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"
Notre vie est expérimentation,
exploration " Marilyn
Ferguson
"
Qu'est-ce qui constitue
réellement la souffrance ?
Qu'est-ce qui constitu le contraire de la
souffrance ? Et si, en fin de compte,
c'était le partage, 'apprentissage,
la découverte, l'ouverture de
l'horizon ? L'évolution ? "
Howard Buten
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Comment suis-je devenu
professeur ?
C'est la question que je me pose parfois, au
terme de trente années d'enseignement
effectuées au lycée. Referais-je
aujourd'hui ce même choix professionnel ? A
cette question, je répondrais sans
hésiter par l'affirmative. Pourtant les
difficultés et les moments de
découragement et d'angoisse ne me furent pas
épargnés (tout comme à de
nombreux collègues d'ailleurs).
Partons du début. Je fus
recruté, comme la plupart de mes
collègues, sur la base d'un amour certain et
d'une bonne connaissance de la matière que
j'ai enseignée : l'espagnol. La
littérature hispano-américaine, telle
était ma " spécialité "
!
La rencontre d'un enseignant martiniquais au
cours de ma scolarité, c'était en
classe de première, fut décisive.
J'étais " de gauche " et passionné
par l'Amérique-Latine. Je voulais
échapper au monde de l'entreprise et de
l'administration, ainsi qu'au voisinage d'adultes
que je percevais comme ennuyeux et dotés
d'esprit de sérieux.
Je fus reçu à
l'agrégation en 1974 et " parachuté "
dans une ZUP de la banlieue parisienne sans aucune
formation, tant sur le plan didactique que sur le
plan psychopédagogique. Confronté
d'emblée à des classes difficiles,
des " classes interculturelles " d'une grande
diversité à la fois sociale,
culturelle et ethnique surtout, je fus amené
de manière spontanée à
réfléchir à la
pédagogie interculturelle. C'était
presque une question de survie, ou, en tout cas,
d'efficacité pédagogique. Mes
recherches eurent dès le début un
aspect résolument pragmatique.
Si j'entrepris d'abord des lectures et
une réflexion dans le domaine de la
pédagogie interculturelle, ce fut pour
faire face aux problèmes que me posait la
gestion de ces classes difficiles, pour tenter de
comprendre ce que je vivais en classe, pour ne pas
perdre pied et pour trouver des
éléments de réponse aux
questions que me posait ma pratique enseignante, en
l'absence de toute aide extérieure. C'est
alors que j'écrivis mon premier article que
j'eus la chance de publier dans une revue de l'INRP
(Institut National de Recherche Pédagogique)
grâce à l'intervention d'une
inspectrice du primaire qui était aussi
chercheur et formatrice. Il s'intitulait : "Une
expérience de pédagogie
interculturelle : prolongements sur le plan de la
formation et valeur thérapeutique
".
Dans
ce premier travail qui fut suivi d'une trentaine
d'articles , je développais
l'idée, découverte sur le tas et
confortée par des lectures donc, que le
fait de faire la classe pouvait posséder
des vertus à la fois formatrices et "
thérapeutiques ".
Thérapeutiques, oui, car je fis aussi
dans ma chair l'expérience qu'il pouvait
être dangereux d'enseigner dans le contexte
actuel et qu'il fallait se prémunir
contre le stress et l'angoisse, tout en aidant les
élèves à gérer leurs
propres difficultés, idées que je
retrouvais développées par des
chercheurs et des thérapeutes en charge
d'enseignants en difficultés parfois graves
et exerçant leur action thérapeutique
et aidante dans les services de la Mutuelle
générale de l'Education nationale .
Ada Abraham, spécialiste de l'étude
du vécu intérieur des enseignants et
animée d'un regard positif et empathique sur
le travail de professeur m'aida à la fois
à comprendre et à " résister "
.
Je me suis mis aussi à
rédiger des journaux professionnels
où je consignai au jour le jour mes
expériences en classe et mes
difficultés. C'est Philippe Perrenoud, je
crois, qui le premier m'aida à comprendre
que
la
tenue d'un journal possède des vertus
thérapeutiques ou cathartiques, en ce
qu'il permet de revenir à tête
reposée et avec du recul sur des
évènements vécus en classe
avec une forte implication affective et
émotionnelle.
