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Interaction dans un entretien

La question du "transfert" dans un entretien

 

Michèle (Professeur de maths) et sa difficulté de communication

 

          Je vais présenter un entretien avec, [entre crochets], ce que moi j'entendais dans le transfert (définition) et qui m'aidait à exprimer ce que je lui répondais.

Autrement dit l'INTERACTION qui se produisait entre nous sur le moment.

          Je veux dire que ce qu'elle me disait, je le rapportais mentalement à la situation présente, à "l'ici et maintenant", dans cette relation que nous cherchions à nouer l'un avec l'autre.

          Ce mode d'approche est peut-être surprenant sauf si l'on admet que, dans une situation donnée, quelqu'un cherche toujours à exprimer sous des formes symboliques, et à travers des sujets apparemment multiples, les sentiments qu'il éprouve dans l'instant et dans la situation vécue sur le moment.

          Dans la mesure où une parole est libre, les thèmes qui se présentent spontanément sont conditionnés par les sentiments que la personne a en elle (si elle ne rationalise pas trop, évidemment!).

 

Michèle - A l'époque où j'ai choisi de faire des maths, J'étais incapable de faire une rédaction qui tienne debout parce que cela ne me plaisait pas. Si j 'avais des idées, cela ne me disait rien de les écrire; le français, c'était donc exclu pour mon orientation. Maintenant, je le comprends moins parce que finalement c'était pas mal. Les langues, c'était pareil... (silence)... En fait, je suis plus à l'aise à faire des maths avec mes élèves en classe qu'à raconter pourquoi je fais des maths, pourquoi j'en ai envie et pourquoi j' ai voulu être prof. Je n'aime par trop parler comme cela, je m'en rends compte maintenant.

[j'aurais besoin des mathématiques pour communiquer avec vous, sans elles je suis mal à l'aise pour parler de moi. ]

 Nimier - C'est très difficile comme situation?

 M. - Oui, j'ai l'impression qu'expliquer les choses de cette façon-là, c'est s'arrêter. J'ai l'impression que si quelqu'un vient dans la classe pendant que je travaille, il y a des choses qui se passent, c'est visible ou pas, c'est racontable ou pas, mais retirée du cadre scolaire, du cadre du lycée, du groupe des élèves, ça me gêne d'en parler comme cela; je ne m'en rendais pas compte avant. J'ai l'impression que cela n'a pas de raison d'être parce que je ne suis pas prof s'il n'y a pas d'élèves.

[Vous ne pouvez pas rencontrer le prof que je suis puisqu'il n'y a pas d'élève ici]

 N. Oui, mais vous existez même s'il n'y a pas d'élèves.

 M. Oui, mais je ne suis pas prof.

 N.Vous voudriez que je vous considère comme prof?

 M.Oui. Ah! oui.? Dans le fond, oui, c'est vrai.

 N. Alors que là, je m'adresse à vous.

 M. Oui, j'ai l'impression qu'il y a des plans différents.

 N. Et qu'il faut les respecter.

 M. Mais oui! cela me semble épouvantable de dire cela! Oui, c'est vrai.

 

           Michèle pour qui les maths sont un moyen de communiquer a du mal à parler d'elle-même sans ce canal. Elle se protège dans un rôle, celui de professeur. Elle se trouve confrontée au désir que j'exprime de dépasser ce rôle: «Alors que là je m' adresse à vous. » Sous-entendu, en tant que personne, et non pas seulement en tant que professeur. Michèle est donc devant le choix d'accepter ou non ma demande.

 Michèle - C'est certain qu'en classe, j'attache plus d'importance à la communication, à ce qui se passe qu'à ce qui est appris. je m'y intéresse fatalement aussi, parce que les élèves ne sont pas là pour attendre que le temps passe ou pour raconter leur histoire. J'essaie au maximum que l'apprentissage ne soit pas l'unique but recherché. Les mathématiques sont un intermédiaire entre les élèves, les groupes d'élèves et le prof. Une espèce de chemin entre les gens. Et le problème, c'est que le chemin peut être bloqué assez facilement, il ne faut pas grand-chose.

[Il ne faut pas grand-chose pour que le chemin entre vous et moi soit bloqué.]...

