Un peu
d'histoire
Les
révolutionnaires
suppriment les
collèges d'ancien régime (dont la
plupart étaient d'ex-collèges
jésuites) et projettent de les remplacer par
des " écoles centrales " qui feront la part
belle au français, aux sciences modernes et
aux technologies (dans l'esprit de
l'Encyclopédie). Ils mettent surtout le
paquet sur les grandes écoles
(Polytechnique, Mines, Ponts, Conservatoire des
Arts et Métiers) qui doivent leur fournir
l'élite administrative et militaire du
pays
Napoléon
Napoléon saborde les écoles
centrales et décide de les remplacer par des
" lycées " qui se chargent de la
totalité du parcours scolaire des enfants
(des plus petites classes au baccalauréat).
Et il décide de s'inspirer des
collèges jésuites tant en
matière de contenu des études que
d'organisation interne :
1) il n'y a qu'un
tronc unique de connaissances (dominé par
le latin et le grec) : " La prédominance
des lettres et plus particulièrement des
études gréco-latines (
) ne
peut être comprise si l'on ne saisit pas
de quelle culture il est question dans les
collèges et surtout les lycées. Il
s'agit d'une culture qui se veut "inutile" et
"hors du siècle". La finalité
n'est pas d'apprendre le grec et le latin mais,
par les moyens mis en uvre dans cet
apprentissage, d'acquérir un certain
état d'esprit et une morale
supposée être de tous les temps et
de tous les pays " (Lelièvre, 1990, p.
43).
2) sur le plan de
l'organisation, une administration forte est
mise en place : " (
) chaque
établissement sera gouverné par un
proviseur, un censeur et un économe ;
trois inspecteurs généraux
surveilleront l'ensemble des lycées.
(
)
En définitive, l'Etat
s'intéresse presque exclusivement (mais de
très près) aux lycées qui
doivent former ses cadres administratifs et
militaires " (Lelièvre, p.36).
en insistant sur l'esprit
de corps :
" Il y aurait un corps
enseignant si tous les proviseurs, censeurs et
professeurs de l'Empire avaient un ou plusieurs
chefs, comme les Jésuites avaient un
général et des provinciaux ; si l'on
ne pouvait être proviseur ou censeur
qu'après avoir été professeur
; si on ne pouvait être professeur dans les
hautes classes qu'après avoir
professé dans les basses ; s'il y avait,
enfin, dans la carrière de l'enseignement,
un ordre progressif qui entretînt
l'émulation et qui montrât, dans les
différentes époques de la vie, un
aliment et un but à l'espérance
(
) on ne tarderait pas à sentir
l'importance de la corporation de l'enseignement,
lorsqu'on verrait un homme, d'abord
élevé dans un lycée,
appelé par ses talents à enseigner
à son tour, avançant de grade en
grade, et se trouver, avant de finir sa
carrière, dans les premiers rangs de l'Etat
(
). Le corps enseignant étant un,
l'esprit qui l'animera sera nécessairement
un ; et sous se rapport, le nouveau corps
enseignant l'emportera de beaucoup sur les
anciennes corporations
" (citation du rapport
de Fourcroy du 27 Février 1806 reprenant les
paroles mêmes de Napoléon ;
Lelièvre, p. 40).
et la coupure de ce corps
avec le reste de la population :
" Cet isolement par la
carrière est renforcé par les
conditions d'exercice de la fonction enseignante
dans le secondaire. Comme le note Paul Gerbod, "Le
professeur, dans l'ensemble, est un
déraciné". Les enseignants doivent
changer d'établissement pour s'assurer des
promotions. Le séjour moyen dans une
même ville est d'environ quatre ans au cours
du 19ème siècle " (Lelièvre,
p. 41).
Ainsi, les enseignants sont
délibérément isolés de
la population environnante, non seulement par les
matières enseignées mais aussi par
leurs conditions de carrière et leur esprit
de corps (Napoléon souhaitait même les
contraindre au célibat !). Leur objectif est
on ne peut plus clair : former des cadres
administratifs et militaires tout aussi soumis
à l'Etat.
