Antoine
de Coccola : Pourriez vous tout d'abord
nous expliquer comment a
débuté votre
expérience d'enseignante dans des
établissements situés en
zone d'éducation prioritaire
?
Caroline
Houlbert : Au départ, ce n'est
pas un choix de ma part mais le hasard des
affectations. Je rédigeais ma
thèse sur les griots et j'avais
besoin de gagner ma vie tout en
exerçant un métier qui me
laisse suffisamment de temps pour
continuer mon travail de
recherche.
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Antoine
de Coccola est un ami de Caroline
Houlbert. Il l'a
interviewée pour le site:
"Les facteurs humains dans
l'enseignement et la formation
d'adultes"
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J'ai donc posé ma candidature en juin
2000 au rectorat de Créteil et j'ai
été affectée à un poste
dès la rentrée de septembre. Pendant
trois ans, j'ai successivement enseigné au
lycée puis au collège. Toujours en
zone d'éducation prioritaire. Les publics
d'élèves sont très
différents. Au lycée, il semble que
les élèves aient en
général investi d'un sens très
personnel le fait d'aller à l'école
et de travailler tandis qu'au collège, les
élèves semblent davantage " subir "
l'école et se positionner comme " victimes "
soumises ou révoltées d'un
système qu'ils ne peuvent ni modifier, ni
transformer. Il m'est devenu évident que les
jeunes qui parviennent à s'approprier ce
qu'ils apprennent, à relier les
connaissances transmises à leur histoire
tout en leur donnant un sens dans un projet de vie
qui dépasse le cadre scolaire, ont plus de
facilité à vivre leur
scolarité et à obtenir le
baccalauréat. Il faut spécifier que
la plupart des élèves dont je parle
sont enfants de migrants. Ils avaient donc une
vie dans laquelle cohabitaient - et cohabiteront
toujours - plusieurs cultures, plusieurs langues,
différents codes, différentes
croyances et représentations
Ces jeunes arrivaient en cours
complètement défragmentés,
diffractés, autrement dit
éparpillés entre deux, trois, quatre
milieux aux exigences diverses et parfois
contradictoires. Ils avaient des pieds et des
mains partout. Quand un enfant - ou qui que ce soit
- n'est pas centré, n'a pas ses deux pieds
au sol, il ne peut pas être attentif à
autre chose qu'à lui-même. Toute
l'énergie de l'enfant va en effet être
concentrée dans sa lutte pour conserver un
minimum de cohérence interne et ainsi "
survivre ", malgré l'éparpillement et
la confusion dont il est victime.
Ainsi, j'ai vite
réalisé que je ne pouvais
arriver devant ces jeunes en imaginant
transmettre un programme construit de
règles, de lois, de
méthodologie sans leur parler
d'eux, de rencontres, d'échanges,
de voyages, de partages, de
différences et de relations
humaines. Tout l'enjeu a été
pour moi de déterminer comment, en
lien avec mon enseignement, aider ces
jeunes et ces enfants non seulement
à se rencontrer mais
également à " se rassembler
" soi-même le temps d'un cours.
C'était pour moi la seule
façon de les rendre disponibles
à l'apprentissage, à
l'apport de connaissances et
d'éléments de
compréhension du monde,
étrangers à ce qui pouvait
leur être transmis dans leur
environnement familial
immédiat.
Antoine
de Coccola : Comment avez-vous
procédé pour aider ces
enfants à se rencontrer et à
" se rassembler " ?
Caroline
Houlbert : En fait, tout a
réellement démarré
lorsque je suis arrivée en poste
dans un lycée de la banlieue
parisienne, à Gagny.
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Ecole du
village de Kela, au sud ouest du Mali.
Caroline Houlbert a enseigné
là-bas quelques
semaines
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J'avais une classe de seconde technique. Ils
étaient quasiment tous plus
âgés que la moyenne des adolescents
qui entrent en seconde et bon nombre d'entre eux
étaient originaires du Maghreb et d'Afrique
Noire. De plus, comme mon affectation s'est
décidée rapidement, je ne savais
absolument pas quel enseignement leur apporter. Je
devais effectuer un remplacement temporaire et
l'enseignante que je remplaçais ne m'avait
fourni aucun élément sur ses
intentions pédagogiques. Je me suis alors
demandée ce que j'allais faire comme cours.
