N: Vous êtes
autre !
E: Oui ! Et... c'est
comme les sportifs qui voient la ligne au bout et
qui courent, il y a rien à faire, il faut
qu'ils battent cc record : moi il faut que j'y
arrive et que je défonce tout ça !...
Ça représente un peu aussi
l'obscurité, ça sera le point obscur
et... il faut pas qu'il y ait de point
obscur.
N : Il ne faut pas
qu'il y ait de points obscurs.
E : Dès qu'il y
a des points obscurs, c'est comme un trou, et le
trou ne doit pas exister, il faut que tout soit
unifié, il faut...
N : Le trou ne doit
pas exister...
E : ... parce que si
je laisse un trou derrière moi, j'ai
l'impression que je retomberais dedans, que je ne
serais plus assuré en arrière. C'est
un peu une
conquête, il faut
que derrière moi, tout soit très,
très bien organisé ; cette
idée de structure qui règne, il faut
que tout soit bien comme il faut et que je puisse
progresser comme ça... si je laisse quelque
chose, alors là, c'est... et même si
ça n'intervient pas après, c'est une
simple question élémentaire, c'est
plus fort que moi, il faut que rien ne reste.
Tout
doit passer par moi,
il
faut que je sache tout.
Il y a ça aussi, c'est que je veux savoir
tout, tout en mathématiques ; justement il
faut que je... il faut que
rien
n'arrive avant moi. Pour
moi, aussi, un problème c'est un test, un
test de connaissance. Pour voir si... pas de
connaissance, mais de niveau, pour voir si
vraiment, je continue bien à rouler, ou si
j'ai des difficultés quelque part. Parce que
si jamais j'accroche quelque part, je me dirai,
bon, bien derrière toi, tu as dû
laisser quelque chose de pas clair et ce sont des
signaux d'alarme. Mais c'est ma hantise de ne pas
trouver quelque chose ; je m'en rappelle, en
seconde, je... j'avais des crises de nerf
énormes, je pleurais même, tellement
il fallait que je trouve, et... là, je
deviens méchant.
N: Vous devenez
méchant... quand vous ne trouvez pas quoi
?
E : Vraiment, je
deviens vraiment méchant, je deviens
très énervé... Oui, c'est
vraiment de la méchanceté ;
je
peux plus voir quel-qu'un... j'ai l'impression que
j'ai été trahi quelque part, j'ai
l'impression que tout va s'arrêter
là. Ou alors j'ai
l'impression que je
me suis fait une fausse
idée en croyant
que, justement, je suivais ce cours de
mathématiques et en réalité
c'était juste une
illusion, au premier
tournant près, je suis arrêté ;
ça, ça me fait peur aussi !
Jusque-là, ce n'est pas encore
arrivé, parce que je n'ai encore
trouvé aucune difficulté vraiment
grave ; j'arrive toujours à les
résoudre en un temps quand même, quand
même raisonnable. Mais j'aurai toujours peur
de cette difficulté insurmontable, c'est
ça qui m'effraie le plus. Si jamais... je ne
sais pas ce que je ferais si jamais je ne la
trouvais pas. Si jamais je rencontrais cette
difficulté, je ne sais pas ce que je ferais
;
j'ai pensé au suicide,
j'ai pensé à beaucoup de choses,
parce que... Finalement, je me supprimerais. Je
crois que je me suiciderais ; enfin, j'en parle
comme ça librement, mais quand on est
devant...
N: Ça, c'est
autre chose...
E: Oui... ça,
j'en suis très conscient, mais en
réfléchissant bien,
je
crois que je me suiciderais,
toujours en parlant, parce que je ne peux pas
admettre ça ;
j'aurais tout misé là-dessus, je me
serais donné corps et âme à
cette merveilleuse chose,
et puis je me rendrais compte qu'on m'a
trompé depuis le début, ça je
ne pourrais pas, j'ai l'impression que je ne
pourrais pas survivre.
Pour
moi, c'est quelque chose de sacré, c'est
quelque chose de ... ça m'appartient
presque, je crois que... les mathématiques,
ça m'appartient...
N : Ça vous
appartient, c'est à vous, quoi
!
E :Oui... justement,
parce que je crois que j'ai trouvé des
petites... je me construisais quelque chose ; alors
je me disais : oui, il y a que moi qui ai
trouvé ça,
c'est
mon trésor, c'est à moi, je ne veux
pas qu'on y touche.
Alors, si je vois que c'était faux, qu'on
s'est moqué de moi, que rien ne
m'appartient, alors je me retrouve tout seul et
puis là, je ne sais plus où me
tourner... je crois que
j'ai
vraiment tout misé sur les
mathématiques. Et
j'ai vraiment bon espoir, parce que ça fait
tout de même trois ans que je suis comme
ça, et ça se passe très
bien... Je suis assez confiant dans
l'avenir.
N : Ça se
comprend puisque vous avez trois années
derrière vous, ce n'est pas comme si vous
démarriez.
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