Transmission ou
distribution des places Didier
Martz,
philosophe
Aussi
loin qu'il m'en souvienne, le feu a toujours
exercé sur moi une fascination. Pourtant, il
pourrait sembler a priori que le feu, loin de
susciter l'attirance provoque la répulsion.
Une répulsion liée à
l'expérience d'une brûlure. Or, au
moins en ce qui me concerne et aussi loin que je
puisse remonter dans le temps, je n'ai pourtant pas
d'expérience significative de la
brûlure.
Mon
expérience première du feu
n'est pas, paradoxalement, celle d'une
brûlure. D'où vient donc cet
enseignement ?
" Medium
is message " disait Mac Luhan. La
télévision ne dit rien si ce
n'est qu'il faut être assis pour la
regarder. Elle épouse ainsi les
formes dominantes de la transmission qui
obligent les corps à être
dans une certaine posture sociale non pas
pour pouvoir mieux écouter mais
pour être, d'abord et avant tout, "
en ordre " ou " dans l'ordre ". 1er octobre 2005
Je me souviens par
contre bien de la piqûre. Je sais - mieux
encore je sens - qu'elle fait mal et je prends sur
moi lorsque par nécessité - vaccin,
don du sang ou autre - je dois en recevoir une. La
piqûre renvoie à une expérience
physique. Or, la brûlure n'a pas le
même statut. J'ai peur de la piqûre
mais je suis fasciné par le feu. Si je ne
touche pas au feu c'est parce que je sais qu'il
brûle. C'est sans doute aussi parce qu'un
jour je me suis brûlé mais cette
expérience n'explique pas la fascination.
Fascine ce qui est spectaculaire, fascine encore ce
qui est mystérieux ; fascine toujours ce qui
est interdit. Le feu fascine parce qu'il est
interdit d'y toucher. Comme le dit Bachelard dans
le Psychanalyse du feu, la première
expérience du feu est une expérience
sociale, une expérience de l'interdit : "
touche pas au feu, ça brûle ". Ce qui
compte dans le message paternel ou maternel, ce
n'est pas le " ça brûle " mais le "
touche pas ". Ce qui s'est transmis dans
l'injonction ce n'est pas l'expérience
physique de la brûlure - aucun mot ne peut y
parvenir -, mais l'interdit social. Nous ne
transmettons jamais que des façons de
transmettre, accessoirement des
contenus.