Mais il y a plus grave : il n'est
prévu qu'un lycée par arrondissement
de cour d'appel. Ailleurs, l'Université
napoléonienne se désintéresse
des collèges (qui se limitent aux petites
classes) et plus encore du primaire
en les
laissant à la charge des communes
Bref, les lycées napoléoniens
constituent un fort bel exemple de bureaucratie
wébérienne
. très
centralisée (management par le haut) et
centrée sur ses problèmes internes
(statutaires)
.
La
Restauration et la Monarchie de
Juillet
Pour comprendre la suite (et l'oscillation
entre bureaucratie wébérienne et
bureaucratie professionnelle), il faut voir ce qui
se passe sous la Restauration et la Monarchie de
Juillet. La Restauration ne remet pas en cause
l'orientation classique des lycées et
favorise même celle des collèges sur
ce modèle. La Monarchie de Juillet (avec
Guizot) met le paquet sur les écoles
primaires. D'un côté, on favorise un
enseignement utile au plan local (français,
arithmétique, poids et mesures,
éléments de sciences physiques et de
sciences naturelles) ; de l'autre, on tend à
l'encadrer au plan idéologique en
développant un corps d'inspecteurs
généraux (plus de 500). Plus encore,
on favorise le développement d'un primaire
supérieur (géométrie pratique,
physique, histoire naturelle, musique,
géographie, histoire, éventuellement
une langue étrangère) qui vient
concurrencer les collèges classiques. Idem
pour l'enseignement professionnel qui relève
du Ministère du Commerce et de
l'Industrie.
Du Second Empire
à nos jours
Le phénomène s'amplifie au
Second Empire, au point qu'on assiste à la
coexistence de deux ordres d'enseignement du second
degré : un ordre classique et
élitiste fondé sur un seul tronc de
connaissances (les humanités) et un ordre
moderne et populaire (le primaire supérieur
et le professionnel supérieur) fondé
sur la différenciation en disciplines
utiles. Aucune passerelle n'est prévue entre
ces deux ordres et les élus de gauche
revendiquent fièrement cette
étanchéité.
A partir de Jules Ferry, la grande affaire
sera de réconcilier ces deux ordres. Mais
elle a été souvent occultée
par d'autres querelles (rapports du public et du
privé et enseignement féminin)
:
" Les conditions de lutte
sont tellement en faveur du primaire
supérieur que les hauts administrateurs et
décideurs politiques s'inquiètent
pour la survie d'un réseau
d'établissements secondaires suffisamment
dense, et s'emploient notamment à
protéger les petits collèges d'une
concurrence par trop inégale. Une circulaire
ministérielle de 1899, appliquée
effectivement au 20ème siècle,
préconise la politique des EPS
annexées aux collèges : elle favorise
le recrutement d'élèves dans les
sections secondaires, car certains d'entre eux
(attirés par la perspective d'études
primaires supérieures) peuvent
ultérieurement être orientés
vers les classes du secondaire. Elle permet aussi
d'équilibrer plus facilement le budget, de
mieux gérer l'internat. 64 des 100 EPS
créées entre 1914 et 1938 sont des
annexes de collèges. En définitive
cette coexistence de fait, dans les mêmes
établissements, de filières
d'études relevant par ailleurs
d'enseignements administrativement et
pédagogiquement distincts, favorisera le
rapprochement de ces différents types
d'enseignements. La gratuité du secondaire
sera d'abord établie dans les
collèges auxquels était
annexée une EPS. C'est dans ces
établissements polyvalents que l'on
pratiquera " l'amalgame ", prélude à
une fusion ultérieure des programmes entre
le secondaire et le primaire supérieur "
(Lelièvre, p. 132).
Paradoxalement, le succès même
du primaire supérieur va se retourner contre
lui. Au nom de " l'école unique ", le
gouvernement de Vichy transforme les écoles
primaires supérieures en collèges
modernes et les écoles professionnelles de
Commerce et d'Industrie en collèges
techniques, de même qu'il crée une
classe terminale de " Philo-Sciences "
destinée à accueillir les anciens
élèves du primaire supérieur.
Vous connaissez la suite mieux que moi
(réformes Berthoin, 1959 ; Capelle-Fouchet,
1963 ; Haby, 1975 ; loi Jospin, 1989,
etc.)
.
|