatifs à la gestion
de la vie quotidienne (cuisine, courses,
entretien). On peut mentionner aussi des
savoir-faire liés à un mode de vie ou
à des ressources insuffisantes
(récupération, connaissance des
filières pour avoir de l'argent, de la
nourriture, des vêtements, etc.).
|