La radio
et le téléphone multiplient les
sources sonores qui entament notre
sphère de calme intime , même dans la
rue avec le portable. Les amateurs de baladeurs,
respectueux de leurs voisins, n'inondent que leurs
oreilles mais combien poussent le volume à
fond pour que personne ne perde un décibel
de leur musique préférée.
Même une séance de cinéma
laisse abasourdi, un comble! Vous payez pour voir
et entendre un film et le projectionniste traite
vos oreilles de " non-entendantes "! A
côté des bruits des diverses machines
de notre ère industrielle peuplant notre
univers quotidien, les sons de la nature semblent
inexistants, du vent assourdissant à la mer
déchaînée, des animaux
tapageurs aux oiseaux criards.
Les humains apportent leur propre lot de
clameurs à ce tohu-bohu et chacun vit dans
cet espace rempli comme un uf dont la
coquille est prête à craquer à
la moindre note supplémentaire.
Certains, jeune ou vieillard, femme ou
homme, adorent cet univers et ne peuvent faire
aucune action sans allumer la
télévision, la radio ou le baladeur;
d'autres essaient de s'en préserver et se
confectionnent une bulle de tranquillité
difficile à défendre contre les
intrusions importunes à l'occasion d'une
fenêtre ouverte, d'une réunion ou de
travaux voisins ; d'autres enfin " supportent "
avec des seuils de tolérance plus ou moins
élevés et souvent variables d'un
individu à l'autre, ce qui peut provoquer
des tensions.
Il est reconnu que le bruit est devenu, dans
notre monde développé, un
fléau bien supérieur à celui
des images envahissantes. Car il est beaucoup plus
difficile de s'en protéger que de s'isoler
visuellement. Cette évidence l'est trop pour
être perceptible sans un
exemple.
Mettez-vous en
situation d'entendre et voir votre
téléviseur dans votre salon. Si
vous détestez la publicité qui
interrompt le cours de l'émission, que
faites-vous? Si vous quittez la pièce,
vous ne voyez plus l'écran mais le son
vous suit, même affaibli par les portes,
parfois jusqu'aux toilettes; si vous coupez le
son, assis dans votre fauteuil, les images
continuent à défiler. Et
là, vous avez un moyen simple de ne plus
les percevoir : vous fermez les yeux!
Car l'il a une paupière qui
l'occulte à volonté. Pas
l'oreille. Notre environnement envahit
constamment notre boite crânienne par le
canal du conduit auditif toujours ouvert. Nous
sommes constamment sollicités par
l'extérieur et détournés de
notre univers intérieur. Constamment, notre
pensée se heurte à la marée
des bruits ambiants et si elle veut poursuivre son
chemin sans se laisser détourner, elle doit
opposer un barrage solide aux vagues envahissantes.
" C'est un combat
d'arrière-garde, " diront ceux qui
peuvent travailler accompagnés de chansons
tonitruantes, apprendre un texte ou des
connaissances au milieu d'une foule bruyante,
débattre sans se laisser distraire par des
éclats de voix ou des grondements de moteur.
Tout n'est qu'habitude, on s'accoutume au
niveau sonore comme à toute chose
inéluctable ; les jeunes nés avec la
télé, l'ordinateur, la game-boy, le
walkman, le téléphone portable et
habitant pour 78% en ville, baignent dans un
environnement sonore qui leur semble
naturel.
C'est l'évidence mais faut-il
accepter sans réagir, est-ce sans
conséquence ? Pourquoi nos jeunes
semblent-ils de plus en plus dispersés,
inattentifs, démotivés, agressifs
pour certains? Les facteurs en jeu sont multiples
et complexes mais si nous essayions de commencer
par un bout de l'écheveau, par celui du
rapport silence-bruit et de son influence sur
l'attitude des humains, grands et petits
La
société paysanne avait ses plages de
silence tout comme ses fêtes et
rassemblements tapageurs. Car le calme ne peut
exister que par rapport au chahut, à la
participation à voix haute. Comme dans une
salle de classe où l'enseignant prend la
parole pour lancer le cours, la laisse à un
ou des élèves, à un groupe,
organise des pauses pendant lesquelles chacun peut
se concentrer sur la question
étudiée. La préparation du
professeur contient la répartition du temps
de parole : apports et problématisation du
maître-questions et travail des
élèves, avec assimilation pour les
plus rapides ; ce déroulement prévu
n'est pas figé et doit être
adapté au fur et à mesure, ce qui
exige attention, écoute, analyse
instantanée et souplesse de la part de
l'enseignant : tout un art ! Un idéal qui
oublie les débordements possibles de trente
à trente-cinq voix individuelles face
à une seule mais n'avons-nous pas besoin
d'un modèle dont nous
approcher
Le Verbe, en littérature et en
religion, est création de pensée par
les mots : il n'existe que parce qu'il est
écouté, parce que l'on se tait pour
l'entendre. Le Verbe devient la " liqueur
d'or " d'Arthur Rimbaud qu'il utilise pour "
écrire des silences ".
Pourquoi l'école ne se donnerait-elle
pas comme objectif de faire comprendre à la
majorité des jeunes le rôle du
silence? Non un silence de vide et d'absence mais
de nécessité et plénitude.
Je rêve d'exercices de silence,
d'exercices de concentration, d'exercices sur le
fonctionnement de sa pensée, d'exercices
d'intériorisation d'une idée, d'une
notion
pour enfin briser le verbiage
stérile, la logorrhée débile,
les mots creux et superficiels, les discours
fallacieux dont notre environnement nous abreuve le
plus souvent. Pour que chaque maître aide ses
élèves à retrouve la liqueur
d'or!
28-12-2008
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