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Je
suis formatrice depuis une vingtaine
d'années et ce sont des
questions que je me repose tous les
jours ...Peut-être faut-il
commencer par repréciser
quelques définitions à
partir de l'étymologie de
certains termes:
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Enseigner,
vient de signare, offrir des signes, signaler ce
qui doit être pris en compte, appris, par
extension transmettre des connaissances et des
savoirs.
Eduquer,
a une double racine étymologique bien
intéressante : Educare : qui a donné
le care, concept en vogue à l'heure
actuelle, " prendre soin de ", soins de premier
ordre, comparable au maternage ou à la
fonction maternelle. On pourrait aussi l'entendre
du côté de " prendre soin de la
relation. " Et Educere, conduire hors de, hors du
cocon familial, hors du premier milieu d'origine,et
conduire vers la socialisation. On pourrait
associer là une dimension du
côté de la fonction
paternelle.
Animer,
de anima, l'âme, donner de l'âme, de la
vitalité, " douer de vie ".
Former,
de formare, donner forme. Le risque est en effet de
l'entendre comme du formatage, et beaucoup
d'étudiants vivent ainsi la formation comme
une mise au pas, " on veut nous faire entrer dans
un moule " alors que le projet du formateur est
toujours de favoriser l'autonomie de la personne et
d'ouvrir au contraire ses représentations et
ses idées vers d'autres voies pour
penser.
On enseigne plutôt à un enfant, alors
qu'un adulte SE forme. On ne forme peut-être
jamais personne mais on peut seulement contribuer
à penser l'élaboration du parcours de
celui-celle qui décide de se former. Sa
marge de manuvre existe et c'est lui-elle qui
est responsable de son projet de formation,
même s'il faut différencier la
formation professionnelle où les
impératifs viennent parfois de
l'extérieur, et la formation
personnelle.
Ethique,
etymologiquement " Ethos " a deux sens :
-l'un
signifie " habitude ", dans le sens
d'habitudes sociales, règles d'action
qui déterminent des manières
d'être dans un groupe (professionnel
par ex.) ; on est là du
côté des normes et des valeurs
qui vont constituer le " corps professionnel
" à partir d'une visée
prescriptive, et de la mise en
conformité à un modèle
.
-l'autre signifie "
marque distinctive, signe particulier " et
propose alors un angle d'ouverture et un
espace d'indétermination où va
pouvoir se construire la rencontre qui se
dégage des " bonnes " ou des "
mauvaises " formes, des images, des
étiquettes (ex. ne pas désigner
les personnes par leur problèmes ! "
les handicapés "
), des discours
édictés. C'est la condition
d'une réelle rencontre avec l'inconnu
et l'altérité de l'autre qui
nous intéresse alors.
En tous cas nous pouvons nous demander dans quelle
mesure nous habitons ces différentes
fonctions : d'enseignement, d'éducation,
d'animation pour accompagner un être à
se former.
1. UNE APPROCHE CLINIQUE
DE L' EDUCATION ET DE LA FORMATION
Qu'est-ce que la
clinique éducative?
La démarche clinique met l'accent sur la
singularité du sujet
considéré dans sa globalité et
dans son histoire, et sur son implication dans une
situation toujours complexe. Elle se définit
comme " un positionnement global, par rapport
à l'autre, mais aussi par rapport au savoir
et à son élaboration. "
(Lévy, 1997, p.14).
Autrement dit,la clinique est ici envisagée
comme un mode d'analyse et d'action ; ses
fondements philosophiques et éthiques
envisagent le travail des professionnels de
l'éducation avant tout comme une
rencontre entre des personnes, et le travail
formatif comme l'expérience d'un
déplacement subjectif à
accompagner.
Ceci n'est pas sans conséquences sur le
positionnement professionnel que je propose et la
formation devient clinique à partir d'une
certaine écoute et prise en compte des
personnes.
