PLAN
DU SITE
r
|
Le temps du
conseil
La question des
pratiques pédagogiques à
transmettre
Extrait
du Mémoire de maîtrise de sciences de
l'éducation
Présenté par
Nicole BERTRAND
|
Avertissement:
Ce mémoire ne porte que sur 3
binômes (stagiaire/tuteur), et n'est
donc pas représentatif de
l'ensemble des tuteurs...
- le type
d'entretiens analysés joue un
rôle certain dans les
résultats de la
recherche
- les
résultats doivent devenir un objet
de travail dans la formation de formateurs
: il ne s'agit pas d'invalider le travail
des tuteurs, mais bien au contraire de
voir, à partir de ce que je tente
de montrer, comment on peut les
accompagner de façon
efficiente.
|
|
Ce
mémoire étudie l'activité des
conseillers pédagogiques tuteurs lors
d'entretiens de conseils avec leurs stagiaires
enseignants du second degré.
Lors de ces entretiens, qui font suite
à un cours du stagiaire observé par
le tuteur, il est question pour le conseiller
pédagogique de faire progresser leur
stagiaire, et non pas, face à l'annonce d'un
écueil constaté dans la pratique, de
développer en lui une résistance
telle qu'elle gèle tout processus
évolutif. La préservation de la
personne entre sans doute largement en jeu.
Nous tentons d'étudier la
façon dont la professionnalité
s'élabore dans les entretiens
tuteurs-stagiaires : quelles sont, compte tenu du
contexte, les stratégies interpersonnelles
en oeuvre pour permettre une construction
professionnelle la plus efficiente possible
?
Il s'agit d'identifier les
compétences, les connaissances en actes non
déclaratives, pour repérer ce qui, au
cur de l'activité du sujet, est de
l'ordre du concept, tant dans la dimension
relationnelle que dans celle du contenu qui
s'échange pendant les
entretiens.
Pour cela, nous procédons à
une analyse des interactions verbales entre les
tuteurs et les stagiaires, approche que nous
croisons avec une analyse des savoirs
d'expérience qui sous-tendent l'action des
conseillers pédagogiques.
|
Le conseil
donné
Au fil des entretiens, les tuteurs
verbalisent à plusieurs reprises certains
éléments afférents à
leur pratique enseignante, par exemple faire
répéter un élève qui ne
parle pas assez fort, laisser expérimenter
les élèves suite à l'apport
d'une nouvelle notion, faire venir au tableau un
élève qui se trompe.
Cette
verbalisation constitue pour eux un retour sur leur
pratique en vue de la
transmettre
à leur stagiaire.
Si un manque, une difficulté est
repérée chez le stagiaire, on va
rechercher dans sa propre expérience
d'enseignant une clé possible, l'expliciter,
la donner au stagiaire. Ici ..., nous donnons un
seul exemple : la difficulté de la stagiaire
a un effet miroir en mettant le tuteur en
difficulté, est riche d'enseignements
:
S2=stagiaire
n°2 - T2= Tuteur n°2
S2 - 171
-
D'ailleurs, Sarah, qui est devant, qui est
très hostile, elle, bon, je lui ai
rendu son devoir, c'était un devoir
noté sur 5, donc c'était peu
de points, elle avait zéro et demi,
parce qu'elle n'avait rien fait (rire), et
en sortant elle a chiffonné son
devoir, c'est de la provoc, hein, je
pense, je pense que
et donc, et donc
elle a une attitude, je sais pas quoi
faire
T2 - 172
- Alors écoute, moi j'ai, on
a
j'ai complètement
oublié ce petit moment-là,
mais qui pour moi a été bien
géré. C'est-à-dire
que tu l'as, alors elle voulait se mettre
