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L'évaluation dans le système éducatif

pour quoi faire ? A quelles conditions l'évaluation est-elle utile ?

Claude Thélot

Conseiller maître à la Cour des comptes

Claude Thélot a bien voulu que nous reproduisions sa conférence introductrice du 18ème colloque international de l'ADMEE les 24, 25 et 26 octobre 2005 à Reims. Nous le remercions au nom de ceux qui liront cette page.

 

             Dans ses diverses acceptions, l'évaluation est présente, et même très présente, dans tout système éducatif. Non pas que chacune des formes le soit, mais en les regroupant toutes, cette fonction présente une ampleur et un volume très substantiels. Car il y a de nombreuses et diverses acceptions, d'importance très variable. La notation des élèves, les examens (organisation et passage), l'inspection des enseignants sont trois formes traditionnelles qui prennent beaucoup de temps ; les examens ont d'ailleurs pris beaucoup d'importance ces deux dernières décennies avec la massification et la démocratisation des études.

 

             D'autres formes d'évaluation, plus récentes, prennent moins de place et de temps, et sont parfois insuffisamment développées : l'évaluation des élèves (indépendamment de leur notation), l'évaluation des enseignements, l'évaluation des établissements scolaires et universitaires, l'évaluation de tel ou tel espace ou organisation éducatif (une région, etc.) et, plus généralement, l'évaluation du système éducatif pris dans son ensemble.

             Toutes ces formes d'évaluation, traditionnelles ou plus récentes, très ou peu développées, ne me semblent avoir de justification profonde qu'en fonction de leur usage. A mon avis, elles n'ont pas leur justification en elles-mêmes, elles ne sont qu'un instrument au service de la politique éducative. Il s'agit ici d'une conception instrumentale de l'évaluation. D'où, dans cette perspective, le caractère crucial des interrogations :

à quoi l'évaluation peut-elle et doit-elle servir ?

             Cette question n'est pas nouvelle et je pense qu'elle peut trouver la réponse suivante. L'évaluation a deux grandes utilités, ou, au moins, doit viser à avoir l'une ou l'autre, ou les deux utilités suivantes, la pondération entre elles deux variant selon les formes d'évaluation rappelées ci-dessus.

- Une utilité externe, destinée à informer la société (décideurs, parents d'élèves, employeurs, etc.) sur l'état du service éducatif, notamment sur sa qualité, ses résultats, mais aussi son coût et son fonctionnement.

- La seconde fonction est interne, c'est-à-dire informe les acteurs du système (enseignants, élèves, administrateurs, etc.) au moins sur les mêmes éléments, ce qui les aide à réfléchir sur leurs actions et l'organisation (du système, de l'établissement, etc.) et à les infléchir pour les améliorer.

             En ces deux sens l'évaluation est (au moins potentiellement) une très grande force de régulation, peut-être la seule force de régulation aujourd'hui dans un espace public marqué par des acteurs éduqués et exigeants.

[...]Dans cet examen, toutes les formes; d'évaluation ne seront pas citées ou présentes à l'esprit avec la même ampleur, mais il serait facile d'adapter certaines des réflexions proposées à celles peu traitées. [...]

             Pour avoir une excellente description récente de l'évaluation dans le système éducatif français, on se reportera au rapport que Claude Pair a établi pour le Haut Conseil de l'évaluation de l'école (HCéé) : « Forces et faiblesses de l'évaluation du système éducatif en France », Rapport du l-lCéé, n°3, décembre 2001, ministère de l'Éducation nationale.

 

Conditions pour que l'évaluation

informe réellement la société sur l'état de l'Ecole

             Si l'on veut réellement informer la société de l'état du système éducatif et qu'ainsi non seulement on soit écouté, mais qu'on structure le débat public et que les acteurs de la société auxquels cette information est destinée s'en servent, deux grandes conditions principales me semblent devoir être satisfaites par l'évaluation : elle doit être crédible d'une part, elle doit faire l'objet d'une grande diffusion d'autre part.

 

Être crédible

             La crédibilité de l'évaluation est capitale, et il faut bien reconnaître qu'elle est difficile à satisfaire, et que souvent elle n'est pas satisfaite.

