QU'EST-CE QU'UTILISER UN EIAH?
Il
y a une très grande différence entre
apprendre à employer un logiciel comme WORD
par exemple et un EIAH.
Un tutoriel de WORD c'est un
programme pour apprendre un logiciel utilitaire
et lorsque la personne peut s'en servir pour
écrire des lettres, construire des textes et
les modifier, l'utilisateur considère le but
accompli.
Un tutoriel d'un EIAH c'est un
logiciel pour apprendre à employer un autre
logiciel (l'EIAH) qui à la fois sert
à apprendre autre chose.
Souvent l'objet de l'apprentissage d'un
EIAH c'est une discipline, une science ou une
langue, pour donner deux exemples enseignés
dans un établissement scolaire ; c'est ce
qui change significativement le rapport de
l'apprenant avec l'EIAH de celui de l'utilisateur
de WORD. Ce n'est pas assez que
l'élève apprenne à employer
l'EIAH comme il suffisait à l'utilisateur
d'apprendre WORD . QUELQUES
QUESTIONS
Avant de commencer à penser à
une prise en main d'un EIAH, il faut se poser
certaines questions. Du point de vue
épistémologique quels sujets va-t-on
choisir d'enseigner ? Quelles sont les raisons
didactiques pour lesquelles il est convenable
d'enseigner et d'apprendre ces sujets avec un
logiciel ? Quels types de situations
d'apprentissage envisage-t-on d'établir pour
atteindre le but ?
L'introduction d'un EIAH dans
l'enseignement suppose l'apparition de deux
nouvelles relations : machine-élève
et machine-professeur qui changent la relation
classique professeur-élève . Dans
quelle mesure la relation
professeur-élève conditionne la
relation avec la machine ? Le professeur est-il
capable d'accepter d'être renseigné
par ses élèves qui souvent en affaire
d'informatique en savent plus que lui ? Est-il
capable d'abandonner le monopole de la connaissance
devant la possibilité de nouveaux
apprentissages que peut nous offrir un logiciel
éducatif ?
L' introduction des EIAH dans l'enseignement
se heurte à une longue liste de
difficultés de divers types. Il ne suffit
pas d'apprendre aux élèves à
employer le logiciel, il faut apprendre aux
professeurs et encore convaincre la
communauté des enseignants, la
noosphère (I .Chevallard), du besoin et des
avantages de l'utilisation de l'EIAH . QUELQUES
CONSIDERATIONS PEDAGOGIQUES
Commençons par dire comme est bien
connu le sentiment très répandu entre
les gens, de la maigre utilité des
tutoriels, et aides aux programmes
informatiques en général. D'une part
on constate que pour pouvoir s'en servir, il faut
toujours avoir une connaissance importante du point
de vue informatique, et si on a cette connaissance,
qui est une condition sine qua non, on
préfère très souvent apprendre
par essai et erreur que regarder le manuel ou le
tutoriel. Ce n'est pas par hasard que se passe
ceci, et je crois, et voudrais montrer, qu'il y a
des raisons pédagogiques profondes
derrière ce problème.
Comme enseignant on voudrait pouvoir
enseigner tout à tous. Mais bien que
l'on veuille, on ne peut pas enseigner à
tous ; ..... I
l y a l'idée latente que plus on
enseigne, plus l'élève apprend, et
ça c'est tout à fait faux . On a
besoin certainement de l'enseignement mais à
un certain moment cela dépasse facilement la
capacité de l'apprenant de faire les deux
processus présents en tout apprentissage
(selon le père du constructivisme Jean
Piaget) : l'assimilation et l´accommodation .