au fond de la classe, je crois, non, au
tout début, tu l'as obligée
à venir au 1er rang, et tu lui as
passé un bon savon, froidement,
hein, en lui disant que son attitude
était intolérable, heu tu ne
t'es pas perdue dans des flots de paroles
ni quoi que ce soit, mais ça a
été suffisamment clair et
net, moi je crois que t'as bien
géré l'histoire, d'ailleurs
elle est restée absolument coite,
hein, toute l'heure, la malheureuse, elle
a rien dit, bon. Cela dit, cela dit //
S2 - 173 -
Le
problème c'est qu'elle dit jamais
rien, alors
T2 - 174 -
Voilà. Le problème, le
problème, je crois, hein, me
rappeler que c'est une bonne
élève, enfin c'est une
élève qui a des
capacités tout à fait
normales, il faudrait, un jour, quand tu
auras un tout petit peu de temps, quand il
y aura pas X dans le fond de la classe,
que tu lui dises "j'aimerais bien que tu
restes à la fin de l'heure", ah
ça a déjà
été fait
Et elle
arrive pas ? Quel est //
S2 - 175
-
Ben, le dialogue a été
positif, hein, l'heure d'après
ça s'est bien passé, et puis
tout de suite elle
retombe
T2 - 176 -
Oui. En fait c'est qu'elle arrive
pas
S2 - 177 -
(
inaudible)
T2 - 178 -
Ah oui, ah tu crois que c'est
Et
elle te l'a dit ouvertement
ou
S2 - 179
-
Elle a dit que
c'était
pas
enfin qu'elle avait pas
changé elle
T2 - 180 -
Ben oui, mais enfin bon, entre la
méthode et la personne il y a
peut-être une
S2 - 181 -
Je
sais pas, je sais pas. J'ai pas
été hostile avec elle,
hein.
T2 - 182 -
Non, je crois pas, ah ben je pense pas, et
là ce matin tu as été
très claire en disant écoute
moi je fais le maximum, à toi
Oui
Bon. (court silence)
S2 - 183 -
Mais
bon, ça a été dit au
conseil de classe et ça
dépend des
professeurs//
T2 - 184 -
Ça dépend des professeurs,
oui, bon, c'est quelqu'un//
S2 - 185 -
Soit
elle a une attitude très positive
en classe, soit elle a une attitude
très négative, ça
dépend vraiment.
T2 - 186 -
Ça dépend des professeurs.
Bon, en tout cas, pour conclure un peu
rapidement, parce que je vois le temps qui
passe, quand même, et puis bon on
peut pas non plus parler
indéfiniment de tout ça,
mais ce que je voudrais,
(
)
|
La
stagiaire fait appel au
tuteur
Le
tuteur donne une première
fois des conseils : il est bon
d'éviter l'emportement,
d'être claire,
concise
Mais,
ce faisant, il ne répond
pas à la difficulté
de la stagiaire et elle le lui
fait savoir
Le
tuteur risque un autre conseil,
mais la stagiaire l'a
devancé.
De
l'entreprise de conseil le tuteur
passe alors à
l'investigation
Il
soutient et relance la stagiaire
plusieurs fois
Il
rassure la stagiaire sur son
attitude et tente de conclure
(bon). Le silence, exceptionnel
dans cet entretien, marque un
constat d'impuissance
La
stagiaire offre une porte de
sortie au tuteur : d'autres
collègues ont le
même
problème
Le
tuteur se saisit alors de cette
issue et clôt
l'épisode sans avoir pu
apporter une réponse qui
le satisfasse.
|
|
Cet épisode nous montre
que le tuteur se fait un devoir de donner
une solution à chaque
difficulté rencontrée ; si
la solution proposée n'est pas
appropriée (par exemple si elle a
déjà été
tentée), alors une autre est
proposée. La recherche ne se fait
pas conjointement (tuteur et stagiaire),
mais de façon unilatérale
(tuteur à stagiaire), le tuteur se
posant comme un pourvoyeur de
réponses.