 

Quelques exemples élémentaires peuvent être fournis ici:

             Ainsi, les notes doivent-elles être crédibles aux yeux des parents (mais aussi des élèves, ce qui montre que l'exigence de crédibilité n'est pas nécessaire pour le seul usage externe de l'évaluation), en particulier entre disciplines ou entre professeurs.

             Ainsi, les évaluations sur le niveau et les acquis des élèves doivent-elles l'être sous peine d'être non seulement ignorées de l'opinion et des décideurs, mais surtout nuisibles : le débat public risquerait d'en être non pas enrichi mais perturbé et biaisé.

             Ainsi encore l'évaluation d'un collège doit-elle être crédible aux yeux des parents d'élèves et des élus locaux dès lors qu'elle entend se substituer à la rumeur, et parfois s'opposer à elle.

 

             Comment accroître (ou, selon le cas, créer) la crédibilité des évaluations pour qu'elles servent réellement en dehors de la sphère éducative, pour les personnes et institutions à qui elle est destinée ? Je propose de s'attacher à trois critères :

- les organes qui évaluent doivent être multiples et indépendants (et perçus comme tels)

- la méthodologie de l'évaluation doit être transparente (et souvent cette transparence est une conséquence nécessaire de l'indépendance)

- enfin, l'évaluation doit s'efforcer de se « rapprocher » des usagers potentiels.

             Il ne saurait y avoir de monopole de l'évaluation, de l'évaluateur : la multiplicité des évaluateurs, des instances est indispensable pour rendre credible cette démarche et ses résultats. Et chacun d'eux doit être indépendant (ou impartial, adjectif qui convient mieux à certaines formes d'évaluation). Chaque organe, chaque évaluation peut reposer en partie sur des éléments communs aux autres (des données, des segments de méthode, etc.), et même le doit pour éviter un coût excessif de la fonction prise dans son ensemble. Mais elles ne sauraient s'identifier les unes aux autres, une source de la crédibilité reposant précisément sur le fait que des conclusions communes ou proches soient tirées à travers (et en dépit de) la variété des points de vue.

             Contrairement à ce que l'on croit, l'indépendance, nécessaire, ne requiert pas d'être extérieur à l'État, ou au système éducatif. Les organes d'évaluation peuvent être soit externes soit internes à l'administration centrale (à la condition expresse qu'ils ne soient pas les principaux responsables de la politique ou de l'état qu'ils vont évaluer), publics ou privés, dépendant de la recherche ou extérieur à elle, l'important n'est pas là. Car l'indépendance ne se mesure pas d'abord en termes de position ou d'extériorité. Elle s'apprécie à l'aune de trois facteurs :

- la liberté de définir son programme de travail (d'évaluation),

- la mise en oeuvre d'une méthodologie scientifique le moins contestable possible,

- la liberté de rendre publiques les évaluations, par exemple de les publier.

             Là encore il n'est pas difficile de citer des exemples où ces critères ne sont pas absolument satisfaits, ou, mieux, de montrer les conséquences qu'ils pourraient ou devraient avoir. En particulier, il faudrait, beaucoup plus qu'aujourd'hui, former les futurs enseignants à évaluer et à noter les élèves (au lieu de se contenter, comme trop souvent, de mettre en relief le caractère conventionnel et dépendant de circonstances des évaluations et des notes). Ou encore, les indicateurs sur lesquels on s'appuiera partiellement pour évaluer une école primaire ou un collège devront être réfléchis puis rendus opérationnels avec et par des experts et des praticiens dans la perspective de décrire le mieux possible tel ou tel volet.

             La méthodologie d'évaluation ne doit pas seulement être la meilleure possible, elle doit aussi, et c'est la seconde condition de la crédibilité, être connue, transparente. Les médias, les décideurs ne sauraient faire confiance aveuglément à une évaluation.

             A nouveau les illustrations de ce principe sont faciles à proposer. En voici une, particulièrement importante : si l'on veut préciser à l'intention des employeurs potentiels futurs ce que représentent les examens, quelles compétences ils garantissent que les élèves qui les ont passés avec succès maîtrisent vraiment, il faut faire connaître et diffuser largement le type d'épreuves sur lesquels ils s'appuient. Sans doute, dans le cas présent, faut-il d'ailleurs faire plus que rendre transparents ces modalités :

elles doivent être définies, avec les partenaires sociaux eux-mêmes, c'est-à-dire les futurs utilisateurs, dans la perspective des compétences dont on souhaite que le diplôme garantisse la maîtrise.