Oui, les maths peuvent être aussi bien un lien qu'une coupure entre les gens. En fait ça passe ou ça ne passe pas. Ce que je n'arrive pas à déterminer, c'est de quel côté vient le fait que les maths deviennent un obstacle. Est-ce celui qui apprend qui bloque ou est-ce celui qui est de l'autre côté, que ce soit un copain, un prof ou un père? Enfin de quel côté ça vient? Car ce n'est pas forcément des deux côtés à la fois qu'on rompt la communication entre deux personnes; c'est d'abord d'un côté que cela vient.

[De quel côté vient le blocage de notre entretien? est-ce ma faute? est-ce moi qui commence à le rompre?]...

 N. - Qui est responsable?

 M. - Oui, je ne crois pas que ce soient les maths en tant que maths. C'est pour cela que je dis qu'elles ne sont qu'un intermédiaire, mais je ne suis pas sûre non plus qu'il y ait un responsable. Quand je pense aux jeunes qui sont renfermés, c'est tout un ensemble de choses qui font qu'ils sont dans cette situation. Je ne pense pas que cela se fasse tout d'un coup, que le blocage puisse se faire tout d'un coup.

[Si je suis renfermée et si j'ai du mal à communiquer c'est tout un ensemble de choses qui font que je suis ainsi.]...

Cela me semble marrant de dire comme cela que les maths sont un moyen de rapprocher ou de séparer les gens. Ce n'est rien en soi, cela n'existe pas tout seul. C'est nouveau pour moi. Cela me semble important que les gens choisissent ceux avec lesquels ils veulent rester en communication et ceux avec lesquels ils ne le veulent plus. C'est plus important que d'apprendre des trucs. Ce qui est important, c'est de savoir se situer par rapport aux autres.

[C'est important pour moi de me situer par rapport à vous et de pouvoir choisir si, oui ou non, je désire rester en communication avec vous.]...

 N. - De savoir rompre ou bien communiquer?

 M. - Oui, de savoir décider; quelqu'un qui est bloqué en maths, il ne peut pas se débloquer seul. J'ai l'impression qu'on ne peut rien faire seul, ni choisir.

[Je ne suis pas sûre de pouvoir choisir seule sans votre aide.]

(très long silence)

... je vous avais oublié. (rire)

 

           Michèle se pose la question de savoir si elle peut faire sien mon désir de communication autrement qu'à travers un rôle. Répondre à sa demande d'aide serait peut-être l'assujettir à mon désir et lui montrer d'autre part que je ne la considère pas comme capable de prendre une décision de rompre ou de continuer, toute seule.

N. C'est parce que vous pensiez à autre chose peut-être?

 M. Oui, en fait je pensais: je parle de "seule", c'est marrant, je ne suis pratiquement jamais seule et je n'aime pas cela. Je trouve qu'on ne fait rien de bien quand on est seul.

 N. - Etiez-vous toute seule tout à l'heure?

 M. - Oui... non. J'étais ailleurs mais pas forcément toute seule.

 N. - C'est peut-être que vous aviez envie d'arrêter cet entretien?

 M. - Non,.J'avais décroché. Je veux bien continuer mais il faut raccrocher. Je ne croyais pas que c'était si dur de raconter des trucs.

 N. - Vous y arrivez pourtant.

 M. -J'ai un tas d'images qui passent; des têtes d'élèves, mais cela ne se discute pas.

 

           Michèle a d'abord choisi de rompre par son silence, puis elle a raccroché quand elle a vu qu'elle avait la possibilité de rompre; elle s'engage alors dans une communication plus personnelle qui se traduit dès l'abord par des images.

 N. - Des têtes d'élèves?

 M. - Ils sont très demandeurs, mais c'est difficile de savoir ce qu'ils demandent et encore plus difficile d'y répondre.

[Que me demandez-vous? c'est difficile de vous répondre.]

Au début, je vous disais que je ne voulais pas enseigner comme les autres profs et en fait, je ne fais rien de plus. Je fais comme les autres. Quand j'étais toute petite, j'avais envie d'avoir une école pas comme les autres. C'était un rêve d'enfant.