La pratique
présente ici est celle du don, de
la
transmission,
qui fait partie de l'activité
enseignante : la reconduction de la
posture est
spontanée.
|
|
Un décalage mal
vécu
a) Le décalage
conceptuel
Les attendus institutionnels
(Ministère et IUFM), dont nous avons fait
état au début de notre
mémoire, s'inscrivent dans une perspective
d'aide (par exemple aider le
stagiaire à résoudre les
problèmes qui se posent à lui,
l'aider à diagnostiquer ses
difficultés), d'accompagnement
(par exemple en travaillant avec lui sur les
compétences et les outils),
d'autonomisation (pour lui permettre
de construire son identité
professionnelle).
Dans les entretiens nous ne
rencontrons qu'exceptionnellement de la
part des tuteurs une attitude qui consiste
à soutenir et relancer la parole
des stagiaires, dans une aide à la
formulation .
Nous pouvons penser que cette
attitude, non spontanée, n'existe
que si elle est initiée et
travaillée.
Il existe bien un décalage
entre l'attendu et le
réalisé, qui est ressenti
par les acteurs et qui les place en
situation d'inconfort.
b) L'inconfort
verbalisé
Lors des entretiens
d'auto-confrontation, (entretien entre le
tuteur et le chercheur sur
l'enrégistrement de l'entretien
entre le tuteur et le stagiaire) les
tuteurs ont exprimé
différents éléments
à propos de leur pratique de
conseil.
*
Volonté de rendre le stagiaire
acteur
|
Les
termes d'accompagnement, de
conseil, d'entretien,
renvoient respectivement, rappelons-le,
aux champs suivants :
- Se
joindre à quelqu'un pour aller
où il va en même temps que
lui, plutôt que mener quelqu'un
là où nous savons qu'il doit
aller.
- Tenir
conseil (travail intersubjectif
partagé, processus dialogique)
plutôt que donner conseil (don,
transmission).
-
Entre-tenir un problème ou
s'entre-tenir autour de lui (parole
partagée, processus dialogique)
plutôt que de faire le travail ou
devancer la recherche de
l'autre.
|
L'intention est de partir de la parole
du stagiaire : " Quand
la stagiaire peut voir, analyser elle-même ce
qui ne va pas, c'est toujours bien meilleur que si
c'est moi qui lui
dis
".
Les tuteurs
expriment clairement qu'il faut que leur stagiaire
trouve sa façon de faire, construise sa
personnalité professionnelle, et ont
pleinement conscience de l'intérêt de
leur effacement :
"
C'est
pas évident d'être efficace quand on
donne des conseils parce que justement on ne sait
pas grand-chose de la perception de l'autre et
encore une fois la meilleure trace que l'autre est
en train de réfléchir avec vous c'est
de lui redonner la
main.
".
Il est frappant de
relever les propos d'un tuteur qui, parlant de sa
position d'enseignant, accorde une grande
importance à la posture d'appropriation chez
ses élèves :
"
Quand
on s'approprie quelque chose on a des chances d'en
garder le souvenir
".
Valeur forte pour
lui, mais qu'il ne met pas en acte dans l'exercice
du tutorat et en prend conscience à la
lecture de la retranscription :
"
Ce
qui est amusant dans ce texte si on prend un peu de
distance ironique c'est que ce conseiller
pédagogique qui explique qu'il faut partir
de la parole de l'élève, il ne laisse
en aucun cas la parole au stagiaire.
C'est-à-dire qu'il fait absolument le
contraire de
C'est-à-dire qu'en fait
il critique le cours magistral, il critique le
cours entièrement dirigé par le
maître,
et à ce moment-là
il est lui-même le maître, expliquant
qu'il ne faut pas faire ce qu'il est en train de
faire
".
* La
difficulté de l'effacement
Mais cette intention se heurte à
la tentation d'agir à la place du stagiaire
:
"
C'est
un des points les plus difficiles, quand le
stagiaire a des manques dans la discipline,
là on est malheureux parce qu'on ne peut
pas
Si, ponctuellement je peux redonner un
petit coup de vernis à droite ou à
gauche, remettre les choses là où
elles devraient être, mais quand on
perçoit ces manques, la seule chose que je
puisse faire c'est lui faire voir qu'il lui manque
encore des choses, il faut qu'elle continue
à
Ça c'est pas
toujours
".
