Esprit du site
Moteur de recherche
Recherche d'article par auteur
Pedagopsy.eu
Recherche de livres par motsclefs
Plan du site
L'auteur

PLAN DU SITE

 

L'utilisation des EIAH

Bernardo Camou

Professeur de mathématiques en Uruguay

 

EIAH = Environnement Informatique pour l'Apprentissage Humain

Il y a vingt ans que je suis professeur de mathématiques dans mon pays et que je consacre ma vie avec passion à la tâche d'enseigner. Il y a six ans pendant un cours de Didactique que je prenais dans ma ville de Montevideo, j'ai été ébloui par la Théorie des Situations Didactiques de G.Brousseau et le concept d' Ingénierie Didactique dont parlaient les français. A ce moment-là, un désir profond de vouloir étudier la Didactique des Mathématiques en France est né chez moi.

QU'EST-CE QU'UTILISER UN EIAH?

             Il y a une très grande différence entre apprendre à employer un logiciel comme WORD par exemple et un EIAH.

             Un tutoriel de WORD c'est un programme pour apprendre un logiciel utilitaire et lorsque la personne peut s'en servir pour écrire des lettres, construire des textes et les modifier, l'utilisateur considère le but accompli.

             Un tutoriel d'un EIAH c'est un logiciel pour apprendre à employer un autre logiciel (l'EIAH) qui à la fois sert à apprendre autre chose.

             Souvent l'objet de l'apprentissage d'un EIAH c'est une discipline, une science ou une langue, pour donner deux exemples enseignés dans un établissement scolaire ; c'est ce qui change significativement le rapport de l'apprenant avec l'EIAH de celui de l'utilisateur de WORD. Ce n'est pas assez que l'élève apprenne à employer l'EIAH comme il suffisait à l'utilisateur d'apprendre WORD .

QUELQUES QUESTIONS

             Avant de commencer à penser à une prise en main d'un EIAH, il faut se poser certaines questions. Du point de vue épistémologique quels sujets va-t-on choisir d'enseigner ? Quelles sont les raisons didactiques pour lesquelles il est convenable d'enseigner et d'apprendre ces sujets avec un logiciel ? Quels types de situations d'apprentissage envisage-t-on d'établir pour atteindre le but ?

              L'introduction d'un EIAH dans l'enseignement suppose l'apparition de deux nouvelles relations : machine-élève et machine-professeur qui changent la relation classique professeur-élève . Dans quelle mesure la relation professeur-élève conditionne la relation avec la machine ? Le professeur est-il capable d'accepter d'être renseigné par ses élèves qui souvent en affaire d'informatique en savent plus que lui ? Est-il capable d'abandonner le monopole de la connaissance devant la possibilité de nouveaux apprentissages que peut nous offrir un logiciel éducatif ?

             L' introduction des EIAH dans l'enseignement se heurte à une longue liste de difficultés de divers types. Il ne suffit pas d'apprendre aux élèves à employer le logiciel, il faut apprendre aux professeurs et encore convaincre la communauté des enseignants, la noosphère (I .Chevallard), du besoin et des avantages de l'utilisation de l'EIAH .

QUELQUES CONSIDERATIONS PEDAGOGIQUES

             Commençons par dire comme est bien connu le sentiment très répandu entre les gens, de la maigre utilité des tutoriels, et aides aux programmes informatiques en général. D'une part on constate que pour pouvoir s'en servir, il faut toujours avoir une connaissance importante du point de vue informatique, et si on a cette connaissance, qui est une condition sine qua non, on préfère très souvent apprendre par essai et erreur que regarder le manuel ou le tutoriel. Ce n'est pas par hasard que se passe ceci, et je crois, et voudrais montrer, qu'il y a des raisons pédagogiques profondes derrière ce problème.

             Comme enseignant on voudrait pouvoir enseigner tout à tous. Mais bien que l'on veuille, on ne peut pas enseigner à tous ; .....

