Accompagner
Quelle
belle image vraiment que celle de
l'étymologie de ce terme : "
marcher avec un compagnon ". Compagnon
: cum panis, " partager le pain avec
l'autre". ! Nous connaissons le
compagnonnage, qui est une association
entre ouvriers d'une même profession
à des fins d'instruction
professionnelle et d'assistance mutuelle,
et qui s'appuie sur des valeurs qui ont
depuis le Moyen-Age fondé leur
démarche : accueil et
accompagnement, transmission des
compétences professionnelles,
ouverture et attention aux
autres.
Tandis que les compagnons de
la Libération se
réunissaient autour d'un même
projet, la figure du " compagnon de
route " popularisée par Sartre
supposait une distance dans le
cheminement.
L'actualité avec la
disparition de l'Abbé Pierre ces
jours -ci nous rappelle que le nom que
s'est donné son association "
Compagnons d'Emmaüs " dès
1954, enraciné dans une
référence chrétienne,
renvoie au croisement de deux conceptions
: la solidarité, d'une part et une
conception de l'autonomisation des
personnes du quart-monde d'autre part,
avec la prise en charge par
elle-mêmes de leur destin, mais avec
un accompagnement qui ne portait pas ce
nom.
Accompagnement
Un florilège de termes se
conjuguent, ramifient à partir de
ce concept ou se substituent à lui
selon les lieux et les champs.
Diriger,
suivre, guider, tutorer, former,
soutenir, coacher, superviser,
étayer, cheminer avec, conduire,
mener, parrainer, escorter, faire
alliance, superviser, accueillir en
groupe de paroles, d'analyse de la
pratique ou en espaces de
médiations
sans
oublier l'accompagnement musical
qui est censé soutenir la
voix du soliste, du chur ou du
danseur, et même le soutien au
soutien (Jacques Levine)
Le droit a lui aussi son
cortège d'accompagnements :
un
accompagnement du chômeur
vers le retour à l'emploi est
prévu en droit social, tandis
qu'un arrêté du 6 juin
2006 désigne des membres du
Comité national de suivi du
développement des soins
palliatifs et de l'accompagnement de
la fin de vie .
Rien
n'échappe à l'accompagnement
des temps modernes !
L'envahissement du concept
d'accompagnement comme fourre-tout
sémantique dans la
littérature professionnelle
d'aujourd'hui et les programmes de
formation, m'amène dans un moment
d'humeur à penser que la floraison
des métiers qui gravitent autour de
cette notion est surtout l'occasion
de gagne-pain pour ceux qui les exercent
y compris pour moi, plutôt
que de partage du pain auquel renvoie
l'étymologie! Moment d'humeur
fugace, car l'idée du cheminement
qui s'impose dans cette idée d'un
compagnonnage dans l'espace et dans le
temps, et d'une action dynamique à
engager fait émerger des images de
partage, de solidarité, de
proximité
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Tout
passe
et
tout demeure
Mais
notre affaire est de
passer
De
passer en
traçant
Des
chemins
Des
chemins sur la mer
Voyageur,
le chemin
C'est
les traces
de
tes pas
C'est
tout ; voyageur,
il
n'y a pas de
chemin,
Le
chemin se fait en
marchant
Le
chemin se fait en
marchant
Et
quand tu regardes en
arrière
Tu
vois le sentier
Que
jamais
Tu
ne dois à nouveau
fouler
Voyageur!
Il n'y a pas de
chemins
Rien
que des sillages sur la
mer
Antonio
Machado
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Accompagnateur,
accompagnant
La distinction ne va pas de soi, sinon,
peut- être après avoir exploré
quelques champs qui utilisent l'un ou l'autre des
termes, une plus grande action pour les
accompagnateurs et une plus grande proximité
pour l'accompagnant.
Des images viennent
s'associer :
le
maître, le mentor, le directeur spirituel,
le thérapeute, le cicérone, le
guide, le conseiller, l'entraîneur, le
tuteur , le chaperon, le gardien , le gorille,
la duègne , la demoiselle d'honneur,
l'éducateur , le référent,
le condisciple, le tuteur de résilience,
le coach, l'écoutant, le
médiateur, le facilitateur, le leader
charismatique, la
personne-ressource
sans compter
l'accompagnant naturel au quotidien en famille, en
voisinage ou auprès d'un mourant, les
accompagnants informels de la vie, de la vieillesse
de leurs parents, de la croissance de leurs
enfants, des accidents de la vie .