Nous relevons à plusieurs
reprises une hésitation entre
montrer au stagiaire comment faire
autrement et ne pas lui imposer une
façon de faire, l'aider à se
découvrir
lui-même.
|
* La
difficulté du questionnement
Le questionnement
est souvent vécu non comme une
ressource susceptible de faire avancer la
réflexion chez le stagiaire, mais
comme quelque chose de difficile à
mettre en uvre. Les tuteurs ont
tendance, malgré eux, à
attendre la bonne réponse
:
"
je voudrais qu'elle me dise exactement
ce que je veux
entendre
", réalise un tuteur pendant le
second entretien.
Si le stagiaire ne donne pas les
réponses satisfaisantes, le tuteur
peut alors freiner son questionnement pour
éviter de mettre son stagiaire en
défaut, ou bien donner les
réponses à sa
place.
Le questionnement est parfois
perçu comme une aide au stagiaire,
mais pas forcément
maîtrisée : ils aimeraient
réussir à le faire, mais n'y
parviennent pas :
"
j'en
pose, mais ce ne sont pas les questions
que je voudrais
poser
".
|
|
Les difficultés rencontrées et
verbalisées par les trois tuteurs se
détachent encore plus nettement si l'on
prête attention à ce que nous dit le
tuteur novice. Il parle de sa pratique de conseil
comme " en
cours de
construction
" : il existe un écart entre ce qu'on lui a
demandé et qu'il souhaite faire et ce qu'il
fait, les expressions qu'il utilise pour en parler
témoignent de son inconfort :
"
Au
bout d'un moment j'ai craqué et puis je suis
parti dans le conseil parce que je n'arrivais pas
à ce qu'il y ait le retour que j'attendais,
qu'elle se pose la
question
".
L'expression
utilisée (" j'ai
craqué
") indique que l'exercice demandé ne va pas
de soi, qu'il nécessite une
compétence, donc un apprentissage et un
entraînement. Elle nous indique aussi un
léger sentiment de culpabilité, un
barrage que l'on lâche à regret
après avoir tenté de
résister.
"
Est-ce
que c'est moi qui pose mal les questions ou est-ce
que c'est elle qui analyse pas suffisamment bien ce
qu'elle fait et pourquoi il faudrait le faire
?
".
Le tuteur
s'interroge sur l'efficacité de son action
avec la stagiaire : le questionnement ne permet pas
à la stagiaire d'avancer, et par rebond ne
permet pas non plus au tuteur de situer sa
stagiaire. L'amorce de la phrase indique que le
questionnement est une technique qui devrait, selon
lui, fonctionner, si elle est
maîtrisée. ...Dans le cas
présent, la logique transmissive prend le
pas sur la logique d'accompagnement et constitue un
obstacle.
Savoir ce qui pour les
stagiaires fait problème et non ce
qu'on aurait fait à leur place
demande au tuteur une décentration,
une capacité d'écoute qui ne
s'improvise pas.
Vouloir
faire n'est pas pouvoir faire, et face aux
multiples compétences requises par
l'exercice du tutorat les acteurs font au
mieux, leur problème étant
de ne pas réussir à mettre
en uvre ce qu'ils auraient
souhaité.
|
|
La question des pratiques
pédagogiques à
transmettre
Nous allons maintenant nous
permettre, de revenir sur le paradigme dans lequel
s'inscrivent les tuteurs. L'obstacle indiqué
précédemment consistait dans la
transposition du paradigme
d'enseignement.
