Pourquoi
faire équipe ?
C'est
une nécessité sociale. Lorsque nous
apprenons, nous intégrons des connaissances
et des savoir-faire mais aussi les systèmes
par lesquels nous apprenons, leurs valeurs, les
comporte-ments sociaux partagés, les
murs implicites
Si nous comprenons que
chacun " de nous " a, beaucoup plus qu'il ne le
sait et que nous ne le savons, incorporé les
Nous , dans lesquels il vit, se construit et agit,
alors il est essentiel, dans nos pratiques
pédagogiques, de tenter, par des pratiques
cohérentes de répondre à ces
questions :
- dans quels nous
voulons-nous vivre qui nous permettent d'exister
comme je singuliers et autonomes ?
- Quels nous voulons-nous que
nos enfants, nos élèves aient envie
de construire, en nous voyant vivre ? (On
n'enseigne et on ne peut enseigner que ce que l'on
est, disait Jaurès).
- Quelles
références d'humanité et
d'humains leur proposons-nous, pour qu'ils se
construi-sent comme personnes singulières
capables de construire des nous qui les
construi-ront comme humains ?
On a constaté ceci, dans des
écoles où vivent des équipes :
les enseignants coopèrent, s'interrogent,
expérimentent, rendent visibles leurs
projets, rendent visible aux élèves
qu'ils sont une équipe (et leur rendent
ainsi visible l'institution scolaire), partagent
leurs perspectives sur les élèves et,
ainsi, les enferment moins dans des
catégorisations figées qui risquent
de les conditionner. Les élèves le
sentent, l'analysent, sont plus actifs, se sentent
reconnus, perçoi-vent des liens entre les
disciplines et avec leurs propres questions.
Bientôt, ils sont plus moti-vés,
accèdent à la position de chercheurs
et de créateurs, découvrent qu'un
apprentissage ré-ussi exige un climat
coopératif, que les interrogations des
autres les aident, qu'ils sont utiles à
l'apprentissage de tel autre, qu'on est plus
intelligent à plusieurs. Ils apprennent
à estimer les autres, ils grandissent en
estime d'eux-mêmes, dans l'estime de leurs
condisciples et dans celle des enseignants. Ils
découvrent que chaque cerveau apprend
à sa façon. Ils associent leurs
parents à des actions collectives
réussies. Il ne s'agit pas
d'idéaliser l'équipe. Comme toute
entreprise humaine, elle est complexe et difficile.
Elle est une tension collective. Tous ceux qui en
ont l'expérience savent en dire les
difficultés et les échecs ; ils
savent très peu en transmettre les joies,
les bénéfices personnelles et
communs, les pouvoirs qu'elle génère
:en terme de capacités, d'énergies et
forces, de possibilités
réalisées, de pouvoir de
décision sur ce qui nous concerne et en
terme de " notre pouvoir ensemble.
C'est une nécessité
éthique et politique. Pour construire des
collectifs porteurs de sens et d'avenir juste pour
tous, une communauté d'intérêts
et de valeurs est nécessaire. La base de la
relation, c'est la réalité des
valeurs vécues, sur lesquelles les personnes
peuvent se rencontrer. C'est souvent en raison de
l'absence d'alimentation et de construction du Bien
commun que les collectifs s'effritent et que les
équipes ne parviennent pas à se
constituer : Le Bien com-mun doit être
défini ensemble au fur et à mesure
que notre conscience individuelle et collec-tive
s'ouvre à la reconnaissance du vivant
complexe qu'est un enfant, un jeune, un adulte.
C'est pourquoi l'écoute, la reconnaissance
mutuelle, la conscience de ses propres manques et
limites par rapport à ce que l'on peut
connaître d'une situation humaine doivent
prévaloir sur la démonstration de
puissance. Ce n'est que par des interactions
coopératives et critiques que l'on peut
avoir des chances, lorsque le réel
résiste, de transformer nos modèles,
de prendre des décisions justes, de
construire des projets créateurs
d'humanité.
C'est une
nécessité liée à "
Apprendre et enseigner "
Pour les enseignants d'abord. Peut-on
être enseignant sans être en
apprentissage perma-nent ? Comment apprendre et
construire son métier sans questionnements ?
Comment améliorer ses pratiques sans
reconnaître ses manques, ses ignorances, ses
difficultés ? Pra-tiquer l'équipe,
c'est accepter de concevoir la confiance comme un
processus relationnel tellement fécond qu'il
vaut le risque que l'on prend. Nous savons trop peu
dire toutes les gratifications qualitatives de la
coopération, du travail d'équipe, du
partage des savoirs. De ce fait, ceux qui en ont
peur, ou n'en voient pas l'intérêt
n'ont aucune idée de ce dont ils se privent.
Faire équipe, c'est vérifier qu'en
matière d'apprentissage chacun a
intérêt à l'enrichissement
intellectuel et moral d'autrui, s'enrichit et
apprend en contribuant à la ré-ussite
de l'autre, peut considérer autrui comme une
chance et se faire chance pour autrui.