             Le second exemple est une anecdote, qui n'a pas du tout le même poids que l'illustration précédente, mais qui montre bien la nécessité d'être transparent. C'était une enquête sur la « littéracie »des adultes que la DEP (que je dirigeais alors) avait conduite sur un échantillon dans un cadre international, et que je venais de retirer car le protocole d'évaluation sur lequel la littéracie était évaluée ne semblait ni avoir été bien compris par les Français, ni se prêter à des comparaisons internationales (la compréhension du protocole et les conditions de passation d'un pays à l'autre ayant été trop différentes pour que les conditions d'une comparabilité satisfaisante soient satisfaites). Bien entendu cette décision de retrait fut critiquée par beaucoup, et notamment par des journalistes. Aussi en ai-je convié quelques uns à une réunion, où je leur ai fait passer certains exercices, pour qu'ils les connaissent et se rendent compte qu'ils ne pouvaient réellement être vus comme mesurant l'analphabétisme (ne serait-ce que parce que tous ne les réussissaient pas) : transparence nécessaire de l'outil. Il faut d'ailleurs dire à ce propos que cette exigence est difficile à satisfaire complètement, car elle entre en contradiction avec une autre règle de méthode, le souci de reproduire de loin en loin les mêmes exercices, pour mesurer les évolutions au cours du temps. Car, dès lors que les exercices sont connus, ce souci de les répéter dans le temps nourrit un risque de bachotage. Mais ceci est une autre question sur laquelle je ne m'étends pas. Enfin, le troisième facteur renforçant beaucoup la crédibilité des évaluations consiste à se «rapprocher » le plus possible des préoccupations des personnes et organisations susceptibles de les utiliser.

             Ceci n'est pas très souvent fait car dans les évaluations c'est souvent des critères et des modalités internes ou techniques qui sont retenus.

             Donnons deux exemples de conséquences d'un tel « rapprochement ». D'abord à propos des résultats et des types de l'évaluation. Il ne faut sûrement pas s'en tenir à des moyennes, ou des agrégats très « macros » : se rapprocher de l'utilisateur éventuel consisterait à développer beaucoup les analyses en termes de dispersion (pas seulement la taille moyenne des classes, ou le niveau moyen des élèves, mais la proportion de classes très légères ou très lourdes, et le niveau des élèves faibles ou forts, etc.), et même à développer des résultats individuels : c'est bien cette école primaire-ci, cette classe ou ce professeur-là qu'il faut évaluer, et publiquement, ce qui impose bien entendu de sérieuses précautions et soucis méthodologiques (cf. ci-dessous).

             Ensuite à propos de ce qu'on choisit d'évaluer. Les évaluations des élèves sont souvent, lorsqu'elles sont conduites dans le système éducatif, structurées à partir des exigences des programmes : on cherche à apprécier à un niveau donné ce que les élèves maîtrisent parmi ce qu'ils sont censés maîtriser, c'est-à-dire parmi ce qu'indiquent les programmes du niveau. Ceci, qui est parfaitement légitime, éloigne cependant du parent d'élève, du décideur, des médias, etc., bref de la société.

             Car à l'extérieur c'est plutôt en référence aux exigences de cette dernière, actuelles ou passées, qu'il faudrait répondre plutôt qu'à celles des programmes.

             Je crois donc que rendre crédibles nos évaluations des élèves devrait nous conduire à beaucoup développer, peut-être même au détriment des évaluations actuelles bâties sur les programmes, des évaluations construites à partir des compétences exigées dans nos sociétés et/ou présentes à l'esprit et dans le débat publics.

 

Diffuser

             La seconde grande condition pour tendre vers une utilité externe des évaluations conduites dans le système éducatif consiste à les rendre systématiquement publiques et à les diffuser au maximum. Il y a là une grande politique de diffusion (ou, si l'on veut, de transparence, là aussi, mais sur les résultats de l'évaluation, et pas seulement sur ses outils et ses méthodes) à conduire et à développer. Elle offre par rapport aux pratiques ou aux tentations fréquentes en la matière deux ruptures.