1) L'utilisation d'un
modèle : essai
A partir du moment où nous
posons l'existence de ce cadre paradigmatique comme
un constat dans la pratique de tuteur, nous pouvons
examiner ce qui se passe en tentant une
transposition du triangle pédagogique de
Jean Houssaye :
Si les transpositions des personnages ne
présentent a priori pas de
difficulté, le pôle de la pratique
professionnelle nous semble mériter une
considération particulière : quelles
sont les pratiques professionnelles dont parlent
les tuteurs aux stagiaires, ou plutôt sur
quoi se fondent-elles ?
2) La relation au savoir
expérientiel
Nous avons essayé de voir
quelle était la relation entretenue par les
conseillers pédagogiques tuteurs avec leur
savoir expérientiel, ce savoir qu'ils
cherchent à transmettre à leur
stagiaire. Comment les tuteurs jugent-ils leurs
propres connaissances en acte ? S'agit-il d'un
jugement personnel fondé sur
l'expérience, d'une réflexion, d'une
opinion, d'une certitude
?
Les termes employés et la
façon dont ils sont utilisés
permettent de situer la relation qu'entretient le
tuteur avec le discours qu'il énonce : les
verbes utilisés révèlent
l'engagement de l'énonciateur, ce que le
tuteur dit est lié à la
manière dont il le dit. Pour étudier
ce point, nous nous sommes appuyés sur la
proposition d'analyse sémantique d'Oswald
Ducrot (1975), reprise par D. Maingueneau : il
s'agit de relever la présence de marqueurs
de la position dans l'énoncé
(.....)
*
Croire
Le verbe que nous
rencontrons le plus fréquemment
dans les discours est " croire ",
étrangement c'est celui auquel O.
Ducrot n'a pas associé de
critères. Cependant, s'il est sans
doute imprudent de dire que les tuteurs
cherchent à communiquer une
croyance, nous pouvons avancer qu'ils font
appel à une conviction, une notion
intime, un élément dont ils
sont persuadés sans toutefois qu'il
soit raisonné.
T2 - 21 -
"Le
temps passe, donc moi je crois que c'est
très très important de
revenir sur le texte, ce qui permet
à chaque fois de valoriser une
démarche
inductive."
L'utilisation de ce verbe
témoigne aussi, nous semble-t-il,
d'un engagement de la part du tuteur. Nous
le rapprochons ainsi de l'adverbe
"
vraiment ",
utilisé fréquemment
également, signe d'implication dans
le discours :
T2 - 87 -
"Donc
c'est, ça c'est vraiment important
il faut, il faut bien que tu
considères que ta séance
s'inscrit dans une séquence
(
)"
Cette formule traduit bien
l'engagement du tuteur : l'emploi de
"
vraiment "
est renforcé par
"
important
", puis à nouveau souligné
par "
bien
". L'élément dont le tuteur
parle est essentiel pour lui.
|
Répartition
de ces mêmes verbes dans les
discours des
tuteurs
|
T1
|
T2
|
T3
|
Considérer
|
0
|
0
|
0
|
Trouver
|
6
|
6
|
8
|
Estimer
|
0
|
0
|
0
|
Juger
|
0
|
0
|
0
|
Avoir
l'impression
|
11
|
11
|
4
|
Être
sûr
|
3
|
0
|
2
|
Penser
|
6
|
4
|
1
|
Croire
|
11
|
10
|
9
|
|
* Avoir
l'impression
Cette expression est
également très utilisée :
à de nombreuses reprises, les conseillers
pédagogiques font appel à leur
jugement personnel fondé sur leur
expérience. Le savoir expérientiel
est un incontournable.
T1 - 37 -
"C'est
ça qui est intéressant me
semble-t-il, voilà : quand on a la chance
d'avoir un tout petit nombre, on ne fonctionne plus
de la même façon que quand on a un
groupe complet, si tu veux, donc
euh
"
*
Trouver
Nous retrouvons la force de
l'expérience, les tuteurs s'étant
appropriés un savoir, leurs connaissances
acquises leur permettent de repérer un
élément dans l'activité de
leur stagiaire et de le qualifier :
T2 - 3 -
"Je
trouve que quand même c'est fichtrement
ambitieux."
