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L'école, les savoirs et la culture

comme possible principe de régulation dans le système scolaire

Michel Develay

Une enquête récente auprès d'élève

s de seconde; Deux questions sont posées :

" Comment peut-on expliquer le choix de ce qui est enseigné au lycée "

" Si vous étiez le responsable des programmes, que choisiriez-vous d'enseigner ?

  

 Cette enquête nous montre :

- d'une part, que les élèves ne confèrent que peu de signification aux savoirs.

             Ces derniers sont considérés comme des donnés et non pas des construits sociaux qui existeraient depuis la nuit des temps (les mathématiques, l'histoire ou les sciences existeraient depuis toujours en tant que corps de discipline constituée, comme l'école d'ailleurs). Les savoirs ont pour rôle essentiel, répondent les élèves, de permettre de passer dans la classe suivante ou le cas échéant d'échouer. Une fonction de sélection leur est prioritairement attribuée. Finalement pourquoi enseigner ce que l'on enseigne ? Les élèves répondent : pour faire en sorte que certains n'arrivent pas au bout des études

- d'autre part, ils dénoncent le caractère encyclopédiste des savoirs scolaires, peu ou pas reliés aux questions de la vie contemporaine et de leur destinée professionnelle. Ils se demandent s'il faut faire de l'histoire et de la géographie, de la physique de la biologie et des mathématiques quand on se destine à une vie professionnelle dans la publicité ou dans l'interprétariat de langue.

             Pour plagier certaines réponses : A quoi ça sert d'apprendre les identités remarquables, voire de faire des maths ? Et je pense qu'ils répondraient volontiers :

à quoi ça sert, l'école ?

 - enfin, ils regrettent l'absence de certaines matières comme, … mais oui : la cuisine, le cinéma ou le théâtre, davantage disent-ils en relation avec la vie de tous les jours que beaucoup de disciplines. De façon quelque peu synthétique, on peut conclure que le savoir n'a que peu de sens pour les élèves, excepté pour ceux qui réussissent à l'école.

 

             Le savoir ne constitue pas, pour eux, la réponse aux questions que les hommes se sont posées depuis l'origine de l'humanité.

             Le savoir apparaît comme une réalité déconnectée de l'histoire d'une humanité confrontée à des questions qu'elle cherche à résoudre, à des actions qu'elle tente de conduire.

             Le savoir est un truc scolaire. Point barre diraient certains.

 

Emmanuel Kant distingue, dans La critique de la raison pratique, les principes d'action et les principes régulateurs de l'action.

Principe, du latin principium est ce qui est premier, ce qui est au commencement.

             Le principe d'action est ce qui est au point de départ de l'agir. Le principe d'action qui est au départ de ce texte, qui m'a conduit à accepter ce travail, sans doute se retrouve t-il simultanément dans mon souhait de répondre toujours positivement aux sollicitations, et à un niveau plus inconscient au plaisir de faire partager mes convictions, à moins que ce ne soit à une restauration narcissique que souvent de telles situations induisent.

             Le principe régulateur est ce qui conduit, au cours de l'action, à une vigilance susceptible d'interroger, d'interpeller cette action. Un principe régulateur constitue une norme, un mode de veille pour l'action. Le principe régulateur de mon travail d'écriture, qui donc est susceptible de l'interroger de manière permanente, réside entre autres dans une maîtrise du temps qu'il me demande, et à un niveau plus inconscient, le principe régulateur serait : comment rester dans le registre de la fragilité en relatant mes convictions et simultanément mes doutes.

 

             Faire du couple " savoirs - culture ", le principe régulateur de l'activité scolaire devrait conduire les enseignants à se demander si, lorsqu'ils enseignent, ils tentent de donner du sens à leurs contenus, en reliant les savoirs à la culture.

 

Qu'entendre par culture ?

 En première approche, la culture s'oppose à la nature.