- D'abord au niveau général, il est absolument nécessaire que les responsables politiques donnent leur accord a priori à une telle diffusion, et accordent les moyens nécessaires pour qu'elle ait lieu.

             En ce sens, le ministre ou, lorsqu'il s'agit d'évaluations interministérielles, le Gouvernement dans son ensemble doit non seulement accepter l'idée que son domaine de responsabilité soit évalué, mais qu'il le soit publiquement.

             Je crois personnellement que cette reconnaissance fait partie d'une démocratie moderne, où les citoyens et les usagers veulent et même exigent des services publics de qualité, mais il faut reconnaître qu'une telle position requiert de la part de l'homme politique de premier plan un certain courage (et nous connaissons des cas dans notre histoire récente où cette position de principe n'a pas été prise).

- Sur un autre plan, il faut bannir, en raison même de cette condition, l'idée d'évaluation purement interne, qui n'aurait pas d'écho public. Cette position est à prendre par les instances d'évaluation elles-mêmes (y compris dans tous les domaines et pas seulement l'éducation) : toute évaluation, sauf cas exceptionnel nommément délimité, doit être publique, c'est-à-dire que le citoyen doit pouvoir y accéder (et les possibilités créées par Internet rendent cette exigence possible).

             La confidentialité doit devenir l'exception, alors que jusqu'à maintenant c'était l'accessibilité qui était l'exception. Retournement complet de perspective, accordé à la démocratie actuelle.

             Il faut enfin tirer une dernière conséquence du choix fait en faveur de la diffusion : dès lors que le principe politique est admis, la diffusion à grande échelle des évaluations doit s'accompagner d'une pédagogie pour mettre leurs enseignements à la portée des citoyens, des utilisateurs potentiels.

- D'où le souci de « vulgariser » l'évaluation de l'Ecole (ses méthodes comme ses conclusions), en en présentant les conclusions de façon claire et accessible ; d'où aussi une éducation en profondeur des utilisateurs potentiels (journalistes, politiques, parents d'élèves, etc.) à la compréhension de ce qui est ainsi diffusé.

             Car il ne suffit pas de vouloir diffuser. Il faut en outre créer les conditions auxquelles ce qu'on rend accessible sera reçu, compris, donnera lieu à discussion.

             (On retrouvera d'ailleurs cet effort d'éducation à propos des acteurs de l'Ecole, dès lors qu'en interne cette fois l'on souhaitera que les résultats de l'évaluation soient réellement utilisés). Les modalités de cet accompagnement pédagogique du public potentiel à la fois national et local (y compris, par exemple, sur un bassin d'éducation, ou auprès de l'ensemble des partenaires d'un collège ou d'un lycée) sont évidemment diverses. Il nécessite une ferme volonté et d'importants moyens.

 

Conditions pour que l'évaluation soit

un levier d'amélioration interne de l'Ecole

             Ici, la problématique de départ est un peu différente, même si on en tirera des conséquences dont certaines seront communes à celles qui viennent d'être tirées. Car en interne, l'évaluation est inséparable de l'autonomie.

             Plaider pour que l'évaluation et ses résultats aient des conséquences en interne, c'est-à-dire aide les acteurs du système éducatif à améliorer leurs pratiques au service d'une École plus efficace et plus juste, cela n'est concevable que si les acteurs disposent d'une certaine autonomie.

             L'évaluation est dans cette perspective la contrepartie naturelle, et même nécessaire, de l'autonomie.

             Et si l'on plaide pour un accroissement de l'autonomie, il faut dans le même mouvement mettre en place les conditions d'une évaluation efficace et dont on tirera des conséquences concrètes. Il y a alors ici deux sujets principaux, auxquels sont rattachées les trois priorités que devrait avoir la politique d'évaluation à usage interne.

Premier sujet, la liberté pédagogique des enseignants.

             Cette liberté est souhaitable, nécessaire, même si elle ne peut être regardée comme illimitée :

l'enseignant, tout éducateur est libre de son action, sous réserve qu'elle conduise au progrès des élèves, qu'elle soit nourrie des réussites et des pratiques des autres et qu'elle soit évaluée.

