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Le
parent devient "parent
d'élève"
L'enfant a besoin de construire son
autonomie dans d'autres dépendances
affectives et sociales que celle de ses
parents, c'est-à-dire poursuivre sa
socialisation qui est aussi la marche vers
l'état adulte et la
séparation au moins
matérielle d'avec ses parents.
Mais cette fois, le parent n'a plus de
choix. Il est dans l'obligation de
transporter et d'abandonner
littéralement son enfant dans
l'espace/temps institutionnel qui lui est
affecté.
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Quotidiennement et pendant un laps de temps
important il perd tout pouvoir. Tout en restant
affectivement et moralement totalement responsable
de l'état de son enfant, de son
présent et de son devenir. Il doit se
désapproprier. De parent, il devient parent
d'élève.
Cette rupture quotidienne d'un état, est
particulièrement visible à
l'entrée des écoles,
symbolisées par les grilles que les uns
devront franchir et que les autres ne pourront pas
franchir. Après la dernière bise,
l'enfant passe la grille et enfile sa veste
d'élève sur l'enfant parfois encore
endormi.
Il s'agit bien d'un sevrage, pour le moins brutal
et ce n'est pas une vue de l'esprit quand on
assiste aux entrées dans l'école
maternelle. Mais dans cette nouvelle rupture, le
parent devient impuissant alors que l'enfant est
encore partie de lui-même.
L'enfant devient
"élève", les rythmes de l'enfant
deviennent "rythme scolaire"
Je ne m'étendrai pas sur le système
éducatif qui transforme les enfants en
objets élèves, qui a besoin que ce
soient des objets relativement semblables qui
passent dans la chaîne tayloriste scolaire,
sinon elle ne pourrait pas fonctionner.
Ce système éducatif se trouve
d'ailleurs dans l'incapacité de
résoudre des problèmes reconnus comme
incontournables comme celui des rythmes de
l'enfant, qu'il lui est impossible de transformer
en rythmes scolaires, du simple fait que de par sa
conception il ne s'adresse pas à des enfants
mais à des élèves. Il ne
s'agit pas de permettre la construction des
langages mais de greffer des connaissances
préalablement découpée sur des
catégories préalablement
découpées elles aussi.
Le système éducatif ne s'adresse pas
à des enfants ou à des adolescents,
mais à des élèves, il a besoin
que ce soient des élèves. S'il prend
en considération des enfants, ayant tous des
rythmes différents, se construisant tous
physiologiquement et cognitivement selon des
processus différents, suivant des courbes
qui ne sont pas linéaires, il ne peut pas
fonctionner, tout au moins il ne peut pas
fonctionner tel qu'il est. Ce dont a besoin le
système éducatif, c'est que l'enfant
et le parent cessent de l'être dès le
franchissement de la grille et le retentissement de
la cloche.
Place du parent
dans l'école
Ceci est d'ailleurs ouvertement prôné
par un certain nombre d'enseignants : "
l'école va de mal en pis depuis qu'on y a
laissé rentrer les parents "
déclare à plusieurs reprises
Jean-Paul Brighelli. L'élève est un
enfant qui n'a plus de sentiments,
d'émotions ou doit les refouler, qui n'a
plus d'initiatives bonnes ou mauvaises, dont la
place, les mouvements, les actions sont
prédéterminés, fixés.
Un cadre dans lequel il doit se couler.
Ce faisant est interrompu le processus de
socialisation qui ne peut être celui de la
seule soumission à un cadre, mais
l'intégration à un groupe social qui
a secrété ses propres règles
de vie. Les problèmes de l'école,
c'est lorsque l'enfant ou l'adolescent ressurgit
sous la veste de l'élève. Il trouble
alors nécessairement le fonctionnement du
système, même pour aller faire pipi
quand il en a besoin !
Malgré tout, il est impossible de
séparer ce qui constitue encore une
entité, l'entité parent/enfant, en
les habillant l'un et l'autre d'un statut.
On sait très bien que lorsque par exemple un
élève est puni, lorsqu'il est
agressé dans l'école, ou au contraire
quand il est fier d'une réussite, c'est le
parent et non pas le parent d'élève
qui le ressent dans sa propre chair. La plupart des
scènes d'agressivité vis-à-vis
des enseignants résultent de ce sentiment
qui n'est, somme toute, que normal. Cela s'explique
d'autant plus que les parents ignorent tout de ce
qui se passe dans l'espace scolaire. Celui-ci est
soigneusement clôt, officiellement
clôt. Il s'auto-protège, et ce n'est
pas seulement au moment des vigies-pirates.
Non seulement le parent n'a pas le pouvoir de
choisir l'espace où il pourrait alors
confier son enfant, mais il doit l'y laisser sans
avoir la moindre idée de ce qu'il y fait, de
comment il s'y comporte, de ce que font et de
comment se comportent des personnes inconnues
vis-à-vis de lui. On réclame sans
cesse aux parents de faire confiance à
l'école, alors que l'ignorance dans laquelle
on les tient ne peut qu'engendrer suspicion et
méfiance.
