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UN ENSEIGNEMENT DE " L'ENTRE-DEUX "

Quand la rencontre entre enseignant / enseigné s'accepte interculturelle

Caroline Houlbert.

             Titulaire d'une thèse de littérature comparée et diplômée en ethnopsychanalyse , Caroline Houlbert a effectué entre 2000 et 2003 plusieurs remplacements en tant que professeur de lettres dans différents collèges et lycées des zones d'éducation prioritaire de la région parisienne. Sensibilisée dans le cadre de ses recherches doctorales aux spécificités et aux enjeux de la relation interculturelle, Caroline Houlbert a été interpellée par les enfants de migrants qu'elle accueillait dans ses classes. A la fois " produits de culture " et " parcelles de nature ", beaucoup de ces enfants exprimaient par leurs comportements agités, en retrait, agressifs ou silencieux, l'absence de liens véritables non seulement avec le pays dans lequel ils étaient nés mais également avec la terre de leurs parents.

             Entre deux rêves, entre deux discours, entre deux sens, entre deux êtres, la souffrance et l'inconfort identitaire de ces enfants étaient incontestables et criants. Pour Caroline Houlbert, la question a alors été de savoir comment les rencontrer et les rassembler dans toutes les dimensions de leur personnalité.

             Elle a ainsi choisi d'inscrire son enseignement dans une perspective interculturelle. Convaincue par son expérience, décidée à la faire évoluer, à la prolonger et à en partager le questionnement, Caroline Houlbert est aujourd'hui psychothérapeute, consultante et formatrice en communication et en relations humaines interpersonnelles et interculturelles.

Griot en bois de kosso

A.F.I.N.E.R.

Association Francophone Internationale pour le développement et la transmission de l'Ecologie Relationnelle

Email: caroline.houlbert@yahoo.fr Tel. : 06 80 95 02 52

Cet entretien est consacré à l'expérience pédagogique mise en place entre 2000 et 2003 par Caroline Houlbert.

 

              Antoine de Coccola : Pourriez vous tout d'abord nous expliquer comment a débuté votre expérience d'enseignante dans des établissements situés en zone d'éducation prioritaire ?

 

Caroline Houlbert : Au départ, ce n'est pas un choix de ma part mais le hasard des affectations. Je rédigeais ma thèse sur les griots et j'avais besoin de gagner ma vie tout en exerçant un métier qui me laisse suffisamment de temps pour continuer mon travail de recherche.

Antoine de Coccola est un ami de Caroline Houlbert. Il l'a interviewée pour le site: "Les facteurs humains dans l'enseignement et la formation d'adultes"

             J'ai donc posé ma candidature en juin 2000 au rectorat de Créteil et j'ai été affectée à un poste dès la rentrée de septembre. Pendant trois ans, j'ai successivement enseigné au lycée puis au collège. Toujours en zone d'éducation prioritaire. Les publics d'élèves sont très différents. Au lycée, il semble que les élèves aient en général investi d'un sens très personnel le fait d'aller à l'école et de travailler tandis qu'au collège, les élèves semblent davantage " subir " l'école et se positionner comme " victimes " soumises ou révoltées d'un système qu'ils ne peuvent ni modifier, ni transformer. Il m'est devenu évident que les jeunes qui parviennent à s'approprier ce qu'ils apprennent, à relier les connaissances transmises à leur histoire tout en leur donnant un sens dans un projet de vie qui dépasse le cadre scolaire, ont plus de facilité à vivre leur scolarité et à obtenir le baccalauréat. Il faut spécifier que la plupart des élèves dont je parle sont enfants de migrants. Ils avaient donc une vie dans laquelle cohabitaient - et cohabiteront toujours - plusieurs cultures, plusieurs langues, différents codes, différentes croyances et représentationsCes jeunes arrivaient en cours complètement défragmentés, diffractés, autrement dit éparpillés entre deux, trois, quatre milieux aux exigences diverses et parfois contradictoires. Ils avaient des pieds et des mains partout. Quand un enfant - ou qui que ce soit - n'est pas centré, n'a pas ses deux pieds au sol, il ne peut pas être attentif à autre chose qu'à lui-même. Toute l'énergie de l'enfant va en effet être concentrée dans sa lutte pour conserver un minimum de cohérence interne et ainsi " survivre ", malgré l'éparpillement et la confusion dont il est victime.

