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POUR UNE ETHIQUE DE LA FORMATION

Patricia Vallet  

Comment former sans formater, conformer ou déformer ?

Comment accompagner l'autre dans sa transformation sans détruire son altérité singulière ?

 

 

  

        Je suis formatrice depuis une vingtaine d'années et ce sont des questions que je me repose tous les jours ...Peut-être faut-il commencer par repréciser quelques définitions à partir de l'étymologie de certains termes:

 

         
Enseigner, vient de signare, offrir des signes, signaler ce qui doit être pris en compte, appris, par extension transmettre des connaissances et des savoirs.

           Eduquer, a une double racine étymologique bien intéressante : Educare : qui a donné le care, concept en vogue à l'heure actuelle, " prendre soin de ", soins de premier ordre, comparable au maternage ou à la fonction maternelle. On pourrait aussi l'entendre du côté de " prendre soin de la relation. " Et Educere, conduire hors de, hors du cocon familial, hors du premier milieu d'origine,et conduire vers la socialisation. On pourrait associer là une dimension du côté de la fonction paternelle.

           Animer, de anima, l'âme, donner de l'âme, de la vitalité, " douer de vie ".

           Former, de formare, donner forme. Le risque est en effet de l'entendre comme du formatage, et beaucoup d'étudiants vivent ainsi la formation comme une mise au pas, " on veut nous faire entrer dans un moule " alors que le projet du formateur est toujours de favoriser l'autonomie de la personne et d'ouvrir au contraire ses représentations et ses idées vers d'autres voies pour penser.

           On enseigne plutôt à un enfant, alors qu'un adulte SE forme. On ne forme peut-être jamais personne mais on peut seulement contribuer à penser l'élaboration du parcours de celui-celle qui décide de se former. Sa marge de manœuvre existe et c'est lui-elle qui est responsable de son projet de formation, même s'il faut différencier la formation professionnelle où les impératifs viennent parfois de l'extérieur, et la formation personnelle.

           Ethique, etymologiquement " Ethos " a deux sens :

-l'un signifie " habitude ", dans le sens d'habitudes sociales, règles d'action qui déterminent des manières d'être dans un groupe (professionnel par ex.) ; on est là du côté des normes et des valeurs qui vont constituer le " corps professionnel " à partir d'une visée prescriptive, et de la mise en conformité à un modèle .

-l'autre signifie " marque distinctive, signe particulier " et propose alors un angle d'ouverture et un espace d'indétermination où va pouvoir se construire la rencontre qui se dégage des " bonnes " ou des " mauvaises " formes, des images, des étiquettes (ex. ne pas désigner les personnes par leur problèmes ! " les handicapés "…), des discours édictés. C'est la condition d'une réelle rencontre avec l'inconnu et l'altérité de l'autre qui nous intéresse alors.

           En tous cas nous pouvons nous demander dans quelle mesure nous habitons ces différentes fonctions : d'enseignement, d'éducation, d'animation pour accompagner un être à se former.

 

1. UNE APPROCHE CLINIQUE DE L' EDUCATION ET DE LA FORMATION

 

Qu'est-ce que la clinique éducative?

           La démarche clinique met l'accent sur la singularité du sujet considéré dans sa globalité et dans son histoire, et sur son implication dans une situation toujours complexe. Elle se définit comme " un positionnement global, par rapport à l'autre, mais aussi par rapport au savoir et à son élaboration. " (Lévy, 1997, p.14).

           Autrement dit,la clinique est ici envisagée comme un mode d'analyse et d'action ; ses fondements philosophiques et éthiques envisagent le travail des professionnels de l'éducation avant tout comme une rencontre entre des personnes, et le travail formatif comme l'expérience d'un déplacement subjectif à accompagner.

 

           Ceci n'est pas sans conséquences sur le positionnement professionnel que je propose et la formation devient clinique à partir d'une certaine écoute et prise en compte des personnes.