La clinique est un terme évidemment
très polysémique voire confus. Son
origine étymologique renvoie au champ
médical (Klinè : le lit) et il ne
s'agit pas pour nous de venir au chevet des
élèves ou des étudiants, mais
de pouvoir concevoir non seulement la distance
professionnelle mais aussi la proximité
relationnelle. Comme le médecin qui
lâche ses outils pour venir plus près
du lit entendre la parole de la personne malade, au
lieu de s'intéresser seulement à ses
symptômes, pouvons-nous imaginer de nous
approcher un peu plus près des
élèves et des étudiants pour
entendre ce qu'ils ont à nous dire de leur
propre point de vue ? On pourrait parler alors
d'une clinique éducative.
Evidemment cette option est une prise de risque, le
risque de se rapprocher des personnes en formation
et de nous laisser affecter par ce qu'elles vont
nous dire, et j'associe là une certaine
conception de l'empathie développée
par S.Tisseron : l'empathie ce n'est pas se mettre
à la place de l'autre disait J.Lacan, sinon
où il va se mettre ?! C'est plutôt
l'effort d'essayer d'entrer dans son monde, dans
son univers de pensée pour essayer de le
comprendre mieux, mais c'est aussi accepter qu'il
vienne pénétrer dans le nôtre,
accepter qu'il vienne nous affecter.
L'altérité de l'autre est toujours
une chance et un risque, le risque de se laisser
effracter par cette rencontre.
L'altérité de l'autre peut nous
altérer, et nous faire évoluer et
changer nous aussi.
La démarche clinique insiste donc sur la
rencontre de l'autre dans sa singularité et
dans toute sa complexité, dans son histoire
aussi, car " un présent sans passé
n'a pas d'avenir " et que le projet éducatif
doit articuler une dimension de nouveauté et
de rupture avec le passé bien sûr,
mais aussi en tenir compte pour savoir sur quel "
terreau " nous arrivons avec nos savoirs et nos
intentions, et évaluer un peu comment nous
allons être reçus dans ce paysage
toujours singulier.
L'action et
l'acte éducatif
L'écoute et la prise en compte des personnes
qu'on tente d'éduquer consistent aussi
à repérer comment la formation "
travaille leur personnalité. "
C'est-à-dire que l'éducation
s'inscrit dans des programmes et à partir de
compétences à acquérir, mais
pas seulement.
La logique des compétences implique
une polarisation sur les activités, ce qui
pourrait occulter la dimension singulière de
nos métiers relationnels qui
s'intéresse plutôt à l'acte
éducatif.
Le concept
d'acte a
été développé par
Mendel, qui s'attache à étudier
comment le concept d'action a absorbé
le phénomène de l'acte, au
point que les deux termes sont souvent
amalgamés . Or, " on décide une
action, on rencontre l'acte " ; autrement
dit, l'acte c'est ce qui résiste à
l'intention du sujet, et oblige à penser la
dimension d'une réalité
étrangère qui ne correspond pas
forcément à ses prévisions.
Nier cette réalité, c'est se
défendre contre l'angoisse de l'inconnu et
de l'imprévu qui sillonne pourtant
quotidiennement nos pratiques professionnelles.
Mendel analyse cette " réduction de
l'acte " comme un " trou noir " dans la
pensée, un impensé majeur de notre
culture, significative d'un monde qui vise le "
zéro défaut ", et qui voudrait
tout prévoir, tout maîtriser :
l'action aurait dans cette perspective vocation
" naturelle " à la perfection !
Alors que le risque participe de l'acte
éducatif lui-même, c'est même
une de ses propriétés les plus
fortes
" Agir et prendre un risque sont
les deux faces de la même
médaille. "
Ainsi,
on décide d'une action, mais c'est
à l'acte qu'on a à faire,
avec toute cette dimension de
l'imprévisible et de
l'immaîtrisable qui fait partie
intégrante de nos
métiers.