             Ainsi, j'ai vite réalisé que je ne pouvais arriver devant ces jeunes en imaginant transmettre un programme construit de règles, de lois, de méthodologie sans leur parler d'eux, de rencontres, d'échanges, de voyages, de partages, de différences et de relations humaines. Tout l'enjeu a été pour moi de déterminer comment, en lien avec mon enseignement, aider ces jeunes et ces enfants non seulement à se rencontrer mais également à " se rassembler " soi-même le temps d'un cours. C'était pour moi la seule façon de les rendre disponibles à l'apprentissage, à l'apport de connaissances et d'éléments de compréhension du monde, étrangers à ce qui pouvait leur être transmis dans leur environnement familial immédiat.

 

Antoine de Coccola : Comment avez-vous procédé pour aider ces enfants à se rencontrer et à " se rassembler " ?

Caroline Houlbert : En fait, tout a réellement démarré lorsque je suis arrivée en poste dans un lycée de la banlieue parisienne, à Gagny.

Ecole du village de Kela, au sud ouest du Mali. Caroline Houlbert a enseigné là-bas quelques semaines

             J'avais une classe de seconde technique. Ils étaient quasiment tous plus âgés que la moyenne des adolescents qui entrent en seconde et bon nombre d'entre eux étaient originaires du Maghreb et d'Afrique Noire. De plus, comme mon affectation s'est décidée rapidement, je ne savais absolument pas quel enseignement leur apporter. Je devais effectuer un remplacement temporaire et l'enseignante que je remplaçais ne m'avait fourni aucun élément sur ses intentions pédagogiques. Je me suis alors demandée ce que j'allais faire comme cours. Dans l'urgence, j'ai finalement décidé de me servir de la littérature que je connaissais le mieux, à savoir la littérature francophone d'Afrique Noire, du Maghreb, des Antilles, de Belgique, de Suisse… A l'université, la littérature francophone était en effet ma spécialité. Cette littérature est une littérature de langue française produite par des auteurs d'origine étrangère. J'ai ainsi commencé mon premier cours en leur expliquant qu'il existait des hommes qui n'étaient pas français, qui n'habitaient pas en France, dont la langue maternelle n'était pas le français et qui pourtant, pour des raisons historiques, politiques, idéologiques… écrivaient des livres en français. Je leur ai fait connaître les Algériens Mohammed Dib et Kateb Yacine, le Sénégalais Cheikh Hamidou Kane, le Malien Massa Makan Diabaté, l'Antillais Aimé Césaire ou encore le poète de l'exil, de l'errance et de la citoyenneté universelle : Khalil Gibran…

 

Antoine de Coccola : J'imagine que ces auteurs ne faisaient pas partie du programme de seconde ?

Caroline Houlbert : Ce qui est prévu au programme, ce sont des notions. Après, il y a des propositions de textes qui permettent d'illustrer et d'expliciter les notions. L'enseignant est libre de présenter ces notions comme il le souhaite. En ce qui me concerne, en choisissant cette littérature, j'ai en quelque sorte adopté une démarche interculturelle. J'ai cherché à " saisir " les jeunes là où se situaient leurs inquiétudes, leurs préoccupations… Je les ai " captés " en leur posant les questions : " Qui êtes-vous ? " et " D'où venez-vous ? ".

 

Antoine de Coccola : En tant qu'enseignante, vous vous êtes donc positionnée vis-à-vis de la question de l'origine, du rapport du jeune avec celle-ci et du lien que ce dernier entretient avec son environnement culturel et géographique ?

