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Comment suis-je rentré en philosophie ?

Témoignage d'un parcours

 

La formulation de la question et le choix des termes n'est pas simple.

Philosophe ? Professeur de philosophie ? Professionnel de la philosophie ?  

 

          Le dernier, plus sociologique est sans doute le plus juste. Le second sonne comme un oxymore, presque comme une incompatibilité. Le premier est gratifiant presque prétentieux.

 

Comment vais-je me nommer, me présenter ?

           Pas facile de raconter sa vie et de s'identifier. Le présent pollue le passé et réciproquement. Et mes attentes pour l'avenir pourrait orienter mon histoire. Pourquoi suis-je ce que je suis ? Comment suis-je devenu ce que je suis ? Outre le fait qu'il faut supposer que j'ai une vue claire de ce que je suis, il me faut aller rechercher dans le passé des éléments qui convergeront vers cette " réalité ", ce moi, en construction.

           La raison de nos choix est souvent recherchée a posteriori en puisant dans notre passé les éléments, susceptibles de fournir une explication. Cette reconstitution, comme on reconstitue les faits en matière criminelle, est souvent imparfaite, voilée, tirée dans le sens de nos intérêts du moment mais finit par devenir en quelque sorte notre légende, celle par laquelle nous allons nous identifier, nous présenter.

 

           Mon père était un grand amateur de billard à 3 boules, français, et passait des soirées entières à jouer avec les habitués du bar dont quelques uns d'entre eux étaient des professeurs du lycée de la localité. Je ne sais si mon père était faiblement cultivé mais en tout cas, il aspirait à l'être et était toujours envieux de ceux (personnes, livres, etc.) qui lui semblait dotés de ce capital.

           Un soir qu'il rentrait dans notre logement de mauvaise fortune dont nous ne faisions pas " bon cœur " et lui encore moins, il eût ces mots prononcés sur fond d'abattement : " Tous ces gens autour de moi - les profs - qui parlent de Socrate et de Platon et moi qui n'y connaît rien ".

J'étais enfant et ces paroles restèrent gravées en moi encore cinquante ans après.

 

           Pourquoi ? Que s'est-il passé ou joué dans ma tête d'enfant pour qu'elles s'inscrivent dans mon esprit ? De quel message étaient-elles porteuses ? Quel image négative m'a envoyé mon père ce soir là pour que je me sente investi du projet de la modifier ? C'est l'hypothèse que je forme.

           Interrompant mes études en classe de seconde, je me mis à travailler dans différentes entreprises pendant quelques six ou 7 ans pour les reprendre ensuite par correspondance et obtenir ce qui était l'équivalent du bac en passant l'ESEU, l'examen spécial d'entrée dans les universités dans la filière… philosophie !

           A l'oral de cet examen, l'examinateur à qui je racontais, non pas cette histoire de mon père, mais celle d'une vie d'un jeune homme dont on dirait aujourd'hui qu'il appartenait à la population " défavorisée " la ramassa dans une formule, dont je me souviens aussi : " En somme, vous avez une revanche à prendre ". J'acquiesçai mais je me demande maintenant si cette revanche n'était pas aussi une vengeance, venger mon père qui me semblait avoir subi un affront. Disposant de ce qu'il n'avait pu avoir, je tirais de ce capital une valeur symbolique dont j'espérais pouvoir me servir.

 

           Las, comme le dit Annie Ernaux , nous sommes assignés à notre place, léguée par notre éducation, nos conditions de vie et on n'en sort pas aussi facilement et en tout cas pas sans en avoir payé le prix.

           Faire de la philosophie, parler des auteurs, se créer une identité de " philosophe " n'est pas chose facile " quand on n'est pas tombé dedans quand on est petit " (Cf. Georges Pérec ) même en usant de subterfuges.

 

           Ainsi adolescents, nous aimions avec un ami nous rendre à notre bar avec sous le bras la Nausée de Jean Paul Sartre sans l'avoir vraiment lu, en tous les cas sans l'avoir compris. Qu'à cela ne tienne, le livre, ce livre nous permettait, du moins on le croyait, de nous distinguer, d'effacer la trace indélébile de notre appartenance sociale. Mais personne n'était dupe même peut être nous jouant pendant quelques instants à être autre chose que nous-même.

           J'éprouvais d'ailleurs une certaine honte à afficher un objet qui ne m'appartenait pas vraiment, que je ne m'étais pas approprié. Il sonnait faux. Il restera toujours quelque chose de cette dissonance, de cet écart. Il en restera toujours quelque chose : posséder des livres, remplir les étagères de valeur symbolique, pour ce qu'ils montrent, préférer des auteurs à d'autres.

La récompense ? Mon père se flattait, en me regardant, de ce qu'il appelait une réussite. La sienne, peut être ?

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<<Merci pour ce témoignage, expérience similaire à la mienne, vengeance, revanche? certainement aussi la nécessité d’être plus, de pouvoir aborder le mystère de la création dans tous ces aspects, sortir de l’ignorance, de la gravité, de l’apesanteur, des aprioris et certitudes assénées auxquelles on a cru mais dont on sentait bien qu’il y avait de l’ignorance, de la volonté de pouvoir la dessous. Puis on comprend qu’il faut chercher et chercher, lire et relire, imaginer et intuitioner, se former à penser, à réfléchir, et à argumenter pour que cesse le mensonge des vérités toutes faites... >>

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