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Pourquoi ai-je été " rogérien " en classe ?

(Témoignage d'un professeur à la veille de la retraite)

 Jean-Daniel Rohart

"             Je fais plus confiance à mon expérience qu'à telle ou telle opinion autorisée " Carl Rogers

             " Parce que je suis un être de relation et que j'opte pour la liberté et l'égalité avec tous, je m'enrichis dans l'affrontement de toute rencontre avec des personnes " Charles Maccio

             L'attitude " rogérienne " en classe n'a absolument rien à voir avec un ensemble de recettes qui résoudraient tous les problèmes comme par miracle, ce qui ne signifie pas non plus qu'elle ne permette pas de temps en temps, de véritables " miracles " (j'y reviendrai).

             L'attitude " rogérienne " n'a rien à voir non plus avec une attitude totalement " non directive " et permissive (Rogers est revenu sur ce terme, cause de malentendus, surtout chez les enseignants se situant dans la mouvance soixante-huitarde et dans celle du New-Age et ayant "des problèmes d'autorité" comme on dit), ni avec une attitude de laisser-faire et de laisser aller .

L'attitude " rogérienne " requiert, tout au contraire, pour sa mise en œuvre dans des conditions optimales - surtout dans le contexte de l'École des années 2007 - l'existence d'un cadre précis et bien défini, ainsi que des exigences claires sur tous les plans.

             L'attitude " rogérienne " n'est pas renonciation à des exigences intellectuelles élevées, ni mépris pour l'intelligence, la culture humaniste et la rigueur universitaire et scientifique. Tout au plus peut-on parler de rejet d'un intellectualisme outrancier tournant le dos aux faits, aux sentiments, aux émotions et à la vie. Pour Rogers, tout comme pour Jung, le recours systématique à des dogmes, quels qu'ils soient, est la preuve d'un doute intérieur et éloignement de la vie et du vécu des acteurs, au nom d'un respect inconditionnel pour l'abstraction, les idées et les théories.

L'attitude " rogérienne " requiert donc de la rigueur, tant sur le plan relationnel et humain, que sur le plan intellectuel, culturel, pédagogique et didactique.

 

Les difficultés de l'attitude " rogérienne " en classe

             L'adoption de l'attitude " rogérienne ", surtout au début de sa mise en œuvre par un professeur nouvellement acquis à la pensée de Carl Rogers, entraîne, il est vrai, des difficultés et des problèmes. Elle ne va pas de soi ! Un professeur " rogérien " dans un établissement scolaire est ressenti comme une menace par ses collègues et par les membres de la hiérarchie intermédiaire : proviseurs, proviseurs adjoints, principaux de collège et inspecteurs.

Un enseignant " rogérien " doit veiller à rassurer tous les acteurs de la relation éducative : élèves, parents, collègues, conseillers principaux d'éducation (CPE), documentalistes, chefs d'établissement et inspecteur (IPR).

             L'adoption d'une attitude " rogérienne " par un professeur ne va pas de soi. Mais, alors, pourquoi, se demandera peut-être le lecteur de ces lignes, tenter d'acquérir une telle attitude, si elle génère de nouveaux problèmes et demande une telle prudence et une telle patience presque au-dessus des forces humaines ? (Rogers disait de lui-même qu'il était têtu !)

             Le choix d'une telle attitude est conseillé et recommandable, il me semble, dans la mesure même où, même si elle ne met pas à l'abri de tous les problèmes (mais est-ce cela la vie professionnelle, une vie sans aucune aspérité, sans aucun risque ?) et engendre peut-être un type particulier et spécifique de problèmes, elle permet de répondre de façon vivante et " expérientielle " (Rogers) à la question du sens de la pratique enseignante et du sens de sa vie professionnelle (de sa vie tout court ?) Elle aide aussi les élèves à trouver un sens à l'apprentissage, elle les responsabilise .