Caroline Houlbert : Oui. Et j'ai pour cela placé la famille au centre de nos lectures et de nos discussions. A l'aide des auteurs et de leurs textes en majorité autobiographiques , je les ai sensibilisés aux questions d'appartenance, de filiation et d'héritage : " De qui êtes-vous les enfants ? ", " De qui voulez-vous être les enfants ? ", " Quelle est l'histoire de votre famille ? ", " Quelle est votre histoire dans cette famille ? ". Nous avons tenté de répondre ensemble à ces questions en abordant la biographie des auteurs que nous étudions ainsi que l'histoire politique, économique et littéraire des pays d'origine de nos auteurs. Il fallait en effet déterminer dans quels contextes politique, historique et idéologique étaient nés les ouvrages que nous lisions pour en entendre les enjeux et les revendications. Les élèves ont progressivement pris conscience que ce que l'on pense être a priori des paradoxes, des contradictions ou encore des conflits n'est en fait que l'expression du choc des cultures, de la rencontre de deux ou plusieurs univers, de la difficile cohabitation de la différence avec elle-même ! Cette recherche a permis de toucher aux questions conscientes ou inconscientes au cœur des préoccupations de ces jeunes : les problématiques d'identité et de territoire. Il m'a semblé qu'en les aidant à se situer par rapport à leur passé et à leur histoire en tenant compte de leur environnement actuel, les jeunes ont pu entendre et se réapproprier l'enseignement proposé sans se sentir menacés.

Antoine de Coccola : Comment les élèves ont accueilli ce que vous leur proposiez ?

Caroline Houlbert : Dès le premier cours, ils ont été complètement émerveillés. Ils ne savaient pas, ou n'avaient peut-être pas réalisé, que des gens qui leur étaient proches sur le plan culturel avaient pu écrire des textes en français aussi beaux. Grâce à ces auteurs, un lien entre la culture française et la culture d'origine de leurs parents apparaissait au grand jour. Ces auteurs leur parlaient de thèmes, de questionnements, de recherches, de sujets d'actualité qui les touchaient intimement : la migration, l'exil, le choc des cultures, la question de l'appartenance et des racines… Les mots des auteurs sont devenus source d'inspiration et ont permis aux jeunes de trouver, choisir, inventer leur propre mode d'expression. Petit à petit, il est devenu possible pour ces jeunes de mettre des mots sur des ressentis, des impressions, des émotions qu'ils ne parvenaient pas à exprimer ou dont ils n'avaient tout simplement pas conscience.

             Du coup, les jeunes ont demandé à rédiger leur propre histoire. Chacun l'a fait. Ils ont parlé de leurs lectures à leurs parents et les ont interrogés sur l'histoire de la famille, les raisons et les conditions des départs ou des déménagements… car évidemment, tous les jeunes de la classe n'étaient pas issus de l'immigration telle qu'on la sous-entend habituellement. En effet, si tous les parents n'avaient pas quitté un continent ou un pays pour un autre, tous avaient déjà vécu un ou plusieurs déménagements, des changements de régions ou de quartiers. La problématique reste la même : celle de la séparation, de la rupture et de la tentative pour conserver un lien et se recréer un univers de vie. La migration ne se résume pas à troquer un pays pour un autre. Lorsque quelqu'un quitte la ville où il est né, le quartier où il a grandi, où il a connu ses premières amours pour s'installer dans un autre espace, se reconstruire un nouveau réseau relationnel et de nouvelles habitudes, il vit nécessairement un temps de confusion et de déstructuration. Tout comme le migrant qui se délocalise d'un continent à un autre. Néanmoins, si certains parviennent à sortir de la confusion et se restructurent, d'autres végètent dans un no man's land sans passé, sans présent et sans avenir, dont leurs enfants héritent. Et beaucoup des jeunes de cette classe sont nés dans ce contexte.

             Dans leur grande majorité, les parents ont collaboré, heureux pour certains de pouvoir partager avec leurs enfants leur nostalgie du " temps d'avant " ainsi que les moments difficiles héroïquement traversés.

             C'était étonnant de constater à quel point le discours de ces jeunes sur leurs parents est devenu plus " respectueux ", valorisant, davantage emprunt de fierté et de reconnaissance. Les jeunes découvraient leurs parents autrement. Ils les découvraient à travers une parole qui n'était plus le discours de la société d'accueil sur les migrants mais qui était la parole directe et authentique de leur père et/ou de leur mère. Et cette parole avait de la valeur puisqu'elle s'apparentait désormais à celle de ces auteurs " étrangers " que notre société avait reconnus et publiés !

 

Antoine de Coccola : Comment le corps professoral considérait votre travail ?

Caroline Houlbert : En réalité, j'étais assez autonome. A partir du moment où le programme était vu, je n'avais pas de compte à rendre. Après, la manière de l'aborder était vraiment très personnelle. Et puis j'étais avec des collègues très ouverts donc cela c'est relativement bien passé.