A la faveur de ce travail d'écriture
et à l'abréaction qu'il favorisait,
je compris qu'il me fallait mettre en place avec
mes élèves des rapports " justes " et
équilibrés, des rapports certes faits
de compréhension et d'empathie - cette
dimension m'était assez " naturelle " -,
mais sans tomber dans des rapports
fusionnels, ce qui était alors un risque
pour moi, étant donné mon
fonctionnement à l'époque.
La
non-directivité rogérienne
était, je le compris, un écueil
pour des personnes ayant des difficultés
à assumer un rôle normal
d'autorité et se réfugiant
derrière la théorie
rogérienne, une théorie
détournée de son sens premier
à des fins individuelles.
Faut-il être sincère et
honnête dans l'évocation rapide de ce
parcours, évocation dont le but n'est pas de
me donner en spectacle, ni de proposer mes
expériences comme exemplaires et
généralisables à tous ? C'est
en tout cas en toute conscience que je dirai ici
que " les avatars de mon histoire personnelle "
(comme on dit pudiquement) et le fait que j'ai
suivi un travail analytique jungien a joué
un rôle certain dans ma manière
d'enseigner, de " gérer " les conflits en
classe, et de négocier les sentiments
d'angoisse et d'incertitude qui ne
manquèrent pas de m'assaillir tout au long
de ma carrière, sans que cela ne
m'empêche de connaître le plaisir et la
joie d'enseigner, tout comme mon collègue et
ami Bernard Defrance .
La découverte de
Carl Rogers fut décisive.
Je m'aperçus en lisant Liberté
pour apprendre ? et Le développement de la
personne, notamment, que j'étais "
rogérien " sans le savoir. Ce sentiment
était source de réassurance et
d'encouragement à poursuivre dans la voie
que je suivais depuis quelques temps
déjà, de manière un peu
isolée, et en tâtonnant.
Ces deux
pensées, ces deux hommes : Carl Rogers et
Carl Gustav Jung que j'entrepris de lire et de "
méditer " m'aidèrent à
comprendre que
le fait
d'enseigner pouvait faciliter un
développement personnel et que les deux
questions du sens de ma pratique professionnelle
et du sens de ma vie étaient liées
de façon assez
étroite...
Bruno Bettelheim écrit que dans
certaines situations difficiles, l'homme ne peut
survivre qu'en s'engageant sur la voie d'un
développement personnel et d'une maturation
plus grande . Ce constat établi par le
psychologue américain sur la base de son
expérience dans les camps de concentration
pouvait - me semblait-t-il - être
transposé sur le plan de l'expérience
enseignante, même si naturellement, il existe
une différence de degré et
d'intensité entre ces deux
expériences vitales !
Une autre fois, je me souviens, je sortis
découragé d'un conseil de classe de
seconde où de nombreux redoublements avaient
été décidés. C'est
alors que j'écrivis un article
intitulé Projet d'aide méthodologique
en classe de seconde , comme pour dépasser
un sentiment passager de découragement et ne
pas rester sur une impression négative
d'échec (et de culpabilité
?)
Mes
déboires avec l'inspection faillirent eux
aussi me déstabiliser, au moins de
manière provisoire, mais la tenue
d'un journal et la rédaction d'un livre qui
ne vit jamais le jour et que j'intitulai :
"L'inspection : histoire d'un exorcisme et
critique d'une institution", m'aida à "
résister ".