I            l y a l'idée latente que plus on enseigne, plus l'élève apprend, et ça c'est tout à fait faux . On a besoin certainement de l'enseignement mais à un certain moment cela dépasse facilement la capacité de l'apprenant de faire les deux processus présents en tout apprentissage (selon le père du constructivisme Jean Piaget) : l'assimilation et l´accommodation . A ce moment là, on peut dire que ce type d'enseignement au lieu de favoriser l'apprentissage, l'empêche, et alors il se transforme paradoxalement en obstacle alors qu'il est supposé le favoriser. Brousseau établit clairement ce nécessaire arrêt de la fonction d'enseigner lors qu'il fait une jolie description de l'activité de l'enseignant lors d'une situation adidactique : ''Il doit , par son attitude, convaincre les enfants de sa neutralité à l'égard de leurs appréciations de la situation afin qu'ils renoncent à tirer de lui les informations et les aides qu'il ne doivent tirer que d' eux- mêmes''

 

             De cette façon il doit y avoir un certain équilibre entre ce qu'on veut enseigner et le discours de l'enseignement. Pour donner un exemple, imaginons qu'on veuille apprendre à quelqu'un à lacer ses souliers par mail, et nous nous rendrons compte rapidement que les connaissances dont on a besoin pour faire et pour comprendre une telle explication dépassent largement les connaissances de la tâche qu'on veut qu'il apprenne ; celui qui pourra comprendre une telle explication, sûrement sera quelqu'un qui déjà sait lacer ses souliers et alors pour qui l'explication sera tout à fait inutile !

             Il est bien décourageant d'ouvrir la fenêtre d'un tutoriel d'un logiciel et trouver tout de suite plus de 80 items différents, sans savoir en employer aucun, ni savoir où commencer. Pour donner une image plus claire, c'est comme ce professeur qui montre à ses élèves qu'il sait beaucoup mais qui parle un langage incompréhensible pour eux. La société nous parle tous les jours des bontés de l'ordinateur pour beaucoup de tâches, de son efficacité et de sa vitesse et moi, utilisateur, je reste une demi-heure devant l'écran sans réussir à pouvoir faire cette petite tâche que je veux !! J'ai un tutoriel qui me parle de 100 choses différentes mais juste le problème qui me gêne, il n'est pas là ou il y a tant de choses à lire que je n'arrive pas à trouver ce qu'il me faut et en plus si je le trouve, ça ne m'assure pas non plus que l'explication puisse être compréhensible. Alors on doit se poser cette question : Quel est le but (l'objectif) d'une prise en main ?

             Montrer tous les avantages d'un logiciel en comparaison à d'autres et montrer toutes ces possibilités de façon à chercher à émerveiller dès le début le public. Celui-ci, dans un premier temps, l'emploiera mais après que les effets de la mode se seront évanouis, sans avoir appris à bien l'employer, lui cherchera des défauts pour justifier son abandon ?

             Ou bien, on essaiera de faire découvrir comment on peut élargir et approfondir les connaissances grâce au logicie, en enseignant à employer seulement certains outils basiques qui permettront aux utilisateurs de découvrir le reste ? Il faut faire une transposition didactique pour passer de pouvoir apprendre, par exemple, la géométrie avec un logiciel, à pouvoir enseigner la géométrie avec ce logiciel .

             Une des contraintes les plus fortes que subissent les professeurs c'est de mener à terme le programme et pour cela ils doivent enseigner certains sujets ; le professeur probablement sait déjà comment les enseigner sans un EIAH ; s'il ne sait pas comment enseigner ces sujets avec l'EIAH, il existe alors le risque que l'EIAH joue simplement un rôle auxiliaire.

 

 

POURQUOI EMPLOYER MAINTENANT UN EIAH POUR ENSEIGNER DES SUJETS QUE JUSQU'À PRESENT ON A ENSEIGNÉ SANS UN EIAH ET SANS PROBLÈME ?

             Commençons par dire qu'enseigner un sujet sans problème ne veut pas dire que le sujet soit bien appris. Il y a plusieurs et puissantes raisons pour lesquelles on doit inclure les EIAH surtout dans l'enseignement des sciences. Il y a aussi plusieurs raisons pour lesquelles les enseignants résistent au changement. C'est cette résistance que je voudrais explorer maintenant.