Dans l'urgence, j'ai finalement
décidé de me servir de la
littérature que je connaissais le mieux,
à savoir la littérature francophone
d'Afrique Noire, du Maghreb, des Antilles, de
Belgique, de Suisse
A l'université, la
littérature francophone était en
effet ma spécialité. Cette
littérature est une littérature de
langue française produite par des auteurs
d'origine étrangère. J'ai ainsi
commencé mon premier cours en leur
expliquant qu'il existait des hommes qui
n'étaient pas français, qui
n'habitaient pas en France, dont la langue
maternelle n'était pas le français et
qui pourtant, pour des raisons historiques,
politiques, idéologiques
écrivaient des livres en français. Je
leur ai fait connaître les Algériens
Mohammed Dib et Kateb Yacine, le
Sénégalais Cheikh Hamidou Kane, le
Malien Massa Makan Diabaté, l'Antillais
Aimé Césaire ou encore le
poète de l'exil, de l'errance et de la
citoyenneté universelle : Khalil
Gibran
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Antoine
de Coccola : J'imagine que ces auteurs ne
faisaient pas partie du programme de
seconde ?
Caroline
Houlbert : Ce qui est prévu au
programme, ce sont des notions.
Après, il y a des propositions de
textes qui permettent d'illustrer et
d'expliciter les notions. L'enseignant est
libre de présenter ces notions
comme il le souhaite. En ce qui me
concerne, en choisissant cette
littérature, j'ai en quelque sorte
adopté une démarche
interculturelle. J'ai cherché
à " saisir " les jeunes là
où se situaient leurs
inquiétudes, leurs
préoccupations
Je les ai "
captés " en leur posant les
questions : " Qui êtes-vous ?
" et " D'où venez-vous
? ".
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Antoine de
Coccola : En tant qu'enseignante, vous vous
êtes donc positionnée vis-à-vis
de la question de l'origine, du rapport du jeune
avec celle-ci et du lien que ce dernier entretient
avec son environnement culturel et
géographique ?
Caroline
Houlbert : Oui. Et j'ai pour
cela placé la famille au
centre de nos lectures et de nos
discussions. A l'aide des auteurs
et de leurs textes en
majorité autobiographiques
, je les ai sensibilisés
aux questions d'appartenance, de
filiation et d'héritage :
" De qui êtes-vous
les enfants ? ", "
De qui voulez-vous
être les enfants ?
", " Quelle est l'histoire
de votre famille ?
", " Quelle est votre
histoire dans cette famille ?
". Nous avons tenté de
répondre ensemble à
ces questions en abordant la
biographie des auteurs que nous
étudions ainsi que
l'histoire politique,
économique et
littéraire des pays
d'origine de nos auteurs. Il
fallait en effet
déterminer dans quels
contextes politique, historique
et idéologique
étaient nés les
ouvrages que nous lisions pour en
entendre les enjeux et les
revendications. Les
élèves ont
progressivement pris conscience
que ce que l'on pense être
a priori des paradoxes, des
contradictions ou encore des
conflits n'est en fait que
l'expression du choc des
cultures, de la rencontre de deux
ou plusieurs univers, de la
difficile cohabitation de la
différence avec
elle-même ! Cette recherche
a permis de toucher aux questions
conscientes ou inconscientes au
cur des
préoccupations de ces
jeunes : les
problématiques
d'identité et de
territoire. Il m'a semblé
qu'en les aidant à se
situer par rapport à leur
passé et à leur
histoire en tenant compte de leur
environnement actuel, les jeunes
ont pu entendre et se
réapproprier
l'enseignement proposé
sans se sentir
menacés.
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Antoine de
Coccola : Comment les élèves ont
accueilli ce que vous leur proposiez
?
Caroline
Houlbert : Dès le premier cours, ils ont
été complètement
émerveillés. Ils ne savaient pas, ou
n'avaient peut-être pas
réalisé, que des gens qui leur
étaient proches sur le plan culturel avaient
pu écrire des textes en français
aussi beaux. Grâce à ces auteurs, un
lien entre la culture française et la
culture d'origine de leurs parents apparaissait au
grand jour. Ces auteurs leur parlaient de
thèmes, de questionnements, de recherches,
de sujets d'actualité qui les touchaient
intimement : la migration, l'exil, le choc des
cultures, la question de l'appartenance et des
racines
Les mots des auteurs sont devenus
source d'inspiration et ont permis aux jeunes de
trouver, choisir, inventer leur propre mode
d'expression. Petit à petit, il est devenu
possible pour ces jeunes de mettre des mots sur des
ressentis, des impressions, des émotions
qu'ils ne parvenaient pas à exprimer ou dont
ils n'avaient tout simplement pas
conscience.