             Nous sommes capables de supporter une certaine dose de souffrance et d'angoisse, à partir du moment où cette souffrance et cette angoisse possèdent un sens à nos yeux et il semble, d'autre part, que nous ne soyons pas soumis à des souffrances supérieures à celles que nous sommes normalement capables de supporter .

             L'important, c'est de jamais perdre confiance en la vie et en nos possibilités personnelles, en faisant le pari, avec Rogers, que nous possédons en nous-mêmes les forces et le potentiel qui, dans des conditions à peu près " normales ", nous permet d'atteindre au meilleur développement possible de nos potentialités et d'accompagner le développement (grow) de celles d'autrui. Carl Rogers parle de tendance actualisante et écrit.

             Le même Carl Rogers porte témoignage - ainsi que mon expérience personnelle - de ce que l'adoption de l'attitude " rogérienne " en classe rend possibles de temps en temps de véritables miracles .

             Et ces " miracles " constituent, je vous l'assure, une compensation pour les désagréments passagers entraînés par l'adoption d'une attitude nouvelle qui peut, dans un premier temps, être ressentie, c'est vrai, comme anxiogène et déstabilisatrice pour les élèves, peu habitués (malheureusement ?) à sortir des rapports pédagogiques traditionnels !

             On le sait, la nouveauté fait peur, tout comme la liberté et l'intrépidité pédagogique, la créativité sont perçus comme anxiogènes, au moins au début et par certaines personnes.

             Dans le champ politique, deux disciplines, l'histoire et la psychologie sociale, nous enseignent que les dictatures ne peuvent s'installer durablement (l'appareil répressif ne suffit pas à lui seul !) que parce qu'une partie de la population dominée y adhère (librement !) et croit y trouver son compte. L'autorité même abusive a le " mérite " de rassurer certaines personnes. Sans parler des avantages matériels divers que certains ont à appuyer et cautionner le pouvoir. De même, à l'École, le système ne peut se perpétuer que grâce à la complicité plus ou moins consciente des enseignants, des chefs d'établissement et des inspecteurs. Dans le domaine didactique et pédagogique, il peut paraître parfois plus simple d'obéir aveuglément aux consignes d'un inspecteur et de suivre une méthode labellisée, que d'inventer continuellement et de tenter de mettre sur pied une pédagogie qui soit en prise sur la vie mouvante et sur les attentes forcément changeantes et contradictoires des élèves.

             Enseigner aujourd'hui n'est pas chose facile ! Aucune attitude, aucune méthode, aucune technique, même celles préconisées (plus ou moins imposée par l'inspecteur) ne peut nous mettre à l'abri des difficultés, et des aléas de la vie de la classe. Chacune ne possède qu'une part forcément relative de la vérité ! Pourquoi continuer d'opposer de manière radicale des méthodes et des attitudes qui pourraient être considérées comme complémentaires et plus à même de nous aider à répondre aux défis que nous pose la gestion de la classe dans un contexte nouveau et incertain ? Chacun ne devrait-il pas enseigner que dans le fil de son bois ? Et le principe de la liberté pédagogique ne se trouve-t-il pas bafoué aujourd'hui ?

             La vie en groupe comporte une part inévitable (et normale) de violence : la violence des affects et lorsqu'une Institution est malade, comme c'est le cas aujourd'hui de l'École - de l'enseignement primaire à l'enseignement universitaire - les relations éducatives sont parfois malsaines, perverses et anxiogènes, avec une dose élevée d'enjeux de pouvoir. Le malheur rend méchant : c'est un invariant anthropologique, " moral " et psychologique qu'il convient de ne pas oublier, par naïveté, angélisme et méconnaissance de l'" âme " humaine !