 

 Un modèle pédagogique classique qui survit malgré tout

             Malgré les efforts des épistémologues, psychologues de l'apprentissage et didacticiens tels que J.Piaget, L.Vygotsky et G.Brousseau qui ont construit une théorie de l'apprentissage socio-constructiviste qui met en avant la relation de l'élève avec la connaissance et avec ses camarades, il existe très souvent encore des cours où les étudiants semblent de simples spectateurs d'un monologue fait à voix haute par l'enseignant avec lui-même.

             Je voudrais donner un nom à ce type de situations qui malheureusement continuent à exister : "effet spectateur" . A un certain moment, l'enseignant conscient que son rôle doit inclure certain type d'interactions pose alors quelques questions, pas avec le but normal de provoquer une activité, mais simplement pour avoir quelques réponses qui lui fait sentir qu'il y a au moins quelqu'un qui le suit. S'il n'obtient aucune réponse, car ses étudiants sont devenus si passifs qu'ils ne répondent pas, alors pour obtenir la réponse qu'il lui faut pour pouvoir continuer, il baisse le niveau de la question jusqu'à des niveaux ridicules, comme si l'on demandait aux collégiens 2+3 = ? .

             A ce moment là, la situation devient drôle car le professeur se rend compte qu'il ne parlait pour personne et les étudiants se rendent compte que même ayant perdu de l'intérêt pour le monologue du professeur ils auraient pu quand même répondre à cette bête question que le professeur avait posé.

             Dans une telle situation l'enseignant est le protagoniste absolu comme l'acteur qui joue son rôle sur le plateau d'un théatre.

Probablement un tel professeur donnera son cours exactement le même devant une classe de 100 étudiants, de 20 ou de 5 étudiants, car son cours est seulement un savoir à transmettre .

 

Vers un modèle pédagogique plus proche de la réalité

             On caractérise très souvent le processus d'enseignement-apprentissage comme un processus d'interaction entre les trois éléments du triangle pédagogique : l'apprenant, le savoir et l'enseignant. Richard Faerber de l'Université Louis Pasteur lors de la création d'un EIAH appelé ACOLAD propose au lieu du triangle un autre modèle : un tetraèdre pédagogogique.

             Je trouve intéressant ce modèle car il met en avant l'importance du groupe et ainsi il ôte à l'enseignant le monopole de l'enseignement. Pourtant, on peut continuer aussi à travailler avec le triangle pédagogique bien entendu en considérant par " enseignant " autant la personne du professeur que celle du camarade, ou l'utilisation d'un EIAH et d'autres sources d'information peut-être moins interactives comme les livres ou Internet.

             Dans toute interaction les éléments qui y participent sont modifiés par l'échange avec les autres. On parle des changements des élèves appelés apprentissages, des changements des savoirs appelés transpositions mais on ne parle pas des changements des enseignants.

 

Les apprentissages des élèves et du professeur sont étroitement liés.

             Si les professeurs sont capables d'apprendre chaque jour et de le reconnaître ouvertement, ils abandonnent ainsi le monopole du savoir et de l'enseignement ; ils acceptent que quelquefois il est valable et même nécessaire de dire " je ne sais pas " .

             La plus grande motivation du processus enseignement-apprentissage est celui d'apprendre et si nous les professeurs la perdons ou l'avons endormie : Quel type de modèle à copier serons-nous pour nos élèves ? Comment pouvons-nous les motiver à faire quelque chose que nous ne faisons pas ?

             L'introduction d'un EIAH dans l'enseignement a comme buts justement ces deux aspects : produire des apprentissages là où simplement on se contentait de donner des notions et d'enseigner et apprendre des sujets, indispensables sur le plan épistémologique, que jamais avant on n'avait eu l'opportunité.

             On caractérisait tout à l'heure l'apprentissage comme le résultat d'un processus interactif et l'EIAH permet justement une riche interaction ; une interaction personnalisée qui permet très souvent une rencontre adidactique avec la connaissance condition indispensable pour tout apprentissage. Un Micromonde est en lui-même un milieu de validation autour duquel on peut construire diverses Situations Didactiques.

             La validation des activités des élèves, sur le plan épistémologique, ne viendra plus de l'enseignant mais de la structure de la connaissance mise en évidence par le Micromonde. En relation avec le deuxième aspect, celui des nouveaux sujets, je fais référence à la capacité de modélisation dont peut disposer un EIAH .