Du coup, les jeunes ont demandé
à rédiger leur propre histoire.
Chacun l'a fait. Ils ont parlé de leurs
lectures à leurs parents et les ont
interrogés sur l'histoire de la famille, les
raisons et les conditions des départs ou des
déménagements
car
évidemment, tous les jeunes de la classe
n'étaient pas issus de l'immigration telle
qu'on la sous-entend habituellement. En effet, si
tous les parents n'avaient pas quitté un
continent ou un pays pour un autre, tous avaient
déjà vécu un ou plusieurs
déménagements, des changements de
régions ou de quartiers. La
problématique reste la même : celle de
la séparation, de la rupture et de la
tentative pour conserver un lien et se
recréer un univers de vie. La migration ne
se résume pas à troquer un pays pour
un autre. Lorsque quelqu'un quitte la ville
où il est né, le quartier où
il a grandi, où il a connu ses
premières amours pour s'installer dans un
autre espace, se reconstruire un nouveau
réseau relationnel et de nouvelles
habitudes, il vit nécessairement un temps de
confusion et de déstructuration. Tout comme
le migrant qui se délocalise d'un continent
à un autre. Néanmoins, si certains
parviennent à sortir de la confusion et se
restructurent, d'autres végètent dans
un no man's land sans passé, sans
présent et sans avenir, dont leurs enfants
héritent. Et beaucoup des jeunes de cette
classe sont nés dans ce contexte.
Dans leur grande majorité, les
parents ont collaboré, heureux pour certains
de pouvoir partager avec leurs enfants leur
nostalgie du " temps d'avant " ainsi
que les moments difficiles héroïquement
traversés.
C'était étonnant de constater
à quel point le discours de ces jeunes sur
leurs parents est devenu plus " respectueux ",
valorisant, davantage emprunt de fierté et
de reconnaissance. Les jeunes découvraient
leurs parents autrement. Ils les
découvraient à travers une parole qui
n'était plus le discours de la
société d'accueil sur les migrants
mais qui était la parole directe et
authentique de leur père et/ou de leur
mère. Et cette parole avait de la valeur
puisqu'elle s'apparentait désormais à
celle de ces auteurs " étrangers " que notre
société avait reconnus et
publiés !
Antoine de
Coccola : Comment le corps professoral
considérait votre travail ?
Caroline
Houlbert : En réalité,
j'étais assez autonome. A partir du moment
où le programme était vu, je n'avais
pas de compte à rendre. Après, la
manière de l'aborder était vraiment
très personnelle. Et puis j'étais
avec des collègues très ouverts donc
cela c'est relativement bien
passé.
Antoine de
Coccola : Donc vous suiviez quand même le
programme ?
Caroline
Houlbert : Oui, c'était juste une
façon différente de l'aborder. Mais
mon expérience ne s'est pas
arrêtée là. L'année
d'après, j'ai été mutée
dans un collège situé au cur de
la cité des Quatre mille à La
Courneuve. Le brassage des communautés
était vraiment très important.
J'avais à ma charge deux classes de
sixième à l'année. Ainsi j'ai
pu élaborer un vrai projet
pédagogique à partir d'un ouvrage
d'un auteur ivoirien, Jean-Baptiste
Tiémélé.
Antoine
de Coccola : Comment avez-vous
structuré votre projet
pédagogique
?
Caroline
Houlbert : Avec les enfants,
nous avons choisi un recueil de
contes. J'avais proposé
plusieurs ouvrages d'auteurs
encore vivants car je souhaitais
que les enfants puissent les
rencontrer. C'était
important pour moi parce que
j'avais l'impression que la
littérature
apparaîtrait ainsi aux
enfants plus vivante, plus
humaine et donc plus accessible.
Les enfants et moi avons
finalement choisi le recueil de
contes de Jean-Baptiste
Tiémélé :
Les contes
déracinés d'Afrique
(Ed. Maisonneuve et Larose). Les
enfants savaient que ce livre
allait les accompagner toute
l'année. Outre le travail
de grammaire, d'orthographe, de
réécriture,
d'invention, de
méthodologie
effectué à partir
de ce recueil, nous avons
interrogé le titre et
réfléchi à
sa signification tout comme au
sens de chacun des contes. J'ai
également travaillé
en lien avec l'enseignante d'art
plastique. Les contes
n'étaient en effet pas
illustrés et les enfants
ont ainsi pu exprimer leur
imaginaire
en illustrant les contes. Les
dessins ont ensuite
été donnés
à Jean-Baptiste pour qu'il
les insère dans la
prochaine édition de son
recueil. L'enseignante d'art
plastique a malheureusement
été la seule
collègue qui ait
accepté de travailler avec
moi.