Le tuteur fait appel à son jugement
personnel ..., qu'il étaye par son
expérience professionnelle ..., il peut
alors qualifier une situation singulière
....
*
Penser
L'opinion du tuteur est le produit de
sa réflexion. Loin de la
spontanéité, l'opinion est
réfléchie, ce qui a
nécessité une mise à distance,
voire une théorisation.
T2 - 207 -
"Je
pense qu'analepse-prolepse méritait
largement une séance
supplémentaire."!
* Être
sûr
Cette locution est peu
rencontrée chez les tuteurs. Ils ne semblent
pas certains de l'opinion qu'ils expriment, ce qui
sera clairement et sans façon validé
par l'un d'eux lors de l'auto-confrontation :"
Je
ne sais pas ce qu'il faut faire ! Je continue avec
de l'expérience à ne pas exactement
savoir
".
Nous pouvons croiser cet
élément avec les locutions qui
viennent modérer les assertions, telles que
" sans
doute "
(l'usage lui donnant un sens contraire au sens
premier), "
peut-être
", "
éventuellement
" :
Ces formules sont
utilisées de façon
récurrente par les tuteurs,
laissant une incertitude autour des
éléments abordés.
Cette notion vient teinter
d'ambivalence l'engagement assuré
des tuteurs : on croit en des valeurs
mouvantes, que l'on doit constamment
réinterroger.
|
Pour terminer sur ces verbes dits d'opinion,
nous notons l'éviction des termes "
considérer, juger, estimer " dans les
discours des tuteurs. Les caractères communs
à ces trois termes, selon O. Ducrot, sont
d'une part l'implication d'un jugement personnel
fondé sur une expérience, et d'autre
part la certitude de l'opinion exprimée. Ce
point semble confirmer ce qui précède
: les tuteurs ne s'autorisent pas de certitudes
lorsqu'ils parlent pédagogie. En la
matière, on peut être intimement
persuadé mais pas absolument
certain.
L'implication de la personne dans ce qu'elle
exprime apparaît donc nettement dans
l'étude des verbes employés. Dans une
situation d'entretien, l'effet s'en trouve accru
:
on ne parle pas à la place d'un
autre, c'est bien le " je " qui est au premier
rang, ce " je " s'exposant à la parole de
l'autre.
(...)La dimension
éthique est forte chez les conseillers
pédagogiques, et les entretiens
d'auto-confrontation en sont
imprégnés : ils cherchent à
"
garantir la qualité de
l'enseignement
", tiennent à "
ce
qu'on propose aux élèves fasse
sens ",
font en sorte que " l'élève
soit dans une appropriation (c'est le
mot-clé de ma foi
pédagogique)
".
Ils
témoignent de la grande attention
portée au stagiaire et à la formation
qui les implique en tant que tuteurs : "
si
j'accepte d'être tuteur, c'est parce qu'il y
a une dimension éthique. [
] On
a un rôle de transmission d'une sorte
[
] de conviction
".
3) Concept en acte :
3ème obstacle
Le capital
expérientiel est donc fortement
présent, le lien très étroit
de sédimentation que les tuteurs
entretiennent avec leur profession ancre leur
engagement, leur conviction, qui prend le pas sur
une réflexion théorique
distanciée.
Ce constat opéré par exemple
par Sébastien Chaliès " les
conseillers pédagogiques supervisent comme
ils enseignent " l'amène même
à discuter de l'utilité de
l'entretien pédagogique.
Nul n'est certain de ce qu'il
souhaite pourtant vivement transmettre, ce
qui, compte tenu du modèle
transmissif dans lequel les tuteurs
s'inscrivent, nous semble constituer un
troisième obstacle.
|
A ce stade, il nous faut reprendre la
transposition du triangle pédagogique et
l'approfondir pour en mesurer les
effets.
Jean Houssaye relie les pôles,
constitués par les acteurs et l'objet
à transmettre, par trois processus (former,
enseigner, apprendre), ce sont ces trois processus
que nous transposons à leur tour pour
enrichir notre essai de modèle.
