La
laïcité française doit
être
située
historiquement
La laïcité française doit
être située pour éviter la
méconnaissance et l'incompréhension
de ses adversaires parfois même celles de ses
partisans. Elle relève d'une très
longue histoire. Chaque Français a (ou en
tout cas avait), plus ou moins en tête, les
trois mille morts de la Saint
Barthélémy (23-24 août 1572).
Certains échappèrent au massacre en
abjurant, dont le futur Henri IV qui allait mettre
en avant la tolérance religieuse avec
l'édit de Nantes.
La révocation de cet édit par Louis
XIV et l'exil des protestants allaient engager la
France dans l'intolérance religieuse. Cette
intolérance accompagnait deux dominations
sur le peuple de France, l'une de l'Etat
absolutiste avec ses nobles, l'autre de l'Eglise
catholique gallicane. Cela conduisit à la
quadruple résurgence de l'expression
révolutionnaire populaire : 1789, 1830,
1848, 1871.
La France était profondément
divisée et la religion, au lieu de
contribuer à l'unification, était,
elle-même, entraînée dans cette
division. A la suite de l'Affaire Dreyfus, ces deux
France (et en partie, ces deux Eglises) se
mesuraient encore en 1905. De ce fait, et en
dépit des insistantes et constantes
corrections apportées par Jaurès,
Briand et d'autres, nombreux furent ceux qui
présentèrent la laïcité
comme le choix d'un " camp " contre un autre, et
même, bien à tort, comme une
idéologie anti-religieuse, voire même
comme une religion de substitution.
Cette première idée fausse doit
être d'autant plus combattue qu'elle en
entraîne une seconde : la laïcité
serait une simple affaire franco-française.
Ces deux idées fausses s'entretiennent l'une
l'autre et font que la laïcité
française reste fragile et d'ailleurs
menacée comme nombre
d'évènements le démontrent
encore aujourd'hui.
Dans ces conditions, il faut comprendre que
militantisme et approfondissement ne sont pas de
trop, comme Chantal Forestal en donne l'exemple
vivant. Son militantisme de mise en
évidence, de défense, de soutien,
l'est aussi de recherche et de proposition.
Compréhension et respect de ce qui est
acquis doivent être liés au souci
d'avancer sur les difficultés persistantes.
La
laïcité comme projet d'un exercice de
l'humain
La laïcité comme projet d'un exercice
de l'humain doit pouvoir être servie et non
pas compromise par la singularité de sa mise
en place en France. C'est bien pour cela qu'il faut
recourir à la géohistoire comme
capable de situer la laïcité dans
l'espace-temps des devenirs humains. C'est ainsi
que l'on retrouve toujours à la base du
problème la question de
l'intolérance, singulièrement
religieuse.
Qui peut parler d'un problème
franco-français, quand bien avant
l'avènement du protestantisme et la
Saint-Barthélémy française,
l'Inquisition en Espagne contraint les Juifs
à la conversion, suspecte les conversions
imposées, confisque les biens des Juifs et
les chasse du pays. Le beau film de Milos Forman
(2006), " Les fantômes de Goya ",
montre cette inquisition encore à
l'uvre en Espagne, au début du XIXe
siècle. Non seulement l'intolérance
à l'égard des Juifs ne s'est pas
démentie mais en à peine plus d'un
siècle elle a engendré au cur
de l'Europe la monstruosité absolue de la
Shoah avec ses plus de cinq millions de victimes.
L'intolérance
religieuse
Avant d'en arriver là, cette question de
l'intolérance religieuse s'est
étendue et approfondie partout en Europe. Un
siècle après l'avènement du
protestantisme, l'Europe est à feu et
à sang. Il ne faut pas moins d'une Guerre de
Trente ans, d'une extrême violence, où
l'Allemagne perd quarante pour cent de sa
population, pour que le traité de Westphalie
(1648) reconnaisse, enfin, aux princes allemands,
la liberté de religion. Trois siècles
plus tard, on retrouve encore ces violences entre
protestants et catholiques, en Irlande, à
Belfast et Londonderry, en 1969, où elles
vont persister des décennies durant. La
volonté de parvenir à la
tolérance religieuse n'est donc pas
franco-française. Partout, elle est
souhaitée pour sortir des massacres mutuels,
guerriers ou autres, Partout, elle n'est obtenue
qu'au-delà de violences meurtrières
extrêmes. Et, constamment, ces violences
resurgissent. En Europe même, encore lors des
guerres des Balkans à la fin du XXe
siècle.
Il fallait, il faut, poser qu'il y a une
réponse française et qu'il est
précieux de l'analyser, de la
préciser, de la comprendre, de la
poursuivre. Mais, en aucun cas, on ne peut dire de
la laïcité qu'elle n'est qu'une affaire
franco-française. Elle a été,
elle est toujours un profond refoulé de
l'Europe. Là même où
interviennent tel ou tel accord entre l'Etat et les
Eglises, ils n'englobent jamais l'ensemble des
religions du monde.
La question de
la laïcité est mondiale
Or, aujourd'hui, la question de la
laïcité est mondiale et, c'est à
partir du monde qu'elle retentit sur tous les
continents. Les intolérances religieuses, et
les massacres qu'elles finissent toujours par
produire, ne cessent de surgir en tout pays mettant
aux prises hindouistes, musulmans, bouddhistes,
coptes, etc. Qui plus est, comme l'Europe
chrétienne d'hier et d'aujourd'hui le sait
bien, avec protestants, catholiques, orthodoxes et
autres, l'intolérance est aussi intra
religieuse, elle concerne une seule et même
religion. Ainsi, l'opposition des sunnites et des
chiites traverse l'histoire de l'islam et n'en
finit pas de faire jour après jour,
année après année, des
milliers de morts en Irak et ailleurs. Bien
entendu, on s'empresse de dire que toutes ces
oppositions ne sont pas seulement religieuses mais
aussi géoéconomiques et
géopolitiques. C'est l'évidence. Mais
ceux qui s'empressent ainsi devraient
réfléchir aux conséquences
qu'ils ne savent pas tirer de ce qu'ils disent.