Pour les élèves. Les
pratiques d'équipes d'enseignants,
d'équipes d'élèves, de
réseaux d'échanges réciproques
de savoirs entre élèves ou entre
enseignants, pourraient avoir une place de choix
pour conjuguer la richesse de
l'hétérogénéité
des méthodes, outils, formes de relations et
personnalités d'enseignants et
d'élèves avec la
nécessité d'un cursus qui ne renforce
pas la dispersion des intérêts et la
difficulté de la persévérance
en matière d'apprentissage.
Pour les élèves comme pour
les enseignants, la prise de conscience par
chacun de ses sa-voirs et de ses manques
(c'est-à-dire de ses besoins d'apprendre)
est doublement fruc-tueuse :
- elle est signe à
soi-même de ce que l'on peut essayer
d'apprendre. C'est, pour beau-coup, une
transformation de leur représentation
d'eux-mêmes, des savoirs et de l'Apprendre
qui les libère des sentiments de honte
générés par l'ignorance
stigmatisée, intériorisée
comme une infériorité. L'incertitude,
en matière cognitive, la conscience de ne
pas savoir et d'avoir encore besoin d'apprendre ne
sont-elles pas des conditions intellectuelles de
tout apprentissage ?
- Elle est signe à
autrui du besoin que l'on a de lui ; elle appelle
et stimule la coopéra-tion. L'autre peut
alors s'ouvrir à ses propres manques. La
prise de risque qui en ré-sulte, dans la
relation à soi-même et aux autres
(vulnérabilité, attente
tournée vers au-trui, reconnaissance de ses
manques, besoin d'accompagnement formulée,
affirmation de soi et de sa valeur, confiance en
soi et confiance réciproque) pose la
question du système social où elle
peut se faire. D'où la
nécessité de travailler les
régulateurs sym-boliques et éthiques
y compris dans les systèmes
coopératifs.
C'est une nécessité
liée à la complexité des
savoirs. Chaque savoir est tissé de
multiples sa-voirs ; chaque savoir est en
réseau avec d'autres savoirs ; nous ne
pouvons savoir, seuls, les savoirs dont nous
avons-nous besoin, dans une société
qui change continuellement, pour anti-ciper les
conséquences de ces multiples changements ;
nous savons peu les savoirs transver-saux que
l'école devrait transmettre : comment
prendre en charge ces réalités
autrement qu'en réseau et en équipe
?
Un
réseau, une équipe, ça sert
à quoi, dans la pratique ?
D'abord à se former
réciproquement. Dans nos
sociétés et nos écoles, et,
contrairement à l'image qu'ils ont souvent
d'eux-mêmes et que la société
leur renvoie souvent brutalement et injustement, il
y a abondance des savoirs des enseignants
(connaissances, savoirs pédagogiques,
savoirs d'expériences) et de besoins et
désirs d'apprendre. Donc de
possibilités d'échanges
réciproques de savoirs entre enseignants et
de constitution d'équipes
d'enseignants.
Exercer les métiers de
l'école, de façon juste et
créative, ne peut se faire qu'en
s'inscrivant dans une démarche de formation
permanente. Si nous savons bien que chacun ne peut
tout apprendre, il est nécessaire de
conjuguer formation réciproque et
mutualisa-tion des connaissances et des
compétences : pour construire des projets,
se renforcer mu-tuellement, ouvrir des possibles
aux élèves et découvrir que
l'on a besoin de travailler avec ceux qui ont des
compétences différentes.
Mutualiser les compétences ne
signifie pas ne pas oser s'interroger mutuellement
ni se remettre en question ensemble : travailler en
réseau, en équipe, c'est accepter de
confron-ter les expériences de les
interroger et de les relativiser pour les
enrichir.
Cette habitude à acquérir
de croiser les regards permet de transformer
les représentations qui cloisonnent et
stigmatisent tel élève, tel
enseignant, telle méthode, tel parcours,
mais aussi de prendre en compte, ensemble, les
réalités difficiles.
Questionner ensemble ses
représentations pour se libérer
de l'emprise des modes sociales et des normes
institutionnelles non interrogées
développe la capacité individuelle et
col-lective à analyser les situations
vécues et entraîne à
élucider les choix répondant aux
be-soins collectifs et particuliers des
élèves.
Conscient alors de ses besoins,
réaliste sur ses propres capacités,
prêt à apprendre ensem-ble, plus
solide pour saisir l'inattendu, le réseau
d'enseignants ou l'équipe éducative
pour-ra construire des projets porteurs de sens
pour et avec chacun et tous : c'est le projet qui
fait l'équipe !.
