Mise en cause ou
propositions?
Ce qui est le plus fréquemment
abordé, c'est l'énoncé d'un
problème ou d'une situation gênante et
la mise en avant d'une explication ou la recherche
des causes. Avec ce que j'appelle une attitude de
mise en cause, de plainte ou de
dénonciation. Ce qui a été
moins abordé c'est la recherche et la mise
en place de propositions concrètes pour
tenter de résoudre les problèmes en
amont et non dans l'après coup ou en aval.
Ce que je propose serait
:
d'une part,
d'énoncer,
en début d'année scolaire, une
charte de vie relationnelle aux parents et aux
élèves qui indiquerait, en quelques
points, quelles sont les règles
d'hygiène relationnelle qui seraient mises
ne pratique dans cette classe,
·
et d'autre part de poser les bases
d'un enseignement de la communication à
l'école, comme une matière
à part entière. Et je sais qu'il y a
un intérêt réel, (je
reçois actuellement quelques 100 lettres par
jour de parents et d'enseignants qui souhaiteraient
s'engager dans cette voie et voudraient une
formation de base correspondante). Je sais aussi
qu'il y a bien sûr des résistances
(car toute formation aux relations suppose une
remise en cause personnelle et institutionnelle des
uns et des autres).
Ce qui me fait proposer
cela
Je suis un ex enfant, issu de l'Ecole
républicaine et laïque, celle de Jules
Ferry qui transmettait des savoirs et des savoirs
faire. J'ai à l'égard de cette
école beaucoup de reconnaissance,
(même si j'ai été, durant des
années, un cancre, un rêveur). Cette
Ecole, nous a permis, à mon frère et
moi de " sortir " d'un milieu pauvre,
acculturé (ma mère faisait des
ménages et savait à peine lire son
nom) pour devenir des enseignants ( j'ai
été chargé de cours durant 12
ans à l'université de Lille III et
mon frère est resté prof de math
jusqu'à la retraite )
L'école doit
changer
Aujourd'hui, chacun le reconnaît et
l'espère, l'école doit changer. Cela
veut dire, transmettre au delà du savoir et
du savoir faire, un savoir être, un savoir
devenir et un savoir créer en acceptant que
ces trois dernières démarches,
puissent passer par un enseignement de la
communication, considéré comme une
matière à part
entière.
J'ai eu cinq enfants, devenus parents
à leur tour et quand je vois ce qui attend
mes 8 petits enfants, je suis inquiet.
L'école est devenue aujourd'hui
inadaptée pour répondre aux besoins
relationnels des enfants et certains lieux
scolaires sont devenus toxiques (dans le sens
où ils ne sont plus protégés
contre les violences qui environnent les enfants,
des lieux où peuvent se développer
aussi des auto-violences que certains enfants sont
devenus habiles à secréter et
à répandre, que ce soit dans la cours
de récréation, dans les intercours ou
en classe.
Il ne s'agit pas faire le procès des
théories pédagogiques qui peuvent
cohabiter ou s'affronter, elles sont parfois
stimulantes et d'autres fois elles peuvent
s'inscrire à contre temps. Mon propos se
situe en amont.
Comment intégrer
des enfants qui n'ont pas les bases d'une
socialisation
élémentaire,
Comment permettre à des enfants qui
arrivent dans le cursus scolaire, avec un seuil de
frustration très bas face aux contraintes
inévitables d'une réalité
qu'ils vont vivre comme agressante. Frustrations
qui leur paraissent insupportables et auxquelles
ils répondent par de la violence.
Comment intégrer des enfants qui
n'ont pas les bases d'une socialisation
élémentaire, qui ont du mal à
se situer en termes d'échanges et de
partages autour des 4 ancrages de base : DEMANDER-
DONNER- RECEVOIR -REFUSER. ?
Comment les aider à entrer dans un
processus d'apprentissage relationnel, leur
permettant de vivre à la fois des
gratifications (qui répondent à leurs
besoins, mais pas toujours à leurs
désirs) et de se confronter à des
frustrations, à des contraintes et des
limites ?
De leur rappeler que quelque soit le savoir
détenu par l'enseignant et la qualité
de ce savoir, quelque soit sa richesse personnelle,
tout cela passe par une relation. Faut il rappeler
qu'une relation, c'est un pont, une passerelle, un
canal dans lequel va circuler (dans les deux sens)
des messages. Que si la relation n'est pas
entretenue, vivifiée par des communications
de qualité, les messages n'arrivent pas.
Etre à
l'écoute des besoins relationnels des
enfants.
Quelque soit l'approche pédagogique
(qui est un outil) il convient aujourd'hui, pour un
enseignant de se recentrer, d'être à
l'écoute des besoins relationnels des
enfants. Besoins qui sont le plus souvent
ignorés ou maltraités dans leur
milieu. La plupart des enfants (quelque soit le
milieu d'origine) sont élevés dans
l'ordre du désir (tout, tout de suite,
sans contrepartie) ce qui en fait à
la fois de redoutables consommateurs et aussi
l'équivalent de terroristes relationnels qui
ne supportent plus la moindre contrainte, qui
refusent, transgressent et combattent les exigences
élémentaires d'une vie en commun. Des
enfants qui ont un savoir que j'appelle informel
(découvert de façon parcellaire et
chaotique à la télé, dans la
rue, dans les BD), savoir qui entre en concurrence
avec le savoir (formel ) des
enseignants.
