Esprit du site
Moteur de recherche
Recherche d'article par auteur
Pedagopsy.eu
Recherche de livres par motsclefs
Plan du site
L'auteur

PLAN DU SITE

 

ENTRETIEN AVEC LE PROFESSEUR

Nicolaas KUIPER

Ancien Directeur de l'Institut des Hautes Études Scientifiques

Nicolaas H. KUIPER, hollandais, mathématicien 1971 - 1985

Nicolaas KUIPER a montré dans ses recherches un goût prononcé pour la géométrie sous diverses formes. Il a également oeuvré pour que l'Institut reçoive des subventions d'agences étrangères (notamment au niveau européen et américain). Il était membre de l'Académie Royale Néerlandaise des Arts et des Sciences. Il est décédé en 1994, à l'âge de 74 ans.

Les sous-titres et le caractère gras sont de ma responsabilité.

             Le caractère gras indique ce que j'entends comme aspect affectif pouvant, de mon point de vue, entrer dans la catégorie des interactions "cognitivo-émotionnelles" - K= Nicolaas KUIPER et N= Jacques NIMIER

Des mathématiciens différents

 - N: Et si l'on vous demandait: qu'est-ce que les mathématiques pour vous ?

- K: ça serait peut-être: comprendre de la façon la plus efficace, la plus merveilleuse possible, des théorèmes ... des théorèmes intéressants. Et évidemment on pourrait se demander: pourquoi sont-ils intéressants ?

- N: Oui, et pourquoi sont-ils intéressants pour vous ?

- K: Oh ! pour moi ... En général, il y a une différence entre les mathématiciens: il y en a qui s'intéressent à certains théorèmes que dans la mesure où ils les savent vrais. S'ils sont vrais, ils sont très contents, ils sont complètement satisfaits. Moi, j'ai plutôt le sentiment qu'un théorème n'est pas suffisamment vrai si on ne peut pas envelopper le théorème dans un ensemble de notions et de pensées ... qui font que ce théorème est évident.

- N: II faut que ça devienne évident pour vous ?

- K: Oui, j'ai vraiment besoin de l'évidence des choses ... mais mon besoin est peut-être plus géométrique qu'algébrique. Il y a des gens qui, s'ils voient telle page de formules et de calculs disent: ah ! je comprends bien; c'est dans leur forme d'intuition, ils voient très vite ce que cela veut dire. Pour moi, je préfère pouvoir comprendre, avec le minimum de notions et d'organisation, que quelque chose d'intéressant est vrai.

- N: Vous aviez dit tout à l'heure qu'il vous arrive parfois de trouver que les mathématiques ont quelque chose de merveilleux ...

- K: Ah ! oui, merveilleux ... et inattendu aussi ... il arrive qu'on soit surpris que quelque chose soit d'une part simple et d'autre part vrai ! Mais cela peut être simple parce que c'est simple comme ça ou parce que cela appartient à un cadre. Par exemple ces dernières années on a trouvé des notions très utiles en de nombreuses circonstances et très efficaces, telles que les anciennes notions de groupes, de corps ... Leur importance a dominé et simplifié la situation mathématique de sorte que les mathématiciens de disciplines les plus diverses peuvent utilement se rencontrer et profiter de leurs expériences même s'ils ne travaillent pas sur le même sujet.

- N: Oui, cela donne une certaine efficacité à la pensée.

- K: Tout mathématicien doit avoir une certaine efficacité de la pensée, autrement il n'est rien ! ça ne fait pas forcément des gens efficaces dans la vie normale !

 

La guerre mathématique

- N: Quand vous faites des mathématiques, qu'est-ce que vous ressentez ?

- K: ... c'est une sorte de guerre ! parce qu'on aboutit ou on n'aboutit pas ... et ça continue tout le temps.

- N: Une sorte de guerre ?

- K: Oui ... il faut travailler beaucoup, on s'épuise ! (rires) Moi, je trouve que faire des mathématiques c'est très épuisant. On n'aboutit pas toujours à de grands résultats; ce n'est pas possible, mais néanmoins, on peut être très fatigué... Quand j'étais professeur de lycée, j'avais observé que si je travaillais tard le soir, jusqu'à deux heures du matin, le lendemain les enfants n'étaient pas obéissants, parce que j'avais les yeux trop petits et que je ne pouvais pas les diriger assez ... ! Et maintenant c'est un ennui de ma situation: il est nécessaire que je reste frais, que je puisse réagir; je ne peux pas me permettre d'être trop fatigué et cela m'ennuie au moment où je veux vraiment faire des mathématiques ...

- N: Et alors, vous sentez ça un peu comme un combat, comme une guerre ?

- K: Le mot guerre n'est pas tellement bon ... parce que je ne suis pas combatif vis-à-vis des autres gens, je ne suis pas ambitieux non plus. Parce que j'ai eu tout ce que je voulais à ce propos, je n'ai pas à avoir d'ambition; ce n'est pas nécessaire. Il y a heureusement beaucoup de grands mathématiciens qui n'ont pas d'ambition non plus, mais par contre il y en a d'autres qui en ont, même si ce sont pourtant de grands mathématiciens mondialement reconnus. La force en mathématique et l'ambition d'être reconnu sont des propriétés indépendantes !

 

Le bonheur apporté par les mathématiques

             Quand on fait des mathématiques, il y a des stades divers: je me souviens d'un problème auquel j'ai réfléchi pendant quelques années: j'en parlais avec des gens, ici et là ... on avait une certaine idée: ça doit être ceci ... non pas possible de démontrer ceci. Bon, on continue; après six mois, on revient. On parle de nouveau avec les mêmes gens qui s'intéressent aussi à ce problème. Alors un certain jour j'ai dit: ah ! mais ce peut être ceci. J'étais avec un ami qui a immédiatement dit et trouvé que c'était faux. Il a hésité, mais il a dit une petite chose, découvert une petite chose très importante; et j'ai trouvé ensuite la solution, pendant un mois de "congé", source de grand bonheur.

             A ce moment-là, une certaine proposition était vraie mais l'ensemble des arguments était encore laid. C'est un problème sur lequel nous avons passé quatre années; puis nous avons fait une prépublication dans un compte rendu et ensuite, nous avons encore beaucoup travaillé pour présenter une publication bien cohérente et belle. Il faut continuer à travailler, parce que si on peut remplacer trois pages par trois lignes, cela améliore la situation et on est très heureux. Si trois pages deviennent trois lignes, c'est formidable, merveilleux et donne beaucoup de bonheur.

 Tiré du livre: "Entretiens avec des mathématiciens"

             Cet entretien a été, à l'origine, relu et modifié par Nicolaas Kuiper, ce qui explique sa brièveté

Vos  Réactions

Adresse mail facultative

Commentaire

Esprit du site
Moteur de recherche
Recherche d'article par auteur
Pedagopsy.eu
Recherche de livres par motsclefs
Plan du site
L'auteur