La logique des
compétences
Un risque majeur de la logique des
compétences tient pour moi à tout le
système de valeurs qu'elle porte avec elle,
tourné vers l'efficacité,
l'opérationnalité, la
rationalité instrumentale, sachant que
l'idéologie techniciste n'est pas que dans
les ordinateurs : elle peut gagner les
procédures, les paroles et les gestes
professionnels
le danger est que les esprits
se mettent à fonctionner comme des machines,
en procédant par items et protocoles, avec
ce qu'il en coûterait en terme
d'appauvrissement de la parole, de la
subjectivité, de
l'affectivité.
Il m'apparaît donc essentiel de laisser
les référentiels "à
leur place" c'est-à-dire de les
considérer à titre indicatif, comme
un outil qui permet seulement de formaliser
l'activité et de ne pas polariser notre
attention uniquement sur ce qui est à faire
et sur ce qui se voit, sur ce qui s'observe, mais
de revenir toujours aussi vers le travail
relationnel, qui se décrit difficilement, et
sur le but et le sens de notre action
éducative.
Ceci dit, le cadre des référentiels
de compétences nous oriente vers certaines
valeurs qui ne sont peut-être pas
incompatibles avec la conception que je
développe ici, dans la mesure où les
dispositifs formatifs à élaborer
restent ouverts. Il nous faut inventer des
stratégies d'appropriation au lieu de
chercher à appliquer un modèle,
l'intelligence consiste à lire entre les
lignes des textes réglementaires et non
à appliquer seulement des prescriptions ou
consignes
L'application est commode mais,
derrière la prescription, la
réinvention est toujours possible. Et la
démarche clinique d'accompagnement est un
processus qui vise un ajustement
réfléchi et créatif des
professionnels aux situations ardues, complexes
qu'ils rencontrent.
Travailler ses
idéaux
Le travail sur la temporalité, les
aléas, les incertitudes, la
complexité et l'impossible est tout à
fait fondamental pour un enseignant ou
éducateur. En effet, les professionnels font
souvent face à de rudes épreuves au
quotidien : agressions, ruptures
répétitives et violentes des liens,
destruction des sentiments,
désillusions
(Chami, 2006). Leur
personnalité professionnelle est soumise
à d'importantes effractions. Et il importe
qu'ils restent " des personnes vivantes et des
professionnels conscients, qui ne soient pas trop
attachés à leur ego, mais le
connaissent suffisamment pour en faire un outil de
travail et d'échange" (Chami, 2006,
p.82).
Cela suppose de travailler ses idéaux, pour
comprendre quelque chose de ses motivations
profondes à l'exercice de la profession et
intégrer un peu plus harmonieusement " ses
démons intérieurs ", si l'on admet
l'idée qu'au fondement des choix
professionnels d'un éducateur (j'ai
écris par inadvertance : d'un
éducatuer !) existe toujours "une double
composante de son identité professionnelle,
à la fois réparatrice et sadique"
(Blanchard-Laville, 2006, p.117).
La perspective clinique permet d'envisager un
certain travail sur la négativité et
la destructivité inhérente à
ces métiers qui produisent de la haine sous
la bienveillance affichée et le projet
d'autonomisation de l'autre
- En effet, il
faudrait travailler tout d'abord
l'idéal de bienfaisance,
c'est-à-dire l'illusion de pouvoir
guérir et réparer, de trouver des
pansements à l'absence de solutions, de
redresser la barre pour rejoindre un monde
meilleur
- l'idéal de
transparence, ce leurre d'un accès
direct, spontané, au plus près de
"la vérité" de l'autre, pour
pouvoir lire en lui et trouver " sa
vérité " pour l'aider à
changer
- l'idéal de la
communication, de la possibilité
d'accéder au monde vécu de
l'autre, parce qu'il parait si semblable qu'il
en deviendrait le même. C'est tellement
rassurant de pouvoir imaginer cet échange
de paroles, d'idées, de conceptions
à partir d'un autre moi- même ;
cela permet d'occulter les impasses
relationnelles, l'altérité
radicale de la rencontre, c'est comme si le
langage était commun, comme si le sens
des mots était acquis
Alors qu'il
est polysémique, toujours sujet au
quiproquo
- c'est enfin
l'idéal de l'Autorité de l'expert
, qui porte aux nues à la fois
l'expertise et l'expert et bouche l'angoisse de
la rencontre par la quête de certitude.