           La clinique est un terme évidemment très polysémique voire confus. Son origine étymologique renvoie au champ médical (Klinè : le lit) et il ne s'agit pas pour nous de venir au chevet des élèves ou des étudiants, mais de pouvoir concevoir non seulement la distance professionnelle mais aussi la proximité relationnelle. Comme le médecin qui lâche ses outils pour venir plus près du lit entendre la parole de la personne malade, au lieu de s'intéresser seulement à ses symptômes, pouvons-nous imaginer de nous approcher un peu plus près des élèves et des étudiants pour entendre ce qu'ils ont à nous dire de leur propre point de vue ? On pourrait parler alors d'une clinique éducative.

           Evidemment cette option est une prise de risque, le risque de se rapprocher des personnes en formation et de nous laisser affecter par ce qu'elles vont nous dire, et j'associe là une certaine conception de l'empathie développée par S.Tisseron : l'empathie ce n'est pas se mettre à la place de l'autre disait J.Lacan, sinon où il va se mettre ?! C'est plutôt l'effort d'essayer d'entrer dans son monde, dans son univers de pensée pour essayer de le comprendre mieux, mais c'est aussi accepter qu'il vienne pénétrer dans le nôtre, accepter qu'il vienne nous affecter. L'altérité de l'autre est toujours une chance et un risque, le risque de se laisser effracter par cette rencontre. L'altérité de l'autre peut nous altérer, et nous faire évoluer et changer nous aussi.

           La démarche clinique insiste donc sur la rencontre de l'autre dans sa singularité et dans toute sa complexité, dans son histoire aussi, car " un présent sans passé n'a pas d'avenir " et que le projet éducatif doit articuler une dimension de nouveauté et de rupture avec le passé bien sûr, mais aussi en tenir compte pour savoir sur quel " terreau " nous arrivons avec nos savoirs et nos intentions, et évaluer un peu comment nous allons être reçus dans ce paysage toujours singulier.

 

L'action et l'acte éducatif

           L'écoute et la prise en compte des personnes qu'on tente d'éduquer consistent aussi à repérer comment la formation " travaille leur personnalité. " C'est-à-dire que l'éducation s'inscrit dans des programmes et à partir de compétences à acquérir, mais pas seulement.

           La logique des compétences implique une polarisation sur les activités, ce qui pourrait occulter la dimension singulière de nos métiers relationnels qui s'intéresse plutôt à l'acte éducatif.

           Le concept d'acte a été développé par Mendel, qui s'attache à étudier comment le concept d'action a absorbé le phénomène de l'acte, au point que les deux termes sont souvent amalgamés . Or, " on décide une action, on rencontre l'acte " ; autrement dit, l'acte c'est ce qui résiste à l'intention du sujet, et oblige à penser la dimension d'une réalité étrangère qui ne correspond pas forcément à ses prévisions.

 

           Nier cette réalité, c'est se défendre contre l'angoisse de l'inconnu et de l'imprévu qui sillonne pourtant quotidiennement nos pratiques professionnelles. Mendel analyse cette " réduction de l'acte " comme un " trou noir " dans la pensée, un impensé majeur de notre culture, significative d'un monde qui vise le " zéro défaut ", et qui voudrait tout prévoir, tout maîtriser : l'action aurait dans cette perspective vocation " naturelle " à la perfection !

           Alors que le risque participe de l'acte éducatif lui-même, c'est même une de ses propriétés les plus fortes… " Agir et prendre un risque sont les deux faces de la même médaille. "

 Ainsi, on décide d'une action, mais c'est à l'acte qu'on a à faire, avec toute cette dimension de l'imprévisible et de l'immaîtrisable qui fait partie intégrante de nos métiers.

 

La logique des compétences

           Un risque majeur de la logique des compétences tient pour moi à tout le système de valeurs qu'elle porte avec elle, tourné vers l'efficacité, l'opérationnalité, la rationalité instrumentale, sachant que l'idéologie techniciste n'est pas que dans les ordinateurs : elle peut gagner les procédures, les paroles et les gestes professionnels…le danger est que les esprits se mettent à fonctionner comme des machines, en procédant par items et protocoles, avec ce qu'il en coûterait en terme d'appauvrissement de la parole, de la subjectivité, de l'affectivité.

