Pourquoi
je suis devenue professeur de français ?
Par goût, par l'enchaînement des
événements, pour gagner ma vie,
grâce - ou à cause- de quelques
personnes
A l'origine, je voulais être
institutrice, " maîtresse des petits "
disait-on autour de moi. Un de mes cadeaux de
Noël - je devais avoir quatre ou cinq ans, et
je ne fréquentais pas encore l'école
du village - m'a ravie : c'était un tableau
noir en carton bouilli sur pieds en bois, avec des
craies de couleur et un boulier ! Une merveille
!
J'ai commencé l'école
à six ans. La classe unique était
menée par un maître en blouse grise,
dont je sais maintenant qu'il remplissait sa
mission de véritable " hussard noir " de la
République. Il m'a appris à lire et
je me suis jetée dans les livres. J'ai
goûté à tout au fur et à
mesure que je grandissais : les albums
illustrés de ma grand-mère puis ses
romans à l'eau de rose, les dictionnaires et
bibles agricoles de mes parents, la
bibliothèque religieuse du
catéchisme, les almanachs et les histoires
drôles, les cadeaux de mes copines et la
bibliothèque de l'école. Ca,
c'était une mine ! Mon instituteur me
pourvoyait en ouvrages qu'il choisissait
soigneusement au début selon ce qu'il
pensait être " de mon âge " puis,
devant ma rapidité de lecture, il a dû
se résoudre - je l'ai en mémoire de
cette façon - à me donner tout ce
qu'il avait sous la main : " Tiens, si tu ne
comprends pas, tu me demanderas " ou bien " " Tu en
as pour un moment avec ça ! " - je
comprenais : " tu ne vas pas pouvoir lire cela en
deux jours, comme la dernière fois ! ". et
moi, par jeu et parce que ça me plaisait, je
lisais encore plus vite ; je cherchais les mots
difficiles dans le dictionnaire ; je faisais des
listes de définitions avec application mais
tellement d'impatience de retrouver l'histoire et
les personnages, une histoire qui me faisait
vivre " ailleurs ", ailleurs que dans la boue et le
froid de ma campagne. Je vais abréger
là car j'aurais envie de citer tous les
titres qui m'ont fait voyager et ressentir tant
d'émotions extraordinaires. Oh ! L'ensemble
était plutôt moralisateur, je m'en
suis rendu compte avec l'expérience. Mais
tous ces textes m'ont permis de me
construire à l'époque.
Puis ce fut le collège et le
lycée où je trouvai une
bibliothèque où je pouvais puiser
à ma guise. Je travaillais sans m'en
apercevoir ; je peaufinais mes devoirs qui n'en
étaient pas vraiment : c'était un
plaisir de réfléchir, de mettre en
mots, de travailler intellectuellement. J'ai
réussi mes études grâce au
français et à mon travail car rien de
ce qui s'apprenait ne me faisait peur. Il n'y avait
qu'avec les math que ça ne marchait pas ! Ce
n'est pas que je n'aimais pas les math mais j'avais
l'impression que les mathématiques ne
voulaient pas de moi ; les math n'ont pas
été un repoussoir mais leur absence
m'a versée du côté
littéraire alors que j'aimais les sciences
physiques ou naturelles et que j'y obtenais de
bonnes notes. Au fur et à mesure du cycle
d'études de l'époque, je me suis "
spécialisée " en lettres modernes -
sans latin - et il faudrait encore tout un
développement pour expliquer le pourquoi et
le comment de cette situation rédhibitoire
à l'époque : pas de
latin
Toujours est-il que j'ai passé
l'examen des bourses en cinquième - je
l'ai manqué : malheureux parents qui ont
payé l'internat hors de prix pour leur
bourse - puis en seconde où j'étais
mieux préparée, et où j'ai
réussi - soulagement de ma famille qui avait
encore des enfants à " faire poursuivre "
après cette fin de seconde guerre mondiale.
Ecole normale d'institutrices -
séparée de celle des instituteurs ;
stage en école d'application avec une femme
formidable " Un jour de grève n'est pas un
jour de lessive : on manifeste ! " ou " J'ai
expliqué les nombres décimaux ce
matin : j'en ai les bas et la chemise
trempés " ; puis travail à la ferme,
à la poste, dans les colonies de vacances ;
décidément, c'est l'enseignement qui
me convient, le contact avec les jeunes et leur
curiosité, le contact avec les
textes, avec la langue; et ce serait bien de
n'avoir à enseigner que du français
puisque c'est ce que j'aime , c'est ce que je sais
faire ! Contrat de dix ans au service de
l'Education nationale sous peine de remboursement
du prix des études. Inenvisageable
financièrement. Préparations et
passages de concours tout en menant ma vie
personnelle. Et après maintes
galères, j'ai un remplacement en
collège.
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