 

Antoine de Coccola : Donc vous suiviez quand même le programme ?

Caroline Houlbert : Oui, c'était juste une façon différente de l'aborder. Mais mon expérience ne s'est pas arrêtée là. L'année d'après, j'ai été mutée dans un collège situé au cœur de la cité des Quatre mille à La Courneuve. Le brassage des communautés était vraiment très important. J'avais à ma charge deux classes de sixième à l'année. Ainsi j'ai pu élaborer un vrai projet pédagogique à partir d'un ouvrage d'un auteur ivoirien, Jean-Baptiste Tiémélé.

 

Antoine de Coccola : Comment avez-vous structuré votre projet pédagogique ?

Caroline Houlbert : Avec les enfants, nous avons choisi un recueil de contes. J'avais proposé plusieurs ouvrages d'auteurs encore vivants car je souhaitais que les enfants puissent les rencontrer. C'était important pour moi parce que j'avais l'impression que la littérature apparaîtrait ainsi aux enfants plus vivante, plus humaine et donc plus accessible. Les enfants et moi avons finalement choisi le recueil de contes de Jean-Baptiste Tiémélé : Les contes déracinés d'Afrique (Ed. Maisonneuve et Larose). Les enfants savaient que ce livre allait les accompagner toute l'année. Outre le travail de grammaire, d'orthographe, de réécriture, d'invention, de méthodologie effectué à partir de ce recueil, nous avons interrogé le titre et réfléchi à sa signification tout comme au sens de chacun des contes. J'ai également travaillé en lien avec l'enseignante d'art plastique. Les contes n'étaient en effet pas illustrés et les enfants ont ainsi pu exprimer leur imaginaire en illustrant les contes. Les dessins ont ensuite été donnés à Jean-Baptiste pour qu'il les insère dans la prochaine édition de son recueil. L'enseignante d'art plastique a malheureusement été la seule collègue qui ait accepté de travailler avec moi.

             J'aurais aimé travailler avec le professeur de géographie pour situer ces textes. J'aurais aussi aimé travailler sur les références culturelles auxquelles faisaient allusion les textes : l'art culinaire, la musique. J'ai donc inclus dans mon programme l'approche géographique et musicale. Il faut dire que j'ai moi-même suivi un cursus de musicologie et que mon travail de thèse traite des griots , grands musiciens d'Afrique de l'ouest. Mon objectif est de décloisonner au maximum les domaines et les connaissances afin de favoriser et de rendre possible la créativité de l'enfant en développant sa capacité à relier les choses entre elles. Etablir des liens, relier les informations, les connaissances, les idées, les ressentis, ce que je vois, sens… est pour moi la source de toute créativité.

Antoine de Coccola : Combien d'élèves aviez-vous par classe ?

Caroline Houlbert : Une bonne trentaine.

 

Antoine de Coccola : Comment avez-vous fait pour monter un projet pareil avec autant d'élèves ?

Caroline Houlbert : Pour permettre à chaque élève de s'impliquer, de se réapproprier sa démarche d'apprentissage et d'en être acteur, j'ai scindé la classe en deux sur quelques heures pour travailler tout en proximité et échanger en réciprocité avec les élèves. Le projet les a touchés et engagés personnellement. Chacun d'eux l'a investi d'attentes, d'intentions, d'espoirs et de perspectives nouvelles. Ils ont tous été partants. Une des clefs de la réussite de ce projet a aussi été la collaboration active de J.B. Tiémélé. A notre invitation, il est venu toute une après-midi au mois de décembre, juste avant les vacances de Noël. Nous avions préparé sa venue et les enfants se sont comportés en vrais journalistes reporters ! Il y avait deux preneurs de son, deux cameramen, et chacun avait sa question et prenait des notes pour rédiger un petit article. Ensuite, les enfants ont présenté leurs dessins à Jean-Baptiste et ce dernier a joué deux de ses contes . Pour finir, nous avions organisé un grand goûter auquel les mamans ont participé en apportant une spécialité culinaire. Les mamans ont goûté avec nous et ont pris le temps de se rencontrer, d'échanger et de partager à propos de l'école, de leurs enfants, de leurs difficultés quelquefois à les accompagner dans les devoirs…

             Elles ont également pu admirer les dessins de leurs enfants et se rendre compte de l'investissement que ce projet leur demandait. Certaines ont porté un regard différent sur leurs enfants après cette journée. Le carnet de notes étant souvent considéré comme l'expression incontestable des compétences de l'enfant, elles n'avaient alors jamais imaginé que les qualités de leurs enfants puissent se manifester autrement. Ce fut un beau moment de rencontre, de compréhension et de réconciliation.