             Nous sommes des êtres cultivés car au-delà de nos propres histoires nous avons le sens de l'histoire, parce qu'au-delà de la satisfaction de nos propres besoins et de nos désirs nous avons la perception de l'autre et plus encore, nous nous en sentons responsable. Parce que même nous vivons la quête de l'universel. La culture n'est pas inscrite dans nos gênes mais dans notre esprit. Elle se découvre, se transmet (consciemment ou inconsciemment ; cf. la notion d'habitus) et n'est en aucune manière un donné. Nous naissons avec non pas les seuls comportements induits pas notre génome, mais l'histoire de tous ceux qui nous ont précédé et qui est répertoriée dans les bibliothèques certes, mais aussi dans nos habitus (que Pierre Bourdieu définissait comme une disposition générale de l'esprit qui nous fait voir les choses sous un jour déterminé).

 Mais les choses sont plus complexes que l'opposition nature-culture

             Pour éclairer celle-ci, dans un livre très remarqué intitulé " Education et culture ", Jean-Claude Forquin recense cinq façons de parler de culture :

- la première est la conception philosophique que nous venons d'évoquer opposant nature et culture

- la seconde correspond à l'acceptation traditionnelle, qui fait parler de l'homme cultivé. L'homme cultivé possède un large éventail de connaissances et de compétences cognitives générales lui permettant d'échapper à la pure actualité. Dans cette visée l'Université est le lieu par excellence de production de la culture ;

- la troisième est la culture dont parlent les sciences sociales. La culture comme l'ensemble des traits caractéristiques du mode de vie d'une communauté ou d'un groupe, y compris dans ses aspects les plus quotidiens, les plus triviaux. Les sociologues expliqueront que la culture se retrouve dans des objets, des codes, des langages, des valeurs, des modes d'organisation spécifiques ; La culture talibanne et la culture occidentale n'ont pas la même conception de la femme (entre autres). Ne parle t-on pas de culture d'établissement pour désigner le jeu des interactions qui s'y développent ?

- La quatrième acceptation est patrimoniale, différencialiste et identitaire. Elle rejoint la précédente, avec la volonté de distinguer sa culture d'appartenance des cultures proches. On dira que dans un pays comme le Liban, la culture des chrétiens maronite souhaite se distinguer de celle des druzes, des chrétiens orthodoxes, des sunnites ou des chiites. Le terme culture est dans ce cas utilisé pour affirmer une identité.

- La cinquième acceptation est à dimension universaliste et unitaire. On recherche, dans cette vision, ce qui unit davantage que ce qui sépare, contrairement à l'approche précédente. L'éducation est censée transcender les frontières et les particularismes mentaux, prospectant une mémoire commune et un destin commun à toute l'humanité. La culture est, dans cette dimension, à vocation universelle avant d'être à dimension particulariste. L'idée de culture commune à l'école participe de ce point de vue.

 On peut synthétiser ces cinq points de vue en suggérant

deux fois deux approches de la culture.

- Une approche à visée patrimoniale (ce qui existe à travers les livres, sur les rayons des bibliothèques) qui s'opposerait à une culture à visée anthropologique (ce qui fait sens à la personne).

             Dans la première perspective, l'école serait à envisager comme apportant aux élèves la connaissance de tout ce qui les a précédés.              Dans la seconde perspective, l'école est à envisager comme ce qui est signifiant pour l'apprenant, ce qui fait sens pour lui.

- Une approche à visée particulariste (la culture identitaire de son pays d'appartenance) opposée à une approche à visée universaliste (rechercher non pas ce qui particularise, mais à l'inverse ce qui universalise)

 

             Ces deux couples (visée patrimoniale et visée anthropologique, d'une part ; visée particulariste et visée universaliste, d'autre part) me semblent devoir et surtout pouvoir être réconciliés au sein de l'école.

 

Unir les savoirs et la culture.