La
méfiance de l'école vis à vis
des parents
La méfiance de l'école
vis-à-vis des parents est d'ailleurs
beaucoup plus importante. On n'entend jamais dire
qu'il faut que l'école fasse confiance aux
parents, pas plus d'ailleurs qu'il faut qu'elle
fasse confiance aux enfants.
Durant le temps scolaire, on castre les parents de
ce qui fait une partie de leur essence de parents,
c'est-à-dire que l'on rompt le lien qui fait
qu'ils ont affectivement un rôle protecteur
et que l'enfant a besoin affectivement que le lien
ne soit pas déjà rompu.
Par exemple lorsqu'un parent est convoqué
à l'école avec son enfant parce que
celui-ci a troublé l'ordre ou qu'il n'est
pas conforme à ce que des évaluations
attendent de lui. Au lieu d'être dans la
situation normale d'assister son enfant, il se
trouve implicitement dans celle de juger un
élève et de soutenir le maître
de cet élève. S'il soutient alors son
enfant, il devient un mauvais "parent
d'élève". On lui demande de perdre
son statut et son pouvoir de parent et ceci en
présence de l'enfant. On peut concevoir
qu'il n'approuve pas son enfant, qu'il agisse pour
qu'il se transforme, qu'il discute avec lui, qu'il
entreprenne quelque chose pour l'aider à
mieux vivre l'école, mais c'est alors dans
la relation duelle parent-enfant, celle où
il a un pouvoir, celle où il est dans le
lien affectif naturel, pas dans celle
parent-enseignant-élève.
La demande su
système scolaire aux parents
Paradoxalement, si on sépare soigneusement
l'élève de son parent, on demande
à ce dernier d'intervenir quand
l'école n'a pu fabriquer
l'élève conforme dont elle a besoin.
J'insisterais beaucoup sur ce point : si le
problème de ce qu'on appelle l'échec
scolaire, des comportements difficiles, est devenu
une affaire d'Etat, ce n'est pas tant par souci
d'égalité des chances, mais c'est
parce qu'alors le système scolaire ne peut
plus fonctionner. On demande aux parents d'aider
à faire fonctionner le système ou on
les accuse de ne pas y contribuer. Il est aussi
posé comme a priori que ledit système
n'est pas la source des maux qu'il pourrait
engendrer.
Si
l'enfant doit devenir un
"élève", le parent doit aussi
devenir un "parent d'élève" au
détriment du parent qui doit
abandonner tout pouvoir pendant la plus
grande partie de l'espace-temps de la
construction de son enfant, tout en ne
pouvant se départir de la
responsabilité matérielle,
morale et même juridique de son
présent et de son devenir, tout en ne
pouvant pas trancher la continuité du
lien affectif qui le lie à lui. Il
devient quotidiennement impuissant. Si la
parentalité est bien une
épreuve psychique, elle devient une
épreuve impossible, une épreuve
où il n'a plus aucun pouvoir.
...
Les
pédagogies actives
On a remarqué que dans les pédagogies
actives qui considèrent avoir affaire
à des enfants plus qu'à des
élèves, l'animosité d'un
certain nombre de parents se déclenchait au
moment où l'enfant se mettait à aimer
l'école. Sous-entendu, il aime
l'école et ses enseignants plus que moi.
Soupçonné aussi, son enseignant a
plus d'influence sur lui que moi. Ce qui n'est
d'ailleurs pas toujours faux et provoque parfois
opposition et conflit à l'intérieur
de la sphère parentale, et
agressivité parentale vis-à-vis de
l'école.
Il y a alors une vraie lutte de pouvoir. Si la
perte de pouvoir n'est pas toujours perçue
ou ennuyeuse quand l'école correspond
à celle dans laquelle on a
été, elle devient plus perceptible
quand elle ne correspond plus à nos
représentations. L'impression que l'enfant
nous échappe est alors beaucoup plus forte.
Représentation
de la relation adultes/enfants
Un autre problème pour le parent est celui
de se représenter dans l'école la
relation adultes/enfants différente de celle
de l'espace familiale. Le parent aura tendance
à ne voir que la relation directe entre
l'enseignant et son enfant et ses
conséquences, comme dans le
préceptorat.
Or l'école ne s'adresse pas à un
enfant mais à un ensemble d'enfants, qu'elle
devrait en principe faire vivre ensemble. Et, en
particulier dans les pédagogies modernes,
c'est de la qualité du vivre et du faire
ensemble que dépend l'évolution de
chacun, dans tous les langages. Son enfant n'est
plus unique. Dans une école du
3ème type nous nous sommes rendu compte
de cette difficulté, tout au moins au
début. Il faut un certain temps pour que le
parent saisisse que l'attention portée par
les enseignants à la vie et au
bien-être du groupe, aux interactions qui
vont pouvoir s'y dérouler,
bénéficient directement à
chacun.
Quand
l'école n'est plus conforme aux
représentations que l'on en a,
c'est-à-dire lorsque l'école
change, il y a un réflexe de rejet
même si l'on n'était pas
satisfait de ce qu'elle était avant.
Le parent a aussi besoin de repères.