Un peu plus
tard, Guy Avanzini, alors directeur des Cahiers
Binet-Simon , me confia la coordination d'un
numéro spécial sur l'inspection, ce
qui me permit de prendre définitivement mes
distances par rapport à cette institution,
empêchant qu'elle ne me nuise et nuise aussi
au caractère vivant et spontané de la
relation que je tentais d'entretenir avec mes
élèves. Cet épisode m'aida
dans le même temps à retravailler la
question du père, selon le principe
énoncé par Marilyn Ferguson et qui
veut que dans le nouveau paradigme anthropologique
en train de naître,
il
n'existe ni échec ni réussite et
pas d'ennemis, mais seulement des personnes qui,
grâce (à cause) de leur propre
fonctionnement, nous permettent
d'éclairer nos faiblesses, nos failles,
nos blessures, comme le ferait un miroir
grossissant. L'inspection me permit de
travailler l'image du père que je
nourrissais et d'éclaircir mes rapports
à l'autorité, avec mes
élèves et avec mes
supérieurs
hiérarchiques.
Les divers journaux que je rédigeai
pour comprendre les conflits et les crises en
classe, s'ils ne furent pas publiés,
servirent de matériaux à mes livres
et à mes articles et j'y associai un
moment mes propres élèves auxquels je
demandais de me communiquer par écrit leur
témoignage sur mon enseignement et la
manière dont ils percevaient nos relations.
Car, je me mis en effet à écrire,
des articles et des ouvrages plus "
théoriques ", avec toujours le même
souci de comprendre mon vécu en
classe, guidé par l'idée que la "
maîtrise " intellectuelle ou plutôt
émotionnelle de mes difficultés est
ce qui en faciliterait la résolution.
Recevant un certain nombre de blessures
narcissiques de la part de l'Institution
(problèmes avec certains
élèves, avec leurs parents et avec
les inspecteurs ; il me fallut attendre vingt-huit
ans d'enseignement pour connaître de
réels problèmes avec un proviseur
!)
J'avais de
manière normale, il me semble, besoin d'un
peu de " reconnaissance " et d'encouragement
surtout. Et le fait que certains chercheurs en
sciences de l'éducation répondent
à mes courriers et m'ouvrent les colonnes de
leurs revues, mérite d'être signaler
comme preuve de ma reconnaissance. Guy Avanzini,
René Barbier et Michel Maffesoli doivent ici
être mentionnés et tout
spécialement remerciés.
Qu'est-ce que j'ai retenu
alors de Carl Rogers et de l'attitude
rogérienne ?
Peut-être est-ce la confiance,
maître mot de l'attitude et de
l'anthropologie rogériennes, qui constitua
pour moi l'apport capital. La confiance que j'avais
aussi trouvée exprimée chez les
bouddhistes , chez Jung (sa conception optimiste de
l'inconscient) et au cours du travail analytique
que j'entrepris donc avec une analyste jungienne.
Il faut savoir que rien n'est plus étranger
à la confiance que le côté
dogmatique, et intellectualiste. La confiance, j'en
fus l'heureux bénéficiaire et elle
inspira ensuite mon action en classe, me permettant
de garder le cap contre vents et marées.
La confiance m'aida à relativiser
l'impact des blessures narcissiques qui me furent
infligées, notamment par les
inspecteurs.
La confiance est un " sentiment ", une
attitude communicative, irrationnelle et
irraisonnée. Lorsque l'on fait confiance
à ses élèves, ils font tout,
et même plus, pour se montrer dignes de cette
confiance et de l'amour que l'on a su leur montrer
: " Il se passe alors des choses incroyables ",
comme l'écrivait Carl Rogers , auquel fait
écho Delphine, une de mes anciennes
élèves de seconde : " Mais
j'admire beaucoup votre patience à notre
égard, et surtout votre
compréhension. Je pense que
l'autorité ne sert à rien, car tant
qu'un élève n'a pas envie de
travailler, il ne travaillera pas, même si le
prof le colle ou le " gronde " en longueur de
cours. Vous pouvez nous apprendre à
acquérir une discipline personnelle
intérieure. Personnellement, quand je sais
qu'un prof me fait confiance et qu'il me laisse des
chances, je ferai plus d'efforts à son
égard et à l'égard de mon
travail ".
Je découvris aussi les
salésiens de Don Bosco grâce à
Guy Avanzini. Don Bosco, ce pédagogue
chrétien qui exerça son action
éducative dans l'Italie du Nord au XIXe
siècle, dans des conditions qui font penser
à celles d'aujourd'hui, surtout dans les
quartiers difficiles et les zones
d'éducation prioritaire (ZEP).