 

Antoine de Coccola : A votre avis, quels effets bénéfiques les enfants ont-ils retiré de ce projet pédagogique ?

Caroline Houlbert : Je pense qu'ils ont porté un autre regard sur l'école. Pour un temps peut être. Et aussi un autre regard sur eux-mêmes et leur entourage. Peut être ont-ils eu foi en ce qu'ils faisaient ? Peut-être ont-ils donné sens à ce qui leur était enseigné et transmis ? Peut être les élèves d'une même classe se sont-ils pour la première fois parlés, entendus, regardés, mutuellement reconnus, stimulés, enrichis et influencés en toute sécurité ?

 

Antoine de Coccola : Souhaitez-vous ajouter quelque chose sur votre expérience ?

Caroline Houlbert : Il me semble important de rajouter que je me suis moi-même laissée nourrir et amplifiée par ces expériences pédagogiques. Ces quelques années d'enseignement m'ont en effet permis de porter un regard nouveau sur mon travail de thèse et de l'enrichir de questionnements liés au phénomène migratoire. Jamais, avant de constater que certains de mes élèves étaient eux-mêmes griots et descendaient de grands griots célèbres au Mali, je ne m'étais posée la question de savoir si les griots, une fois sortis de leur contexte socioculturel, conservaient une quelconque influence sur leurs congénères maliens ? Grâce à mes élèves, je me suis vite rendue compte qu'une communauté griotte parisienne vivante et active continuait à assurer ses fonctions sociales et artistiques, en réponse aux besoins spécifiques exprimés par les Maliens " migrateurs ". Le maintien de l'institution traditionnelle griotique au sein du pays d'accueil permettait de maintenir une cohésion sociale, nécessaire au bien être des Maliens déracinés. Je me suis alors demandée dans quelle mesure cette parole du griot qui structure, apaise, réaffilie ne pouvait aussi aider à structurer, apaiser et réaffilier les élèves ? Certes, tous les élèves n'étaient pas originaires du Mali ou d'Afrique Noire mais je trouvais intéressante l'idée d'une littérature orale dont la fonction était de rassembler un groupe d'hommes, de préserver la cohérence sociale et de transmettre une mémoire généalogique, historique et mythologique. Finalement, l'expérience avec Jean-Baptiste Tiémélé fut un peu de cet ordre-là.

             A la fois conteurs, poètes, musiciens, entremetteurs, conseillers, etc., les griots sont des artistes traditionnels d'Afrique de l'Ouest dépositaires des traditions orales. Ils tiennent un rôle important dans la société africaine. Par la parole ou par le chant, par la musique ou par le geste, les griots restituent l'histoire africaine, les actions héroïques et les mouvements du cœur. Ils sont aussi bien porte-parole, messagers, arbitres et témoins héréditaires. On les nomme Koumatigi, ce qui signifie gens de la parole. On dit fréquemment qu'ils sont la mémoire vivante de leur communauté et partant, de la société entière. Ces témoins de la parole sont issus d'un territoire s'étendant du Mali au Sénégal, en passant par la Gambie, le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire et les deux Guinées : Conakry et Bissau. Ils appartiennent au groupe linguistique des Mandés et sont attachés à la société malinké. Les membres de cette société sont organisés selon un système de classes. Les griots font partie de la dernière classe, celle des nyamakala qui comprend, outre les griots, les forgerons et les travailleurs du bois, de la peau et de l'or. Dans ce système de classe, charges et fonctions sont héréditaires, c'est-à-dire que le titre de griot se transmet de père en fille ou de père en fils.

             Pour avoir constaté combien les enfants ont été touchés et interpellés par l'intervention colorée de métaphores et d'images de Jean-Baptiste Tiémélé, je me dis que c'est un peu de cette parole qui a circulé cette après-midi-là.