           Il m'apparaît donc essentiel de laisser les référentiels "à leur place" c'est-à-dire de les considérer à titre indicatif, comme un outil qui permet seulement de formaliser l'activité et de ne pas polariser notre attention uniquement sur ce qui est à faire et sur ce qui se voit, sur ce qui s'observe, mais de revenir toujours aussi vers le travail relationnel, qui se décrit difficilement, et sur le but et le sens de notre action éducative.

           Ceci dit, le cadre des référentiels de compétences nous oriente vers certaines valeurs qui ne sont peut-être pas incompatibles avec la conception que je développe ici, dans la mesure où les dispositifs formatifs à élaborer restent ouverts. Il nous faut inventer des stratégies d'appropriation au lieu de chercher à appliquer un modèle, l'intelligence consiste à lire entre les lignes des textes réglementaires et non à appliquer seulement des prescriptions ou consignes… L'application est commode mais, derrière la prescription, la réinvention est toujours possible. Et la démarche clinique d'accompagnement est un processus qui vise un ajustement réfléchi et créatif des professionnels aux situations ardues, complexes qu'ils rencontrent.

 

Travailler ses idéaux

           Le travail sur la temporalité, les aléas, les incertitudes, la complexité et l'impossible est tout à fait fondamental pour un enseignant ou éducateur. En effet, les professionnels font souvent face à de rudes épreuves au quotidien : agressions, ruptures répétitives et violentes des liens, destruction des sentiments, désillusions… (Chami, 2006). Leur personnalité professionnelle est soumise à d'importantes effractions. Et il importe qu'ils restent " des personnes vivantes et des professionnels conscients, qui ne soient pas trop attachés à leur ego, mais le connaissent suffisamment pour en faire un outil de travail et d'échange" (Chami, 2006, p.82).

           Cela suppose de travailler ses idéaux, pour comprendre quelque chose de ses motivations profondes à l'exercice de la profession et intégrer un peu plus harmonieusement " ses démons intérieurs ", si l'on admet l'idée qu'au fondement des choix professionnels d'un éducateur (j'ai écris par inadvertance : d'un éducatuer !) existe toujours "une double composante de son identité professionnelle, à la fois réparatrice et sadique" (Blanchard-Laville, 2006, p.117).

           La perspective clinique permet d'envisager un certain travail sur la négativité et la destructivité inhérente à ces métiers qui produisent de la haine sous la bienveillance affichée et le projet d'autonomisation de l'autre…

 

- En effet, il faudrait travailler tout d'abord l'idéal de bienfaisance, c'est-à-dire l'illusion de pouvoir guérir et réparer, de trouver des pansements à l'absence de solutions, de redresser la barre pour rejoindre un monde meilleur…

- l'idéal de transparence, ce leurre d'un accès direct, spontané, au plus près de "la vérité" de l'autre, pour pouvoir lire en lui et trouver " sa vérité " pour l'aider à changer …

- l'idéal de la communication, de la possibilité d'accéder au monde vécu de l'autre, parce qu'il parait si semblable qu'il en deviendrait le même. C'est tellement rassurant de pouvoir imaginer cet échange de paroles, d'idées, de conceptions à partir d'un autre moi- même ; cela permet d'occulter les impasses relationnelles, l'altérité radicale de la rencontre, c'est comme si le langage était commun, comme si le sens des mots était acquis… Alors qu'il est polysémique, toujours sujet au quiproquo…

- c'est enfin l'idéal de l'Autorité de l'expert , qui porte aux nues à la fois l'expertise et l'expert et bouche l'angoisse de la rencontre par la quête de certitude. C'est une demande de sécurité et de maîtrise, qui pourrait assurer et rassurer sur ce qu'il faut faire pour être un expert… en cherchant à "coller" au modèle professionnel tel qu'on l'imagine ; à partir d'explications, de repères, de savoirs certains, de recettes, des indications à suivre dans tel ou tel cas.

           Ainsi, le travail quotidien pose constamment la question du sens de ses actes, interroge la dialectique implication-distanciation, et oblige à penser sa pratique relationnelle au-delà de la transmission des savoirs.