             Jamais, cette liberté n'avait été en France l'objet d'un article de loi. La récente loi d'orientation et de programme la consacre et, même, la renforce en quelque sorte en lui donnant le pas sur les recommandations possibles du futur conseil pédagogique de l'établissement (que la loi crée). 2.

             La liberté pédagogique appelle alors deux types d'évaluation :

- d'une part celle des pratiques éducatives, ce qui se fait réellement dans les classes et, si on sait le dégager, ce qui, au moins dans certains contextes, « devrait » se faire pour favoriser au mieux les progrès des élèves ;

- d'autre part l'évaluation-inspection des enseignants et de son usage.

 

Le second sujet est l'autonomie des établissements.

             Dans beaucoup de pays elle est notable et, en France, nombre de rapports et d'experts en recommandent (et, je crois, à juste titre) l'accroissement.3.

             Mais cela ne saurait se faire sans, là encore, une grande politique d'évaluation des établissements scolaires (et universitaires). D'où la nécessité de construire une vraie évaluation des écoles primaires, des collèges, des lycées (et des universités) et de définir les modalités selon lesquelles on en fera usage.

             En France, l'inspection des enseignants existe et mobilise des moyens non négligeables (même si elle n'est pas assez fréquente), mais elle devrait être profondément rénovée, car elle n'est guère satisfaisante et ne sert guère à améliorer les pratiques des enseignants. L'évaluation des établissements, elle, est pratiquement inexistante et est donc entièrement à construire.

             Ces deux évaluations sont par nature individuelles (chaque enseignant, chaque établissement) ; elles ne peuvent donc sans doute pas être engagées sans hiérarchisation des terrains en raison de leur ampleur potentielle. D'où l'énoncé de critères. avec l'idée de choisir les segments sur lesquels on fera porter pour l'essentiel l'effort, parce que c'est là que le levier sera a priori le plus efficace, c'est-à-dire que l'utilité de l'évaluation au service d'une amélioration des pratiques (pédagogiques, éducatives, de direction et d'animation) sera la plus grande.

             Par exemple, on pourra convenir qu'il faut commencer par évaluer-inspecter, avec des modalités renouvelées, les enseignants débutants, ceux qui le demandent, ceux qui seraient signalés comme particulièrement défaillants, ceux enfin de certains niveaux (en particulier en début de cycle : CP, sixième). De même, il faudrait commencer par évaluer tout ou partie des écoles élémentaires, tout ou partie des collèges (et plutôt une partie spécifiée à partir de critères précis plutôt que tout : par exemple les établissements de notoriété « mauvais », ou, au contraire, « bons »), à l'aide de procédures et de méthodes à mettre sur pied, avant d'étendre cette démarche aux lycées.

             Indépendamment de la hiérarchisation des terrains sur lesquels renouveler et/ou développer l'évaluation des personnes et des unités, il est nécessaire, pour que cette politique soit réellement utile, de préciser deux choses importantes :

- quel type d'utilité envisage-t-on ?

- Selon quelle méthodologie va-t-on les rénover et/ou les construire ?

             Répondre d'abord à la première question permet ensuite de mieux traiter la seconde c'est-à-dire de dégager les conditions auxquelles ces trois priorités, l'évaluation des pratiques, celle des enseignants, celle des établissements, auront l'utilité qui leur aura été assignée.

 

Quelle utilisation des évaluations

des pratiques, des enseignants et des établissements ?

             L'évaluation des pratiques éducatives devrait avoir deux usages.

             D'abord servir de support, d'aide à la liberté pédagogique des enseignants, c'est-à-dire être diffusée à tous pour leur faire connaître les pratiques des autres et, éventuellement, les pratiques les plus efficaces et, par là, favoriser leurs propres décisions, c'est-à-dire alimenter leur liberté.

             En ce sens, le Haut conseil de l'évaluation de l'école avait, dans son avis sur le sujet, écarté l'idée de « modèle universel de bonnes pratiques », mais avait parlé de «canevas de progressions pédagogiques qu'ils (les enseignants) puissent adapter à la diversité des élèves » 4.

             L'inspection-évaluation des enseignants, profondément rénovée, devrait, elle aussi, avoir plusieurs objets, et donc utilités : contrôler la qualité du système éducatif, reconnaître et valoriser l'effort, la réussite et le mérite des enseignants et en tirer les conséquences en matière de ressources humaines.