Il a ceux de l'école dans laquelle il
s'est construit et même
institué. S'il ne les retrouve plus,
il est en insécurité et ce
qu'il recherche, c'est de se sécuriser
en acceptant des certitudes, peu importe si
elles ne sont pas avérées. Mais
l'état de recherche de
sécurisation n'est pas celui que l'on
appelle sécure. A contrario, ce
dernier état permet d'affronter
tranquillement l'incertitude, l'inconnu que
l'on cherchera alors à
connaître. Ce que l'on dit à
propos des enfants est tout aussi valable
à propos des adultes.
L'ouverture de
l'école aux parents
Ce n'est pas par hasard si dans les
pédagogies modernes l'ouverture de
l'école aux parents et l'appel à leur
participation sont très importants. Ces
pédagogies prennent en compte et le fait que
l'enfant ne peut être séparé
complètement de l'entité
parent/enfant, et la nécessité de
l'intersection entre l'espace de vie familial et
l'espace de vie scolaire, les langages se
construisant dans une continuité. Le parent
étant impliqué dans l'école,
pouvant y être d'une certaine façon
présent il peut la comprendre, il peut
même y avoir un pouvoir, mais dans une
posture et des modalités qui ne sont plus
celle de la famille. Il n'y abandonne plus son
enfant, il l'y accompagne. Il semble logique que le
parent connaisse parfaitement l'espace où va
devoir vivre son enfant, ceux qui y opèrent,
comment ils opèrent, et même de
pouvoir faire des remarques, pourquoi pas des
critiques ou émettre des suggestions. Si lui
y est sécure, l'enfant l'est aussi.
Mais il faut reconnaître aussi que beaucoup
accepte facilement ce qui devient une
décharge. Se départir d'un pouvoir en
même temps que de la lourde
responsabilité qu'il induit peut être
plus confortable. Cela permet de se
défausser des difficultés sur
l'école autant que celle-ci le fait sur les
parents. Parfois le conflit est psychologiquement
bien arrangeant.
L'implication nécessaire des parents dans ce
que j'ai appelé une école du
3ème type découle toujours d'un
long processus dont l'instigateur est l'enseignant.
Elle nécessite et une transformation des
représentations sur son rôle de parent
et sur l'école, et l'instauration de
modalités, d'habitus. Il ne s'agit que du
processus qui permet que s'établisse une
confiance réciproque et ce que j'appelle la
concomitance des pouvoirs qui ne s'opposent plus.
Le conseil
d'école
Il y a bien dans le système éducatif
un lieu institué où le parent est
reconnu en tant que tel. C'est le conseil
d'école. Mais très curieusement on ne
peut y discuter de ce qui se passe dans
l'école, on ne peut pas y parler de
pédagogie ! Donc du pouvoir qu'ont les
enseignants sur les enfants et de la façon
dont il l'exerce. Souvent au nom d'une
liberté pédagogique, toute relative
et même de plus en plus relative, mais dont
les enseignants n'ont pas à rendre compte
des effets aux premiers intéressés.
Le rôle des parents s'y réduit
à approuver, au mieux à s'informer,
pas de discuter. Le projet d'école n'y est
le plus souvent qu'un projet annexe, qui ne mange
pas de pain, très rarement un projet
pédagogique global qui
caractériserait la façon dont les
enseignants conçoivent la construction des
apprentissages et dans quels dispositifs et
fonctionnements ils vont opérer. Bien qu'il
soit prévu qu'à chaque conseil on
devrait analyser la réalisation et les
effets du projet, ceci est rarement fait.
Le comportement des parents y reste celui
d'un élève. D'un bon
élève
ou d'un mauvais
élève quand il se permet
d'émettre des critiques et qu'il va de ce
fait troubler.
Associations de
parents d'élèves
Je pourrais aussi parler du seul lieu où ils
peuvent se revendiquer comme parents d'enfants
allant à l'école, c'est-à-dire
les associations de parents d'élèves.
Là aussi, parler de pédagogie, de ce
qui se passe dans l'école pour leurs
enfants, de ce qu'ils y vivent bien ou mal, est
tabou ! Une étonnante autocensure. Ou une
étonnante peur.
Leur principale fonction, c'est de chercher des
sous pour compenser les carences des
municipalités, assurer les
conséquences de l'école
insérée dans un tissu
socio-économique sans qu'elle se
préoccupe trop de ses incidences. Que faire
des enfants à 16H30 quand les parents sont
encore au travail, ou comment les amener à
l'école quand eux sont déjà
partis au boulot, comment assurer le repas de midi
quand le retour à la maison est impossible,
comment assurer l'illégale prolongation de
l'école dans la sphère familiale et
qui s'appelle devoirs, etc.
Mais il faut bien constater que les parents aussi
bien que les enseignants se satisfont de cette
situation. La raison toujours invoquée c'est
que s'il fallait écouter et prendre en
considération les avis, les croyances, les
opinions contradictoires de chaque parent, aucune
action cohérente ne serait possible.
Or,
plus de 20 ans de collaboration avec les
parents dans ma classe unique pour
l'établissement et le suivi de ce que
j'appelle des stratégies
éducatives, autant d'années
à participer à
l'établissement des projets
éducatifs de crèches
parentales, démontrent le contraire.
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