On
a beau dire, redire et expliquer, il semble
difficile de leur faire entendre raison. Qu'ont-ils
donc dans la tête, ces petits ? Que
comprennent-ils de ce qu'on leur explique ? La
réponse à cette question n'est pas
aussi simple qu'il y paraît pour deux raisons
:
- d'une part, on
n'a pas accès à leurs
représentations intérieures
mais juste à leurs comportements,
- d'autre part, notre
regard est filtré par notre propre
manière de voir le monde que l'on
projette sur l'enfant.
En fait, il
s'avère aussi difficile pour un adulte de se
mettre dans la peau d'un petit enfant que pour un
habitant du XXIème siècle de
s'imaginer les croyances et les pensées des
habitants du Moyen-âge
C'est une
étape de développement par laquelle
l'individu comme la société sont
passés, il y a longtemps, mais qui a
été " recouverte " par de nombreuses
expériences et compétences.
Cette difficulté
est source d'attitudes parfois inadaptées
chez les parents ou professionnels : des exigences
trop fortes ou brutales ou à l'inverse un
environnement surprotecteur qui, dans les deux cas,
freinent le développement de l'enfant et
épuisent l'adulte.
Pour accompagner au
mieux l'enfant dans cette maturation, il est donc
essentiel de trouver des repères. Le
modèle de la spirale dynamique se
révèle particulièrement
pertinent pour mieux appréhender les
capacités de l'enfant en fonction de son
âge car il décrit des étapes de
développement qui apparaissent de
façon progressive, dans la lignée de
J. Piaget (compétences cognitives) ou de L.
Kohlberg (compétences morales).
Le développement
de l'être humain s'articule autour de deux
axes complémentaires :
- la singularisation
: se différencier pour devenir un
être unique et singulier,
- la relation : se
rapprocher des autres et se socialiser.
Les étapes du
développement se situent alternativement sur
un axe et sur l'autre dans un mouvement de spirale
comme le montre le dessin suivant.
Le
stade instinctif
De sa naissance
à environ 5 mois, le
bébé est mû par
l'instinct de survie. Ce premier
stade se situe sur l'axe de la
singularisation : à sa naissance,
le bébé devient un
être physique
différencié qui
reçoit un nom. Le cordon ombilical
est coupé et le voici sorti de la
matrice nourricière. Le
bébé dépend
entièrement de son entourage pour
survivre et n'a pour s'exprimer que des
moyens rudimentaires : pleurs, cris,
sourire aux anges... Il est dans une
étape de "
toute-vulnérabilité ".
Ce premier stade
correspond au stade sensori-moteur de
Piaget. Le bébé cherche
à satisfaire ses besoins de
façon très instinctuelle par
des actions réflexes : il sait
téter, trouver le sein et son
pouce. Il réagit aux stimuli
environnementaux mais ne fait pas encore
de distinction entre lui et le monde. Sa
relation au monde est principalement
kinesthésique et la
manière dont on le touche, dont on
le prend dans les bras et le nourrit est
essentielle comme l'ont montré
les expériences d'haptonomie.
Le
stade fusionnel
Le stade
fusionnel dure environ de 4 mois à
2 ans. Le bébé
réalise progressivement la
différence entre le monde physique
" au dehors " et son existence propre : il
reconnaît ses mains et ses pieds
comme faisant partie de son Moi physique.
Cependant, il reste en fusion
émotionnelle avec son entourage, et
plus particulièrement avec sa
mère : il croit que le monde
ressent ce qu'il ressent, veut ce qu'il
veut, voit ce qu'il voit. Il projette ses
sentiments et ses intentions sur les
objets : le doudou est gentil car il
console, et la chaise est méchante
car elle fait mal. C'est l'âge de la
peur du noir, des cauchemars. Tout peut
devenir source d'enchantement mais
également d'épouvante.
Cette
étape va de pair avec un
approfondissement du stade sensori-moteur
défini par Piaget. La perception du
monde reste surtout sensorielle mais
l'enfant coordonne mieux la vision et la
préhension : il prend des objets de
façon intentionnelle et teste les
effets de ses actes (la petite
cuillère jetée pas terre des
dizaines de fois
). Il commence
à marcher, son territoire
s'agrandit et il gagne en autonomie. Il
est partagé entre la demande de
bras protecteurs et le désir de
s'aventurer seul dans le monde.
Il
a besoin d'objets transitionnels (le "
doudou "), de rituels d'endormissement ou
de séparation pour bâtir une
sécurité intérieure
même quand la figure réelle
de la protection n'est pas
présente.