C'est une demande de sécurité et
de maîtrise, qui pourrait assurer et
rassurer sur ce qu'il faut faire pour être
un expert
en cherchant à "coller"
au modèle professionnel tel qu'on
l'imagine ; à partir d'explications, de
repères, de savoirs certains, de
recettes, des indications à suivre dans
tel ou tel cas.
Ainsi, le travail quotidien pose constamment la
question du sens de ses actes, interroge la
dialectique implication-distanciation, et oblige
à penser sa pratique relationnelle
au-delà de la transmission des savoirs.
Le rapport aux
savoirs
Au fond la transmission des savoirs devrait
toujours s'articuler avec un questionnement sur le
rapport au savoir. C'est un point que je travaille
beaucoup avec les personnes en formation car le
besoin de savoir tout de suite, le besoin de sens
peut devenir un problème.
La représentation de la formation comme
une accumulation de savoirs et de savoirs
faire, avec l'idée d'en " savoir
toujours plus " est fréquente; elles
cherchent alors à se conformer à
cette image d'un " bon professionnel "
à partir de l'anticipation qu'elles se font
de la " bonne manière " de
répondre à la commande
institutionnelle, ce qui nuit
considérablement à l'engagement
possible d'une implication et d'une pensée
propre de l'acte professionnel.. Enfermées
dans l'épaisseur et l'inertie d'un
rôle distribué et
déterminé à l'avance, elles se
concentrent à essayer de " coller "
au modèle au lieu d'inventer leur propre
identité professionnelle.
Elles recherchent des définitions partout,
des principes de classement
systématisés, la maîtrise d'un
processus de formation univoque et centré
sur l'hégémonie des méthodes
et des techniques ; elles se réfèrent
à ce qui peut être observé et
cherchent à établir la liste des
tâches accomplies qui feraient d'elles de "
bons professionnels "
Elles cherchent à démontrer qu'elles
ont bien intégré les normes et les
codes professionnels, leur idéal est
l'objectivité, la prescription, le discours
fidèle aux attendus, transparent et
adéquat, comme si le métier qui les
attend était du côté des
conventions, des procédés et des
règles établies une fois pour toutes.
Elles manifestent une soif de procédures,
voire de recettes pour " acquérir ces
compétences ", ce qui les rend souvent
sceptiques, voire agressives devant la
nécessité du détour et du
questionnement.
Au fond le savoir est rabattu sur un objet de
besoin ; le savoir délivrant une
compétence immédiate est
valorisé, et non pas le savoir comme
condition d'appropriation subjective ; Cet
idéal du " comment faire " leur
permet de se dégager de la
problématique subjective qui est pourtant au
fondement de tout processus de
formation.
Le " savoir y faire "du professionnel
suppose bien entendu des capacités en terme
de savoirs scientifiques, de compétences
techniques, méthodologiques, mais aussi de
savoir-être, de savoir se tenir dans la
situation et pouvoir inventer ; c'est un travail
d'implication subjective où les savoirs
acquis peuvent effectivement être
utilisés, mais le fil quotidien est aussi
fait d'imprévisible et de ce qu'on ne sait
pas ; d'un réseau de nuds complexes
à nouer et à dénouer, à
analyser et à prendre en compte. Or les
personnes les plus assurés dans les domaines
scientifiques, techniques ou didactiques,
rencontrent parfois beaucoup de difficultés
à s'engager dans l'expérience de la
rencontre intersubjective.
Requestionner en permanence le sens de notre
action, en repérant nos tendances et
nos dérobades, en sachant mieux
reconnaître nos limites et en ayant un
regard lucide sur ce qui nous porte vers
notre profession est peut-être un des
fondements de la formation telle que je la
conçois.
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