 

Pour illustrer je voudrais citer ici un exemple très concret.

             Il y a plus d'un siècle il y a eu une découverte en géométrie qui a bouleversé pas seulement la mathématique mais toute la science : la découverte ou l'invention des géométries non euclidiennes. Jusqu'à ce moment-là il existait une réalité dont la science prétendait décrire pas seulement le comportement mais ce qu'elle était exactement ; la lumière est composée de particules, l'espace est comme celui décrit par Euclide. Maintenant la science est devenue faillible et on se contente d'avoir des modèles plus ou moins adéquats pour essayer seulement de comprendre les phénomènes qu'on observe. La science d'avant découvrait des lois, la science d'aujourd'hui invente des théories.

 Alors, combien d'années devra-t-on attendre pour commencer à enseigner et apprendre les géométries non-euclidiennes ? Aujourd'hui c'est un sujet connu seulement par les spécialistes. CABRI avec son énorme pouvoir de modélisation peut facilement construire le modèle de géométrie non-euclidienne de Poincaré , comme l'ont fait J .M. Laborde et Y.Martin ; c'est-à-dire qu'on a maintenant un modèle, que l'on n'avait pas auparavant , qui nous permet d'expérimenter et d'essayer de faire connaître ces sujets, fondamentaux sur le plan épistémologique, au grand public.....

             L'autre jour une professeur uruguayenne de mathématiques et d'informatique me disait " les professeurs n'emploient pas l'informatique dans leurs enseignements car ils ont peur de paraître ridicules devant leurs élèves qui très souvent sont plus adroits qu'eux avec les ordinateurs " .

             Moi, étant professeur du lycée Nocturne d'adultes, j'ai eu des élèves qui travaillaient comme informaticiens. Alors c'était naturel qu'ils m'aient appris plusieurs trucs d'informatique ; je me rappelle d'un élève qui, après deux ou trois classes où on avait commencé à travailler avec CABRI, m'a appris à employer certains outils que je ne connaissais pas. Un professeur qui croit que son rôle et son autorité sont seulement justifiés par sa connaissance peut vivre de telles situations comme déstabilisantes ou même menaçantes. Ignorer des choses ne rend pas incompétents les professeurs ; ça les rend humains ; c'est rester ouvert à l'infinité qui existe dans toutes les choses .

 

 

Le rôle de l'enseignant et le soutien de son autorité vont beaucoup plus loin.

             Il est le responsable du processus d'enseignement, (mais pas l'unique enseignant ni l'unique source du savoir) responsable de fournir des situations didactiques, d'encourager, de contrôler la frustration, d'interagir et faire interagir, de renouveler l'information et les situations qui vieillissent rapidement en Didactique et de valider les activités de ses étudiants .

             Toutes ces activités pédagogiques qui ont des aspects didactiques, épistémologiques, psychologiques et sociologiques ont un seul et unique but : que tous et chacun de ses élèves réussissent à apprendre.

 

             Alors la machine et l'EIAH ne déplacent pas l'enseignant ; au contraire l'EIAH peut le relever seulement d'une partie de son large travail (rendant au même temps ses apprenants plus indépendants), pour qu'il puisse se concentrer sur les autres aspects de sa tâche, ces aspects qui font que la personne humaine soit insurpassable comme objet pédagogique et qu'une machine ne peut pas faire.

             Employer un EIAH dans l'enseignement ce n'est pas une rénovation pour être à la mode, c'est un besoin d'un enseignement qui chaque jour vérifie que ceux qui apprennent sont très souvent une minorité et un besoin d'une humanité qui ne peut plus continuer à attendre pour commencer à apprendre des choses qu' il y a 200 ans, certains hommes savaient déjà.

Pour compléter:

Le logiciel CABRI cabri.net/cabri2/introduction.php

 

 

Métacognition dans les EIAH margarida-romero.com/cursus/dea_chm_ie

 
Vos  Réactions

Adresse mail facultative

Commentaire

Esprit du site
Moteur de recherche
Recherche d'article par auteur
Pedagopsy.eu
Recherche de livres par motsclefs
Plan du site
L'auteur