Ces projets, s'il est nécessaire de
les imaginer et les décider ensemble, c'est
également en équipe ou en
réseau coopératif que l'on peut mieux
les organiser afin qu'ils s'inscrivent dans la
durée qui leur est nécessaire. Que
l'on peut, pour accroître les chances de
réussite de ces projets, métisser les
systèmes d'organisations formels (cadre,
programmes, hiérar-chies fonctionnelles,
organisation du temps scolaire) et les
systèmes informels (réseaux de
savoirs, réseaux de projets, réseaux
amicaux, groupes de travail, partenariats,
ouverture de l'école).
Il est primordial de ne pas oublier que vivre
une équipe ouverte ou un réseau
porteur de projet nécessite d'apprendre
à se soutenir mutuellement : vivre un
sentiment d'appartenance, savoir que l'on a le
droit de craquer, qu'il n'est pas honteux ou
humiliant de demander de l'aide, que ce n'est pas
prendre le pouvoir que d'apporter son soutien ou
son aide à d'autres, entrer dans des
logiques de reconnaissances mutuelles plutôt
que de dénigrement et de rivalité :
voilà ce qui est en jeu !
Alors, au lieu de faire face seul aux
élèves, on pourrait davantage se
sentir ensemble assez solides et sereins pour
être avec eux. On pourrait mieux
résister aux pressions mettant en cause les
valeurs de l'école et du service public. On
n'aurait pas peur de rendre visible l'effort
individuel et collectif pour atteindre les
objectifs communs et on s'autoriserait à
dire que l'école ne peut pas tout. On
pourrait prendre ensemble en vraie
considération les obstacles réels et
les résistances sans les nier ni les
condamner.
Faire
réseau, faire équipe, ça se
veut, on peut apprendre !
Le vouloir. Il y a l'idéal et le
possible. Si on veut faire équipe, on
trouve les stratégies nécessaires, en
sortant, s'il le faut, des cadres où la
perspective est bloquée. A Orly,
l'équipe éducative avec laquelle je
travaillais était composée de quatre
enseignants de l'école, d'enseignants du
collège, de parents, de membres
d'associations et de travailleurs sociaux. Des
enseignantes d'Argentat ont constitué
l'équipe du Réseau d'échanges
réciproques de savoirs de
l'établissement avec des enseignants
porteurs du projet et d'autres, qui de plus loin,
les encouragent sans pour autant porter le
même projet, mais aussi des
élèves et des parents. Faire
équipe et fonctionner en réseaux,
c'est un apprentissage permanent qui sera toujours
inachevé. Pourquoi ? En raison du fait que
ce sont des organisations vivantes, de personnes en
mouvement, dont chacune est un monde qui s'ignore
en partie et qui est en transformation permanente ;
en raison de leur rôle de projection, de
prévoyance plutôt que de
prévision, de prise en compte de
l'imprévisible et de l'inattendu comme
sources de créativité ; parce que
penser en réseau, c'est relier en soi des
personnes, des savoirs, des perspectives, penser
les paradoxes... C'est intégrer le belle
définition de la tolérance
proposée par Paul Ricur : La
tolérance n'est pas une concession que je
fais à l'autre, elle est la reconnaissance
de principe qu'une partie de la
vérité m'échappe.
Que faut-il apprendre ? Les outils
(d'organisation, de régulation, de partage
des rôles...) pour faciliter la
coopération entre enseignants
(équipes ou réseaux) existent. On
peut les chercher auprès de ceux qui en ont
l'expérience et principalement des
Mouvements et Collectifs qui ont fait de la
coopération un de leurs choix
éthiques, politiques, pédagogiques .
Savoir vivre en équipe est un savoir
complexe, tissé de savoirs formels (les
connaissances nécessaires exis-tent, des
outils sont déjà formalisés et
théorisés), de savoirs
expérientiels (pourquoi ne pas mieux les
conscientiser, les décrire, les partager et
les analyser ?), de savoirs existentiels, ceux qui
portent sur les valeurs et le sens que chacun
construit dans et par ses expériences et qui
nous font vivre.
Ça
s'apprend comment ?
Par des démarches de formation
personnelle et institutionnelle : ne pas
hésiter à lire sur le sujet et
à s'engager dans des formations
De coformation : il est essentiel de
vivre l'expérience d'équipe et de la
penser ensemble dans des moments organisés
de retour réflexif sur la
pratique
De formation réciproque : en
partager les expériences et les savoir-faire
acquis dans d'autres contextes.
Essayer et chercher ensemble. Notre
héritage en pédagogie est plus riche
que nous ne le sa-vons souvent. Il est à
réinventer, sur les questions du travail en
équipe, en l'articulant avec la recherche de
l'individuation et de la reconnaissance sociale,
les nouvelles formes de socialité, les
changements de nos repères sociaux et
épistémologiques, les changements de
paradigme introduits par La formation tout au long
de la vie et les nouvelles techniques d'information
et de communication. Faisons-nous le même
type de réseau et d'équipe que ceux
que nous avons connus ? Comment le concept et les
pratiques de Réseau modifient-ils le concept
et les pratiques d'équipe ? En quoi une
équipe en réseau, un réseau
d'équipes changent-ils les prati-ques
d'équipe ?
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