Quelques termes anciens comme
maître ou directeur spirituel
perdurent (revisités) aux
côtés de ceux de la modernité :
coach, tuteurs de résilience,
médiateurs, auditeur (accompagnement du
changement dans les organisations),
maître-accompagnateurs ou
experts-accompagnateurs. Mais les termes
anciens qui puisent leur légitimité
dans la verticalité et donc de la filiation,
notamment celle du savoir et de
l'interdit
(celle des
pères réels ou symboliques) ont perdu
en force et en nombre à côté de
ceux liés à " l'accompagnement
" proche de l'horizontalité et des pairs,
à peine asymétrique, où celui
qui accompagne est le plus souvent supposé
être dans un non-savoir d'où est
censée jaillir une co-création, dans
l'inter-dit, plutôt que dans
l'interdit.
Un regard sur
l'histoire de ces termes " accompagner ou
accompagnement ", dans la mesure où cette
évolution colore le
présent.
La notion générale
d'aide a été longtemps
ancrée dans trois secteurs :
santé-social, celui de la
spiritualité, celui de l'apprentissage.
Au 19eme
siècle, dans les secteurs de la
santé et du social la volonté
était de soutenir, assister, tandis que le
modèle de l'apprentissage était celui
du maître, y compris dans le compagnonnage,
et que la direction spirituelle éclairait le
chemin dont le but était censé
être connu.
Puis les pratiques sociales se sont
orientées vers l'aide, le suivi dans le
secteur de la santé et du social, avec
l'influence de la psychanalyse, tandis que
s'essayaient dans l'apprentissage des pratiques
pédagogiques innovantes nécessitant
une participation plus active des apprenants et
où nous avons vu émerger des
pédagogies Freinet, Montessori, Janus
Korzack - avec parfois des tuteurs - tandis que la
direction spirituelle faisait place en partie
à des " pères ou guides spirituels
".
Dans les années 1970,
l'accompagnement de fait mais le plus souvent
jamais nommé ainsi, était l'apanage
des bénévoles, des guides spirituels
et des thérapeutes. Les sciences humaines
sont évidemment en lien étroit avec
l'évolution sociale et les courants issus
des mouvements de libération des
années 68 en occident, ont infléchi
les pratiques sociales. Carl Rogers a ainsi
influencé profondément par ses
théories de la non-directivité (mal
comprises d'ailleurs et confondues avec le
laisser-faire passif) les pratiques d'aides
à la personne ou aux groupes.
La notion d'accompagnement apparaît
comme telle, dans les années 1980 dans
le domaine professionnel alors qu'elle agissait
sous le couvert d'appellations
évoquées plus haut. Un regard sur des
plans de formation dans les organisations,
antérieurs à cette période, ne
laisse pas visible l'usage de ce terme. Elle
coïncide par ailleurs avec la période
où se développe la pratique des
récits de vie en formation qui invite la
personne à devenir " auteur " de son
existence.
Le concept se développe enfin,
sur un fond de rupture du lien social, que ce soit
dans l'intergénérationnel, la
solidarité de voisinage, la
désaffection syndicale, etc.
Pourquoi cette apparition de
l'accompagnement dans le vocabulaire de
nombreuses professions depuis 20 ans avec
une surcharge de sens et son versus
coaching depuis 10 ans ?
Que signifie l'émergence
en force de ce concept
fédérateur ou
intégrateur ces dernières
décennies, sous toutes ses formes
et en tous lieux, qui semble reconfigurer
la notion d'autorité
fragmentée, épuisée
?
S'agit-il de poser des
prothèses, faute de colonne
vertébrale ? Là où le
vide de la verticalité fragilise
les individus, l'accompagnement pourrait
en effet paraître un soin palliatif,
un moyen de colmater les brèches et
les carences des déficits
d'humanité ou de sens, un moyen de
réparer.
Par ailleurs, dans un contexte
où il faudrait " enseigner les
limites dans un monde sans limites "
(Xavier Darcos), les formes et les
structures organisées
d'accompagnement de la vie sont
sollicitées pour apporter un
étayage et un
cadre.
L'accompagnement,
une identité à
construire.
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