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J'aurais aimé travailler avec le
professeur de géographie pour situer ces
textes. J'aurais aussi aimé travailler sur
les références culturelles auxquelles
faisaient allusion les textes : l'art culinaire, la
musique. J'ai donc inclus dans mon programme
l'approche géographique et musicale. Il faut
dire que j'ai moi-même suivi un cursus de
musicologie et que mon travail de thèse
traite des griots , grands musiciens d'Afrique de
l'ouest. Mon objectif est de décloisonner au
maximum les domaines et les connaissances afin de
favoriser et de rendre possible la
créativité de l'enfant en
développant sa capacité à
relier les choses entre elles. Etablir des liens,
relier les informations, les connaissances, les
idées, les ressentis, ce que je vois,
sens
est pour moi la source de toute
créativité.
Antoine de
Coccola : Combien d'élèves aviez-vous
par classe ?
Caroline
Houlbert : Une bonne trentaine.
|
Antoine
de Coccola : Comment avez-vous fait pour
monter un projet pareil avec autant
d'élèves ?
Caroline
Houlbert : Pour permettre à
chaque élève de s'impliquer,
de se réapproprier sa
démarche d'apprentissage et d'en
être acteur, j'ai scindé la
classe en deux sur quelques heures pour
travailler tout en proximité et
échanger en
réciprocité avec les
élèves. Le projet les a
touchés et engagés
personnellement. Chacun d'eux l'a investi
d'attentes, d'intentions, d'espoirs et de
perspectives nouvelles. Ils ont tous
été partants. Une des clefs
de la réussite de ce projet a aussi
été la collaboration active
de J.B. Tiémélé. A
notre invitation, il est venu toute une
après-midi au mois de
décembre, juste avant les vacances
de Noël. Nous avions
préparé sa venue et les
enfants se sont comportés en vrais
journalistes reporters ! Il y avait deux
preneurs de son, deux cameramen, et chacun
avait sa question et prenait des notes
pour rédiger un petit article.
Ensuite, les enfants ont
présenté leurs dessins
à Jean-Baptiste et ce dernier a
joué deux de ses contes . Pour
finir, nous avions organisé un
grand goûter auquel les mamans ont
participé en apportant une
spécialité culinaire. Les
mamans ont goûté avec nous et
ont pris le temps de se rencontrer,
d'échanger et de partager à
propos de l'école, de leurs
enfants, de leurs difficultés
quelquefois à les accompagner dans
les devoirs
|
Elles ont également pu admirer les
dessins de leurs enfants et se rendre compte de
l'investissement que ce projet leur demandait.
Certaines ont porté un regard
différent sur leurs enfants après
cette journée. Le carnet de notes
étant souvent considéré comme
l'expression incontestable des compétences
de l'enfant, elles n'avaient alors jamais
imaginé que les qualités de leurs
enfants puissent se manifester autrement. Ce fut un
beau moment de rencontre, de compréhension
et de réconciliation.
Antoine de
Coccola : A votre avis, quels effets
bénéfiques les enfants ont-ils
retiré de ce projet pédagogique
?
Caroline
Houlbert : Je pense qu'ils ont porté un
autre regard sur l'école. Pour un temps peut
être. Et aussi un autre regard sur
eux-mêmes et leur entourage. Peut être
ont-ils eu foi en ce qu'ils faisaient ?
Peut-être ont-ils donné sens à
ce qui leur était enseigné et
transmis ? Peut être les élèves
d'une même classe se sont-ils pour la
première fois parlés, entendus,
regardés, mutuellement reconnus,
stimulés, enrichis et influencés en
toute sécurité ?
Antoine de
Coccola : Souhaitez-vous ajouter quelque chose sur
votre expérience ?
Caroline
Houlbert : Il me semble important de
rajouter que je me suis moi-même
laissée nourrir et amplifiée
par ces expériences
pédagogiques. Ces quelques
années d'enseignement m'ont en
effet permis de porter un regard nouveau
sur mon travail de thèse et de
l'enrichir de questionnements liés
au phénomène migratoire.
Jamais, avant de constater que certains de
mes élèves étaient
eux-mêmes griots et
descendaient de grands griots
célèbres au Mali, je ne
m'étais posée la question de
savoir si les griots, une fois sortis de
leur contexte socioculturel, conservaient
une quelconque influence sur leurs
congénères maliens ?