 N. - Comment aurait-elle été, cette école?

 M. - Elle aurait été plus disponible. Il y aurait eu moins de séparations, moins de frontières nettes entre les choses et entre les gens. Il y a un truc qui m'a choqué une année, le prof de français nous avait fait faire une rédaction, c'était un truc bizarre: raconter ce que vous faites quand vous voulez aider votre mère à la maison. Je m'étais chopé un 4 ou un 5 car j'avais dit que pour aider maman, je jouais avec mes petits frères. Elle avait répondu que ce n'était pas aider sa mère que de jouer avec ses frères. Je n'avais pas compris que ce qu'elle nous demandait, c'était un devoir dans lequel on aurait dit ce qu'elle voulait, elle. Or, moi, j'avais dit ce que j'avais envie de dire... pour une fois. L'école était un lieu où il fallait faire certaines choses, en respectant certaines règles, et le reste n'avait aucune importance. Alors que moi je pensais que ce n'était pas cela, que c'était un lieu où tout avait droit d'être.

 

           Michèle arrive maintenant à s'exprimer personnellement, elle rapporte des souvenirs d'enfance, des rêves, des souhaits qui expriment un désir de plus grande proximité ("moins de séparation", "lieu où tout avait droit d'être"); mais elle se demande toujours, dans son transfert, si j'attends d'elle qu'elle dise seulement ce que je désire ou si elle peut dire ce qu'elle a envie de dire réellement.

Michèle -Je me retrouve dans un lycée tout à fait ordinaire, classique, où tout se passe comme cela se passait à l'époque, et puis j'y reste en essayant de faire autrement, mais à l'intérieur d'une structure qui existe quand même.

 N. - Le professeur faisait une demande et vous n'avez pas répondu à son attente; vous disiez tout à l'heure que les élèves ont une attente et que l'on ne sait pas trop de quoi.

 M. - Dans la classe, les élèves ont une attente vis-à-vis du prof; le prof a une attente vis-à-vis des élèves et en fait personne ne dit rien.

[J'ai une attente à votre égard, vous avez une attente à mon égard et en fait on n'en dit rien.]...

Ce qui m'intéresse le plus, ce n'est pas que les gens qui sont en classe apprennent beaucoup de maths. A la limite, je m'en moque. A la limite quand même. Ce que je voudrais c'est qu'ils apprennent à être eux-mêmes, à être bien en eux-mêmes et à être disponibles visà-vis des autres.

[Je voudrais pouvoir être moi-même, être bien en moi-même ici et maintenant.]...

 N. - Vous souhaitez qu'ils ne soient pas obligés de répondre à votre désir?

 M. - Cela, c'est très net. Mais parfois ils sont gênés par cela. Par exemple, quand un élève est au tableau en train de faire un truc, c'est rare que les autres élèves demandent une explication à l'élève qui est au tableau. C'est au prof qu'on la demande. En début d'année du moins, quand ils ne sont pas au courant. Et il y en a qui sont perturbés quand on refuse de répondre. Alors il y en a qui sont perturbés durant un cours, il y en a qui sont perturbés pendant une semaine et il y en a qui sont perturbés durant toute l'année et qui sont tout contents de retrouver l'année suivante un autre prof qui répond.

[J'ai été perturbée au départ de l'entretien parce que vous ne répondiez pas.]...

 N. Ils sont perturbés; pourquoi?

 M. Parce que leur demande, jusque-là, cela a été la demande qu'on leur a imposée: attendre tout du prof; le prof, il sait et il répond; l'élève, il écoute et il écrit, il apprend et il compte bien; j'oubliais, il est sage. Ceux qui sont le plus perturbés, ce sont ceux qui sont toujours à la recherche de ce qu'attend le prof. Alors, si ce n'est pas cela qu'attend le prof, ils essaient autre chose et cela ne marche jamais. Et ils sont très gênés car ils voudraient bien savoir ce qui ferait plaisir au prof, sans comprendre que la question n'est pas là.

[Au début de l'entretien, j'étais perturbée parce que j'étais à la recherche de ce que vous attendiez, à la recherche de ce qui vous ferait plaisir, mais maintenant J'ai compris que la question n'est pas là.]...

Je crois que j'ai compris pourquoi je n'ai pu continuer tout à l'heure, c'est que j'avais l'impression que j'étais en train de jouer, de raconter des trucs qui étaient extérieurs à moi, et je n'avais pas envie de continuer comme cela, mais je n'arrivais pas non plus à continuer autrement.

 N. - A sortir de ce personnage de professeur?

 M. - Oui, j'avais l'impression de m'enfermer dedans et je ne voulais pas.

[Je désire parler réellement de moi, de ce qui est à l'intérieur de moi.]...