A ce moment là, on peut dire que ce type
d'enseignement au lieu de favoriser
l'apprentissage, l'empêche, et alors il se
transforme paradoxalement en obstacle alors qu'il
est supposé le favoriser. Brousseau
établit clairement ce nécessaire
arrêt de la fonction d'enseigner lors qu'il
fait une jolie description de l'activité de
l'enseignant lors d'une situation adidactique :
''Il doit , par son attitude, convaincre les
enfants de sa neutralité à
l'égard de leurs appréciations de la
situation afin qu'ils renoncent à tirer de
lui les informations et les aides qu'il ne doivent
tirer que d' eux- mêmes''
De cette façon il doit y
avoir un certain équilibre entre ce
qu'on veut enseigner et le discours de
l'enseignement. Pour donner un
exemple, imaginons qu'on veuille apprendre
à quelqu'un à lacer ses
souliers par mail, et nous nous rendrons
compte rapidement que les connaissances
dont on a besoin pour faire et pour
comprendre une telle explication
dépassent largement les
connaissances de la tâche qu'on veut
qu'il apprenne ; celui qui pourra
comprendre une telle explication,
sûrement sera quelqu'un qui
déjà sait lacer ses souliers
et alors pour qui l'explication sera tout
à fait inutile !
Il est bien décourageant d'ouvrir
la fenêtre d'un tutoriel d'un logiciel et
trouver tout de suite plus de 80 items
différents, sans savoir en employer aucun,
ni savoir où commencer. Pour donner une
image plus claire, c'est comme ce professeur qui
montre à ses élèves qu'il sait
beaucoup mais qui parle un langage
incompréhensible pour eux. La
société nous parle tous les jours des
bontés de l'ordinateur pour beaucoup de
tâches, de son efficacité et de sa
vitesse et moi, utilisateur, je reste une
demi-heure devant l'écran sans
réussir à pouvoir faire cette petite
tâche que je veux !! J'ai un tutoriel qui me
parle de 100 choses différentes mais juste
le problème qui me gêne, il n'est pas
là ou il y a tant de choses à lire
que je n'arrive pas à trouver ce qu'il me
faut et en plus si je le trouve, ça ne
m'assure pas non plus que l'explication puisse
être compréhensible. Alors on doit se
poser cette question : Quel est le but (l'objectif)
d'une prise en main ?
Montrer tous les avantages d'un logiciel en
comparaison à d'autres et montrer toutes ces
possibilités de façon à
chercher à émerveiller dès le
début le public. Celui-ci, dans un premier
temps, l'emploiera mais après que les effets
de la mode se seront évanouis, sans avoir
appris à bien l'employer, lui cherchera des
défauts pour justifier son abandon
?
Ou bien, on essaiera de faire
découvrir comment on peut
élargir et approfondir les
connaissances grâce au logicie, en
enseignant à employer seulement
certains outils basiques qui permettront
aux utilisateurs de découvrir le
reste ? Il faut faire une
transposition didactique pour passer de
pouvoir apprendre, par exemple, la
géométrie avec un logiciel,
à pouvoir enseigner la
géométrie avec ce logiciel .
Une des contraintes les plus fortes que
subissent les professeurs c'est de mener à
terme le programme et pour cela ils doivent
enseigner certains sujets ; le professeur
probablement sait déjà comment les
enseigner sans un EIAH ; s'il ne sait pas
comment enseigner ces sujets avec l'EIAH, il existe
alors le risque que l'EIAH joue simplement un
rôle auxiliaire. POURQUOI
EMPLOYER MAINTENANT UN EIAH POUR ENSEIGNER
DES SUJETS QUE JUSQU'À PRESENT
ON A ENSEIGNÉ SANS UN EIAH ET
SANS PROBLÈME ?
Commençons par dire qu'enseigner un
sujet sans problème ne veut pas dire que le
sujet soit bien appris. Il y a plusieurs et
puissantes raisons pour lesquelles on doit inclure
les EIAH surtout dans l'enseignement des sciences.
Il y a aussi plusieurs raisons pour lesquelles les
enseignants résistent au changement. C'est
cette résistance que je voudrais explorer
maintenant. Un modèle
pédagogique classique qui survit
malgré tout
Malgré les efforts des
épistémologues, psychologues de
l'apprentissage et didacticiens tels que J.Piaget,
L.Vygotsky et G.Brousseau qui ont construit une
théorie de l'apprentissage
socio-constructiviste qui met en avant la relation
de l'élève avec la connaissance et
avec ses camarades, il existe très souvent
encore des cours où les étudiants
semblent de simples spectateurs d'un monologue fait
à voix haute par l'enseignant avec
lui-même.