Affirmer le principe de cette dernière utilité est déjà central (et constituerait, au moins en France, un changement profond), mais il faut sans doute préciser le type de conséquences envisagées. A mon avis, elles devraient se déployer sur deux plans.

- D'abord sur celui du conseil, de la formation (continue), du soutien à l'enseignant, de manière à l'aider à progresser dans sa pratique au service des progrès des élèves ;

- ensuite sur celui de son évolution de carrière : mobilité (y compris en proposant d'autres fonctions aux enseignants qui ne veulent ou ne peuvent plus l'être, en développant les reconversions, les secondes carrières) et progression salariale ou statutaire, non pas à chaque étape de cette carrière, mais aux plus importantes (exemple : changement de corps, ou de certains grades). Dans les hiérarchisations évoquées ci-dessus, retenir d'abord les débutants, les enseignants ayant de grandes difficultés, ceux qui demanderont une évaluation permettra de concentrer ces conséquences sur ceux où elles devraient être le plus nécessaire.

             L'évaluation des établissements doit être directement utilisée dans le cadre de la régulation de leur autonomie.

Le récent rapport de la Commission du débat sur l'avenir de l'Ecole a plaidé pour que cette régulation prenne désormais (après le relatif échec de l'idée de projet) la forme d'un contrat. 5

 

Conditions pour que les évaluations

de pratiques, d'enseignants, d'établissements servent vraiment

             Quelles sont les conditions principales qu'il faudrait remplir pour que les trois évaluations précédentes puissent être utilisées selon les lignes évoquées à l'instant ?

             Des conditions de qualité méthodologique et de transparence, analogues à celles sur lesquelles j'ai insisté dans la première partie sont ici aussi essentielles. Je ne fais que citer certaines. L'évaluation des pratiques éducatives par exemple requiert d'élaborer une méthodologie commune et connue qui permettent à tous ceux qui les étudient (chercheurs, inspecteurs, évaluateurs, etc.) de parler le même langage (cadres, nomenclature d'activités, méthodes d'observation ou de recueil, etc.) et de présenter leurs résultats de façon homogène pour permettre la confrontation, la synthèse le progrès et, au bout du compte, l'utilisation hors de leur sphère, de leurs travaux. On en est loin, et rien n'est plus urgent.

             Dans un esprit voisin. les critères d'évaluation des enseignants sont trop peu partagés, publics et transparents, de sorte que la rénovation de cette fonction doit s'accompagner, là aussi, d'une élaboration plus commune et d'une diffusion plus grande des éléments sur lesquels l'évaluation des enseignants sera fondée. Je pense à ce sujet que, sans être évidemment le seul, un des critères devrait être étroitement lié au progrès (et non au niveau) des élèves de l'enseignant.

             Au-delà de ces deux exigences de qualité méthodologique et de transparence, les évaluations, dès lors qu'elles ont un caractère individuel, donc l'inspection-évaluation des enseignants et l'évaluation des établissements, devraient pour être utiles, respecter deux grandes conditions.

- D'abord, elles ne sauraient pas reposer que sur leur qualité méthodologique, elles ne sont pas qu'une question d'expertise.

Elles requierent la participation de l'évalué. Trois formes sont souhaitables.

* La définition du processus et des règles d'évaluation elle-même doit faire l'objet de discussions avec les représentants des personnels et des unités. * *En second lieu, l'évaluation ne saurait certes être purement interne (si elle est seule, l'autoévaluation, d'un enseignant, d'un établissement est à bannir) : l'évaluation est et doit toujours être un regard extérieur. Mais précisément, elle ne doit pas être qu'extérieure, et c'est à une combinaison entre regard extérieur et autoévaluation qu'il faut se livrer. Par exemple, l'évaluation des établissements devra mêler une équipe d'évaluateurs externe (où des « usagers » de l'École soient présents) et une analyse par l'établissement lui-même de son état. C'est à cette double condition que les constats pourront utilement nourrir un contrat destiné, sur plusieurs années, à remédier aux difficultés constatées.

* La troisième forme de participation de l'évalué à l'évaluation est classique, mais doit être bien organisée dans les deux cas étudiés ici : il s'agit du « contradictoire », c'est-à-dire de la possibilité pour l'évalué de commenter ou de contester les conclusions de l'évaluateur.

