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DU SITE
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Quoi
enseigner ? Comment ? A qui?
Jacques
Salomé
Un Colloque de l'Alliance des
professeures et professeurs de
Montréal, qui s'est
déroulé les 13 et 14 mai
2004 au Palais des Congrès de
Montréal, a eu pour thème
:
J'ENSEIGNE
TU SAIS !
Cette interpellation dont le
caractère humoristique ne visait
pas à masquer une
réalité douloureuse, visait
à toucher autant les enfants que
les parents. Elle a paru nécessaire
pour rappeler et confirmer que les
enseignants sont là effectivement
pour enseigner.
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Autour
de cette affirmation, il m'a paru important
d'accrocher trois questions. Enseigner quoi ?
Comment ? et à qui ?
Enseigner
quoi ?
Peut être faut-il le rappeler quand
même, les enseignants sont là,
principalement pour transmettre, partager du savoir
et du savoir faire et initier à son
utilisation dans la vie au quotidien.
Mais aussi, et cela
s'avère de plus en plus
nécessaire, de proposer aussi un
enseignement à du savoir
être, du savoir créer, du
savoir devenir, c'est-à-dire de
poser les bases d'une relation à
soi et aux autres pouvant déboucher
sur des ancrages pour une socialisation
durable, pour permettre aux enfants de
développer une sensibilité
citoyenne,et de favoriser ainsi une
intégration dans le monde qui est
le nôtre et qui sera avec quelques
changements
le leur.
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Enseigner aujourd'hui ne peut se
résumer à transmettre un savoir
codifié ou des connaissances nouvelles, cela
suppose aussi pour l'enseignant d'avoir à se
confronter (et peut être entrer en
concurrence) avec tout un savoir informel
possédé par les enfants, acquis dans
la rue, à la télévision,
emmagasiné hors de l'école en prise
directe (trop directe parfois) avec le monde des
adultes, savoir qui confronte très tôt
les enfants à des rencontres, à des
expériences de vie pour lesquelles ils n'ont
aucune préparation et envers lesquelles ils
restent (même si nous voulons le nier)
vulnérables.
Les enseignants face à ce savoir
diffus, anarchique, chaotique qu'ils devront
réorganiser, restructurer et surtout relier
au savoir plus formel dont ils sont les
détenteurs.
I
Il conviendrait aussi
d'enseigner ( et cela me paraît une
urgence) les prémices d'une
communication non violente à
l'école comme une matière
à part entière, dans un
cursus qui s'ouvrirait sur les sciences de
la vie et les sciences humaines, de
façon à apprendre aux
enfants non seulement comment se
développe et se construit un petit
d'homme mais comment il lui appartient
d'apprendre à se relier aux autres,
pour des échanges et des partages
en
réciprocité!
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Enseigner comment
?
Des générations d'enseignants
ont apportés de belles réponses
à cette question, des pédagogues hors
pairs ont ouvert beaucoup de pistes, de multiples
méthodes pédagogiques en
témoignent, elles ont pour vocation
d'éveiller, de stimuler, de faire participer
en s'appuyant sur les ressources vives de chaque
enfant. Il se trouve qu'aujourd'hui la plupart de
ces méthodes s'avèrent caduques ou
inadaptées aux enfants de ce temps.
Peut-être reste-t-il, ici ou là au
Québec comme en France, de nombreux
ilôts, écoles, collèges ou
lycées et certainement beaucoup de classes
encore qui restent protégées,
ouvertes et dynamiques. Des endroits où le
savoir est proposé, accueilli et reçu
sans trop de tensions, d'oppositions ou de
violences, mais nous le savons et il serait vain de
se le cacher les difficultés pour enseigner
sont de plus en plus grandes.
Il devient de plus en plus difficile de
rester un enseignant à vie, même si
pour la plupart il s'agit d'une vocation profonde.
Il conviendrait sur le plan du
comment , de privilégier à
la fois la dimension interpersonnelle
(qualité de la relation qui permet
de laisser circuler le savoir et d'asseoir
les ancrages pour une meilleure
intégration) et la dimension
groupale en s'appuyant sur les ressources
du groupe pour favoriser la mise en
pratique et les savoir faire. De renforcer
aussi la dimension institutionnelle (cadre
protégé avec des codes et
des règles précisant mieux
à la fois les droits mais aussi les
devoirs de chacun et balisant de
façon plus fermes les
transgressions possibles).
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Enseigner à qui
?
C'est autour de cette question que les
enseignants sont actuellement le plus en souffrance
. Se contenter de dire que les enfants en âge
d'être scolarisés ne sont plus ceux de
mon époque serait un lieu commun affligeant
et tomber dans la tentation de mettre en accusation
la famille qui ne remplit plus ou pas son
rôle serait alimenter les leurres d'un
conflit toujours en gestation entre enseignants et
parents.
Mais constater que de nos jours
beaucoup d'enfants ne possèdent pas
l'équipement relationnel de base,
les ancrages suffisants pour leur
permettre de vivre en communauté et
donc de se confronter aux frustrations
inévitables de la vie collective,
d'accepter les contraintes minimales
exigées par la situation
d'apprentissage en commun, d'avoir la
capacité d'un minimum de
concentration pour se fixer sur la
production d'une tâche, le suivi
d'une action ou d'une réalisation
personnelle, c'est être
obligé d'accepter que les
conditions minimales pour exercer comme
enseignant ne sont pas remplies et que
cela met en péril
l'équilibre de beaucoup.