Cela me semble important que les gens ne soient pas tout le temps en train de faire autrement.

 N. - De faire faux?

 M. - C'est peut-être cela qui me plaisait mieux dans les maths que dans le français, parce que je vivais le français comme une obligation de raconter des trucs même si on n'y croyait pas. Il fallait inventer n'importe quoi, du moment que c'était écrit. Pour moi l'exercice de rédaction, c'était cela.

N. - C'était répondre à une demande?

 M. C'était répondre à une question même si cette question n'avait aucun intérêt. Il fallait y répondre, dire n'importe quoi, mais dire. Tandis qu'en maths, ce n'était pas dire n'importe quoi. C'était... quoi ? je ne sais pas. Là, si on inventait, on inventait à partir de quelque chose qui valait le coup, c'est idiot mais c'est comme cela. J'aimerais revenir à ce que je disais tout à l'heure: cela me semble important que les élèves ne répondent pas d'abord au désir de l'adulte mais répondent d'abord à leur désir à eux, même si cela doit engendrer des difficultés; les difficultés, c'est une étape normale.

C'était important pour moi que je ne commence pas par répondre à votre désir, même si cela a engendré des difficultés dans notre entretien, c'était une étape normale.]

J'accepte difficilement les groupes, les gens qui ne s'affirment pas.

[Je vous ai difficilement accepté.]...

 N. - Les gens qui ne disent pas nettement leur désir de façon à ce qu' on puisse se situer par rapport à ce désir.

 M. - J'ai l'impression que dans une classe où rien ne se dit, je n'ai rien à dire non plus. J'ai envie d'aller dans les classes où il se dit quelque chose, parce que parfois il ne se dit rien, mais il y a quand même quelque chose qui se passe. Les classes vivantes, ce ne sont pas forcément les classes qui répondent toujours oui-oui. Cela n'est pas intéressant.

 N. - Ce qui est important c'est qu'on sache le désir de l'autre pour qu'on puisse dire oui ou non.

 M. - Oui, et cela me paraît important tout le temps.

[Y compris ici.]...

 N. - Même ici?

 M. - Au moment où vous l'avez dit, j'étais en train d'y penser... oui... oui... c'est peut-être ce qui m'a gênée au début? Je ne m'étais pas très bien située... je crois que cela va maintenant

           Michèle a quelques difficultés de communication. Ce qu'elle raconte de sa rédaction est symptomatique.

Elle est coincée entre une expression vraie qui risque de ne pas satisfaire l'autre

et une expression fausse qui se réduit seulement à dire ce qu'on lui demande de dire.

           Cette difficulté se traduit dans l'entretien lui-même car Michèle a du mal à se situer par rapport à mon désir.

Peut-elle le faire sien sans s'y perdre ou est-elle obligée de le refuser pour rester elle-même?

           Dans sa difficulté, Michèle voudrait de l'aide. Cette situation, elle la connaît bien et elle sait aussi qu'habituellement le secours désiré, elle le trouve dans les maths.

          On peut alors comprendre pourquoi Michèle se représente les mathématiques comme un "moyen de communication". N'est-ce pas un exemple de plus de l'utilisation d'une discipline comme solution aux questions qu'on se pose.

           Pour Michèle, en maths on parlait "vrai", en dissertation il fallait dire ce que désirait le professeur.

           Elle voudrait maintenant pouvoir parler "vrai" partout. Dans le transfert, la demande de Michèle est donc d'établir avec moi une communication vraie, c'est-à-dire autre chose qu'une stricte obligation de répondre à mon désir. C'est également la demande qu'elle adresse à ses élèves car elle sait par expérience qu'en maths au moins, on ne dit pas n'importe quoi.

La représentation "moyen de communication", "code", est en quelque sorte le lieu où s'inscrit pour Michèle sa demande: «Je désire une communication vraie. » 

D'une façon générale :

            La représentation qu'un professeur a de sa discipline est la trace visible de sa demande, c'est-à-dire de ce qu'il désire inconsciemment recevoir des autres dans une INTERACTION

             C'est aussi vrai pour le professeur que pour les élèves. C'est pourquoi il est si important pour un enseignant d'en prendre conscience pour lui-même et d'être à l'écoute de celle de ses élèves.

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