Je voudrais donner un nom à ce type
de situations qui malheureusement continuent
à exister : "effet spectateur" . A un
certain moment, l'enseignant conscient que son
rôle doit inclure certain type d'interactions
pose alors quelques questions, pas avec le but
normal de provoquer une activité, mais
simplement pour avoir quelques réponses qui
lui fait sentir qu'il y a au moins quelqu'un qui le
suit. S'il n'obtient aucune réponse, car ses
étudiants sont devenus si passifs qu'ils ne
répondent pas, alors pour obtenir la
réponse qu'il lui faut pour pouvoir
continuer, il baisse le niveau de la question
jusqu'à des niveaux ridicules, comme si l'on
demandait aux collégiens 2+3 = ?
.
A ce moment là, la
situation devient drôle car le
professeur se rend compte qu'il ne parlait pour
personne et les étudiants se rendent
compte que même ayant perdu de
l'intérêt pour le monologue du
professeur ils auraient pu quand même
répondre à cette bête question
que le professeur avait posé.
Dans une telle situation l'enseignant est le
protagoniste absolu comme l'acteur qui joue son
rôle sur le plateau d'un
théatre. Probablement
un tel professeur donnera son cours exactement
le même devant une classe de 100
étudiants, de 20 ou de 5 étudiants,
car son cours est seulement un savoir à
transmettre . Vers un modèle
pédagogique plus proche de la
réalité
On caractérise très souvent le
processus d'enseignement-apprentissage comme un
processus d'interaction entre les trois
éléments du triangle
pédagogique : l'apprenant, le savoir et
l'enseignant. Richard Faerber de
l'Université Louis Pasteur lors de la
création d'un EIAH appelé ACOLAD
propose au lieu du triangle un autre modèle
: un tetraèdre
pédagogogique.
Je trouve intéressant ce
modèle car il met en avant l'importance du
groupe et ainsi il ôte à l'enseignant
le monopole de l'enseignement. Pourtant, on peut
continuer aussi à travailler avec le
triangle pédagogique bien entendu en
considérant par " enseignant " autant la
personne du professeur que celle du camarade, ou
l'utilisation d'un EIAH et d'autres sources
d'information peut-être moins interactives
comme les livres ou Internet.
Dans toute interaction les
éléments qui y participent sont
modifiés par l'échange avec les
autres. On parle des changements des
élèves appelés apprentissages,
des changements des savoirs appelés
transpositions mais on ne parle pas des changements
des enseignants. Les apprentissages des
élèves et du professeur sont
étroitement liés.
Si les professeurs sont capables d'apprendre
chaque jour et de le reconnaître ouvertement,
ils abandonnent ainsi le monopole du savoir et de
l'enseignement ; ils acceptent que quelquefois
il est valable et même nécessaire de
dire " je ne sais pas " .
La plus grande motivation du
processus enseignement-apprentissage est
celui d'apprendre et si nous les
professeurs la perdons ou l'avons endormie
: Quel type de modèle à
copier serons-nous pour nos
élèves ? Comment
pouvons-nous les motiver à faire
quelque chose que nous ne faisons pas
?
L'introduction d'un EIAH dans
l'enseignement a comme buts justement ces deux
aspects : produire des apprentissages là
où simplement on se contentait de donner des
notions et d'enseigner et apprendre des sujets,
indispensables sur le plan
épistémologique, que jamais avant on
n'avait eu l'opportunité.
On caractérisait tout à
l'heure l'apprentissage comme le résultat
d'un processus interactif et l'EIAH permet
justement une riche interaction ; une
interaction personnalisée qui permet
très souvent une rencontre adidactique avec
la connaissance condition indispensable pour tout
apprentissage. Un Micromonde est en lui-même
un milieu de validation autour duquel on peut
construire diverses Situations
Didactiques.
La validation des activités des
élèves, sur le plan
épistémologique, ne viendra plus de
l'enseignant mais de la structure de la
connaissance mise en évidence par le
Micromonde. En relation avec le deuxième
aspect, celui des nouveaux sujets, je fais
référence à la capacité
de modélisation dont peut disposer un EIAH
. Pour illustrer je voudrais
citer ici un exemple très
concret.