Le modèle de J. Houssaye met en
rapport le savoir, l'enseignant et
l'élève dans une logique de
dualité exclusive, chaque processus excluant
un des trois sujets. C'est vers l'essai de
transposition que nous nous tournons.
Nous utilisons le terme de " modèle "
dans le sens de l'outil qui sert à penser et
qui sert la pensée : cette figure n'est pas
la reproduction exacte de la réalité,
mais elle permet d'en comprendre le
déroulement.
Dans
le processus de
modélisation,
le tuteur se met en lien avec sa propre pratique
professionnelle, engage son stagiaire dans une
contrainte modélisante et l'exclut donc en
tant que sujet. Dans ce processus, le stagiaire
n'est pas un sujet qui se forme mais un objet que
l'on forme.
Dans
le processus
d'autoformation,
le stagiaire ne tient compte que de sa propre
pratique, exclut celle du tuteur, dans une logique
d'auto-centration qui fait boucle avec
elle-même. Le tuteur ne peut alors tenir sa
place de formateur.
Dans
le processus de
subjectivation,
tuteur et stagiaire sont en lien l'un avec l'autre,
excluant la pratique professionnelle. La
professionnalité étant exclue, ce
sont deux sujets qui sont en
présence.
Dans chaque
processus nous constatons une
désintégration de la situation de
formation par l'exclusion d'un
tiers.
De plus, le problème que pose
cette figure est bien celui de la pratique
professionnelle :
de quelle
pratique parle-t-on ?
î
Si dans le triangle de J. Houssaye le
savoir est commun au professeur, et à terme
aux élèves, dans le triangle
transposé il ne peut pas s'agir de la
pratique enseignante parce qu'il y en aurait deux
en présence, celle de l'enseignant tuteur et
celle de l'enseignant stagiaire (deux pratiques
pédagogiques ne peuvent se
superposer).
î
Nous ne pouvons pas plus
considérer qu'il s'agit de la pratique
de tutorat : elle est un moyen qui relie le tuteur
au stagiaire, mais elle n'est pas objet de
transmission.
î
S'agit-il alors de " l'expérience
" ? Nous entendons par expérience un
fait vécu : " Fait d'acquérir,
volontairement ou non, ou de développer la
connaissance des êtres et des choses par leur
pratique et par une confrontation plus ou moins
longue de soi avec le monde " .
L'expérience, puisqu'elle est
vécue par la personne pour être telle,
peut se raconter, se montrer, mais peut-elle se
transmettre ? Au terme " transmissible ", sans
doute faut-il préférer l'expression "
caractère potentiellement partageable
d'expériences " adopté par Marc
Durand .
Cette figure transposée est
décidément problématique : le
pôle du contenu à transmettre
résiste
Il nous faut alors changer de
logique.
|
Nous pensons que la figure ne peut
servir de modèle pour
l'activité de tuteur parce qu'il ne
s'agit pas, dans le tutorat,
de
transmission,
mais plutôt d'accompagnement
dans un processus de construction
professionnelle et d'autonomisation, qui
implique une dimension relationnelle
forte.
Quelle que soit l'entrée
retenue, qu'il s'agisse de la
considération du paradigme à
l'uvre, de la pratique de conseil ou
du contenu à transmettre, nous nous
heurtons au même écueil :
l'activité enseignante
représente à la fois un
socle et un obstacle. Sans doute un moyen
d'aborder l'obstacle est de se retourner
vers la formation des tuteurs. En effet,
il est probablement difficile pour les
tuteurs d'accepter " de ne plus
être identifiés uniquement
à partir de ce qui constitue
l'expertise et la source de leur
reconnaissance professionnelle :
l'enseignement " .
Un
accompagnement par la formation pourrait
être opérant, pour permettre
aux conseillers pédagogiques de
passer du vouloir au pouvoir
faire.
|
|
|
|