             La perte de sens de leur pratique et leur souffrance ne prédisposent pas les enseignants et les autres membres de la relation éducative, du haut en bas de la hiérarchie, à la générosité, à l'ouverture d'esprit, à la tolérance et à l'intrépidité relationnelle et intellectuelle. C'est le règne de la routine et de la médiocrité qui s'installe. Ce sont les demi-habiles qui sont au pouvoir ! On dirait que plus l'Institution échoue, plus elle réaffirme ses credo de manière autoritaire et autosuffisante, comme pour se rassurer elle-même et persévérer dans son être malade et malsain.

             Contrairement à certaines critiques, Carl Rogers n'a nullement oublié la dimension violente des rapports humains. Ses " théories " sur ce sujet ne sont pas lénifiantes ni empreintes de naïveté. Il n'a pas oublié non plus l'existence du Mal.

             D'ailleurs, le professeur qui oublierait cette dimension ontologique du Mal, paierait rapidement le prix pour cette ignorance, doublée d'angélisme et se verrait obligé de réintégrer cette donnée. Le pire en matière d'autorité, c'est le manque de cohérence, c'est le passage rapide d'une attitude " cool " et laxiste, à une attitude sévère. Les élèves ne s'y retrouvent plus !

             En adoptant une attitude " rogérienne " en classe, on peut contribuer à faire évoluer les choses, sans pouvoir prétendre installer le " paradis sur terre " (ou en classe) ou changer radicalement l'homme ! Les élèves, leurs parents, nos chefs. On peut, toutefois, contribuer à changer l'Institution de l'intérieur. Sans être " un révolté incendiaire ", on peut être un " conspirateur " et " militer " pour la naissance d'une autre éthique, une éthique caractérisée par la prégnance des valeurs " féminines " que sont : la reconnaissance de nos limites, notre relative fragilité , le dialogue (dialogal), l'ouverture, la fraternité , le calme intérieur, l'empathie et l'acceptation inconditionnelle d'autrui .

             On peut aussi contribuer à la naissance d'une nouvelle image de père et d'une forme nouvelle d'autorité éloignée de l'autorité propre au paradigme " moderne " dominé par la figure du père surmoïque et les figures du monothéisme.

             Adopter une attitude " rogérienne " en classe, c'est accompagner le changement de paradigme en cours. C'est favoriser la naissance de nouvelles " valeurs ", d'une éducation postmoderne, celle pour laquelle j'ai " milité " tout au long de ma carrière de professeur d'espagnol dans le secondaire, en m'appuyant sur l'anthropologie et l'éthique qui sous-tendent la pensée des " deux Carl ", Carl Gustav Jung et Carl R. Rogers.

 

L'adoption en classe d'une attitude " rogérienne " est chose délicate, mais payante.

             C'est tout un parcours à la fois passionnant et difficile. Alors, je pose de nouveau la question : quel intérêt a-t-on à adopter une attitude " rogérienne " en classe ? Une chose est certaine, une telle attitude ne peut être imposée de l'extérieur, comme le sont les attitudes dictées par l'Institution, à travers les textes officiels, BO et consignes édictées par les inspecteurs lors de leur visite.

             Tout au plus, puis-je essayer de vous donner des arguments ou des raisons qui feront que vous aurez envie (le désir) d'adopter une telle attitude, si elle correspond à votre tempérament et rejoint vos motivations personnelles en tant qu'enseignants.

             Je peux témoigner du fait que l'adoption d'une telle attitude m'a aidé pendant toute ma carrière à continuer d'exercer mon métier avec passion et avec joie, malgré les difficultés que j'ai rencontrées avec les inspecteurs et beaucoup plus rarement avec les chefs d'établissement.

             Le fait que l'on essaye d'adopter une attitude qui est en rupture avec la logique actuelle de l'École et que l'on veuille être libre n'est pas toujours apprécié par ceux qui ont le sentiment de posséder une parcelle de pouvoir et de pouvoir nous imposer une manière d'être et d'enseigner.