             Les savoirs scolaires, afin d'être signifiants pour les élèves, doivent leur apparaître simultanément comme porteurs de l'histoire de l'humanité (les savoirs répondent aux questions que l'homme s'est posées sur lui-même, les autres et le monde) et comme réfractant leur culture d'appartenance (certains savoirs sont universels, d'autres spécifiques à un consensus à l'intérieur d'une communauté : ainsi en va-t-il des savoirs des sciences humaines et sociales).

             Les savoirs me semblent donc capables de mettre en tension universalisme et particularisme, visée patrimoniale et visée anthropologique dans une quête jamais achevée, une construction permanente provisoirement stabilisée.

 

 Quatre éclairages de la manière de procéder en milieu scolaire

permettent de donner corps à ce projet :

un éclairage épistémologique, un éclairage psychologique, un éclairage sociologique et un éclairage anthropologique sur les savoirs enseignés.

 * L'approche épistémologique s'intéresse aux structures des savoirs, se rend attentive à faire caractériser par les élèves le lien savoirs et discipline à travers des notions comme celles de matrice disciplinaire, de concepts intégrateurs, de trame conceptuelle … entre autres.

             Il s'agirait de former les enseignants à une épistémologie scolaire, conçue comme réflexion critique sur les principes, les méthodes et les conclusions d'une discipline, attentive aux fondations des savoirs enseignés, attentive à faire exister l'idée de discipline (et forcément d'interdiciplinarité) et pas seulement de savoirs.

 * L'approche psychologique est soucieuse du rapport aux savoirs enseignés aux élèves à travers les questions vives que ceux-ci leur posent.

             Dire que l'on aime ou non les mathématiques illustre bien la relation de profondeur que chacun vit avec les contenus enseignés. Le rapport aux savoirs que vivent les élèves (et qu'ont vécu les enseignants) n'est pas un rapport de superficialité mais un rapport de profondeur.

 * L'approche sociologique est attentive au contexte familial, communautaire dans lequel s'inscrit l'élève, avant même sa venue à l'école.

             Pour réussir à l'école, il faut avoir envie de réussir et donc, pour les élèves les plus défavorisés, de s'inscrire dans une identité nouvelle, parfois en grand décalage d'avec sa culture d'origine. Ce qui suppose un encouragement familial en général afin d'avoir le sentiment de pouvoir continuer de se rallier à son identité d'origine, tout en appartenant un jour, avec la réussite, à une nouvelle catégorie sociale. Le rapport aux savoirs est aussi un rapport à dimension identitaire.

 * L'approche anthropologique se centre sur les questions qui sont sans doute au cœur de la construction progressive des disciplines scolaires car elles répondent à des interrogations fondamentales de l'homme.

             Le cas de la biologie et du rapport esprit-matière ou de l'étranger qui est en nous.

             Le cas de l'histoire comme, au-delà des conflits qui ont émaillé le cours du temps, le long fil qui nous rattache à l'aube de l'humanité.

             Le cas de l'EPS comme renvoyant à la question du rapport entre l'homme et son corps.

             Ainsi nous semble t-il, cette volonté que nous avons de relier savoirs et culture montre bien que l'école ne peut pas fonctionner seulement sur le rapport présent-futur comme elle le fait avec l'idée de projet qui inspire tout le système. Elle doit penser tout autant en termes de rapport entre passé et présent comme nous avons cherché à le suggérer.

             Le principe régulateur du système scolaire, nous venons de l'envisager avec l'interpellation permanente des savoirs enseignés par l'idée de culture. Aucun savoir présenté, transmis, construit, sans que le maître ne se questionne sur le lien à établir entre ce qu'il enseigne et la culture dans laquelle et par laquelle ce savoir prend du sens.

Ce qui conduira les élèves à :

- découvrir ou à redécouvrir la force de la raison qui permet de sortir du piège de la doxa.

- une réhabilitation de la mémoire qui permet de saisir les filiations, de revenir aux origines.

- percevoir la liberté nécessaire à la réflexion mettant ainsi en actes les trois piliers d'une vie démocratique et d'une société laïque.

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