Une
laïcisation nouvelle
Si les acteurs politiques, au lieu d'user de leur
autorité humaine pour pacifier les
religions, épousent leurs querelles et s'en
servent, de façon ou d'autre pour alimenter
ces violences inhumaines, qu'est-ce à dire ?
Pourquoi la laïcité comme exercice de
l'humaine tolérance ne porterait-elle que
sur les dévoiements meurtriers des religions
et pas sur les dévoiements meurtriers des
politiques ? Cette laïcisation nouvelle qui ne
concerne pas que le religieux est bien peu
avancée ; elle cherche à s'inventer
quand les monstruosités empirent. Par
contre, ce que nous commençons à bien
percevoir c'est le jeu géopolitique complexe
qui fait que toutes sortes d'arrangements et de
compromissions lient les acteurs politiques et les
acteurs religieux. Sans parler des acteurs de
l'économie.
Un exercice de
l'humaine tolérance, de l'humaine
prudencers,
Alors la laïcité, parlons aussi de
laïcisation, ce n'est rien moins qu'un
exercice de l'humaine tolérance, de
l'humaine prudence ou sagesse. Elle ne peut donc
pas concerner seulement les conflits du religieux
et du politique. Les conflits sont
déjà intérieurs au religieux,
intérieurs au politique. Ils concernent en
fait les intérêts opposés des
acteurs humains quel que soit leur domaine
principal d'exercice.
Ces intérêts opposés des divers
acteurs sont à composer. Mais, comme le
pouvoir ne le cède qu'au pouvoir, la
laïcisation ne peut pas consister en un simple
arbitrage impossible, toujours
intéressé qu'il serait de
façon ou d'autre ! Elle ne peut que relever
de dispositifs institués pour obtenir
l'équilibration et l'articulation des
pouvoirs contraires. Les acteurs de ces pouvoirs
ont toujours le choix d'orienter ces dispositifs
institués vers la composition, la
construction, l'invention ou vers la destruction.
Laïcisation
de l'économie, laïcisation des
médias sont devant
nous.
On n'a pas assez remarqué qu'une
laïcisation du politique avait
été théoriquement mise en
place par Montesquieu dans " L'Esprit des Lois "
quand il a posé la séparation des
pouvoirs " législatif, exécutif,
judiciaire " comme pouvant seule garantir un
gouvernement non despotique. Cette laïcisation
du secteur de la politique a
précédé, préparé
la laïcisation de séparation des deux
domaines d'activités du politique et du
religieux. D'autres séparations sont
à venir.
Pour Aujourd'hui, l'économie, et sa violence
inégalitaire, l'information
médiatique et sa violence spectaculaire,
détruisent, l'une et l'autre, les
possibilités originales de multitudes
d'acteurs humains. Pour Aujourd'hui,
l'économie, et sa violence
inégalitaire, l'information
médiatique et sa violence spectaculaire,
détruisent, l'une et l'autre, les
possibilités originales de multitudes
d'acteurs humains. Pour Aujourd'hui,
l'économie, et sa violence
inégalitaire, l'information
médiatique et sa violence spectaculaire,
détruisent, l'une et l'autre, les
possibilités originales de multitudes
d'acteurs humains. Pour Jean-Michel Besnier et
Jean-Claude Guillebaud (2008), laïcisation de
l'économie, laïcisation des
médias sont devant nous.
Séparation,
reliance
Mieux vaudrait parler de " séparation,
reliance ". La séparation conditionne le
rejet de l'abus de pouvoir de chaque secteur trop
puissant : religion, politique, économie
partisanes. La reliance conditionne le
fonctionnement commun au bénéfice de
l'ensemble des acteurs, au bénéfice
de l'humain. Cette ample vision d'une
laïcité peut sembler dépasser le
contexte habituel du concept.
Une clarification est nécessaire. Quand le
concept de laïcité est qualifié
d'universel, il est préférable, selon
une indication de François Jullien (2008) de
parler d'universalisant, terme qui
réfère aux obstacles, aux
difficultés, aux incertitudes de mise en
uvre. L'universalisant résulte du
processus de " séparation, reliance ", ou
d'articulation ouverte générale.
C'est lui qui s'est mis en uvre dans la
laïcité entre religion et politique
mais il ne se limite pas à ce qui a
été réalisé. Il est
disponible pour la suite à inventer en
l'ensemble des domaines de pouvoir.
Cette prudence et cet exercice se trouve
confirmée à travers nos
références faciles à " ethnos
", le peuple ethnique, comme à " demos " le
peuple politique. L'un et l'autre sont à la
base d'isolats humains exclusifs. Reste le terme "
laos " que l'on redécouvre et qui concerne
l'être humain quel qu'il soit, tout homme,
tous les hommes, l'humanité. C'est là
que se trouve, dans un terme millénaire le
projet laïque ; c'est dans cette ambition
qu'il commence à se reconnaitre.,
La laïcisation apparaît
aujourd'hui comme un projet permanent et
comme une tâche constante concernant
l'ensemble des actions, des
activités, des organisations
sociales. Elle est même une
nécessité pour un devenir
humain des sociétés dans une
mondialité dont la
dangerosité et la
fécondité sont
liées.
Conclusion des
Actes du 7e Colloque
du Gerflint " Les enjeux de la
laïcité à
l'ère de la diversité
planétaire ", Paris, Juin 2012,
à paraître in Synergies
Monde.
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