Grâce à mes
élèves, je me suis vite
rendue compte qu'une communauté
griotte parisienne vivante et active
continuait à assurer ses fonctions
sociales et artistiques, en réponse
aux besoins spécifiques
exprimés par les Maliens "
migrateurs ". Le maintien de l'institution
traditionnelle griotique au sein du pays
d'accueil permettait de maintenir une
cohésion sociale, nécessaire
au bien être des Maliens
déracinés. Je me suis alors
demandée dans quelle mesure cette
parole du griot qui structure, apaise,
réaffilie ne pouvait aussi aider
à structurer, apaiser et
réaffilier les élèves
? Certes, tous les élèves
n'étaient pas originaires du Mali
ou d'Afrique Noire mais je trouvais
intéressante l'idée d'une
littérature orale dont la fonction
était de rassembler un groupe
d'hommes, de préserver la
cohérence sociale et de transmettre
une mémoire
généalogique, historique et
mythologique. Finalement,
l'expérience avec Jean-Baptiste
Tiémélé fut un peu de
cet ordre-là.
|
A
la fois conteurs, poètes,
musiciens, entremetteurs,
conseillers,
etc.,
les
griots
sont des artistes traditionnels
d'Afrique de l'Ouest
dépositaires des
traditions orales. Ils tiennent
un rôle important dans la
société africaine.
Par la parole ou par le chant,
par la musique ou par le geste,
les griots restituent l'histoire
africaine, les actions
héroïques et les
mouvements du cur. Ils sont
aussi bien porte-parole,
messagers, arbitres et
témoins
héréditaires. On
les nomme Koumatigi, ce qui
signifie gens de la parole. On
dit fréquemment qu'ils
sont la mémoire vivante de
leur communauté et
partant, de la
société
entière. Ces
témoins de la parole sont
issus d'un territoire
s'étendant du Mali au
Sénégal, en passant
par la Gambie, le Burkina Faso,
la Côte d'Ivoire et les
deux Guinées : Conakry et
Bissau. Ils appartiennent au
groupe linguistique des
Mandés et sont
attachés à la
société
malinké. Les membres de
cette société sont
organisés selon un
système de classes. Les
griots font partie de la
dernière classe, celle des
nyamakala qui comprend, outre les
griots, les forgerons et les
travailleurs du bois, de la peau
et de l'or. Dans ce
système de classe, charges
et fonctions sont
héréditaires,
c'est-à-dire que le titre
de griot se transmet de
père en fille ou de
père en
fils.
|
|
Pour avoir constaté combien les
enfants ont été touchés et
interpellés par l'intervention
colorée de métaphores et d'images de
Jean-Baptiste Tiémélé, je me
dis que c'est un peu de cette parole qui a
circulé cette après-midi-là.
Je pense que la parole de
l'enseignant possède la même
" fonction " de transmission et de "
positionnement " sociale que celle du
griot. Malheureusement, dans notre
société où les
repères s'éparpillent,
où la victimisation et la
déresponsabilisation s'imposent, la
parole des enseignants se refuse à
elle-même. Le griot Jeli Mamadou
Diabaté avait l'habitude de dire :
" J'ai prêté serment
d'enseigner ce qui est à enseigner
et de taire ce qui est à taire
"
encore faut-il savoir ce qui est
à enseigner ! Se cacher
derrière un programme, des livres
et des notions c'est entretenir des
relations où enseignants et
enseignés ne peuvent ni se dire ni
se sentir entendus. Certes,
développer une écoute
participative nécessite de la part
de l'enseignant un questionnement sur son
savoir être, sur ses intentions
pédagogiques et humaines, un
questionnement sur ses propres valeurs et
croyances, une réflexion sur son
éducation et son histoire mais
c'est ainsi seulement que l'enseignant
sera en mesure de clarifier les besoins de
ses élèves, d'entendre les
questions vivantes qui les animent et
finalement de les rencontrer par
l'intermédiaire de son enseignement
dans leur complexité, leurs
contradictions, leurs errances, leurs
questions existentielles, leur
vulnérabilité, leur
spontanéité et leurs
ressources
Je suis convaincue que
chacun, enseignant et enseigné,
ressortira alors grandi de cette rencontre
et se rendra compte, à l'image du
Sénégalais El Hadj N'Diaye,
que le ciel est vaste et que tous les
regards y ont leur place.
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