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Les enseignants d'aujourd'hui se trouvent en
présence d'une nouvelle catégorie, je
devrais dire " variété " d'enfants
que j'appelle les enfants du désir.
Des enfants qui ont été
élevés sans contrainte, par des
adultes et des proches qu'ils ont du mal à
respecter, car ceux-ci n'exercent pas toujours les
grandes fonctions parentales qui sont
nécessaires à " l'élevage "
(et j'écris ce mot au sens fort du terme, il
s'agit bien d'élever , de hausser, de faire
croître). Un milieu qui n'alimente pas,
témoigne peu des valeurs morales,
esthétiques, spirituelles, des adultes qui
sont souvent eux-mêmes dans la transgression
devant des enfants qui le jugent (ou les copient).
Des adultes qui ne peuvent pas représenter
ni une référence ni une image
d'autorité suffisamment fiable pour leur
permettre de se confronter aux contradictions d'un
environnement en mutation.
Des enfants dont le seuil de
frustration est tellement bas, que toute
rencontre avec la réalité
est vécue par eux comme une
agression insupportable, à laquelle
ils répondent, pour survivre, par
de la violence.
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Ces enfants du désir, même
s'ils représentent pour l'instant une
minorité, induisent par mimétisme les
comportements et les conduites de nombreux autres
enfants, mais surtout et il faut le dire avec
fermeté ils " parasitent ", ils
déstabilisent le travail de toute une classe
tout au long d'une année scolaire. Ils se
confrontent aux adultes dans une relation où
ceux-ci sont fréquemment démunis,
face à la grossièreté, aux
menaces, aux passages à l'acte . Les
réponses et les interventions classiques
sont devenues inopérantes. Enfants du
désir, " tout, tout de suite, sans
contrepartie " " enfant téflon " sur
lesquels ni sanctions, ni gratifications n'ont de
prises, voilà la population nouvelle,
imprévisible, insaisissable avec laquelle
les enseignants ont et auront à travailler
!
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Réactions:
<<Bravo !
beau texte et combien dactualité
lorsquon sait que lenseignant est
médiateur à plusieurs niveaux : entre
le savoir et les élèves et entre les
élèves eux-mêmes (cest
lui qui anime et gère les prises de paroles
des élèves).>>
<<c'est bien
présenté et j'avais besoin de ces
renseignement pour mon examen de didactique je suis
un étudiant de 4 eme année de
francais .merci a vous je vous souhaite une
trés bonne continuation >>
<<
Merci>>
<<Bonjour,
votre fidèle lecteur prend toujours plaisir
à lire les articles. Surtout que nous vivons
en tant que parent l'autre coté du spectacle
avec notre garçon de 13 ans. J'ai lu les
articles sur la violence à l'école et
j'ai été interpellé par celui
de J.Salomé. La vision à venir sur
les relations "violentes" me laisse un peu
dubitatif. Notre société il est vrai
a mis en interaction ne nombreux facteurs (conso,
presse...) à l'écoute des ados: soit;
le mal être des enfants est d'une part
naturel car au fur et à mesure qu'ils
grandissent, leur autonomie les met face aux
difficultés de notre société
et ébranle la carapace protectrice des
parents. l'ado râle peste colère et
voire devient violent: oui et ceci n'est pas
nouveau! Ce qui est nouveau , c'est que nous avons
favorisé leur égocentrisme. Nous
avons créé un espace intellectuel
d'expression où ils ont cru être libre
de toutes contraintes : là nous sommes
tombés devant une situation que l'on
pourrait appeler , à tort je crois, l'enfant
roi. Paroxysme, les parents ne veulent plus se
mettre en conflit de résistance vis à
vis de leur enfants suffisamment tôt pour
freiner sec la situation pour une raison :
être tranquille. Je vais vous faire rire, je
ne supporte plus d'entendre ce mot dans la bouche
de quiconque, cette apathie intellectuelle me
révolte. Et là a nouveau l'article
fait de la victimologie :NON! La violence ne se
développera pas à l'école et
il faut que les enseignants oublient le mot
Tranquillité ainsi que les parents. la vie
d'un ado doit être faite d'équilibre,
de résistance et de tension judicieusement
mesuré : c'est pas facile! souhaitons nous
bon courage! (Rire!) amitiés à toute
votre équipe>> Hervé
<<Dommage de
lire encore et toujours les mêmes propos sur
"les enfants du désir", auxquels les parents
ne sauraient rien refuser. On attend le couplet
anti-soixante-huitard... J'enseigne en
collège dans l'Est parisien, et la plupart
des élèves ont des familles
structurées, ce qui est favorable, et
autoritaires, ce qui l'est moins à mon sens.
Quand "ça ne va pas", les familles
soutiennent généralement les profs,
mais les enfants élevés aux coups ne
sont pas plusréceptifs à
l'écoute que ceux "à qui on a tout
laissé faire" (de cette dernière
catégorie, j'en vois peu, question de
sociologie sans doute). Ceux qui posent
problème à l'école le font
principalement pour des raisons psycho-sociales
connues , n'invoquons pas les lieux communs sur "le
manque d'autorité dans la famille". Cette
critique ponctuelle n'enlève pas sa valeur
au reste du propos de l'auteur - ni
évidemment au site, dont j'apprécie
la mise à jour
régulière.>> J.
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