             En fait, nos supérieurs hiérarchiques n'ont que le pouvoir que l'on veut bien leur donner, même s'ils peuvent nous faire perdre de l'argent (voir les modes d'avancement : au grand-choix, au petit-choix ou seulement à l'ancienneté) et nous empoisonner un peu et provisoirement l'existence. Si l'on est convaincu de la " justesse " de son attitude, on trouve la force de résister à de tels désagréments. L'aspect financier est relégué au second plan et les blessures narcissiques dépassées ou assumées. A-t-on d'ailleurs le choix ?

             Justesse ne signifie pas que nous ayons toujours raison envers et contre tous. Dans cette logique nouvelle, il n'y a ni gagnant ni perdant, mais seulement des personnes qui, par leur façon d'être, attirent notre attention sur nos points faibles et nous aident à changer et à progresser sur le plan personnel.

             L'important est d'être cohérent, de mettre ses actes en cohérence avec ses " convictions " et son ressenti, c'est d'être authentique et congruent et de ne jamais perdre une fondamentale confiance en la vie et en sa " mission ". L'important est de ne jamais perdre de vue l'intérêt bien compris des élèves et les apprentissages.

             Les élèves, même s'ils peuvent aussi être source de désagréments (ainsi que leurs parents, lesquels sont de plus en plus procéduriers) finissent généralement par comprendre ce que l'on cherche à faire. Je dispose de plusieurs témoignages écrits ou verbaux de mes propres élèves qui me permet de penser cela, même si je n'ai jamais fait l'unanimité auprès de tous.

             Et les collèges non rogériens font-ils l'unanimité ?

             Et au moment où ma façon d'être m'apportait des désagréments, je voyais nombre de collègues se débattre, eux aussi, avec des problèmes difficiles. Pourtant, ils n'étaient pas rogériens ! Ce n'est donc pas leur attitude rogérienne qui était à la source de leurs difficultés ! Et en plus, je les voyais parfois perdre foi en leur mission, arriver à la retraite fatigués, déçus et désabusés.

             Mon attitude d'ouverture et de compréhension a fait parfois que mon cours était le premier où surgissaient des problèmes, dans des classes qui, au fur et à mesure du temps, s'avéraient poser des problèmes à l'ensemble des collègues qui y intervenaient.

             Mais, lorsque les problèmes apparaissaient dans les autres matières que celle que j'enseignais, j'avais moi-même déjà résolu les principales difficultés, et mes classes tournaient de manière à peu près satisfaisante, grâce aux crises et aux conflits qui, abordés de façon " rogérienne " permettaient l'établissement d'un climat de confiance et une responsabilisation plus grande des élèves acceptés inconditionnellement et traités avec empathie.

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Commentaire

Voir également le livre:

Autobiographie de Carl Rogers (Lectures plurielles)

Réactions

 

<<Merci de ce témoignage.>>

<<Ma réaction a été brève..mais je tenais à réagir de suite à la lecture faite sur le site. je partage sur tous les points les idées développées par l'auteur. Je suis persuadé qu'en partie la réponse aux difficultés professionnelles des ensiegnants d'une part, et d'autre part les difficultés d'apprentissage seraient résoluées par cette approche de la relation éducative, telle que prôée par Rogers. J'appuye mes affirmations sur d'une part ma pratique d'enseignants (en EPS et pour 1/4 de temps) et celle de responsable de formation (ds l'enseignement privé sous contrat). Je considère ds le cadre des débats et des propositions que je qualifirais d'officiels (ministère, rectorat, inspection, même syndicats..) cette rpoblématique est peu abordée, comme si cette approche faisait peur. J'ai des hypothèses à ce sujet : je pense que développer l'approche Rogérienne, c'est mettre en avant une conception phénoménologique qui est peu en concordance avec notre époque qui prône la mesure de tout, la quantification, et en fait une non prise en compte de la complexité de l'acte d'enseignement et de formation. Ensuite l'attirance pour les approches technicistes (confère les excés du didactisme).>>

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