L'état de la
situation en France
Depuis,
la situation en France s'est
considérablement modifiée. Prenant
son autonomie par rapport aux Anglais et
Américains, la psychologie sociale
française a connu un essor important, selon
des voies relativement divergentes de celles
adoptées aux États-Unis ou en
Grande-Bretagne, au plan expérimental mais
aussi clinique, avec l'émergence et le
développement d'une psychosociologie.
La
barrière de langue s'étant
réduite, les plus importants parmi les
travaux en anglais avaient été
traduits et les uvres de Goffman, Erickson,
Hall, Laing, Winnicott ou Giddens, etc. avaient
été largement diffusées
auprès du public français. Bien que
relevant d'orientations sociologiques,
anthropologiques ou psychanalytiques, ces travaux
avaient profondément influencé les
psychologues sociaux français.
Des textes fondamentaux
actuels
Dans
ces conditions, proposer une nouvelle
édition de textes fondamentaux de
psychologie sociale anglophone représentait
donc une gageure. Y avait-il eu dans les
dernières décennies des travaux
suffisamment novateurs et importants entrepris dans
cette discipline aux États-Unis ou en
Angleterre qui justifient le qualificatif de "
fondamentaux " ? Ceux-ci traduisaient-ils des
perspectives nouvelles, au plan
méthodologique, conceptuel ou pratique ?
Pour
réaliser ce nouvel ouvrage, Sylvain
Delouvée et moi-même avons ainsi
dû passer en revue une multitude de travaux
et de recherches. Si la plus grande partie de ceux
que nous avons recensés nous a semblé
ne constituer qu'un prolongement des travaux plus
anciens, un certain nombre cependant, nous ont paru
renouveler de façon importante l'approche
des phénomènes psychosociaux.
Nouvel approche
"critique"
Moyennant
une réflexion approfondie sur les principes
épistémologiques de leur discipline,
sur les possibilités et les limites de
l'élaboration de connaissances dans le
domaine des sciences de l'Homme, des chercheurs
avaient été conduits à
réviser ou prolonger autrement leurs
conceptions de la société, des
organisations et du changement psychologique et
social.
Cette
nouvelle approche, se définissant comme "
critique ", et se référant tout
particulièrement à la philosophie des
sciences (Gadamer, Foucault, Popper, Wittgenstein),
s'était traduite par une profonde
reformulation des visées de la psychologie
sociale, de ses concepts et de ses méthodes.
Ainsi,
mettant en perspective les résultats obtenus
dans les travaux précédents, et en
les replaçant dans le contexte social,
politique et culturel où ils avaient
été établis, ces chercheurs
ont progressivement pris quelque distance avec
certaines des thèses élaborées
dans le cadre de l'orthodoxie
cognitivo-expérimentale, par exemple
concernant la supériorité du groupe
sur les performances individuelles, sur les
phénomènes d'influence sociale, ou
encore sur la construction identitaire.
Approche centrée
sur le discours
En
parallèle, de nouvelles orientations
méthodologiques, plus qualitatives que
quantitatives, tenant compte de la
subjectivité du chercheur et du contexte
dans lequel il réalise son travail, ont pris
de plus en plus d'importance. Tel est le cas
notamment des recherches centrées sur le
discours dans la perspective ouverte par
l'école anglaise de la philosophie du
langage, appliquée à l'analyse
d'entretiens, de communications écrites ou
verbales, ou de récits de vie
La recherche
action
Par
ailleurs, délaissant le cadre
protégé des situations de laboratoire
dans lequel les comportements de sujets
expérimentaux peuvent être
étudiés de façon
contrôlée, et en se confrontant
à la réalité
imprévisible de terrains concrets ("
grounded theory "), le champ des études
s'est considérablement élargi, se
centrant davantage sur des phénomènes
sociaux tels que la violence, les rapports
intergroupes et intercommunautaires ou les rapports
entre genres.
D'où
une interrogation croissante sur la signification
sociale et politique des recherches en psychologie
sociale, au travers par exemple d'une
redéfinition de la recherche-action, et de
la mise en question de la notion de progrès
et du changement programmé. Donc de la
conviction selon laquelle il suffirait d'appliquer
des méthodes développées en
psychologie sociale pour assurer un fonctionnement
plus démocratique, dans les organisations
notamment, fondé sur l'autonomie des
individus.
Un nouveau
regard
Les
vingt-six recherches (dont seize nouvelles) qui
composent cette nouvelle édition
représentent donc bien davantage qu'une
simple mise à jour. Ils proposent un nouveau
regard sur la psychologie sociale, plus directement
en rapport avec les évolutions ayant
marqué l'histoire de nos
sociétés, et avec les
problèmes auxquels celles-ci sont
aujourd'hui confrontées.
Elles
sont distribuées en sept parties,
correspondant à sept thématiques
principales. Chacune des parties est
précédée d'une introduction
qui résume dans ses grandes lignes les
façons dont le thème a
été diversement traité,
permettant ainsi de mieux situer la contribution
spécifique de chaque article. Elles sont
suivies d'une courte bibliographie.
Si l'orientation critique sous-tend
une grande partie des textes nouveaux, c'est
qu'elle nous est apparue la plus novatrice et
la plus appropriée pour la
compréhension de la complexité
des problèmes surgissant dans un
contexte d'incertitude et de désarroi
généralisés. Il faut
cependant souligner que cette orientation ne
représente qu'une partie,
peut-être minoritaire, des productions
de la psychologie sociale anglo-saxonne
actuelle. Le culte de l'efficacité
à court terme, qui prévaut dans
la société de façon
générale, et qui affecte de la
même manière les sciences
humaines, y compris clinique, se traduit en
effet par la propension à un retour
vers une certaine orthodoxie scientifique et
à privilégier la recherche de
méthodes d'action et de recherche
opératoires, tendant à
réduire ou annihiler la part de la
subjectivité propre à toute
entreprise humaine.
|