Il y a plus d'un siècle il y a eu une
découverte en géométrie qui a
bouleversé pas seulement la
mathématique mais toute la science : la
découverte ou l'invention des
géométries non euclidiennes.
Jusqu'à ce moment-là il existait une
réalité dont la science
prétendait décrire pas seulement le
comportement mais ce qu'elle était
exactement ; la lumière est composée
de particules, l'espace est comme celui
décrit par Euclide. Maintenant la science
est devenue faillible et on se contente d'avoir des
modèles plus ou moins adéquats pour
essayer seulement de comprendre les
phénomènes qu'on observe. La science
d'avant découvrait des lois, la science
d'aujourd'hui invente des
théories. Alors,
combien d'années devra-t-on attendre pour
commencer à enseigner et apprendre les
géométries non-euclidiennes ?
Aujourd'hui c'est un sujet connu seulement par les
spécialistes. CABRI avec son
énorme pouvoir de modélisation peut
facilement construire le modèle de
géométrie non-euclidienne de
Poincaré , comme l'ont fait J .M. Laborde et
Y.Martin ; c'est-à-dire qu'on a maintenant
un modèle, que l'on n'avait pas auparavant ,
qui nous permet d'expérimenter et d'essayer
de faire connaître ces sujets, fondamentaux
sur le plan épistémologique, au grand
public.....
L'autre jour une professeur uruguayenne de
mathématiques et d'informatique me disait "
les professeurs n'emploient pas l'informatique dans
leurs enseignements car ils ont peur de
paraître ridicules devant leurs
élèves qui très souvent sont
plus adroits qu'eux avec les ordinateurs " .
Moi, étant professeur du
lycée Nocturne d'adultes, j'ai eu
des élèves qui travaillaient
comme informaticiens. Alors c'était
naturel qu'ils m'aient appris plusieurs
trucs d'informatique ; je me rappelle d'un
élève qui, après deux
ou trois classes où on avait
commencé à travailler avec
CABRI, m'a appris à employer
certains outils que je ne connaissais pas.
Un professeur qui croit que son rôle
et son autorité sont seulement
justifiés par sa connaissance peut
vivre de telles situations comme
déstabilisantes ou même
menaçantes. Ignorer des choses ne
rend pas incompétents les
professeurs ; ça les rend humains ;
c'est rester ouvert à
l'infinité qui existe dans toutes
les choses . Le rôle de
l'enseignant et le soutien de son autorité
vont beaucoup plus loin.
Il est le responsable du processus
d'enseignement, (mais pas l'unique enseignant
ni l'unique source du savoir) responsable de
fournir des situations didactiques, d'encourager,
de contrôler la frustration, d'interagir et
faire interagir, de renouveler l'information et les
situations qui vieillissent rapidement en
Didactique et de valider les activités de
ses étudiants .
Toutes ces activités
pédagogiques qui ont des aspects
didactiques, épistémologiques,
psychologiques et sociologiques ont un seul et
unique but : que tous et chacun de ses
élèves réussissent à
apprendre.
Alors la machine et l'EIAH ne
déplacent pas l'enseignant ; au
contraire l'EIAH peut le relever seulement
d'une partie de son large travail (rendant
au même temps ses apprenants plus
indépendants), pour qu'il puisse se
concentrer sur les autres aspects de sa
tâche, ces aspects qui font que la
personne humaine soit insurpassable comme
objet pédagogique et qu'une machine
ne peut pas faire.
Employer un EIAH dans l'enseignement ce n'est
pas une rénovation pour être à
la mode, c'est un besoin d'un enseignement qui
chaque jour vérifie que ceux qui apprennent
sont très souvent une minorité et un
besoin d'une humanité qui ne peut plus
continuer à attendre pour commencer à
apprendre des choses qu' il y a 200 ans, certains
hommes savaient déjà. Le logiciel
CABRI cabri.net/cabri2/introduction.php Métacognition
dans les EIAH margarida-romero.com/cursus/dea_chm_ie