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Le stade
égocentrique
Entre 2 et 5 ans environ,
l'enfant découvre le courage de s'affirmer
et le plaisir d'obtenir satisfaction. C'est
l'émergence du Moi Psychique, la prise de
conscience d'être 'Je'
Ce stade correspond au
stade préopératoire décrit par
Piaget. L'enfant appréhende le monde au
travers des symboles : il peut imaginer quelqu'un
d'absent et imiter une action en
différé. Mais sa perception
égocentrique limite sa compréhension
du monde : il croit que tout a été
fabriqué par les humains (artificialisme),
il mélange les lois physiques et morales (ex
: les bateaux flottent parce qu'ils sont gentils),
il croit que les évènements ont un
but (ex : les nuages avancent dans le ciel pour
apporter la pluie).
Son affirmation est
impulsive : il tente d'imposer ses désirs
par la force, supporte mal la frustration et
déteste que le monde (et les autres !) lui
résiste ! Il teste sa puissance mais aussi
ses pouvoirs magiques... Son monde est empli de
héros capables de changer la
réalité quand ils le
désirent
Comment passer ce cap
difficile ? L'enfant de cet âge est peu
accessible à la raison. Aussi, est-il
inefficace de s'évertuer à lui
expliquer en détails le pourquoi des
règles. L'enfant a besoin que sa puissance
d'affirmation soit reconnue et valorisée
mais aussi canalisée pour éviter
qu'elle ne blesse. La tâche n'est pas si
difficile que cela car l'adulte a des ressources
bien supérieures à celles de l'enfant
: sa force physique et son intelligence. Si
l'enfant a besoin de bouger, de sauter, de crier,
super ! mais dehors ou dans un coin
autorisé, s'il veut frapper super ! si c'est
sur l'oreiller ou le ballon, s'il veut mordre super
! mais dans la pomme. C'est l'approche de
l'aïkido : il ne s'agit pas de " casser "
ou de bloquer la puissance de l'enfant car elle est
essentielle à son développement, mais
de la canaliser.
Le stade
normatif
L'enfant traverse entre 5
et 9 ans environ le stade normatif qui
répond au besoin d'apaisement qu'apporte un
monde ordonné et protecteur dans lequel
chacun a une place et un rôle à jouer.
Son impulsivité lui joue des tours et il se
heurte régulièrement, et parfois avec
fracas, aux lois physiques (le feu brûle, les
objets tombent
) et aux lois sociales (on ne
mord pas, on attend, on partage
). Il a besoin
de savoir ce qui est bien ou mal, interdit ou
autorisé. La parole des adultes devient la
référence : " papa a dit que ", " la
maîtresse a dit que
". Il accepte de
jouer son rôle d'enfant dans une pièce
écrite et mise en scène par les
adultes si les autres acceptent aussi ces
règles du jeu
. Il lâche les
bénéfices de la puissance, devient
sensible à l'ordre pour " vivre plus en paix
". Il est même parfois plus royaliste que le
roi : il s'offusque si l'on change un mot dans un
conte qu'il connaît par cur et
dénonce avec véhémence les
infractions aux règles.
Les repères ainsi
donnés lui permettent de déposer les
armes et de s'intégrer dans un univers
structuré et prévisible dans lequel
il peut apprendre. Plutôt que de limites,
ce dont a besoin l'enfant à ce stade,
c'est d'ordre et de repères dans l'espace,
le temps et les rôles de chacun. L'adulte
l'aide en restant présent, bienveillant et
ferme lorsque l'enfant est débordé
par ses pulsions et ses émotions. Il peut le
contenir physiquement avec bienveillance pour le
protéger ou l'empêcher de nuire et
plutôt que de dire " je ne suis pas d'accord,
ça n'est pas possible ", expressions
négatives qui restent focalisées sur
" l'objet interdit ", il peut guider son attention
vers d'autres objets ou évènements.
Cela l'aide à traverser la frustration,
d'autant plus qu'à cet âge là,
l'enfant passe facilement d'un intérêt
à un autre, d'une émotion à
une autre.
Comme on le voit, dans
les différentes étapes
présentées, la raison n'est pas
encore une ressource accessible. Ce n'est que vers
6-7 ans que l'enfant acquière une
pensée plus argumentée et
cohérente et encore plus tard qu'il
développera l'empathie.
Plus l'adulte prendre en
compte les capacités de l'enfant, plus son
autorité devient efficace et bientraitante.
Il aide l'enfant à consolider les ressources
que chaque étape lui apporte et il peut
accompagner plus sereinement les passages d'un
stade à l'autre, moments de " crise "
où l'enfant aimerait tout à la fois
grandir et rester petit
Véronique
GUERIN, psychosociologue, auteure du livre
A
quoi sert l'autorité
? S'affirmer,
respecter, coopérer, aux éditions
Chronique Sociale (2001), réalisatrice du
DVD " Je
pleure ou je tape ? Le développement
relationnel de l'enfant de 0 à 3
ans " " et co-auteur
avec J. Ferber de " le
monde change
Et nous ?,
aux éditions Chronique Sociale (2008).
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