L'incroyable contamination
des conditionnements consuméristes, qui
pèsent sur les enfants et leur
imaginaire.
Il est fréquent de faire
référence pour situer l'origine de
ces nouveaux comportements au laxisme de
l'après guerre, dans la difficulté
des parents qui avaient vécus les privations
de la guerre, à faire vivre à leurs
enfants des contraintes, des frustrations et des
interdits. Ou encore aux errances de l'après
1968. Mais il y aussi l'incroyable contamination
des conditionnements consuméristes, qui
pèsent sur les enfants et leur imaginaire.
Les multinationales développent des actions
publicitaires, très efficaces en direction
des enfants. La publicité qu'ils proposent,
impose un conditionnement très serré,
favorise une récupération des
valeurs, et transforme les enfants en prescripteur
de biens. Les enfants du désir, comme je les
ai nommés plus haut, sont dans
l'immédiateté, le plaisir de
l'instant, la fuite du réel. Ils sont les
grands utilisateurs des outils de la communication
et confondent mise en commun et transmission d'une
information.
On favorise
la communication avec le lointain au
détriment de la communication avec le
prochain.
Ce qui suscite une sorte d'hémorragie
vers les univers virtuels
(télévision, jeux vidéos
etc..). Mais l'impact de la violence à la
télévision sur les enfants diminue
considérablement, quand il possible
d'échanger avec eux (et c'est notre
rôle) sur ce qu'ils voient. J'ai eu cinq
enfants, ils savaient tous que le sang qui
apparaissait sur l'écran, était du
Ketchup, que les cascadeurs étaient
très habiles, que la lame du couteau
rentrait dans le manche, que le mort allait se
relever pour aller boire un coup avec celui qu'il
l'avait tué, ils ne confondaient pas les
bons et les méchants, bref, ils dissociaient
la fiction de la réalité. Aujourd'hui
il y a une collusion permanente entre
réalité et fiction, entre ce qui est
dedans et ce qui est dehors, les bons ne se
distinguent plus des méchants.
Il y a aussi une rupture avec la
convivialité (l'anonymat et l'individualisme
ont remplacé l'entraide). Je n'aurais jamais
pu rencontrer Monsieur Dutroux, quand j'allais
à l'école tout seul depuis la
maternelle, l'ensemble du quartier, connaissait mon
nom, veillait sur moi !
Il y aussi le manque de repères pour
les parents qui n'ont plus de modèle
(surtout pas comme ma mère, surtout
pas comme mon père), qui ont
oublié ce positionnement relationnel face
à leurs enfants : " Je ne suis pas
là pour répondre et satisfaire tes
désirs, je suis là pour
répondre et satisfaire tes besoins et cela
jusqu'à un certain âge, car ensuite,
ce sera à toi de prendre en charge la
satisfaction de tes besoins et peut être de
tes désirs! ".
C'est ce qui explique aujourd'hui
l'apparition d'une nouvelle tranche sociologique
entre l'adolescence et l'âge adulte que
j'appelle les ADULTLOSCENTS, qui restent chez papa,
maman, comme des parasites jusqu' à 26-28
ans et parfois plus.
Et face à tout
cela, il y a des enseignants qui se sentent
démunis.
Des enseignants sont confrontés
à la difficulté de transmettre un
enseignement uniformisé, formaté,
à des populations d'enfants non
homogènes. On a sacrifié
l'équité à
l'égalité. Les
inégalités existent encore et
partout. Ma grand mère disait nous sommes
tous égaux, mais il y en a qui sont plus
égaux que d'autres. Les ressources
personnelles, l'histoire de chaque enfant, ses
expériences de vie, sa disponibilité
à participer, à intégrer des
savoirs sont aujourd'hui réparties sur un
éventail de possibles très large. Les
problématiques des parents retentissent plus
directement sur les enfants qu'autrefois. En effet
dans la famille dite élargie, il avait, dans
le passé, pour un enfant la
possibilité de se dire, d'être entendu
par un grand père, un oncle, une tante, le
chien de la ferme à qui il pouvait se
confier. Aujourd'hui dans la famille dite
nucléaire ou reconstituée, il est
plus difficile semble - t - il de trouver un
interlocuteur, avec qui parler :" je voudrais te
dire maman, mais tu es tellement prise dans tes
conflits avec papa que je n'ose même pas te
dire ce qui va mal chez moi
".
Serait-il possible de dire en
conclusion, que l'école doit devenir
un lieu d'apprentissage de la communication,
une oasis relationnelle où pourrait
s'apprendre et se transmettre les bases pour
des relations vivantes et en
santé.
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