N'étant pas
moi-même chrétien, je pus cependant
facilement faire le lien entre l'empathie et
l'acceptation inconditionnelle d'autrui d'une part,
et ce que Don Bosco et les salésiens de Don
Bosco après lui (Xavier Thévenot,
Jean-Marie Petitclerc
) appellent
l'amorevolezza, forme d'amour inconditionnel envers
les élèves.
La qualité humaine de la relation
éducative est en effet décisive,
tant sur le plan des apprentissages que sur celui
du développement personnel des
élèves et du professeur, sans ignorer
la dimension du mal que la gestion du groupe-classe
me permit de découvrir (moi qui étais
ingénu et mettais souvent aux commandes
l'Etat du Moi que l'analyse transactionnelle
appelle le Parent Sauveur). La découverte de
cette dimension du mal constitua un moment fort de
ma formation et évita que je ne succombe
à la violence et à la force
destructrice présentes dans tout groupe
humain, je l'appris à mes dépens,
victime que j'étais de ma
naïveté et de mon
angélisme.
Je me posais comme " règle " de ne
jamais prendre en grippe les classes (ou les
élèves) qui " m'en faisaient voir ".
Cette attitude autant tactique qu'inspirée
de façon contraignante par une morale
imposée de l'extérieur, me permit
dans de nombreux cas de construire avec mes
élèves des rapports harmonieux et
basés sur la confiance.
Être " rogérien " dans un
établissement scolaire est chose difficile,
car comme l'écrit Rogers lui-même, un
enseignant " rogérien " (il se
méfiait en fait de cet adjectif) est souvent
ressenti comme une menace par ses propres
collègues qu'il lui faut rassurer en
même temps que son chef
d'établissement, envers lequel Rogers nous
invite à un sentiment de
compréhension, dans un contexte encore assez
largement dominé par des rapports
exagérément hiérarchiques et
fondés sur une conception ancienne (et
incarnée par le père surmoïque)
de l'autorité. A ce propos, j'ai
développé ailleurs , l'idée
d'un nécessaire compagnonnage entre tous les
acteurs de la relation éducative du haut en
bas de la hiérarchie : professeurs, parents
d'élèves, chefs
d'établissements et inspecteurs.
L'attitude rogérienne est donc "
formatrice " sur le plan éthique et
personnel, c'est en tout cas
l'expérience qu'il me fut donnée de
vivre. Elle s'oppose à tout dogmatisme et
nous oblige à travailler sur
nous-même, dans le sens de plus de
maturité, plus de tolérance et
d'esprit d'ouverture.
Un enseignant " rogérien " est tout
sauf un " révolté incendiaire ",
disait Rogers. C'est une personne sachant rester "
maître " de sa propre subjectivité et
faire preuve, autant que faire se peut, de calme,
de patience et
d'équanimité.
La réflexion et la pratique
éducatives comportent indubitablement un
aspect " psychanalytique " et
transférentiel. C'est Xavier Thévenot
qui, le premier, m'aida à comprendre que
toute relation éducative un peu
sérieuse et authentique comporte des aspects
érotiques et s'accompagne
inévitablement de sentiments d'angoisse et
de culpabilité lesquels doivent être
partagés de façon
équilibrée entre l'éducateur
et les éduqués . J'avais pendant
longtemps pris sur mes fragiles épaules tout
le poids de cette culpabilité et de cette
angoisse inconscientes. Cette découverte
vivante (expérientielle) des
mécanismes inconscients en jeu dans la
relation éducative marqua un autre moment
fort de ma formation.
C'est Micheline Flak et le Rye qui attira
mon attention sur l'importance du corps, de
l'attention, du calme et de la maîtrise de
soi dans les processus d'apprentissage et la
qualité de la relation éducative.
Pour l'importance du cur, il y eut donc Carl
Rogers, Don Bosco et Carl Gustav Jung lequel
écrit : " Là où l'amour
manque, le pouvoir occupe la place vacante " et
enfin Krishnamurti .
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