- La seconde condition se présente, au rebours des précédentes, sous une forme interrogative. Faut-il associer étroitement et dès le début développement de l'évaluation et son usage, ou bien convient-il de les séparer dans le temps, en deux phases, d'abord le développement de l'évaluation puis l'introduction de son utilisation ?

             La politique suivie depuis une quinzaine d'années dans le système éducatif français a consisté à disjoindre ces deux aspects.

             On a cherché d'abord à développer et à améliorer l'évaluation (des élèves, des établissements, du système dans certaines de ses parties ou dans son ensemble), pensant qu'il était nécessaire et sage de faire naître ainsi une culture d'évaluation. Avant d'envisager de se servir des résultats de cette dernière.

             A l'inverse, certaines voix s'élèvent parfois pour avancer le contraire : il vaudrait mieux selon elles, notamment pour convaincre les personnes et les établissements de l'intérêt de l'évaluation et de l'intérêt d'y participer, lier dès le départ évaluation et usage. 6

             Il est certain que la stratégie en deux temps a permis un réel développement de l'évaluation, mais en contrepartie son usage est très limité, et même insuffisant et on ne parvient pas vraiment à l'accroître. Non seulement les évaluations existantes ne sont guère utilisées; il faut mettre évidemment à part, ici, ces deux évaluations particulières que sont les notes et les examens des élèves, qui, elles, le sont, (et parfois trop), mais même l'on n'a pas assez réfléchi aux façons de les utiliser.

             Car l'usage des évaluations, celles des élèves (lors des évaluations diagnostiques de masse), des personnes et des établissements notamment, ne saurait ni être automatique, ni inexistant : il faut définir et expérimenter un ou des « usages souples » (et certaines des réflexions plus haut en définissent des possibles). A l'inverse lier dès le début évaluation et usages bien définis risque de tuer dans l'oeuf le développement de cette forme de régulation des systèmes éducatifs. De sorte qu'ici la question me semble ouverte. Peut-être la réponse est-elle à donner au cas par cas, en faisant, là aussi, l'objet d'une consultation non seulement des experts mais des personnes et unités impliquées.

 

Une remarque pour conclure

             Je voudrais à titre de conclusion de ce bref exposé indiquer un seul point, conséquence ou condition, du nécessaire développement de l'usage des évaluations dans nos systèmes éducatifs. Il porte sur les personnes qui pourraient porter une telle politique, c'est-à-dire, je pense, les « cadres éducatifs ». J'entends par cadre éducatif trois catégories de personnes : les chefs d'établissement, les inspecteurs, les cadres administratifs.

             Ce sont eux qui devraient, peut-être contribuer au développement des évaluations, en tout cas favoriser l'essor de leurs usages, soit qu'ils les utilisent eux-mêmes, soit qu'ils facilitent leur utilisation par les enseignants ou même l'extérieur (parents d'élèves, par exemple).

             C'est tellement vrai qu'à mon avis les perspectives tracées dans ce texte impliquent certainement une grande politique de l'encadrement éducatif : définition de fonction, formation, recrutement, évaluation, etc. Une fois définie (ou redéfinie) une telle politique de ressource humaine des cadres éducatifs, il faudra sûrement en multiplier le nombre.

 

Pour compléter:

Voir le Blog de Claude Thélot

Qu'est-ce que la "loi organique relative aux lois de finances"

La loi organique relative aux lois de finances [LOLF], qu'est ce que c'est?

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Commentaire

Réactions

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<salut c est tres interessant je veut travailler sur ce theme au Maroc. merci >>

<< Je trouve très importantes toutes ces questions analysées par l’auteur. Les enseignants doivent lire et relire les articles de ce site>>.

<<J’ai bien lu cet article avec un grand intérêt et sache que je le trouve très intéressant,mais il ne me met pas le point sur les points négatifs d’une évaluation externe qui ne cherche qu’attribuer une note aux élèves et prendre les décisions relatives à cette dernière .Pourquoi dans la majorité des pays tels que le Maroc et la France , une autonomie pédagoqique n’est pas accordée aux enseignants sachant déjà que c’est une condition nécessaire dans la réussite des élèves et les enseigants ?>>

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