             Je pense que la parole de l'enseignant possède la même " fonction " de transmission et de " positionnement " sociale que celle du griot. Malheureusement, dans notre société où les repères s'éparpillent, où la victimisation et la déresponsabilisation s'imposent, la parole des enseignants se refuse à elle-même. Le griot Jeli Mamadou Diabaté avait l'habitude de dire : " J'ai prêté serment d'enseigner ce qui est à enseigner et de taire ce qui est à taire "… encore faut-il savoir ce qui est à enseigner ! Se cacher derrière un programme, des livres et des notions c'est entretenir des relations où enseignants et enseignés ne peuvent ni se dire ni se sentir entendus. Certes, développer une écoute participative nécessite de la part de l'enseignant un questionnement sur son savoir être, sur ses intentions pédagogiques et humaines, un questionnement sur ses propres valeurs et croyances, une réflexion sur son éducation et son histoire mais c'est ainsi seulement que l'enseignant sera en mesure de clarifier les besoins de ses élèves, d'entendre les questions vivantes qui les animent et finalement de les rencontrer par l'intermédiaire de son enseignement dans leur complexité, leurs contradictions, leurs errances, leurs questions existentielles, leur vulnérabilité, leur spontanéité et leurs ressources… Je suis convaincue que chacun, enseignant et enseigné, ressortira alors grandi de cette rencontre et se rendra compte, à l'image du Sénégalais El Hadj N'Diaye, que le ciel est vaste et que tous les regards y ont leur place.

" Je ne désire ni ne veux nager dans l'opulence. Je forme le vœu de consacrer mon or à quêter le sens des symboles observés. Hormis cela, je n'ai point d'autres rêves en tête. Certains croiront que mon souhait est folie. D'autres l'estimeront bien modeste ambition. Pour moi-même cependant, il n'est de plus grand but que puisse s'assigner un homme sur cette terre. " Amadou Hampaté Bâ

Complément

Des liens

Mohammed Dib

Kateb Yacine

Cheikh Hamidou Kane,

Massa Makan Diabaté,

Aimé Césaire

Khalil Gibran

Jean-Baptiste Tiémélé.

Les contes déracinés d'Afrique

             L'Aventure Ambiguë de Cheikh Hamidou Kane est l'histoire de l'itinéraire spirituel du jeune Samba Diallo. Confié par son père, Le Chevalier, au chef de la tribu des Diallobé afin qu'il suive l'enseignement d'un sévère maître d'école coranique, Samba Diallo étonne ce dernier par ses qualités exceptionnelles. Alors qu'il est arrivé à l'âge de se rendre à l'école européenne, les avis sont partagés au village. Finalement, Samba fréquente l'école européenne, s'y montre excellent élève, apprend très vite et se voit proposer de poursuivre ses études à Paris. À Paris, Samba Diallo vit cependant très mal son isolement et son déchirement entre ses deux cultures. Au-delà de la confrontation entre la pensée technique de l'Occident et la pensée de l'Islam, c'est la question de l'existence qui est posée. Echappant à la donnée temporelle et politique de son sujet, l'angoisse d'être noir, l'auteur prend prétexte du destin de Samba Diallo pour mener une réflexion qui nous concerne tous : l'angoisse d'être homme.

             La trilogie de Mohamed Dib : La Grande Maison, L'Incendie et Le Métier à tisser, met en scène le jeune héros Omar. Ces trois ouvrages permettent de le voir grandir au sein d'une société algérienne en proie à de profonds bouleversements.

             Le Jeune homme de sable de Williams Sassine parle de la jeunesse. A la fois vulnérable et de peu de poids face aux puissances du monde, la jeunesse est également forte et immortelle comme les idéaux que son innocence défend. Dans ce roman, Williams Sassine évoque les difficiles relations entre pères et fils, les cris de révolte de la jeunesse contre la violence et la tuerie arbitraires, comme autant de chants d'espoir.

 

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<<Superbe. Cela donne envie !>> Benjamin

<<bravo et merci à vous 2 de nous faire partager votre travail et la démarche de Caro. pour moi ce que je viens de lire et vais imprimer pour pierre me permet de mieux te connaître et mieux comprendre ta démarche. tout cela est riche, intelligent et positif. Cela fait beaucoup de bien au coeur!!!! Je vous embrasse et merci à vous 2 d'avoir partagé !>>

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