 

Le rapport aux savoirs

           Au fond la transmission des savoirs devrait toujours s'articuler avec un questionnement sur le rapport au savoir. C'est un point que je travaille beaucoup avec les personnes en formation car le besoin de savoir tout de suite, le besoin de sens peut devenir un problème.

           La représentation de la formation comme une accumulation de savoirs et de savoirs faire, avec l'idée d'en " savoir toujours plus " est fréquente; elles cherchent alors à se conformer à cette image d'un " bon professionnel " à partir de l'anticipation qu'elles se font de la " bonne manière " de répondre à la commande institutionnelle, ce qui nuit considérablement à l'engagement possible d'une implication et d'une pensée propre de l'acte professionnel.. Enfermées dans l'épaisseur et l'inertie d'un rôle distribué et déterminé à l'avance, elles se concentrent à essayer de " coller " au modèle au lieu d'inventer leur propre identité professionnelle.

           Elles recherchent des définitions partout, des principes de classement systématisés, la maîtrise d'un processus de formation univoque et centré sur l'hégémonie des méthodes et des techniques ; elles se réfèrent à ce qui peut être observé et cherchent à établir la liste des tâches accomplies qui feraient d'elles de " bons professionnels "

           Elles cherchent à démontrer qu'elles ont bien intégré les normes et les codes professionnels, leur idéal est l'objectivité, la prescription, le discours fidèle aux attendus, transparent et adéquat, comme si le métier qui les attend était du côté des conventions, des procédés et des règles établies une fois pour toutes.

           Elles manifestent une soif de procédures, voire de recettes pour " acquérir ces compétences ", ce qui les rend souvent sceptiques, voire agressives devant la nécessité du détour et du questionnement.

 

           Au fond le savoir est rabattu sur un objet de besoin ; le savoir délivrant une compétence immédiate est valorisé, et non pas le savoir comme condition d'appropriation subjective ; Cet idéal du " comment faire " leur permet de se dégager de la problématique subjective qui est pourtant au fondement de tout processus de formation.

 

           Le " savoir y faire "du professionnel suppose bien entendu des capacités en terme de savoirs scientifiques, de compétences techniques, méthodologiques, mais aussi de savoir-être, de savoir se tenir dans la situation et pouvoir inventer ; c'est un travail d'implication subjective où les savoirs acquis peuvent effectivement être utilisés, mais le fil quotidien est aussi fait d'imprévisible et de ce qu'on ne sait pas ; d'un réseau de nœuds complexes à nouer et à dénouer, à analyser et à prendre en compte. Or les personnes les plus assurés dans les domaines scientifiques, techniques ou didactiques, rencontrent parfois beaucoup de difficultés à s'engager dans l'expérience de la rencontre intersubjective.

           Requestionner en permanence le sens de notre action, en repérant nos tendances et nos dérobades, en sachant mieux reconnaître nos limites et en ayant un regard lucide sur ce qui nous porte vers notre profession est peut-être un des fondements de la formation telle que je la conçois.

 

Voir aussi:

DESIR D'EMPRISE ET ETHIQUE DE LA FORMATION

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Réactions

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<Comment accompagner l'autre... voilà une question qui engage une posture éthique ? Encore faudrait-il s'entendre que ce que "posture éthique" veut dire... Beau sujet de réflexion. J'ai coutume de dire qu'une posture éthique est une posture qui s'engage dans un questionnement inlassable sur : qui suis-je ? pour qui je me prends ? pour qui je considère ou prends l'autre , à quel type de relation je contribue ? pour quel monde je travaille ?>>

<< Comment ce qui devrait constituer une base : la connaissance de l'humanité en soi et en l'autre, a t il été remplacé par un déni d'altérité au nom d'une idéalité antihumaniste arrogante (anti humanisme théorique). L'interrogation sur le sens des concepts que l'on manie à tout bout de champ devrait être une discipline première dans un monde sensé. A lire par tous ceux qui veulent parler de l'école. Mais pour aller plus loin Il y a encore l'Humanisme Méthodologique pour aussi faire le lien entre la profondeur des personnes et les mondes (humains) où elles sont appelées à vivre donc à devenir.>>

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